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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE RITA IPPOLITI c. ITALIE

(Requête no 162/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 novembre 2006

DÉFINITIF

16/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Rita Ippoliti c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 162/04) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Rita Ippoliti (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er décembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Mes R. Baldassini et B. Forte, avocats à Sora. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3. Le 15 mai 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. La requérante est née en 1957 et réside à Ciampino.

5. Elle était propriétaire d'un terrain constructible de 1 000 mètres carrés, sis à Ciampino et enregistré au cadastre, feuille 7, parcelle 59.

6. Par un arrêté du 18 décembre 1981, le conseil régional (Giunta regionale) du Latium approuva le projet de construction d'habitations à loyer modéré sur le terrain de la requérante.

7. Par un arrêté du 25 mai 1984, le conseil municipal (Giunta municipale) de Ciampino autorisa le maire de la ville à ordonner l'occupation d'urgence de ce terrain en vue de son expropriation, afin de procéder aux travaux de construction.

8. Par un arrêté du 29 octobre 1986, la municipalité de Ciampino autorisa l'occupation d'urgence du terrain de la requérante, pour une période maximale de cinq ans à compter de l'occupation matérielle, en vue de son expropriation.

9. Entre-temps, le 19 novembre 1984, la municipalité avait déjà procédé à l'occupation matérielle du terrain et avait entamé les travaux de construction.

10. Par un acte d'assignation notifié le 26 juillet 1991, la requérante introduisit une action en dommages-intérêts à l'encontre de la municipalité de Ciampino devant le tribunal de Velletri. Elle faisait valoir que l'occupation du terrain était illégale au motif qu'elle s'était poursuivie au delà de la période autorisée, sans qu'il fût procédé à l'expropriation formelle et au paiement d'une indemnité. Elle demandait une somme correspondant à la valeur marchande du terrain, ainsi qu'une indemnité d'occupation.

11. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l'expert, les travaux de construction s'étaient terminés le 2 octobre 1988 et la valeur marchande du terrain à cette dernière date était de 160 000 000 ITL, soit 160 000 ITL le mètre carré.

12. Par un jugement déposé au greffe le 7 avril 2003, le tribunal statua que le délai d'occupation autorisée, prolongé au sens de la législation en vigueur dans la matière, avait pris fin le 29 mars 1993. A compter de cette dernière date, la requérante devait être considérée comme ayant été privée de son terrain en application du principe de l'expropriation indirecte. A la lumière de ces considérations, le tribunal condamna la municipalité à verser à la requérante un dédommagement calculé aux termes de la loi budgétaire no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur, à savoir 63 373,96 EUR, plus intérêts et réévaluation à compter du 29 mai 1993. En outre, le tribunal condamna la municipalité à verser à la requérante une indemnité d'occupation, à savoir 34 803,59 EUR, assortie d'intérêts et réévaluation à compter du 29 mai 1993.

13. Il ressort du dossier que ce jugement acquit force de chose jugée le 6 juin 2003.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. Le droit et la pratique internes pertinents se trouvent décrits dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

15. La requérante allègue avoir été privée de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

16. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que la requérante aurait dû interjeter appel du jugement du tribunal de Velletri.

17. La requérante s'oppose à l'exception du Gouvernement.

18. La Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans les affaires Giacobbe et autres c. Italie (no 16041/02, 15 décembre 2005), Grossi c. Italie, (no 18791/03, 6 juillet 2006), Ucci c. Italie (no 213/04, 22 juin 2006), Lo Bue c. Italie (no 12912/04, 13 juillet 2006) et Zaffuto c. Italie (no 12894/04, 13 juillet 2006). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception en question.

19. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

20. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d'espèce, il s'agit d'une occupation de terrain dans le cadre d'une procédure administrative reposant sur une déclaration d'utilité publique. Il admet que la procédure d'expropriation n'a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun arrêté d'expropriation n'a été adopté.

21. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n'a pas été remis en cause par les juridictions nationales.

22. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l'expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Selon le Gouvernement, le principe de l'expropriation indirecte doit être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l'arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.

23. Le Gouvernement en conclut qu'à partir de 1983, les règles de l'expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.

24. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Cour a reconnu que la notion de loi comprend les principes généraux énoncés ou impliqués par elle (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, Kruslin c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176A, Huvig c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176B Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, CEDH 2004I, et N.F. c. Italie, no 37119/97, CEDH 2001IX) ainsi que du droit non écrit (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30).

25. Il s'ensuit que la jurisprudence consolidée de la Cour de cassation ne saurait être exclue de la notion de loi au sens de la Convention.

26. Le Gouvernement rappelle que dans l'affaire ForrerNiedenthal c. Allemagne (no 47316/99, 20 février 2003), la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui ont privé la requérante de toute protection contre l'atteinte portée à sa propriété. Il demande à la Cour de suivre la même approche pour la présente affaire.

27. S'agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu'un arrêté d'expropriation n'ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.

28. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible par la construction d'un ouvrage d'utilité publique, la restitution du terrain n'est plus possible.

29. Le Gouvernement définit l'expropriation indirecte comme le résultat d'une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l'intérêt général l'emporte sur l'intérêt des particuliers, lorsque l'ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et qu'il répond à l'utilité publique.

30. Quant à l'exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l'administration est tenue d'indemniser les intéressés.

31. Compte tenu de ce que l'expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l'illégalité commise par l'administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, l'indemnisation peut être inférieure au préjudice subi.

32. La fixation du montant de l'indemnité en cause rentre dans la marge d'appréciation laissée aux États pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Le Gouvernement rappelle en outre que l'indemnité telle que plafonnée par la loi budgétaire no 662 de 1996 est en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l'expropriation avait été régulière.

33. A la lumière de ces considérations et en se référant notamment à l'affaire OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté et que la situation dénoncée est compatible à tous points de vue avec l'article 1 du Protocole no 1.

b) La requérante

34. La requérante s'oppose à la thèse du Gouvernement.

35. Elle fait observer que l'expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l'autorité publique d'acquérir un bien en toute illégalité.

36. La requérante dénonce un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à son cas au motif qu'un principe jurisprudentiel, tel que celui de l'expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l'existence d'une ingérence

37. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

38. La Cour relève que, en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, le tribunal a considéré la requérante comme étant privée de son bien à compter de la date d'expiration du délai d'occupation autorisée. A défaut d'un acte formel d'expropriation, le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le jugement du tribunal de Velletri a eu pour effet de priver la requérante de son bien au sens de la deuxième phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 61, CEDH 2000VI, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).

39. Pour être compatible avec l'article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d'utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d'examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu'il s'est avéré que l'ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n'était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).

40. Dès lors, la Cour n'estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu'une réparation intégrale en faveur de la requérante n'a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).

b) Sur le respect du principe de légalité

41. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, précité ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.

42. Dans la présente affaire, la Cour relève qu'en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, le tribunal a considéré la requérante comme privée de son bien à compter du moment où l'occupation avait cessé d'être autorisée, les conditions d'illégalité de l'occupation et d'intérêt public de l'ouvrage construit étant réunies. Or, en l'absence d'un acte formel d'expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n'est que par la décision judiciaire définitive que l'on peut considérer le principe de l'expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l'acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, la requérante n'a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 6 juin 2003, date à laquelle le jugement du tribunal de Velletri a acquis force de chose jugée.

43. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l'administration de tirer parti d'une occupation de terrain illégale. En d'autres termes, l'administration a pu s'approprier du terrain au mépris des règles régissant l'expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu'une indemnité soit mise en parallèle à la disposition de l'intéressée.

44. S'agissant de l'indemnité, la Cour constate que l'application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d'espèce a eu pour effet de priver la requérante de la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi.

45. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l'ingérence litigieuse n'est pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle a donc enfreint le droit au respect des biens de la requérante.

46. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

47. La requérante se plaint de l'adoption et de l'application de la loi no 662 du 23 décembre 1996 à sa procédure. Le grief a été communiqué sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

48. En voie principale, le Gouvernement soutient que la requête est tardive, étant donné que le délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention aurait commencé à courir le 1er janvier 1997, date de l'entrée en vigueur de la loi no 662 de 1996. A l'appui de ses allégations, le Gouvernement cite l'affaire Miconi c. Italie (Miconi c. Italie (déc.), no 66432/01, 6 mai 2004).

49. A titre subsidiaire, le Gouvernement fait observer que, dans le cas où l'on considérait que la loi en question ne déploierait pas ses effets en l'absence d'une application judiciaire dans le cas concret, en l'espèce une telle application n'a pas eu lieu par le biais de tous les remèdes internes possibles. Dès lors, la requérante n'aurait pas épuisé les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit interne.

50. La requérante s'oppose à la thèse du Gouvernement.

51. Quant à l'exception de tardivité, la Cour rappelle qu'elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005) et Binotti c. Italie (no 2) (no 71603/01, 13 octobre 2005). Elle n'aperçoit aucun motif de s'écarter de ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception du Gouvernement

52. S'agissant de l'exception de non-épuisement des voies de recours internes, la Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que celle-ci est étroitement liée au fond du grief et décide de la joindre au fond.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

53. Le Gouvernement observe que la loi litigieuse n'a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par la requérante. En outre, l'application de cette loi n'aurait pas eu de répercussions négatives pour la requérante. Il en conclut que l'application de la disposition litigieuse à la cause de la requérante ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l'appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère notamment aux arrêts Forrer-Niedenthal c. Allemagne (précité), OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (précité) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004-VIII).

54. La requérante conteste la thèse du Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

55. La Cour vient de constater, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par la requérante n'est pas conforme au principe de légalité (paragraphes 42 à 46 ci-dessus). Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132-133, CEDH 2006).

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

57. A titre de préjudice matériel, la requérante sollicite le versement de 126 746 EUR, ainsi que d'une indemnité d'occupation à évaluer sur la base des intérêts sur la somme de 63 373 EUR.

58. De plus, la requérante demande une indemnisation pour non jouissance du terrain, sans toutefois chiffrer celle-ci, et une indemnité correspondant à la plus-value apportée au terrain par les ouvrages publics construits sur celui-ci.

59. A titre de préjudice moral, la requérante demande la somme de 20 000 EUR.

60. Enfin, la requérante demande le remboursement des frais encourus dans la procédure devant la Cour, à concurrence de 10 000 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA) en sus.

61. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées dans les arrêts sur la satisfaction équitable Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (no 31524/96, 30 octobre 2003) et Carbonara et Ventura c. Italie (no 24638/94, 11 décembre 2003) et estime qu'en tout état de cause la somme réclamée par la requérante est excessive, compte tenu du dédommagement reconnu par le tribunal.

62. S'agissant du dommage moral, le Gouvernement fait valoir que la somme réclamée par la requérante est excessive.

63. Quant aux frais de procédure, le Gouvernement soutient que la requérante n'a pas étayé sa demande et qu'en tout état de cause la somme réclamée est excessive.

64. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 en ce qui concerne le constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et la requérante parviennent à un accord.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner au fond le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et la requérante à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président