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Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DRAGNE ET AUTRES c. ROUMANIE

(Requête no 78047/01)

ARRÊT

(satisfaction équitable)

STRASBOURG

16 novembre 2006

DÉFINITIF

16/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Dragne et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 78047/01) dirigée contre la Roumanie et dont six ressortissants de cet Etat, Mmes Filofteia Dragne, Smaranda Branescu, Smaranda Matei, Maria Neagoe et Iulia Orban ainsi que M. Vasile Galbeneanu (« les requérants »), ont saisi la Cour le 8 décembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 7 avril 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé qu'il y avait eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison de l'inexécution, par les autorités locales, des décisions judiciaires définitives ordonnant la mise en possession des requérants d'un terrain de 33,5 hectares (le jugement du 28 juin 1995 du tribunal départemental d'Olt) ainsi que le paiement de la somme de 97 762 535 lei roumains (ROL) à titre de dommagesintérêts pour l'impossibilité de cultiver ledit terrain en 19961997 et de la somme de 150 000 ROL à titre de frais de justice (le jugement du 10 novembre 1997 du tribunal départemental d'Olt) (Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, 7 avril 2005).

3. Outre la mise en possession de leur terrain, les requérants réclamaient, en invoquant l'article 41 de la Convention, une satisfaction équitable d'un montant de 4 756 098 400 ROL pour le préjudice matériel subi.

4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état pour le dommage matériel, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (voir point 4 du dispositif de l'arrêt au principal).

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations à plusieurs reprises.

EN FAIT

6. Un descriptif des faits postérieurs à la date du prononcé de l'arrêt au principal figure ci-après.

7. Le 4 octobre 2005, les requérants furent mis en possession du terrain de 33,5 hectares. Le 24 octobre 2005, le titre de propriété afférent leur fut délivré.

8. Par une lettre du 16 novembre 2005, le Gouvernement informa la Cour de la mise en possession ainsi que des démarches faites par les autorités locales en vue du paiement de la somme réactualisée allouée aux requérants par le jugement du 10 novembre 1997.

9. Le 29 décembre 2005, les requérants perçurent 9 776,25 nouveaux lei roumains (à savoir 97 762 500 RON) à titre de dommages-intérêts, représentant la somme allouée à titre de dommagesintérêts par le jugement du 10 novembre 1997.

EN DROIT

10. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

11. Les requérants ont réclamé l'attribution en possession du terrain de 33,5 hectares comme ordonné par les décisions définitives rendues en l'espèce.

12. Ils ont aussi demandé la somme de 4 756 098 400 ROL au titre du préjudice matériel représentant le manque à gagner pour les années pendant lesquelles ils n'ont pu utiliser le terrain faute d'exécution des décisions ordonnant la restitution. Cette somme représente la valeur réactualisée des dommages-intérêts attribués par le jugement du 10 novembre 1997 multipliée par dix, à savoir le nombre d'années pendant lesquelles l'obligation de restitution du terrain agricole est restée inexécutée.

13. Le 15 septembre 2005, ils ont envoyé une nouvelle évaluation du manque à gagner, selon les mêmes principes, compte tenu du fait qu'ils n'avaient toujours pas obtenu à cette date la possession du terrain. Ils ont réclamé 5 912 678 100 ROL ou 164 241 euros (EUR).

14. Ils n'ont pas demandé de somme au titre du préjudice moral.

15. S'appuyant sur les conclusions d'une expertise effectuée en l'espèce, le Gouvernement considère que la valeur réactualisé réelle des dommagesintérêts octroyés par le jugement du 10 novembre 1997 compte tenu de l'inflation est de 481 871 535 ROL.

16. La Cour rappelle que les décisions définitives rendues en l'espèce sont restées inexécutées pendant dix ans, en ce qui concerne la mise en possession des requérants, et au moins huit ans en ce qui concerne le paiement des dommages-intérêts. Elle rappelle aussi que le paiement du 29 décembre 2005 ne couvre pas la réactualisation des sommes allouées.

Sur ce point, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le caractère adéquat d'un dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci faisait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301B, p. 90, § 82).

17. La Cour estime, dès lors, que les requérants ont subi un préjudice matériel du fait de l'inexécution, pendant une longue période, des décisions judiciaires rendues en l'espèce.

18. Cependant, s'agissant du manque à gagner causé par l'impossibilité de jouir de leur terrain, la Cour observe que, bien qu'ils aient été informés, le 31 octobre 2003, des exigences imposées par l'article 60 du Règlement de la Cour quant aux demandes de satisfaction équitable, les requérants n'ont pas accompagné leurs prétentions des justificatifs pertinents. Ainsi, ils n'ont envoyé ni expertise ni, éventuellement, de décision judiciaire attestant le montant du préjudice. En outre, le calcul proposé par les requérants (voir paragraphe 12 ci-dessus) ne peut être accepté par la Cour, car il ne constitue pas une détermination raisonnable du manque à gagner, dès lors qu'il ne prend pas en compte la valeur réelle de chacune des récoltes non réalisées mais se borne à multiplier par dix la valeur de la récolte d'une année.

Sur ce dernier point, la Cour rappelle que les juridictions internes n'ont fixé les dommages-intérêts que pour la récolte de l'année 1996-1997.

Dès lors, en l'absence des justificatifs pertinents, elle ne saurait spéculer sur la valeur du manque à gagner pour les années 19972005. Il n'y a donc pas lieu d'accorder aux requérants une indemnité à ce titre.

19. Dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue conjointement aux requérants la somme globale de 9 000 EUR.

B. Frais et dépens

20. Les requérants n'ont pas fait état de frais et dépens supplémentaires par rapport à ceux qui ont été remboursés dans l'arrêt au principal, raison pour laquelle il n'y a pas lieu de leur accorder une somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

21. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 9 000 EUR (neuf mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président