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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
14.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
1
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE METİN TURAN c. TURQUIE

(Requête no 20868/02)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2006

DÉFINITIF

14/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Metin Turan c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,

et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20868/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Metin Turan (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 avril 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes H. Aygün et Ö.U. Kaplan, avocats à Tunceli. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 14 juin 2005, la Cour (deuxième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés des articles 11 et 13 de la Convention. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1966 et réside à Yozgat.

5. En 1999, alors qu’il était membre du parti politique local EMEP (Parti du labeur), le requérant se porta candidat au poste de maire de Tunceli.

6. Le 10 août 2001, avec d’autres fonctionnaires du secteur public, le requérant fonda le syndicat Enerji-Yapı Yol Sen, rattaché à la Fédération des syndicats du secteur public (KESK). Il en fut élu membre du conseil d’administration.

7. Le même jour, le préfet de la région soumise à l’état d’urgence en fut informé.

8. Le 5 octobre 2001, le préfet demanda au ministre des Travaux publics et de l’Urbanisme la mutation du requérant dans une autre région sur le fondement des articles 4 g) du décret-loi no 285 et 3 a) du décret-loi no 430. Il fit valoir que le requérant avait participé aux événements suivants :

le 30 septembre 1999, réunion à Tunceli devant l’immeuble de l’antenne locale du parti HEP pour protester contre les événements survenus le 26 septembre 1999 à la prison d’Ulucanlar d’Ankara ;

enterrement d’un membre du PKK, décédé le 26 novembre 1999, à Mazgirt dans la région de Sarıkoç ;

commémoration de trois membres du PKK retrouvés morts le 3 décembre 2000 à Pertek dans le village de Kaçarlar ;

le 8 mars 2000, lecture qu’il a lui-même donnée d’une déclaration de presse à l’occasion de la journée internationale de la femme ;

le 1er septembre 2000, réunion non autorisée organisée par l’association Plateforme de la démocratie (Demokrasi Platformu) à l’occasion de la journée mondiale pour la paix ainsi qu’à la protestation organisée par télécopie contre la construction de prisons de type F ;

sur décision prise par la plateforme EMEK, le 1er décembre 2000, action de débrayage sur le lieu de travail.

L’intéressé avait ainsi continuellement participé aux actions préparées par le KESK. De ce fait, le fait qu’il fût en poste dans la région soumise à l’état d’urgence était dangereux et constituait une atteinte à l’ordre public.

9. Par une décision du 15 mars 2002, à la demande du préfet de la région soumise à l’état d’urgence et sur le fondement des décrets-lois susmentionnés et la loi no 657, le requérant fut muté à Yozgat.

10. Le 27 mars 2002, la décision de mutation fut notifiée au requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

11. Le droit interne pertinent relatif à la région où l’état d’urgence était en vigueur, et applicable à l’époque pertinente, est exposé dans les arrêts Akat c. Turquie (no 45050/98, §§ 2129, 20 septembre 2005), Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 9597, CEDH 2000V) et Çetin et autres c. Turquie (nos 40153/98 et 40160/98, §§ 2432, CEDH 2003III).

12. A l’époque des faits, l’article 4 g) du décret-loi no 285 relatif à l’instauration de la préfecture de la région où l’état d’urgence était en vigueur conférait au gouverneur de cette région le pouvoir de demander, dans le but de protéger l’ordre public et la sécurité générale, la mutation du personnel du secteur public dans une ville située en dehors de cette région. Ses demandes avaient un caractère contraignant.

13. La loi no 657 relative aux fonctionnaires régit le statut et la carrière des fonctionnaires.

14. En vertu du décret-loi no 285, les actes administratifs pris par le préfet ne pouvaient pas être attaquées devant les juridictions administratives. En outre, la responsabilité pénale ou civile de ce dernier et des préfets des départements de la région, en raison de ses décisions concernant la mutation du personnel du secteur public, n’était pas susceptible d’être soulevée devant les juridictions pénales ou civiles.

15. L’article 3 a) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l’état d’urgence prévoyait que le préfet de la région concernée pouvait demander la mutation de fonctionnaires de cette région pour des raisons de sécurité, de sûreté ou d’ordre public.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

A. Sur la recevabilité

16. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité en deux branches.

1. Incompatibilité ratione materiae

17. Le Gouvernement explique que le statut des fonctionnaires est régi par la loi no 657. Les règles du service public sont fondées sur la notion « d’intérêt public » et les autorités publiques disposent d’une certaine discrétion. En se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il soutient que les contestations concernant le recrutement, la carrière et la cessation des activités des fonctionnaires sortent, en règle générale, du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.

18. Le requérant conteste cette thèse.

19. La Cour constate que le requérant n’invoque pas de grief tiré de l’article 6 de la Convention. Elle rappelle néanmoins sa jurisprudence selon laquelle les litiges relatifs à certains personnels appartenant à la fonction publique relèvent du domaine de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle constate que les litiges relatifs au personnel enseignant ou hospitalier, à des infirmières, sages-femmes ou personnel technique de laboratoire d’un hôpital public, appartenant à la fonction publique, relèvent aussi du domaine de l’article 6 § 1 (voir Knauth c. Allemagne (déc.), no 41111/98, CEDH 2001XII, et Pellegrin c. France [GC], no 28541/95, § 66, CEDH 1999VIII). Elle constate qu’en l’espèce, le requérant travaille en tant que technicien auprès du ministère des Travaux publics et de l’Urbanisme. Il ne s’agit pas d’un poste qui relève d’une participation à l’exercice de la puissance publique, dont le titulaire détiendrait ainsi une parcelle de la souveraineté de l’État.

20. Dès lors, la Cour rejette cette exception.

2. Non-épuisement des voies de recours internes

21. Le Gouvernement soutient que, sur le fondement de l’article 11 du code de procédure administrative, le requérant pouvait introduire un recours devant l’autorité compétente pour demander l’annulation ou la modification de la décision de mutation. Il pouvait également introduire un recours en annulation devant le tribunal administratif.

22. Le requérant conteste ces allégations.

23. La Cour constate que cette exception est étroitement liée aux griefs du requérant tirés des articles 11 et 13 de la Convention. Partant, elle décide de la joindre au fond.

B. Sur le fond

24. Le requérant allègue que la décision de sa mutation constitue une atteinte à son droit à la liberté de réunion et d’association. Il invoque l’article 11 de la Convention ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

25. Le Gouvernement soutient que le requérant était déjà membre d’un syndicat et que ce droit n’a pas été affecté après sa mutation. L’article 11 n’accorde pas à un fonctionnaire membre d’un syndicat une immunité ou une situation plus avantageuse qu’aux autres quant à sa mutation dans une autre ville ou dans un autre poste.

26. Le requérant conteste ces arguments. En se référant à la note d’information du 5 octobre 2001 transmise par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence (paragraphe 8 ci-dessus), il soutient qu’il a été muté en raison de son appartenance au syndicat Enerji-Yapı Yol Sen, rattaché à la Fédération des syndicats du secteur public (KESK).

27. La Cour rappelle que l’article 11 § 1 de la Convention présente la liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association ; il n’assure pas aux membres des syndicats un traitement précis de la part de l’État et notamment le droit pour ses membres de ne pas être mutés (voir Akat c. Turquie, no 45050/98, § 38, 20 septembre 2005, et Syndicat national de la police belge c. Belgique, arrêt du 27 octobre 1975, série A no 19, p. 17, § 38).

28. La Cour souligne que, dans une cause issue d’une requête individuelle, il lui faut se borner autant que possible, sans oublier le contexte général, à examiner les problèmes soulevés par le cas concret dont on l’a saisie (voir, entre autres, Guzzardi c. Italie, arrêt du 6 novembre 1980, série A no 39, pp. 31-32, § 88, et Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, série A no 44, § 52). Partant, il ne lui incombe pas en l’occurrence d’apprécier au regard de la Convention l’opportunité de la décision de mutation en tant que telle. Elle a pour objectif d’étudier les incidences d’une telle décision sur le droit du requérant de mener des activités syndicales au regard de l’article 11 de la Convention.

29. La Cour relève que le requérant s’est plaint que la décision de mutation prise à son encontre, sur le fondement des articles 4 g) du décret-loi no 285 et 3 a) du décret-loi no 430, par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence a méconnu les dispositions de l’article 11. Elle observe ensuite que cette décision était prévue par la loi. Par ailleurs, il n’est pas contesté que le statut du requérant est régi par la loi no 657.

30. En l’espèce, la Cour reconnaît que le statut du requérant prévoit, en principe, la possibilité de mutation dans un autre service ou dans une autre ville selon les besoins du service public. Cela étant, d’après les éléments soumis à son appréciation, elle relève que le requérant étaye suffisamment, et de manière convaincante, le fait que la décision incriminée a constitué une contrainte ou une atteinte touchant à la substance même de son droit à la liberté d’association tel que le consacre l’article 11 de la Convention. En effet, il ressort clairement de la note d’information du 5 octobre 2001 transmise par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence (paragraphe 8 ci-dessus) que l’intéressé « avait ainsi participé continuellement aux actions préparées par le KESK. De ce fait, le fait qu’il soit en poste dans la région soumise à l’état d’urgence est dangereux et constitue une atteinte à l’ordre public » (voir, a contrario, Akat, précité, § 43, Bulğa et autres c. Turquie, no 43974/98, § 75, 20 septembre 2005, et Ertaş Aydın et autres c. Turquie, no 43672/98, § 53, 20 septembre 2005). Même si, comme le reconnaît l’intéressé, il a pu participer aux activités syndicales après sa mutation en se déplaçant à Tunceli, la Cour est d’avis que cette mesure a été prise en raison de son appartenance au syndicat Enerji-Yapı Yol Sen. Par conséquent, la décision litigieuse ne s’inscrivait pas, comme le prétend le Gouvernement, dans le cadre de la gestion et de l’exercice d’une bonne administration du service public de l’État.

31. Partant, à la lumière de l’ensemble des circonstances de la présente cause, la Cour constate que la décision de mutation peut être considérée comme une ingérence des autorités nationales dans le droit du requérant à exercer ses activités syndicales. Une telle décision, mutant l’intéressé dans une ville située dans une autre région en raison de son appartenance à un syndicat légalement fondé, n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

32. Il y a donc eu violation de l’article 11 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

33. Le requérant se plaint de l’absence de voies de recours pour contester la décision prise à son encontre par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

34. Le Gouvernement soutient en substance que le requérant pouvait s’adresser aux autorités administratives pour contrôler la légalité de la décision de mutation.

35. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, parmi d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000XI).

La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000VII). L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi d’autres, Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61, p. 42, § 113, et Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996V, pp. 18691870, § 145).

36. En l’occurrence, la Cour rappelle que, sur le fondement des articles 4 g) du décret-loi no 285 et 3 a) du décret-loi no 430, accordant de vastes prérogatives en matière de mutation au préfet de la région soumise à l’état d’urgence, celui-ci peut demander la mutation du requérant dans une ville située en dehors de cette région. La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler que tant les dispositions qui confèrent les compétences au préfet de la région soumise à l’état d’urgence que l’application de cette réglementation échappent à un contrôle juridictionnel (voir Çetin et autres, précité, § 61). Force est de constater que face à de telles prérogatives, l’absence d’un contrôle juridictionnel en matière de mutation, sur demande du préfet comme en l’occurrence, n’offre pas de garanties suffisantes pour éviter d’éventuels abus ou bien simplement permettre de contrôler la légalité des décisions ainsi prises (voir Ertaş Aydın et autres, précité, § 60). En conséquence, les recours juridictionnels des actes émanant du préfet de la région soumise à l’état d’urgence ne remplissent pas le critère d’« effectivité » aux fins de l’article 13 car le recours exigé n’est pas effectif en droit comme en pratique (voir, entre autres, Bulğa et autres, précité, § 81).

37. Dès lors, il y a lieu de considérer que le requérant est dispensé de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement.

38. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’inexistence d’un recours en droit interne devant une instance nationale permettant de contester la décision de mutation prise à l’encontre du requérant par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

40. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral. Il demande également 5 010 EUR pour dommage matériel, somme ventilée comme suit :

895 EUR pour les loyers payés en 2001, 2002 et 2003 à Yozgat, lieu de sa mutation ;

1 590 EUR pour son loyer à Elazığ ;

378 EUR pour ses frais de voyage occasionnés par ses participations, durant cette période, aux réunions du syndicat à Tunceli ;

2 147 EUR pour ses frais de restauration.

41. Le Gouvernement conteste ces sommes.

42. S’agissant du dommage matériel, la Cour constate que la demande relative au dommage matériel n’est pas suffisamment étayée et doit ainsi être rejeté.

43. Quant au dommage moral, elle admet que la mutation du requérant, en raison de son appartenance à un syndicat et de ses activités y relatives, ainsi que l’absence d’un recours en droit interne devant une instance nationale permettant de contester la décision de mutation prise à son encontre a dû occasionner une certaine détresse. Statuant en équité, elle lui accorde à ce titre la somme de 2 500 EUR.

B. Frais et dépens

44. Le requérant réclame la somme de 2 187 EUR pour les frais engagés devant la Cour ainsi que 130 EUR pour les frais de correspondance.

45. Le Gouvernement conteste ces montants.

46. Eu égard aux éléments du dossier, la Cour constate que le montant réclamé n’est pas excessif et est d’ailleurs suffisamment justifié. Statuant en équité, elle décide d’allouer en entier la somme réclamée, soit 2 317 EUR.

C. Intérêts moratoires

47. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Rejette, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione materiae ;

2. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des recours internes et la rejette ;

3. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

6. Dit, par six voix contre une,

a) que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 500 (deux mille cinq cents euros) pour dommage moral et 2 317 EUR (deux mille trois cent dix-sept euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions suivantes :

opinion concordante de Mme Mularoni à laquelle se rallie M. Costa ;

opinion dissidente de M. Türmen.

J.-P.C.
S.H.N.


OPINION CONCORDANTE DE Mme LA JUGE MULARONI
à LAQUELLE M. LE JUGE COSTA déclare se rallier

Je partage l’opinion de la majorité qu’il y a eu violation des articles 11 et 13 de la Convention.

Cependant, en ce qui concerne l’article 11, je tiens à souligner ce qui suit.

Pour parvenir à un constat de violation de l’article 11, la majorité se place sur le terrain de la « nécessité de l’ingérence dans une société démocratique », sans examiner au préalable si l’ingérence « poursuivait un but légitime ».

A l’instar de ce que j’ai dit dans mon opinion concordante dans les affaires Ademyılmaz et autres contre Turquie (nos 41496/98, 41499/98, 41501/98, 41502/98, 41959/98, 41602/98 et 43606/98, 21 mars 2006), je considère que si un fonctionnaire est muté en raison de son affiliation syndicale, cette mutation emporte violation de l’article 11 car en réalité on utilise un instrument prévu par la loi (la mutation) non pas pour atteindre un but légitime (la bonne administration du service public), mais pour atteindre un but différent, qui lui n’est pas prévu par la loi et interdit par l’article 11 de la Convention, en particulier, pour décourager l’affiliation syndicale.

Je conclus qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 11 de la Convention, qui ne peut se lire qu’en combinaison avec les articles 17 et 18 de la Convention, dans la mesure où l’ingérence ne poursuivait pas un but légitime.


OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE TÜRMEN

(Traduction)

Je regrette de ne pouvoir souscrire au constat de violation de l’article 11 de la Convention auquel est parvenue la majorité.

Le requérant, fonctionnaire de la direction du ministère des Travaux publics à Tunceli et membre d’un syndicat du secteur public, a été muté à Yozgat à la demande du préfet de la région soumise à l’état d’urgence.

Dans les arrêts qu’elle a rendus dans un certain nombre d’affaires similaires (notamment Akat c. Turquie, no 45050/98, 20 septembre 2005, Bulğa et autres c. Turquie, no 43974/98, 20 septembre 2005, et Ertaş Aydın et autres c. Turquie, no 43672/98, 20 septembre 2005), la deuxième section de la Cour a conclu à la non-violation de l’article 11 de la Convention, au motif principalement que les mutations dont les requérants avaient fait l’objet ne les avaient pas empêchés de poursuivre leurs activités syndicales ou d’exercer leur droit d’adhérer à un syndicat. La Cour a également indiqué, dans les arrêts en question, que les mesures litigieuses s’inscrivaient dans le cadre de la gestion et de l’exercice d’une bonne administration du service public de l’État et que les Parties contractantes jouissaient d’une ample marge d’appréciation en matière de mutation de fonctionnaires (Ertaş Aydın et autres, précité, §§ 50-52).

Je n’aperçois aucun élément permettant de distinguer la présente espèce des affaires précitées et justifiant que la Cour s’écarte de la jurisprudence rappelée ci-dessus. La majorité semble établir une distinction entre la présente espèce et les affaires précitées en se fondant sur l’idée selon laquelle la mutation du requérant aurait été décidée en raison du fait que celui-ci était membre du syndicat Enerji Yap Yol Sen (paragraphe 30 de l’arrêt). Une lecture attentive des explications fournies par le préfet de la région soumise à l’état d’urgence aurait montré que la mesure litigieuse n’avait aucun rapport avec l’appartenance de l’intéressé à tel ou tel syndicat. La mutation contestée a été ordonnée au motif que le requérant : a) avait assisté aux funérailles d’un membre du PKK, b) avait participé à une cérémonie à la mémoire de plusieurs membres du PKK qui s’était déroulée dans un cimetière, c) avait donné une lecture publique d’une déclaration de presse à l’occasion de la journée internationale de la femme, d) s’était associé à une campagne contre les prisons de type F en envoyant des télécopies, e) avait pris part à une action de « débrayage » organisée par la plateforme EMEK.

Les activités susmentionnées n’avaient aucun rapport avec l’appartenance de l’intéressé à un syndicat. Il est vrai que le préfet de la région soumise à l’état d’urgence avait conclu sa demande de mutation du requérant en signalant que celui-ci avait participé continuellement aux actions préparées par le « KESK ». Toutefois, la question de savoir si le


requérant avait agi de la sorte en raison de son appartenance au KESK ou s’il se serait comporté de la même manière sans avoir fait partie de cette organisation est sans intérêt car tout un chacun peut participer à ce type d’activités, qui sont ouvertes à tous et qui ne sont pas réservées aux membres de tel ou tel syndicat. En réalité, l’intéressé a été muté dans une autre région parce qu’il avait pris part à certaines actions, non parce qu’il appartenait à un syndicat. Par ailleurs, il est constant que rien n’empêchait le requérant de rester membre du même syndicat après sa mutation. Dans ces conditions, il paraît difficile d’établir un lien direct entre la mutation de l’intéressé dans une autre région et son appartenance à un syndicat. Dès lors, je n’aperçois dans le présent arrêt aucun argument convaincant justifiant que la Cour revienne sur sa jurisprudence bien établie.

Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 18 janvier 2001 en l’affaire Chapman c. Royaume-Uni ([GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001I), la Cour a indiqué qu’elle « considér[ait] qu’il [était] dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écart[ât] pas sans motif valable des précédents ». En l’espèce, je ne discerne aucun « motif valable » de nature à justifier que la Cour s’écarte des précédents.

Par conséquent, je considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention.