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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 76973/01
présentée par Sergio MURILLO SALDIAS et autres
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de

Sir Nicolas Bratza, président,

MM. J. Casadevall
M. Pellonpää,

R. Maruste,

S. Pavlovschi,

J. Borrego Borrego,
J. Sikuta, juges,
et de M. T. L. Early, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 novembre 2001,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur le 2 octobre 2003 et celles présentées en réponse par les requérants le 25 novembre 2003,

Vu les observations développées par les parties à l’audience du 8 novembre 2005;

Vu les commentaires à l’égard de l’arrêt rendu par la Chambre contentieuse-administrative de l’Audiencia Nacional en date du 21 décembre 2005, fournis par les parties les 22 juin et 12 juillet 2006,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants Sergio Murillo Saldías, Salvador Sanchís Pérez et María Isabel Verdú Peydro sont des ressortissants espagnols. Les requérants Barry et Andrée Copestake sont de nationalité britannique. Ils sont représentés devant la Cour par Mes María Elena Melero Echauri et Elena Ostiz Melero, avocates au barreau de Pampelune. Le gouvernement défendeur est représenté par M. I. Blasco Lozano, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit :

Le 7 août 1996, à la suite de fortes pluies tombées en amont dans les Pyrénées, une masse d’eau, de boue et de pierre dévasta le camping Virgen de las Nieves, qui était situé sur des terrains appartenant à la municipalité de Biescas (province de Huesca), au confluent des torrents de Arás, Betés et Asó. La terrible inondation du camping provoqua la mort de quatrevingtsept personnes. De nombreuses autres personnes furent blessées et d’importants dommages matériels furent constatés.

Au cours de cette catastrophe, les parents ainsi que le frère et la sœur du premier requérant périrent. Les autres requérants subirent plusieurs lésions et séquelles du fait d’avoir été dans le camping pendant l’inondation et d’avoir ainsi vécu la tragédie.

A. La procédure d’autorisation administrative de l’installation du camping

En 1985, à une date non précisée, un particulier, B.P., fit part à la mairie de Biescas de son projet d’installer un camping dans une zone appartenant au domaine public de la municipalité. Par une décision du 31 juillet 1985, la mairie de Biescas déclara le projet positif pour le village. Le 5 août 1985, B.P. déposa auprès du directeur général de l’aménagement du territoire de la Députation générale d’Aragon une demande d’utilisation d’une zone de trois hectares relevant du domaine public de Biescas, en vue d’y installer un camping. Entre octobre et décembre 1985, plusieurs actes administratifs en vue de l’autorisation administrative furent effectués, notamment un acte de reconnaissance du terrain dressé entre des agents du service provincial de l’agriculture, la mairie et le demandeur de l’autorisation, avec examen de croquis et du plan de la zone concernée.

Le 2 décembre 1985, la mairie de Biescas approuva le cahier des charges pour l’installation du camping. Le 4 décembre 1985, le demandeur accepta le cahier de charges. Le 18 décembre 1985, le dossier fut transmis au service provincial de l’aménagement du territoire. Le 3 janvier 1986, le chef du service de la flore, P.B., rendit un rapport dans lequel il exposait notamment ce qui suit :

« (...) Lors de la constitution du dossier, les instructions figurant dans la circulaire no 5/1977 de l’ICONA (Instituto de Conservación de la Naturaleza) n’ont pas été suivies (...) Ainsi, le dossier ne contient pas le rapport de l’ingénieur chargé du domaine public justifiant pleinement l’utilisation de la zone et l’impossibilité de choisir un autre emplacement compte tenu d’un projet de privatisation temporaire d’une partie du domaine public (...) Le rapport qui a été remis (...) ne comporte pas la décision de conformité et d’approbation du chef de la section de Huesca.

(....) L’ingénieur auteur du rapport estime qu’eu égard à (...) la qualité des travaux de correction du torrent d’Arás (...), à la situation du terrain – qui se trouve à proximité de la route vers la France via le Portalet –, à la nature du sol et au type d’installations prévues, il convient de rechercher d’autres terrains pour l’aménagement d’un camping qui, tout en remplissant mieux les objectifs visés, auraient un impact moindre sur cette partie du domaine public (...)

Par une décision du 23 juin 1986, le directeur général de l’aménagement du territoire de la région d’Aragon renvoya le dossier d’utilisation des terrains au service provincial afin qu’il étudie la possibilité de trouver un autre emplacement pour le camping. Le 8 juillet 1986, le service provincial adressa au directeur général de l’aménagement du territoire un rapport indiquant qu’aucune solution différente de celle proposée n’était viable compte tenu, d’une part, du nombre de propriétés privées à rassembler pour atteindre la superficie nécessaire et, d’autre part, de l’absence d’autres terrains publics réunissant les conditions minimales requises.

Le 4 août 1986, le chef du service de la flore, P.B., dressa un second rapport confirmant son précédent rapport du 3 janvier 1986 ; il y conseillait de ne pas autoriser l’implantation du camping et ajoutait les motifs suivants :

« 1. La zone en question est un cône de déjection d’un cours d’eau à fort régime torrentiel ; bien que des travaux de correction aient été effectués, cette zone ne constitue pas l’endroit indiqué pour les constructions envisagées.

2. De par son emplacement, il existe un risque pour les installations et leurs futurs usagers.

3. Le risque d’incendie est augmenté du fait que les installations se situeraient à proximité de pinèdes. Ce risque est encore aggravé par l’effet de cheminée que peuvent provoquer le torrent d’Arás et les versants pentus contigus, qui sont très arborés ; d’où une nouvelle menace pour les usagers du camping et pour la stabilité du bassin, déjà ébranlée.

(...) »

Le 4 février 1987, le directeur général de l’aménagement du territoire adressa au secrétariat général du département de l’agriculture de la Députation générale d’Aragon un projet de décision autorisant l’installation du camping. Ce projet faisait référence notamment au rapport du chef du service de la flore du 3 janvier 1986 et à l’avis du service provincial du 8 juillet 1986 constatant l’absence d’autres terrains publics réunissant les conditions minimales requises. En revanche, aucune mention n’était faite du rapport du chef du service de la flore daté du 4 août 1986.

Le 3 février 1987, le Directeur général de l’aménagement du territoire adressa à la Députation d’Aragon, suite aux précisions fournies par l’intéressé à l’installation du camping, un second projet de décision autorisant ladite installation sans faire aucune mention au rapport du 4 août 1986 du chef du service de la flore, contraire à l’installation.

Par une décision du 1er avril 1987, le chef du département de l’agriculture de la Députation générale d’Aragon autorisa l’installation du camping. La décision faisait référence à divers rapports d’expertise, mais pas à celui du 4 août 1986.

Le 4 mai 1987, le service provincial de la direction générale de l’aménagement du territoire de la province de Huesca remit au demandeur l’acte autorisant l’utilisation des terrains publics en question. Cet acte était contresigné par la mairie de Biescas.

B. Ouverture d’une procédure pénale après la catastrophe

Par une ordonnance du 8 août 1996, le juge d’instruction no 1 de Jaca (province de Huesca) ordonna l’ouverture d’une information pénale sur les causes de la catastrophe et les éventuelles responsabilités pénales. Les requérants intervinrent dans la procédure en tant qu’accusateurs.

1. L’instruction de l’affaire par le juge d’instruction et la décision de non-lieu provisoire

L’instruction fut menée par les quatre juges qui se sont succédés au tribunal d’instruction no 1 de Jaca. Plusieurs expertises furent réalisées par des ingénieurs des eaux et forêts, des géologues, des spécialistes en hydrogéologie ou en géomorphologie et des statisticiens-mathématiciens de l’université de Saragosse. Des rapports furent également dressés par divers instituts de recherche tels le Centre d’études et d’expérimentation des travaux publics (CEDEX), l’Institut pyrénéen d’écologie, l’Institut national de météorologie, l’Institut technologique et minier espagnol (ITGE). Durant l’instruction de l’affaire, les parties accusatrices sollicitèrent la mise en examen pour forfaiture, homicide, lésions et atteinte aux biens causés par imprudence ou par omission du devoir de poursuivre certains délits des personnes suivantes : trois inspecteurs de la Confédération hydrographique de l’Ebre ; le chef du service de l’environnement du département de l’agriculture de la Députation générale d’Aragon ; le secrétaire général et le directeur général de ce département en 1987 et 1988, et les responsables provinciaux du tourisme en 1988 et 1994. Ces demandes furent présentées à trois reprises et rejetées par des décisions rendues entre février 1997 et janvier 1999.

Le 29 juin 1999, les divers professeurs de l’université de Saragosse confirmèrent leurs rapports devant le juge d’instruction. Par une ordonnance du 26 juillet 1999, le juge d’instruction invita toutes les parties à la procédure à soumettre leurs offres de preuve. Le 16 septembre 1999, les requérants sollicitèrent la mise en examen des personnes mentionnées et le renvoi de l’affaire en jugement. Quant au ministère public, il demanda le non-lieu provisoire au motif que l’existence de délits n’était pas suffisamment justifiée, et ce sans préjuger des éventuelles responsabilités administratives ou civiles pouvant être établies par les juridictions compétentes.

Par une décision du 4 octobre 1999, le juge d’instruction no 1 de Jaca rendit un non-lieu provisoire et ordonna le classement du dossier, sans préjuger des éventuelles responsabilités pouvant être établies par la voie contentieuse-administrative ou civile.

Le juge d’instruction fonda sa décision notamment sur les conclusions des rapports soumis par les professeurs de l’université de Saragosse et divers instituts et centres de recherche. Passant en revue les éléments constitutifs du délit d’imprudence ayant entraîné la mort, des lésions ou des atteintes aux biens, le juge conclut que les preuves recueillies ne permettaient pas de confirmer qu’il y avait eu délit, et ce notamment en raison du caractère imprévisible de l’intensité et du volume des pluies ayant provoqué la submersion et la destruction du camping. Le juge observa également que les dispositions réglementaires en vigueur ne suffisaient pas pour qualifier les terrains d’inondables. En outre, l’installation du camping avait été autorisée sur un cône de déjection qui avait été corrigé et stabilisé grâce à des travaux de canalisation protégeant le bassin contre les phénomènes météorologiques prévisibles.

Concernant l’accusation de forfaiture, le juge d’instruction fit observer qu’un tel délit consistait, dans une affaire de nature administrative, à prendre délibérément une décision injuste alors que le caractère injuste est clair et manifeste, tout doute raisonnable à ce sujet excluant l’aspect pénal. A cet égard, le juge estima qu’aucun élément constitutif de la forfaiture ne ressortait de la conduite des fonctionnaires ayant pris part à la procédure administrative par laquelle l’installation du camping sur le domaine public avait été autorisée. Le juge d’instruction se référa aux divers rapports soumis dans le cadre de cette procédure administrative. Concernant les rapports du chef du service de la flore du 3 janvier 1986 et du 4 août 1986, il déclara ce qui suit :

« Le 3 janvier 1986, le chef du service de la flore, P.B., a indiqué qu’il convenait de remplacer les terrains en question par d’autres situés en dehors du domaine public : « eu égard à la qualité des travaux de correction du torrent d’Arás et à leur intégration au paysage, à la situation du terrain – qui se trouve à proximité de la route vers la France via le Portalet –, à la nature du sol et au type d’installations prévues, il convient de rechercher d’autres terrains pour l’aménagement d’un camping qui, tout en remplissant mieux les objectifs visés [par la personne souhaitant installer le camping], auraient un impact moindre sur cette partie du domaine public. »

Ce technicien a par ailleurs estimé que :

« Compte tenu des caractéristiques du sol de la parcelle en question (formée de gravières et de pierres qui se sont éboulées dans le cône de déjection), sol qui en cinquante ans d’existence de l’ouvrage de stabilisation ne s’est recouvert que d’une rare et maigre couverture végétale, il sera très difficile de planter une zone arborée donnant de l’ombre en été (...) »

Le juge d’instruction nota que, au vu des conclusions de ce rapport, la direction générale avait renvoyé le dossier au service provincial le 23 juin 1986 afin qu’il étudie la possibilité de choisir pour le camping un autre emplacement, hors du domaine public ou au sein de celui-ci. En conséquence, une nouvelle étude fut menée sur d’autres emplacements possibles. A l’issue de cette étude, les experts et le maire de Biescas conclurent qu’il n’existait pas d’autre emplacement réunissant les conditions minimales requises. Ces conclusions furent remises à la direction générale. Après inspection des lieux, les techniciens de la direction générale n’émirent aucune objection quant à la sécurité ; ils estimaient que le cône de déjection avait été dûment canalisé et corrigé par des travaux exemplaires constituant un modèle pour d’autres pays, de sorte qu’ils ne firent état d’aucun problème pour l’installation du camping. S’agissant du second rapport de P.B., le juge d’instruction observa ce qui suit :

« Dans son rapport du 4 août 1986, P.B. estimait que l’aménagement du terrain ne devait pas être autorisé, et ce pour divers motifs : a) la zone en question se trouvait dans le cône de déjection d’un torrent à forte pente qui, même s’il avait fait l’objet de travaux de correction, n’était pas le lieu indiqué pour les constructions prévues ; b) de par sa situation, il existait un risque pour les installations et leurs futurs usagers ; c) le risque d’incendie était augmenté (...)

Le 4 février 1987, le projet de décision du directeur général de l’aménagement du territoire, qui fait référence aux deux rapports de P.B, fut adressé au secrétaire général du département.

Le 10 mars 1987, G.T., chef du service juridique de la direction générale de l’agriculture, adressa au secrétaire général du département de l’agriculture, de l’élevage et du domaine public un rapport dans lequel il estimait peu cohérent de reproduire dans le projet de décision autorisant l’utilisation des terrains tous les rapports établis durant la procédure d’autorisation. (...) A la suite du rapport du service juridique, un nouveau projet de décision de la direction générale de l’aménagement du territoire fut adressé au secrétariat général du département ; une décision du 1er avril 1987 approuva l’utilisation des terrains publics où fut ensuite construit le camping (...)

Tout au long de l’instruction, les parties accusatrices ont considéré qu’il y avait eu un acte de forfaiture en raison de la disparition prétendument dolosive du rapport du 4 août 1986 – qui ne figurait plus dans le dossier administratif d’autorisation –, disparition que l’une des parties accusatrices a même qualifiée de « machiavélique ». Elles estimaient que P.D., Ch. et P. [fonctionnaires du département de l’agriculture], bien que conscients du grave risque encouru, avaient élaboré et instruit une décision favorable.

Eu égard aux éléments constitutifs du délit de forfaiture, une telle infraction ne peut être imputée à aucune des personnes impliquées dans le traitement de la procédure administrative. L’article 358 du code pénal de 1973 dispose que « le fonctionnaire public qui rend délibérément une décision injuste dans une affaire administrative encourt une peine d’interdiction professionnelle spéciale ». Quant à l’article 404 du code pénal en vigueur, il dispose que « l’autorité ou le fonctionnaire qui, conscient de l’injustice, rend une décision arbitraire dans une affaire administrative encourt une peine d’interdiction professionnelle spéciale d’une durée allant de sept à dix ans pour un emploi ou une charge publics.

En l’espèce, aucune pression n’a été exercée pour que la décision finale soit favorable, ainsi que l’a indiqué le chef du service de l’environnement (...) Il n’a été constaté aucune intention dolosive qui eût consisté à favoriser une décision positive concernant l’utilisation des terrains publics tout en ayant conscience, de façon certaine, de l’existence d’un risque.(...) »

Le juge d’instruction estima également qu’il n’y avait eu ni détournement de pouvoir ni arbitraire dans la procédure décisionnelle. Examinant l’accusation de forfaiture formulée à l’encontre de trois inspecteurs de la Confédération hydrographique de l’Ebre ainsi que de son ancien président au motif qu’ils avaient permis l’installation d’un camping dans un cône de déjection situé dans un bassin relevant du domaine public, le juge déclara que leur conduite ne révélait pas d’éléments constitutifs du délit de forfaiture tels qu’il les avait auparavant décrits.

Contre cette décision de non-lieu, les requérants formèrent un recours devant le même juge d’instruction no 1 de Jaca. Par une décision du 10 novembre 1999, celui-ci les débouta et confirma sa première décision ; il considérait notamment :

« Il est réitéré dans plusieurs recours que le juge d’instruction a fondé sa décision sur les rapports fournis par l’administration sans tenir compte des autres rapports, ce qui signifie que, vu la contradiction entre les divers rapports d’expertise soumis, il serait opportun d’entamer une procédure orale afin de déterminer quels sont les rapports exacts et inexacts et quelle était la prévisibilité de l’événement qui s’est produit.

Face à ces arguments, il faut souligner que tous les rapports ont fait l’objet d’une appréciation et d’une analyse, comme le montre le sixième motif juridique [de la décision attaquée]. La prétendue contradiction invoquée par les requérants n’est pas une contradiction en soi car les données les plus fiables pour la détermination des périodes de retour sont celles fournies par l’Institut national de météorologie, données qu’aucun des requérants n’a contredites et que ces derniers semblent oublier dans leurs recours. A la lumière de ces données, [la décision attaquée procède] à une critique rationnelle des nombreux rapports soumis, les précipitations et la période de retour pertinentes étant incontestablement celles du torrent d’Arás et non celles correspondant à la ville de Biescas ce jour-là (...). Ce que les parties estiment contradictoire ne l’est donc pas. Les parties requérantes semblent ignorer le procès-verbal dans lequel les experts de l’Institut national de météorologie ont confirmé que toute précipitation supérieure à 200 litres dans cette zone aurait une période de retour dépassant cinq cents ans. Ainsi, le phénomène qui s’est produit doit être qualifié d’imprévisible au sens de l’article 14 § 3 du décret sur le domaine public hydraulique. En effet, cet instrument de surveillance – dont la violation est nécessaire pour que l’on puisse parler d’imprudence – précise que l’événement susceptible de causer une inondation doit avoir une période de retour inférieure à cinq cents ans ; s’agissant du camping de Biescas, la période de retour était supérieure à cette durée et était donc légalement imprévisible (...) »

2. L’appel devant l’Audiencia Provincial de Huesca

Les requérants interjetèrent appel devant l’Audiencia Provincial de Huesca. Dans leur recours, ils reprochaient au juge d’instruction de s’être livré à une appréciation partiale des preuves administrées. Ils estimaient également qu’il revenait à la juridiction de jugement, et non au juge d’instruction, d’apprécier tous les éléments de preuve réunis dans le cadre de l’instruction.

Par une décision du 14 juillet 2000, l’Audiencia Provincial rejeta l’appel et confirma les décisions entreprises. Répondant aux griefs des requérants concernant le traitement de l’affaire par le juge d’instruction, l’Audiencia Provincial se prononça ainsi :

« Troisième point : (...) Plusieurs des requérants mettent en doute la compétence du juge d’instruction pour apprécier les preuves, le rôle du magistrat devant selon eux se limiter à la constatation des indices de criminalité pesant sur une personne déterminée. Quant à l’activité d’appréciation, elle relève à leur avis de la juridiction de jugement. L’article 789 § 5 du code de procédure pénale prévoit qu’après avoir effectué les actes essentiels pour déterminer la nature et les circonstances de la cause, les personnes impliquées et l’organe compétent pour le jugement (article 789 § 3 du code de procédure pénale), le juge d’instruction peut rendre l’une des décisions prévues par cette disposition, notamment celle qui consiste à considérer que les faits ne sont pas constitutifs d’un délit (...) Or, pour ce faire, le juge d’instruction doit impérativement apprécier les éléments probatoires qu’il a réunis durant l’enquête, car dans le cas contraire il ne pourrait prendre de décision. Le juge a décidé le non-lieu provisoire et le classement de l’affaire au motif qu’il n’était pas dûment prouvé que les faits étaient constitutifs d’une infraction pénale, conformément aux articles 641 § 1 et 789 § 5.1 (...)

Quatrième point : Il est reproché au juge d’avoir procédé à une appréciation partiale des éléments de preuve et de s’être fondé uniquement sur certains rapports et d’en avoir négligé ou ignoré d’autres favorables aux thèses des requérants. Les requérants nient toute valeur probatoire aux rapports du Centre d’études et d’expérimentation des travaux publics (CEDEX) et de l’Institut Agustín de Béthencourt, du fait de la dépendance de ces entités à l’égard de l’administration. Or il suffit de constater le caractère exhaustif et minutieux de la décision du juge pour pouvoir rejeter ces affirmations. La décision contestée analyse un à un tous les rapports, études et articles versés au dossier d’instruction, ainsi que les déclarations et confirmations de leurs auteurs ; elle résume leur contenu et tire les conclusions de fait nécessaires à l’argument. (...) Nous considérons que l’appréciation des éléments de preuve effectuée par le juge est tout à fait bien fondée.

En général, comme nous l’avons vu, les critiques des requérants se concentrent sur les rapports du CEDEX et de l’Institut Agustín de Béthencourt ; en raison du lien de ces entités avec la Députation générale d’Aragon et la Confédération hydrographique de l’Ebre, les requérants jugent douteuses leur objectivité et leur fiabilité. Toutefois, le fait que ces rapports aient été demandés par lesdits organismes ne suffit pas, à notre avis, à priver leurs conclusions de crédibilité. Ce sont des centres autonomes de recherche qui appartiennent ou sont rattachés à l’administration. En effet, le CEDEX est un organisme autonome de caractère administratif dépendant du ministère des Travaux publiques ; quant à l’Institut Agustín de Béthencourt, il dépend de l’Université polytechnique de Madrid, rattachée à l’Ecole nationale des ingénieurs des ponts et chaussées.

L’autorité scientifique des auteurs de ces rapports est hors de tout soupçon. Cette dépendance à l’égard de l’administration – quoi que celle-ci ne les ait pas chargés de l’élaboration des études ou rapports versés au dossier – est d’ailleurs un trait commun à presque tous les experts qui ont collaboré par leurs connaissances, opinions ou recherches. Quoi qu’il en soit, le juge ne s’est pas fondé uniquement sur ces expertises ; d’autres rapports coïncident avec leurs conclusions sur l’intensité des précipitations et la période de retour, (...) [notamment] le rapport de N. C. et de l’Institut national de météorologie.».

Examinant le caractère prévisible des pluies torrentielles ayant provoqué les inondations, l’Audiencia Provincial déclara ce qui suit :

« Sixième point : (...) En l’espèce, il n’était pas raisonnablement prévisible que de telles précipitations auraient lieu, faisant déborder l’eau des digues et provoquant les tragiques événements qui s’ensuivirent le 7 août 1996.

Eu égard à l’état des connaissances scientifiques, à la conviction générale que les digues avaient désactivé le cône de déjection du torrent, mais aussi au fait qu’il n’était pas prévisible que des pluies d’une telle intensité et d’un tel volume se produiraient, faisant déborder les barrages et, en définitive, échouer les travaux de correction et de canalisation du torrent (...), on peut affirmer que l’événement était imprévisible et que, vu les circonstances, il n’existait aucun danger, ou que celui-ci était inimaginable. (...) Or, la prévisibilité du résultat est l’un des éléments essentiels de l’imprudence. S’il n’y a pas d’indices de prévisibilité de l’événement et du résultat, il n’y a pas lieu de parler d’homicide, de blessures ou de dommages fautifs. Il n’est pas possible non plus d’affirmer qu’il existe des indices de manquement au devoir de vigilance (...)

Septième point : dans plusieurs recours, il est affirmé que la décision attaquée ne fait pas référence au rapport de l’ingénieur P.B. Cela est inexact. En effet, (...), le dixième considérant (...) résume très largement les étapes de la procédure administrative d’autorisation et retranscrit de larges extraits du rapport de P.B. (...). Cela étant, le dossier contenait aussi des rapports soumis par des techniciens hautement qualifiés qui n’émettaient aucune objection parce qu’ils estimaient que le cône de déjection du torrent était corrigé ou, du moins, que le terrain avait été stabilisé. (...) Il est difficile de penser que, dans le cadre d’une procédure administrative aussi longue, dans laquelle sont intervenus, d’une part, des fonctionnaires de la direction générale de l’aménagement du territoire et du service provincial du COMENA et, d’autre part, des agents du service provincial de l’industrie, du commerce et du tourisme, il y ait eu une volonté commune de prendre une décision administrative délibérément arbitraire, condition requise pour que l’on soit en présence d’un délit de forfaiture (...) »

3. Le recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel

Invoquant les articles 15 (droit à la vie) et 24 § 1 (droit à un procès équitable) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Ils se plaignaient notamment qu’il n’y ait pas eu d’études pluviométriques avant la décision d’autoriser l’utilisation des terrains publics. En outre, ils faisaient observer que l’auteur des travaux de canalisation du cône de déjection avait indiqué dans son rapport que le torrent d’Arás était le plus important et celui qui présentait le plus grand risque dans la zone à canaliser, et que la zone en cause devait être réservée à l’agriculture. Les requérants soulignaient également que le rapport de l’ingénieur P.B. insistait sur les dangers d’inondation du cône de déjection. Ils se plaignaient également que le juge d’instruction mais aussi l’Audiencia Provincial aient passé sous silence une étude consacrée aux risques naturels dans un secteur des Pyrénées centrales (étude de l’Institut technologique géominier datée de décembre 1994), ainsi que les cartes des risques établies par la Députation générale d’Aragon en 1996. Or, ces documents attribuaient à la zone du cône de déjection du torrent d’Arás un indice de dangerosité de 7 sur une échelle de 9. Les requérants faisaient valoir que seul le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement aurait permis d’apprécier les graves contradictions décelées dans les rapports de l’administration. Ils soulignaient encore que l’insuffisance du raisonnement juridique de l’Audiencia Provincial portait atteinte au droit au respect de la vie, de la sécurité et de l’intégrité physique des personnes garanti par la Constitution. Ils estimaient que le refus de renvoyer l’affaire pour jugement constituait une atteinte à la mémoire des victimes et méconnaissait les droits de leurs proches. Ils insistaient sur le fait que seule la tenue d’une procédure contradictoire et publique aurait permis de déterminer s’il y avait eu commission d’infractions pénales.

Par une décision du 8 mai 2001, le Tribunal constitutionnel déclara irrecevable le recours d’amparo, et ce pour les motifs suivants :

« D’après la jurisprudence, si souvent rappelée par ce Tribunal qu’il n’est plus nécessaire de la citer, cette juridiction ne constitue pas une troisième et ultime instance judiciaire chargée de vérifier le bien-fondé et la conformité des décisions judiciaires quand celles-ci sont dûment motivées et fondées juridiquement. Qui plus est, en ce qui concerne les décisions qui, dans le cadre d’une procédure pénale, concluent au nonlieu ou au classement de l’affaire, il a été maintes fois répété (voir notamment les arrêts 203/89 et 191/92) que : « la décision judiciaire concluant au non-lieu au motif que les faits objets de la procédure ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale ne contrevient pas, en principe, au droit à la protection judiciaire effective reconnu par l’article 24 § 1 de la constitution espagnole, dès lors que ce droit n’accorde pas au plaignant au pénal un droit inconditionnel à la tenue d’un procès, mais seulement le droit d’obtenir une décision motivée du juge durant la phase d’instruction (...) ». A cela, il convient d’ajouter qu’en l’espèce la lecture de la décision rendue par le juge d’instruction no 1 de Jaca dans la procédure objet du présent recours d’amparo contient une motivation conséquente, détaillée et minutieuse, analysant chacun des actes réalisés et chacun des éléments constitutifs des différents délits invoqués dans la plainte pénale. Dès lors, il est difficile de conclure à un défaut de motivation, à l’arbitraire ou à une quelconque erreur. Ces motifs ont été repris et complétés dans la décision de l’Audiencia Provincial de Huesca, laquelle apporte également une réponse juridique à la question, soulevée par les requérants, de la qualification juridique prétendument incorrecte du non-lieu, lequel non-lieu aurait dû selon eux être définitif et non provisoire. A cet égard, le tribunal a rappelé aux requérants qu’il ne pouvait d’office modifier une telle qualification qui, au demeurant, leur serait préjudiciable (...) D’après les motifs exposés par les deux instances judiciaires, le recours d’amparo repose sur le fait que les requérants sont en désaccord avec le sens de ces décisions ; or, selon la jurisprudence constante de ce Tribunal, cette question ne relève pas du contenu spécifique du droit fondamental invoqué. »

4. Procédure contentieuse-administrative contre l’administration

Le premier requérant, ainsi que 70 autres victimes ou parents de victimes de l’inondation parmi lesquelles ne figurent pas les quatre autres requérants, formèrent devant la Chambre contentieuse-administrative de l’Audiencia Nacional un recours à l’encontre de l’administration pour responsabilité objective.

Par un arrêt du 21 décembre 2005, l’Audiencia Nacional conclut à la responsabilité de l’administration dans l’inondation du camping de Biescas survenue le 7 août 1996.

S’agissant de l’allégation de force majeure soulevée par l’administration, l’Audiencia Nacional rappela les conditions exigées par la loi pour que la responsabilité patrimoniale de l’administration puisse être engagée, à savoir « que le fait soit attribuable à l’administration, qu’il existe un préjudice effectif et évaluable économiquement, qu’une relation de causalité puisse être établie entre le fait en cause et le préjudice et qu’il n’existe pas de force majeure ni toute autre cause d’exonération de la responsabilité », et examina si, dans le cas d’espèce, il était possible d’exclure la responsabilité de l’administration au motif que l’inondation survenue relèverait de la catégorie de phénomène naturel tombant sous la notion de force majeure. Après l’analyse des rapports d’expertise disponibles avant l’inondation, l’Audiencia Nacional parvint à la conclusion suivante :

« Une appréciation de l’ensemble des éléments de preuve, administrés conformément aux principes de publicité, immédiateté, contradiction et égalité (...) amène cette Chambre à conclure (...) que, dans le cas d’espèce, la force majeure n’a pas été vérifiée (...). En effet, au moment de chercher un emplacement pour le camping (...), les différentes administrations publiques légalement responsables ne prirent pas en compte la totalité des résultats révélés par les différents moyens scientifiques et techniques dont elles disposaient (...). A cet égard, plusieurs spécialistes avaient prévenu du danger de cet emplacement (...). En conclusion, si lesdites administrations avaient considéré tous les éléments dont elles disposaient, elles seraient parvenues à la conclusion que l’emplacement final du camping n’était pas approprié du point de vue de la sécurité des personnes, fait qui fut ultérieurement confirmé par l’inondation survenue moins de dix ans après l’ouverture des installations ».

Par ailleurs, l’Audiencia Nacional signala ce qui suit :

« A la lumière des rapports des experts, il y a lieu de conclure que, dans l’hypothèse d’un débordement du torrent, l’eau se dirigerait indéfectiblement vers l’endroit où le camping était implanté ».

(...)

« Tous les experts concordent sur le fait qu’il n’était pas possible de prévoir la date exacte à laquelle l’inondation allait avoir lieu. Cependant, il était incontestable qu’elle était susceptible de se produire, le changement d’emplacement du camping étant suffisant pour éviter un résultat tel que celui de l’espèce ».

S’agissant des rapports de P.B., l’arrêt constata que ces rapports prévoyaient, indépendamment de la menace d’une inondation, l’existence d’un risque pour les installations et leurs futurs développements et releva qu’« aucun autre rapport dans le dossier ne contredit ceux qu’il effectua ».

Au vu de ces arguments, l’Audiencia Nacional conclut qu’il s’agissait d’un fait « prévisible et évitable » et déclara la responsabilité solidaire de l’administration centrale (ministère de l’Environnement du fait de Confédération hydrographique de l’Ebre) et de l’administration autonome d’Aragon (députation générale d’Aragon). L’administration locale (municipalité de Biescas) ainsi que le propriétaire du camping furent exonérés de toute responsabilité, au motif qu’ils agirent sur la base des autorisations octroyées par les deux administrations condamnées. Ces dernières furent condamnées à allouer au premier requérant 210 354,24 euros (EUR) pour chacun des membres de sa famille qui périrent dans l’inondation ainsi que 9 200 EUR pour les frais d’obsèques de ces derniers.

Le premier requérant se pourvut en cassation à l’encontre de l’arrêt du 21 décembre 2005 devant le Tribunal suprême. Les administrations centrale et autonome ne le suivirent pas. La procédure est pendante devant le Tribunal suprême.

C. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Décret 54/84 du 12 juillet 1984 du département de l’industrie, du commerce et du tourisme de la Députation générale d’Aragon

Article 8

« Aucun camping ne peut être installé :

a) Sur un terrain situé dans un gave, un lit fluvial sec, un torrent ou un endroit susceptible d’être inondé, ni sur un emplacement qui, pour une raison quelconque, est dangereux ou insalubre.

(...) »

2. Loi 29/85 du 2 août 1985 sur l’eau

Article 21

« Les organismes des bassins fluviaux ont pour fonctions :

(...)

b) L’administration et le contrôle du domaine public hydraulique.

(...) »

3. Décret 849/86 du 11 avril 1986 sur le domaine public hydraulique (portant application de la loi 29/85 sur l’eau)

Article 9

« (...)

3. La réalisation de tout ouvrage dans la zone de police des bassins fluviaux est soumise à l’autorisation préalable de l’organisme du bassin fluvial (...). Cette autorisation est indépendante de toute autre autorisation devant être obtenue auprès d’un organe de l’administration publique. »

Article 14 § 3

« Est considérée comme une zone inondable une zone délimitée par les niveaux théoriques que devraient atteindre les eaux lors de crues dont la période statistique de retour est de cinq cents ans, à moins que le ministère des Travaux publics arrête, dans un dossier concret et sur proposition de l’organisme du bassin fluvial, des chiffres plus adéquats tenant compte du courant ».

4. Code de procédure pénale

Article 112

« Lorsque seule l’action pénale est exercée, il est présumé que l’action civile l’est également, sauf si la personne ayant subi un préjudice y renonce expressément ou se réserve expressément la possibilité de l’exercer après la procédure pénale le cas échéant.

(...) »

5. Arrêt du 21 décembre 2005 rendu par la chambre contentieuse-administrative de l’Audiencia Nacional

Fondement juridique 17

« (...) l’une des finalités de toute entité administrative dans un Etat de Droit et celle de servir l’intérêt général, et il faut toujours considérer, de façon prioritaire, l’intérêt général de la sauvegarde de la vie et l’intégrité physique des administrés, ainsi que leurs biens. Par conséquent, la prestation d’un service ne peut, dans aucun cas, être indépendante des finalités mentionnées, qui sont intimement liées aux droits fondamentaux de la personne garantis par notre Constitution en vigueur. (...) »

GRIEFS

1. Invoquant l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent que l’Etat a failli à son obligation positive de prendre toutes les mesures préventives nécessaires à la protection de la vie des usagers du camping de Biescas. Ils estiment que cette obligation n’était pas disproportionnée. A cet égard, ils font valoir que l’administration a occulté et manipulé l’existence de rapports techniques qui déconseillaient l’aménagement du camping sur le site en question et privilégiaient la recherche d’un endroit plus sûr. Ils soulignent que les rapports de l’ingénieur P.B. ont disparu du dossier administratif. Ils estiment en outre que les décisions judiciaires rendues par le juge d’instruction no 1 de Jaca et par l’Audiencia Provincial de Huesca dénotent un manque d’impartialité objective lorsqu’il est soutenu que la tragédie était imprévisible et qu’il n’existait aucun danger ou que celui-ci était inimaginable, alors même que la communauté scientifique avait conclu dans un sens contraire. Ils sont d’avis que le gouvernement d’Aragon a autorisé l’installation du camping tout en ayant conscience du risque qui pesait sur les personnes.

2. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent également que leur cause n’a pas été entendue équitablement par les juridictions espagnoles. Ils estiment en premier lieu que les juges qui ont instruit l’affaire ont manqué d’impartialité. Ainsi, le juge A.O., chargé de l’instruction durant la première année, a rejeté toutes les demandes de preuve présentées par les parties civiles, parmi lesquelles figurait une demande d’expertise par l’université de Saragosse. Cette preuve n’a été administrée qu’en 1999, à la suite d’une décision de l’Audiencia Provincial de Huesca. Les requérants considèrent également que la décision de non-lieu n’a pris en compte que les rapports favorables au projet de camping et a négligé voire ignoré les avertissements contenus dans les rapports de P.B. Ils soutiennent que les juridictions d’instruction auraient dû saisir les juridictions de jugement afin que tous les éléments de preuve puissent être examinés de manière contradictoire. En refusant le renvoi en jugement, les juridictions espagnoles ont fait preuve d’un manque d’impartialité objective.

3. Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent qu’aucune enquête judiciaire sérieuse et approfondie en vue de l’identification et de la punition des responsables ayant autorisé l’installation du camping n’a été menée par les autorités nationales : ainsi, les personnes ayant accordé l’autorisation n’ont pas été entendues par le juge. Par ailleurs, les fonctionnaires du département de l’agriculture ayant participé à la procédure d’autorisation administrative du camping ont failli à l’obligation – en vertu de la loi sur l’eau et de son décret d’application – de solliciter auprès de la Confédération hydrographique de l’Ebre l’autorisation d’occuper le site du torrent. De l’avis des requérants, cette omission coupable s’étend à la Confédération elle-même qui, informée de l’installation du camping, n’a pris aucune mesure pour la faire interdire et ne l’a même pas dénoncée. Les requérants font également observer qu’à aucun moment le ministère public n’a demandé la comparution devant le juge des techniciens de l’administration ayant accordé l’autorisation.

EN DROIT

Les requérants se plaignent que tant la mort de leurs proches et les séquelles physiques et psychologiques engendrées par les inondations du 7 août 1996, que le fait même d’avoir été exposés à de tels risques sans que l’État ait pris toutes les mesures préventives nécessaires à la protection de la vie des usagers du camping, ainsi que les lacunes des procédures consécutives ont emporté violation de l’article 2 de la Convention. Ils se plaignent également que leur cause n’a pas été entendue équitablement par les juridictions espagnoles et qu’aucune enquête judiciaire sérieuse et approfondie en vue de l’identification et de la punition des responsables ayant autorisé l’installation du camping n’a été menée par les autorités nationales. Ils invoquent les articles 6 et 13 de la Convention.

Les passages pertinents des dispositions invoqués sont ainsi libellés :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

Article 6 § 1

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

a. Exceptions soulevées par le Gouvernement

Le Gouvernement excipait du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la procédure contentieuse-administrative diligentée par les requérants à l’encontre de l’administration pour responsabilité objective était toujours pendante. Selon le Gouvernement, la requête devrait donc être rejetée par application de l’article 35 § 1 de la Convention. Après la tenue de l’audience devant la Cour, le 8 novembre 2005, l’Audiencia Nacional rendit son arrêt. Cette exception est donc devenue caduque.

Le Gouvernement excipe aussi de l’incompétence ratione materiae de la Cour pour connaître du grief des requérants tiré de l’article 6 de la Convention en ce que la Convention ne garantit, comme tel, aucun droit d’entamer des poursuites pénales contre des tiers. Il estime qu’on ne saurait pas prétendre que la « Convention requiert, dans une affaire comme celle qui nous occupe, une responsabilité de nature criminelle ».

La Cour rappelle que la Convention ne garantit ni le droit à la « vengeance privée », ni l’actio popularis. Ainsi, le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers ne saurait être admis en soi : il doit impérativement aller de pair avec l’exercice par la victime de son droit d’intenter l’action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit à caractère civil. En tout état de cause, la renonciation à ce droit doit être établie, le cas échéant, de manière non équivoque (Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70 et 71, CEDH 2004I).

En l’espèce, la Cour constate que les requérants se sont constitués parties accusatrices au cours de l’instruction pénale et qu’elles n’ont pas renoncé à leur droit de demander réparation du préjudice résultant de l’infraction dont elles ont été victimes. Partant, au titre de l’article 112 du code de procédure pénale et à la lumière de l’approche adoptée dans l’affaire Perez c. France, précitée, l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

b. Arguments des parties

i. Le Gouvernement

Concernant le volet substantiel de l’article 2 de la Convention, le Gouvernement estimait, dans ses observations soumises avant et pendant l’audience devant la Cour, que les allégations selon lesquelles l’Etat aurait négligé de protéger la vie des victimes contre les inondations étaient dénuées de fondement du fait que la catastrophe naturelle de 1996 n’était pas prévisible. En raison de l’imprévisibilité des pluies diluviennes qui tombèrent en amont et dévastèrent le camping Virgen de las Nieves, au vu de l’instruction détaillée et minutieuse menée par les organes judiciaires, il concluait que les autorités avaient fait preuve de diligence en autorisant l’installation du camping.

Pour ce qui est du volet procédural, le Gouvernement faisait observer que, dans le cadre de cette instruction, les requérants étaient intervenus en tant que partie accusatrice et que nombre d’autorités et de fonctionnaires avaient témoigné, dont ceux contre lesquels les requérants avaient formulé des accusations. Il soulignait que, durant l’enquête, des témoignages ainsi que des documents et des expertises furent examinés. Il insistait aussi sur le fait que l’instruction menée a permis aux autorités judiciaires de conclure que la tragédie survenue échappait à toute prévisibilité rationnelle et qu’une procédure administrative pouvait être engagée en vue d’une indemnisation pour les éventuelles responsabilités civiles.

Concernant le grief tiré des articles 6 et 13 de la Convention, le Gouvernement soulignait que le fait que l’instruction minutieuse menée par le juge d’instruction de Jaca n’ait pas abouti à l’ouverture de la phase de jugement et à l’inculpation de personnes précises ne constituait pas, en soi, une atteinte aux droits des parties accusatrices.

Au vu de l’arrêt rendu par l’Audiencia Nacional le 21 décembre 2005, le Gouvernement insiste sur l’inopportunité de la requête dès lors que, d’une part, des procédures portant sur l’octroi de compensation pour un prétendu dysfonctionnement des services administratifs sont pendantes devant les tribunaux nationaux et, d’autre part, qu’elle ne remplit pas la condition de l’épuisement des voies de recours internes.

ii. Les requérants

Les requérants, tant dans leurs observations écrites que dans celles soumises oralement à l’audience, contestaient les observations du Gouvernement, dont les rapports fournis se bornaient, d’après eux, à présenter les faits comme quelque chose d’imprévisible, d’extraordinaire et d’inhabituel, alors que ce qui était arrivé avait malheureusement été annoncé.

Pour les requérants, la catastrophe d’août 1996 qui coûta la vie à de nombreuses personnes et causa d’innombrables dommages s’est produite dans un camping non autorisé par l’organisme du bassin fluvial (qui connaissait pourtant son existence illégale). L’administration autonome d’Aragon (députation générale d’Aragon) et la Confédération hydrographique de l’Ebre étaient conscients de la dangerosité du torrent mais ont néanmoins accepté un risque pour la vie des personnes, risque qu’avait prévu P.B., le technicien des eaux et forêts consulté qui avait tenté d’empêcher l’installation. Pour ces raisons, les requérants estimaient que les fonctionnaires de la députation générale – qui n’avaient pas tenu compte des avertissements de P.B. – et les fonctionnaires de la Confédération hydrographique de l’Ebre – qui n’avaient pas ordonné la fermeture immédiate du camping – avaient commis de véritables actes criminels, méritant à ce titre une sanction pénale dans le cadre d’un procès comportant toutes les garanties, aussi bien pour euxmêmes que pour les sinistrés du camping, lesquels, dix ans après les faits, n’avaient toujours pas eu droit à un procès équitable.

Pour ce qui est du grief portant sur la prétendue atteinte au droit à un procès équitable et à un recours effectif, les requérants insistaient sur le fait qu’il s’agissait d’un authentique acte délictuel qui a été soustrait à tout jugement pénal, le juge d’instruction ayant lui-même apprécié les rapports d’expertise soumis, empêchant la juridiction du fond de les examiner et privant ainsi les requérants et les autres personnes sinistrées du bénéfice de la tutelle judiciaire prévue par l’article 13 de la Convention.

Dans leurs commentaires soumis suite au prononcé de l’arrêt de l’Audiencia Nacional du 21 décembre 2005, les requérants soulignent que la responsabilité de l’Administration a été déclarée pour des faits qui, contrairement à ce qui soutenait le Gouvernement devant la Cour, n’étaient pas imprévisibles, puisqu’ils avaient été signalés au préalable par écrit devant les administrations responsables, qui étaient passées outre. Comme le dix-septième fondement juridique de l’arrêt le précise, « (...) dans peu d’occasions, ce tribunal s’est trouvé face à un cas de responsabilité patrimoniale dans lequel, préalablement au fait dommageable, un rapport écrit signalait la survenance possible [d’une catastrophe] ». Les requérants sont, pour le moins, surpris du fait que la prévisibilité et l’évitabilité de la tragédie ont été établies par la juridiction contentieuse-administrative sur la base des preuves qui existaient déjà lorsque le juge d’instruction de Jaca et l’Audiencia provincial de Huesca conclurent au non-lieu dans le cadre de la procédure pénale, en raison précisément de l’imprévisibilité et l’inévitabilité des faits. L’arrêt du 21 décembre 2005 consacre la responsabilité de l’administration en tant que technique de protection des droits fondamentaux, l’administration ayant violé, en l’espèce, le devoir général de protection des droits fondamentaux et, en particulier, de protection de la vie et l’intégrité physique.

Néanmoins, les requérants estiment que l’arrêt ne comble pas leur désir de justice, il arrive trop tard et constitue une discrimination pour ce qui est des montants et intérêts octroyés, par rapport à d’autres cas de décès où la responsabilité patrimoniale de l’administration a été constatée.

D. Appréciation de la Cour

La Cour observe que le premier requérant s’est pourvu en cassation. Les administrations publiques (centrale et autonome) condamnées au versement des indemnisations, ne s’étant pas pourvues en cassation à l’encontre de l’arrêt du 21 décembre 2005, la responsabilité de l’administration reste déclarée de façon définitive par l’arrêt rendu par la juridiction a quo.

1. Le premier requérant, M. Sergio Murillo Saldías

Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que lorsque les autorités nationales ont constaté une violation et que leur décision constitue un redressement approprié et suffisant de cette violation, la partie concernée ne peut plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention (avoir Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, pp. 29-32, §§ 64-70). La Cour considère par conséquent que le statut de victime d’un requérant peut dépendre de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont celui-ci se plaint devant la Cour (voir, Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars 2003) ainsi que du fait que les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, la violation de la Convention. Ce n’est que lorsque ces deux conditions sont remplies que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention empêche un examen de la part de la Cour (voir, Eckle c. Allemagne, précité, p. 32, §§ 69 et suivants, Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, 20 septembre 2001 ; et Cataldo c. Italie (déc.), no 45656/99, 3 juin 2004).

La Cour note qu’en l’espèce, indépendamment de la procédure pénale dans laquelle le premier requérant s’est constitué partie accusatrice, il a aussi entamé une procédure contentieuse-administrative en responsabilité contre l’administration et s’est vu allouer une indemnisation pour réparation de la mort de ses proches (Caraher c. Royaume-Uni (déc.), no 24520/94, CEDH 2000I, et Hay c. Royaume-Uni (déc.), no 41894/98, CEDH 2000XI ; Göktepe c. Turquie (déc.), no 64731/01, 26 avril 2005), établie par l’Audiencia nacional, de 210 354,24 EUR pour chacun des membres de sa famille qui périrent dans l’inondation, ainsi que de 9 200 EUR pour les frais d’obsèques de ces derniers. La Cour considère que les montants octroyés ne peuvent pas être considérés comme déraisonnables et sont susceptibles, au demeurant, d’être confirmés voir augmentés par le Tribunal suprême lorsqu’il examinera le pourvoi en cassation présenté par le requérant contre l’arrêt du 21 décembre 2005. Elle relève que l’Audiencia Nacional a par ailleurs expressément reconnu dans son arrêt du 21 décembre 2005 la responsabilité de l’administration dans l’inondation du camping de Biescas survenue le 7 août 1996, en raison du non-respect de son devoir général de protection des droits fondamentaux et, en particulier, de la sauvegarde de la vie et l’intégrité physique des administrés, ainsi que de leurs biens, écartant les allégations de force majeure soulevées par les administrations centrale et autonome d’Aragón et considère que cela constitue un redressement approprié de la violation subie.

Au vu des éléments du dossier en sa possession et de l’examen global de la procédure, la Cour constate que le premier requérant a obtenu gain de cause devant les juridictions contentieuse-administratives. Dans ces conditions, il ne saurait plus se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention de la violation de l’article 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 18, § 34, Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 846, § 36, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 142, CEDH 2000-IV, Caraher c. Royaume-Uni, précité, et Hay c. Royaume-Uni, précité).

Concernant les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention, la Cour remarque que ceux-ci sont étroitement liés au volet procédural de l’article 2 de la Convention. Ayant estimé que le premier requérant ne peut plus se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, de la violation de l’article 2, la Cour parvient à la même conclusion pour ce qui est des violations procédurales alléguées tirées des articles 6 et 13 combinés avec l’article 2 de la Convention.

Il s’ensuit qu’après la décision de l’Audiencia Nacional, le premier requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation des dispositions de la Convention, au sens de l’article 34. Ce grief doit par conséquent être rejeté en application des articles 34 et 35 §§3 et 4 de la Convention.

2. Le restant des requérants

La Cour signale d’emblée qu’un problème pourrait se poser concernant l’applicabilité de l’article 2 aux quatre requérants restants. Néanmoins, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette question, dans la mesure où cette partie de la requête se heurte à un autre motif d’irrecevabilité. En effet, les requérants en cause n’ont pas saisi les juridictions administratives d’une « action en responsabilité de l’Etat », s’étant limités à se constituer partie accusatrice dans le cadre de la procédure pénale diligentée pour délits présumés de forfaiture et d’imprudence ayant entraîné la mort, des lésions ou des atteintes aux biens.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette disposition est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée, ledit recours devant par ailleurs être « à la fois relatif aux violations incriminées, disponible et adéquat » (voir, par exemple Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII).

En droit espagnol, lorsque les victimes d’un délit présumé pour lequel une procédure pénale a été ouverte se constituent partie accusatrice, les juridictions répressives saisies sont alors compétentes non seulement pour trancher les questions de droit pénal qui leur sont soumises mais aussi pour statuer sur l’action civile et, le cas échéant, réparer le préjudice causé par l’infraction à la partie accusatrice.

Si le juge d’instruction, saisi d’une telle plainte par les proches d’une personne décédée ou par celles ayant subi des blessures en raison de ces faits, considère, à l’issue de l’information, que le décès ou les blessures ne trouvent pas leur cause dans des actes ou omissions susceptibles d’être qualifiés pénalement, il rend une ordonnance de non-lieu, ce qui met fin à l’action publique. S’il apparaît aux proches de la victime ou aux victimes des faits litigieux– au vu, le cas échéant, des résultats de l’instruction – que le décès ou les blessures sont susceptibles de résulter d’un dysfonctionnement des services administratifs qui avaient les victimes en charge, ou de manquements de la part d’agents de ces services, ils ont encore la possibilité de saisir les juridictions administratives d’une action en responsabilité de l’Etat et d’obtenir ainsi une indemnisation.

La Cour en déduit que les requérants en cause disposaient au plan interne d’un recours remplissant les conditions rappelées ci-dessus, à savoir un recours accessible, susceptible de leur offrir le redressement des griefs dont il est question et présentant des perspectives raisonnables de succès (voir, par exemple, l’arrêt Selmouni c. France [GC], du 28 juillet 1999, no 25803/94, § 76, CEDH 1999-V et Slimani c. France, no 57671/00, § 41, 27 juillet 2004), ce qui a été le cas, entre autres, du premier requérant.

A ce sujet, la Cour a déjà énoncé que si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’était pas intentionnelle, l’obligation positive de mettre en place « un système judiciaire efficace » n’exigeait pas nécessairement, dans tous les cas, des poursuites pénales, et que pareille obligation pouvait être remplie si des voies de droit civiles, administratives ou même disciplinaires étaient ouvertes aux intéressés (voir, par exemple, Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004-VIII, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002I, Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, §§ 90, 94, 95 et Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 92, CEDH 2004XII).

Les requérants en cause étaient donc tenus de tenter la voie contentieuse-administrative qui leur était disponible avant de saisir la Cour.

A défaut, la Cour ne peut connaître du fond du grief tiré de la violation matérielle de l’article 2 de la Convention et relatif à la responsabilité alléguée des autorités administratives quant aux faits survenus à Biescas le 7 août 1996. Vu les étroites affinités qu’il y a entre l’article 13 et l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour parvient à la même conclusion pour ce qui est des violations procédurales alléguées tirées des articles 6 et 13 combinés avec l’article 2 de la Convention. Les voies de recours internes n’ont dès lors pas été épuisées, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit donc être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable pour ce qui est du premier requérant ;

Déclare, à la majorité, la requête irrecevable pour ce qui est du restant des requérants.

T. L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président