Přehled
Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 25585/02
présentée par Habil EMEN
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
R. Türmen,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 6 février 2002,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Habil Emen, est un ressortissant turc, né en 1968. Il est actuellement détenu à la maison d’arrêt d’Elbistan à Kahramanmaraş. Il est représenté devant la Cour par Me M. Rollas, avocat à İzmir.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le 11 juin 1996, à l’issue d’un procès (dossier no 1995/279) ayant impliqué quarante-six présumés membres du PKK, la cour de sûreté de l’Etat de Malatya (« la cour de sûreté de l’Etat ») condamna, entre autres, E.A.E., A.D. et S.E. à la réclusion à la perpétuité, le premier pour avoir assassiné une personne et commandé la mise à mort de deux autres au nom du PKK, le second, notamment pour avoir été le complice du requérant dans l’exécution de M.C. sous la houlette de E.A.E., et le troisième pour avoir participé à plusieurs attentats planifiés par le PKK. De fait, lors du procès en question, S.E. avait avoué être également l’auteur du meurtre de M.C., mais les juges du fond ont estimé que lesdits aveux, ne visant qu’à disculper A.D., n’étaient pas sincères.
Le 8 novembre 2000, le requérant fut arrêté à İzmir, en possession d’une fausse carte d’identité. Il était recherché en vue de l’exécution de la peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois qui lui avait été infligée par la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, pour chef de recel de malfaiteurs et assistance au PKK. Aussi fut-il transféré à la prison de Buca à İzmir.
Cependant, alors que le requérant purgeait sa peine, il fut constaté que celui-ci était également recherché en vertu d’un mandat délivré le 3 août 1995 par le juge de paix d’İskenderun, à la demande du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur »). De fait, mis en accusation le 15 août 1995 devant cette juridiction, le requérant avait réussi à se soustraire à la justice jusqu’à son arrestation. Les faits incriminés dans l’acte d’accusation étaient étroitement liés à ceux ayant fondé le jugement susmentionné du 11 juin 1996 :
« Il ressort de l’interrogatoire de E.A.E. et de ses camarades, appréhendés le 1er juin 1995 (...) et déférés devant la cour de sûreté de l’Etat de Malatya en date du 22 juin 1995, que, le 20 novembre 1994, l’accusé Habil Emen, agissant sous les ordres de E.A.E., avait (...) emmené M.C., dans un véhicule conduit par A.D., sur la route du village de Düğünyurdu à İskenderun, qu’il avait assassiné M.C. dans la voiture en lui tirant une balle et qu’ensuite il avait, avec l’aide de A.D. jeté le corps au bord de la route (...) »
Le 14 novembre 2000, le requérant fut traduit devant le juge de paix d’İzmir, qui lui donna lecture du mandat susmentionné, dans lequel l’intéressé était « accusé d’appartenance à une organisation illégale ». Le juge ordonna la détention provisoire du requérant. Cette mesure était susceptible d’opposition, voie que le requérant n’emprunta pas.
Le 8 janvier 2001, alors qu’il était encore incarcéré à Buca, le requérant chercha à s’enquérir de l’avancement de son dossier. Le procureur l’informa du mandat décerné par le juge de paix d’İskenderun et du fait que sa peine actuelle de 3 ans et 9 mois d’incarcération venait de tomber sous le coup de l’amnistie prévue par la loi no 4616, promulguée le 21 décembre 2000.
Le requérant comparut devant la cour de sûreté de l’Etat le 13 février 2001, date à laquelle il fut entendu pour la première fois et prit connaissance des accusations portées à son encontre, sachant que l’acte d’accusation du 15 août 1995 ne lui avait jamais été notifié. En l’espèce, le procureur demandait sa condamnation en vertu de l’article 125 du code pénal, du fait de l’assassinat de M.C. perpétré en vue de servir le mouvement séparatiste du PKK.
Pendant les audiences qui s’ensuivirent, le requérant contesta les accusations. A une date non précisée, A.D. fut entendu en sa qualité de témoin. Il soutint que le meurtre reproché avait été commis par S.E., sans aucune implication du requérant ou de lui-même.
Par un jugement du 23 août 2001, la cour de sûreté de l’Etat déclara le requérant coupable et le condamna à la réclusion à la perpétuité.
Pour ce faire, les juges du fond s’en tinrent en grande partie aux éléments du dossier du procès susmentionné ayant abouti au jugement du 11 juin 1996. En particulier, ils tinrent compte des déclarations faites par E.A.E., A.D. et N.D. (l’épouse de A.D.) dans le cadre dudit procès. Les juges du fond s’attardèrent en outre sur deux lettres que A.D. leur avait adressées les 14 juin 1996 et 24 juillet 1997 ainsi que sur un récit, intitulé « Mon curriculum vitæ », qu’il avait rédigé dans la prison. A.D. tenait les propos suivants :
« (...) c’est Habil Emen qui m’a manipulé et impliqué dans l’organisation terroriste ; le vrai meurtrier est Habil Emen ; il a tué [M.C.] parce qu’il avait insulté Abdullah Öcalan lors d’une campagne électorale et parce qu’il avait dénoncé ses neveux M.E. et E.E. à la police comme des sympathisants du PKK ; l’accusé Habil Emen a tué la victime en raison de sa haine personnelle et dans un but organisationnel (...). J’ai été mêlé, contre mon gré, dans le meurtre de M.C., qui a été planifié par Habil Emen et E.A.E. (...) Le jour de l’incident, alors que j’étais avec Habil Emen, on a vu la victime dans la gare de bus. Habil Emen m’a dit que c’était le type qui avait tué sept personnes, avait fait torturer ses neveux M.E. et E.E., et qu’il était un garde de village. J’ai répondu que, chez nous, il n’y avait pas de gardes de village. Habil Emen m’a alors dit qu’il s’agissait d’un garde de village clandestin et qu’il n’irai nulle part avant de l’éliminer. Par la suite, on est allé chez moi. On y a rencontré la femme terroriste [E.A.E]. Celle-ci nous a donné un pistolet et a dit qu’il fallait exécuter M.C. sans attendre (...). Habil Emen a pris l’arme et nous sommes sortis en voiture. Nous avons retrouvé M.C. et l’avons pris dans la voiture. (...) Arrivés sur un lieu désert, Habil Emen a tué M.C. en lui tirant une balle derrière la tête. Ensuite, nous avons jeté le corps d’un pont (...) ».
Aussi, l’autopsie effectuée sur la dépouille de M.C. corroborait la thèse que le requérant avait tué sa victime en tirant une balle dans la tête. En revanche, le jugement est muet concernant les aveux que S.E. avait faits lors de son procès au sujet du meurtre de M.C.
Le 18 septembre 2001, le requérant se pourvut en cassation. Son avocat tira moyen :
‑ de l’absence de notification de l’acte d’accusation et de la tenue d’audiences en l’absence de son client, pendant les trois mois écoulés jusqu’au 13 février 2001, au mépris du code de procédure pénale et du principe de célérité inscrit à l’article 6 de la Convention ;
‑ de l’illégalité d’une condamnation fondée sur un jugement rendu dans une autre affaire, à savoir celle de E.A.E., A.D., N.D. et S.E. ;
‑ de l’utilisation à la charge du requérant des déclarations de E.A.E. et N.D., déclarations qui avaient été reniées par la suite, parce qu’elles avaient été extorquées sous pression ;
‑ de l’utilisation des déclarations de A.D. qui, à chaque fois, avait donné des versions différentes ;
‑ de l’absence dans le dossier de preuves matérielles susceptibles d’appuyer les déclarations calomnieuses de ces personnes ;
‑ du fait que lors de son procès, S.E. avait reconnu avoir tué M.C. ;
‑ de l’irrégularité d’une condamnation au titre de l’article 125 du code pénal, sans établissement au préalable de l’appartenance de son client au PKK, au sens de l’article 168 dudit code.
Par une seconde lettre, adressée ultérieurement, l’avocat sollicita en outre la tenue d’une audience.
La Cour de cassation se prononça le 19 novembre 2001. Elle rejeta la demande d’audience comme étant tardive et confirma le jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Le 14 janvier 2002, le requérant fit, en vain, un recours en rectification d’arrêt.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint tout d’abord de n’avoir été informé des accusations portées contre lui que plus de trois mois après son arrestation.
2. Rappelant que sa comparution devant un juge n’a eu lieu que le 13 février 2001, il se plaint également d’une violation de l’article 5 § 3.
3. Au regard de l’article 5 § 4, le requérant affirme s’être vu dans l’impossibilité de former opposition contre son placement en détention provisoire, car ignorant les raisons ayant fondé cette mesure.
4. Par ailleurs, le requérant dénonce une méconnaissance de son droit à un procès équitable, à plus d’un égard. Tout d’abord, il estime que la cour de sûreté de l’Etat de Malatya qui l’a jugé et condamné ne saurait passer pour un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, notamment du fait du traitement différencié des personnes accusées par rapport au droit commun.
5. Le requérant fait également remarquer que le jugement no 1995/279 du 11 juin 1996 visant les personnes dont les déclarations ont été utilisées à sa charge, a été rendu par un collège comprenant un juge militaire, ne répondant pas aux exigences de l’article 6 § 1. Que l’on ait tenu compte de ces déclarations, du reste extorquées sous la pression, méconnaît le droit à un procès équitable.
6. Le requérant allègue ensuite une violation de ses droits consacrés par l’article 6 § 3 a) et b), dans la mesure où il n’a jamais eu notification de l’acte d’accusation du ministère public et, par conséquent, a été empêché de préparer dûment sa défense.
7. En dernier lieu, le requérant déplore le rejet de sa demande d’audience par la Cour de cassation, pour motif de tardiveté. D’après lui, il y a eu de ce fait entrave à son droit de se défendre lui-même ou avec l’assistance de son avocat, au sens de l’article 6 § 3 c).
EN DROIT
A. Sur les griefs tirés de l’article 5 de la Convention
L’article 5 de la Convention, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
(...). »
a) Eu égard aux trois premiers griefs ci-dessus, formulés sur le terrain de l’article 5 de la Convention, la Cour partira de l’hypothèse que le requérant ne disposait pas d’une voie de droit pour faire valoir ses doléances, d’autant qu’il ne semble avoir entrepris une quelconque démarche dans ce sens. Dans ce contexte, elle rappelle qu’en l’absence de recours internes quant à un grief tenant à un acte ou à une décision particulière, le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 commence, en principe, à courir soit le jour où l’acte incriminé a été accompli, soit à compter de la décision litigieuse (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000‑I ; Aydın c. Turquie (déc.), nos 28293/95, 29494/95 et 30219/96, CEDH 2000‑III (extraits)).
Ainsi, à supposer que le requérant n’ait pu effectivement comprendre les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté (voir par exemple Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, § 40) que le 13 février 2001, date de sa comparution devant la cour de sûreté de l’Etat de Malatya, la Cour observe que le premier grief tiré de l’article 5 § 2 est tardif, la présente requête ayant été introduite le 6 février 2002.
b) Cette conclusion vaut également pour le troisième grief tiré de l’article 5 § 4, au titre duquel le requérant se borne à invoquer à nouveau l’absence d’information sur les raisons de son arrestation, circonstance qui l’aurait empêché de former opposition. Pareille information est certes essentielle pour que la personne privée de sa liberté puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu de l’article 5 § 4 (Fox, Campbell et Hartley, précité, ibidem), ce que le requérant était d’ailleurs en mesure de faire, au plus tard à partir du 13 février 2001, à savoir le dies a quo du délai de six mois quant à ce grief, qui se heurte donc également au motif de tardiveté.
c) Il en va de même du second grief formulé au regard de l’article 5 § 3, bien qu’il s’avère plus difficile de déterminer le dies a quo dudit délai.
Il ressort du dossier que la détention du requérant, qui se situe entre le 8 janvier 2000 (date de son arrestation) et le 21 décembre 2000 (date de promulgation de la loi no 4616), résultait d’une condamnation prononcée par la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Cette condamnation répondait-elle pour autant aux exigences de l’article 5 § 1 a), sachant qu’elle remonte à une période antérieure à la loi no 4390 du 22 juin 1999, qui a exclu les juges militaires des collèges des cours de sûreté de l’Etat. A la lumière de la jurisprudence constante de la Cour concernant l’indépendance et l’impartialité objectives de ces juridictions pendant la période considérée (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV, pp. 1572-1573, §§ 71-72), un problème peut se poser au regard de l’article 5 § 1 a), dès lors qu’une condamnation ne peut cadrer avec cette disposition que si elle est prononcée par un tribunal « indépendant » (Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, § 68).
Il n’en demeure pas moins que la détention provisoire ordonnée le 14 novembre 2000 par le juge de paix d’İzmir ne pose aucun problème sur ce plan. Donc, à admettre même que la privation de liberté subie avant cette date doive s’analyser sous l’angle de l’article 5 § 1 c), il suffit de constater que cette mesure a pris fin avec la comparution du requérant devant le juge de paix d’İzmir à la date précitée, à savoir plus de six mois avant l’introduction de la présente requête.
Par conséquent, la Cour déclare irrecevables, comme tardifs, les griefs tirés de l’article 5 §§ 2, 3 et 4 de la Convention, en l’application de l’article 35 §§ 1 et 4.
B. Sur les griefs tirés de l’article 6 de la Convention
Les dispositions pertinentes de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention sont ainsi libellées :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (...).
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
(...). »
a) Quant au quatrième grief, qui se ventile en deux volets, la Cour rappelle derechef qu’avant la loi no 4390 du 22 juin 1999, la législation concernant les cours de sûreté de l’Etat prévoyait que l’un des trois magistrats du collège devait être un juge militaire (Incal, précité, pp. 1557‑1559, §§ 26-28). Après ladite loi toutefois, aucun magistrat militaire ne siégea au sein de ces juridictions.
En l’espèce, il n’est pas controversé que le requérant a été jugé par un collège constitué uniquement de juges civils et, comme la Cour l’a déjà dit, l’indépendance et l’impartialité de cette catégorie de magistrats ne prêtent pas à discussion (voir, par exemple, İmrek c. Turquie Turquie (déc.), no 57175/00, 28 janvier 2003). A cet égard, le moyen que le requérant tire (en substance, au regard de l’article 14) d’une discrimination entre les droits des personnes déférées devant les cours de sûreté de l’Etat et celles, devant les juridictions pénales ordinaires, n’a pas non plus de poids. La Cour l’a maintes fois réitéré : à l’époque pertinente, la distinction litigieuse ne s’appliquait pas à différents groupes de personnes mais à différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaissait le législateur (voir, entre autres, Gerger c. Turquie [GC], no 24919/94, § 69, 8 juillet 1999).
Il s’ensuit que cette partie de la requête est dénuée de fondement, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
b) Pour ce qui est du cinquième grief, la question qui se pose est celle de l’utilisation à charge de déclarations prétendument extorquées de tierces personnes ayant fait l’objet de condamnations par une cour de sûreté de l’Etat, et ce avec la participation d’un juge militaire.
A la lumière de sa jurisprudence pertinente (Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1996, Recueil 1996‑II, p. 470, § 67 ; Isgrò c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A no 194‑A, p. 12, § 34, et Kok c. Pays-Bas (déc.), no 43149/98, CEDH 2000‑VI), la Cour, en l’état actuel du dossier, estime ne pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief et juge nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur.
c) En ce qui concerne le sixième grief tiré de l’article 6 § 3 a) et b), la Cour reconnaît que l’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulées contre elle. Le droit à pareille information doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, §§ 51 et 54, CEDH 1999‑II).
En l’espèce, le requérant, recherché depuis 3 août 1995, avait été mis en accusation le 15 août suivant. Cependant, il demeura en fuite jusqu’à son arrestation le 8 novembre 2000. Le 14 novembre 2000, le juge de paix lui donna lecture du mandat le concernant et le 13 février 2001, les juges du fond l’informèrent de la teneur de l’acte d’accusation.
En l’espèce, la Cour relève qu’à l’origine de l’arrestation du requérant se trouve une condamnation au pénal, dont il avait jusqu’alors évité les conséquences en se dérobant à la justice ; il n’est pas non plus controversé qu’il avait été appréhendé en possession de faux papiers (pour comparaison voir, Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, pp. 15-16, § 30). Compte tenu de la nature délictueuse et délibérée de ces agissements et des raisons qui eurent pu pousser le requérant à dissimuler son identité et à craindre la police, la Cour considère que M. Emen ne saurait prétendre ignorer pourquoi il fut arrêté le 8 novembre 2000 et transféré à la prison de Buca, afin qu’il purge sa peine, infligée pour recel de malfaiteurs et assistance au PKK.
Il est vrai que, dans les jours qui s’ensuivirent, il s’est avéré que le requérant était également recherché, depuis le 3 août 1995, en vertu d’un mandat décerné à cette date pour chef d’implication dans le meurtre de M.C. commis au nom du PKK. Le 14 novembre 2000, soit six jours plus tard après son arrestation, le requérant comparut devant le juge de paix d’İzmir, qui lui donna lecture du mandat en question, où il était « accusé d’appartenance à une organisation illégale ». Cette citation est particulièrement claire quant à la nature de l’accusation portée à l’encontre du requérant et de la procédure ouverte par cet acte.
La Cour estime qu’à cette dernière date, le requérant doit passer pour avoir été suffisamment informé de la base juridique de son placement en détention provisoire ; la lecture de l’acte d’accusation, en date du 13 février 2001, n’a fait que compléter cette information, ce dont le requérant aurait pu s’assurer bien avant, en s’enquerrant davantage de sa situation auprès du juge de paix d’İzmir.
Ceci dit, rien n’indique par ailleurs que le requérant ne se soit pas vu offrir, pendant son procès, un temps suffisant pour examiner son dossier et/ou la possibilité de présenter convenablement sa défense avec l’assistance de son avocat.
Au vu de l’ensemble des circonstances particulières de l’espèce, il convient de rejeter ce grief pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
d) S’agissant enfin du septième grief, la Cour observe qu’en l’espèce la demande de tenue d’audience devant la Cour de cassation a été écartée, la haute juridiction ayant conclut qu’elle avait été déposée hors du délai légal imparti à cet effet. Il apparaît donc qu’il y a eu méconnaissance de l’article 35 § 1 qui exige que les griefs que l’on entend formuler devant la Cour soient soulevés d’abord devant les juridiction nationales, dans les formes et délais prescrits par le droit interne (Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34).
Certes, le requérant affirme que l’appréciation de la Cour de cassation a été erronée sur ce point. Dans la présente affaire toutefois, c’est bien à la Cour de cassation qu’il incombait d’abord d’interpréter le délai régissant le dépôt de la demande du requérant, sachant que la Cour ne peut substituer sa propre interprétation du droit à la sienne en l’absence d’arbitraire (Tejedor García c. Espagne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997‑VIII, p. 2796, § 31). Or, rien dans le dossier ne permet de qualifier d’arbitraire le rejet de ladite demande ni de dire qu’elle ait entaché l’équité de la procédure. Encore faut-il rappeler que, notamment dans l’hypothèse d’une cour de deuxième instance qui – comme la Cour de cassation turque – n’est pas habilitée à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, l’article 6 n’implique pas toujours le droit à une audience publique ni celui de comparaître en personne (Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil 1998‑II, p. 570, § 37 ; Fejde c. Suède, arrêt du 29 octobre 1991, série A no 212-C, pp. 69-70, § 33 ; comparer avec Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII, et Ekbatani c. Suède, arrêt du 26 mai 1988, série A no 134, p. 14, § 32).
Aucun problème d’égalité des armes n’ayant été soulevé en l’espèce et dans la mesure où l’application de la règlementation relative aux délais à respecter n’a finalement pas empêché le requérant de faire valoir ses moyens de cassation (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998‑VIII, p. 3255, § 45), la Cour estime que ce grief doit également être rejeté comme étant dénué de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Ajourne l’examen du grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 d), du fait de l’utilisation de déclarations recueillies lors d’un procès annexe pour asseoir la condamnation du requérant ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président