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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 32509/02
présentée par Franck CHATEAUREYNAUD
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de :
MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 17 février 2001,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Franck Chateaureynaud, est un ressortissant français, né en 1942 et résidant à Fumel. Il est représenté devant la Cour par Me Paillot, avocat au barreau de Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 7 décembre 1995, suite à un accident du travail survenu en 1993, le requérant demanda le versement d’une pension d’invalidité.
Le 11 janvier 1996, la caisse primaire d’assurance maladie du Lot et Garonne (« CPAM ») refusa de lui attribuer cette pension, au motif que sa capacité de travail ou de gain n’était pas réduite des deux tiers.
Le 29 mai 1996, le tribunal du contentieux de l’incapacité (la commission régionale d’Aquitaine), en présence du requérant, confirma cette décision.
Le 6 juillet 1996, le requérant fit appel auprès de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification des accidents de travail (ci-après la « CNITAT »). Il faisait valoir qu’il n’avait pas été convoqué à l’audience de la commission régionale, qu’il contestait la décision du 29 mai 1996 en raison des observations contenues dans les considérations médicales, et que tous les certificats médicaux n’avaient pas été pris en considération. Il demandait en outre une expertise et la transmission à son médecin traitant du rapport du médecin-conseil de la CPAM.
Le 7 novembre 1997, la CNITAT prit une décision avant-dire droit, ordonnant une expertise médicale, dans le but de décrire l’état clinique du requérant au 7 décembre 1995. Elle est ainsi motivée :
« Sur la forme :
(...) ;
Considérant que [le requérant] étant présent à l’audience en Commission régionale du 29 mai 1996, le moyen allégué de ce chef est inopérant ;
Considérant (...) que notamment les observations médicales de la [CPAM] ont été communiquées au [médecin traitant] du requérant par courrier du 16 octobre 1997 ; que néanmoins l’intéressé n’a pas présenté d’écritures complémentaires ; (...) ; »
Le 23 avril 1998, l’expert médical déposa son rapport et le communiqua aux parties le 12 mai 1998.
Par une décision du 15 octobre 1998, la CNITAT confirma la décision du tribunal de l’incapacité du 29 mai 1996. Elle constata tout d’abord que les parties ne soulevaient aucune contestation sur le rapport du 23 avril 1998 et ne présentaient pas d’observations, et considéra que la procédure d’instruction était régulière en la forme. Enfin, elle estima, au vu des documents médicaux, que l’état du requérant, au 7 décembre 1995, ne justifiait pas l’attribution d’une pension d’invalidité ; un avis d’un médecin qualifié auprès de la CNITAT se prononçait dans le même sens que l’expert médical.
Le 19 avril 2000, le requérant obtint l’aide juridictionnelle totale aux fins de se pourvoir en cassation. A la demande du Greffe de la Cour, le Gouvernement produit une note intitulé « gestion des évènements » retraçant chronologiquement le déroulement de l’instruction du pourvoi du requérant devant la Cour de cassation. Il en ressort que ce dernier constitua avocat le 21 juin 2000, que l’affaire fut enregistrée le 22 juin 2000 et qu’il déposa, par l’intermédiaire de son avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation un mémoire ampliatif, le 21 novembre 2000, dans lequel il se plaignait, d’une part, que les énonciations de la CNITAT dans sa décision ne permettaient pas de savoir si le rapport de l’expert médical avait bien été transmis à son médecin traitant comme il le demandait et, d’autre part, de ce que la CNITAT n’avait pas pris en compte l’intégralité de ses observations puisqu’elle affirmait qu’aucune partie n’avait présenté d’observations après avoir reçu le rapport médical alors qu’il en avait présenté.
Le 28 novembre 2001, le requérant déposa un mémoire supplémentaire intitulé « mémoire tendant au relevé d’office de moyens d’ordre public », sur lequel est apposé le tampon de réception du greffe des pourvois en cassation avec représentation. Dans ce document, le requérant se prévalait d’une nouvelle jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation – cinq arrêts du 22 décembre 2000 – concernant l’absence de caractère équitable et impartial de la CNITAT. Il critiquait le fait que la CNITAT n’avait pas indiqué si une ou plusieurs des personnes la composant étaient fonctionnaires du ministère chargé de la sécurité sociale, qualité susceptible de faire naître un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction. Il se plaignait également de l’iniquité de la procédure, n’ayant pas été convoqué à l’audience ni invité à participer aux débats de manière à faire valoir publiquement ses prétentions, et n’ayant pas été destinataire d’une copie de l’avis du médecin qualifié, distinct de l’expert médical et choisi sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, que la CNITAT avait entendu. Il invoquait finalement une violation du principe de l’égalité des armes, en raison de la désignation de l’expert médical par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales, autorité ayant des intérêts communs avec l’administration à laquelle il était opposé.
Par une décision du 11 avril 2002, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis, au motif que le moyen de cassation invoqué à l’encontre de la décision attaquée n’était pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
1. Les dispositions du code de la sécurité sociale
Les articles pertinents du code de la sécurité sociale tels qu’en vigueur à l’époque des faits sont les suivants :
Article L. 143-2 relatif à la compétence et l’organisation du tribunal du contentieux de l’incapacité
« [Les tribunaux du contentieux de l’incapacité] sont composés de magistrats ou de magistrats honoraires de l’ordre administratif ou judiciaire, de fonctionnaires en activité ou honoraires, de travailleurs salariés, d’employeurs ou de travailleurs indépendants et de médecins. »
Article L. 143-3 relatif à la compétence et l’organisation de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail
« (...) les contestations (...) sont portées en appel devant une Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail composée de magistrats ou de magistrats honoraires de l’ordre administratif ou judiciaire, de fonctionnaires, en activité ou honoraires, de travailleurs salariés, d’employeurs ou de travailleurs indépendants et de médecins. »
Ces dispositions ont été modifiées par la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002 suite à une réforme du contentieux de l’incapacité. Elles se lisent désormais comme suit :
Article L. 143-2
« (...) Les tribunaux du contentieux de l’incapacité comprennent trois membres. Ils se composent d’un président, magistrat honoraire de l’ordre administratif ou judiciaire, d’un assesseur représentant les travailleurs salariés et d’un assesseur représentant les employeurs ou travailleurs indépendants. (...).
Les assesseurs appartiennent aux professions agricoles lorsque le litige intéresse un ressortissant de ces professions et aux professions non agricoles dans le cas contraire.
Ils sont désignés pour une durée de trois ans par le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le tribunal a son siège sur des listes dressées sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives intéressées, selon le cas, par le chef du service régional de l’inspection du travail, de l’emploi et de la politique sociale agricoles ou par le directeur régional des affaires sanitaires et sociales. Leurs fonctions peuvent être renouvelées suivant les mêmes formes. En l’absence de liste ou de proposition, le premier président de la cour d’appel peut renouveler les fonctions d’un ou plusieurs assesseurs pour une nouvelle durée de trois ans (...). »
Article L. 143-3
« Les contestations (...) sont portées en appel devant une Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail composée d’un président, magistrat du siège de la cour d’appel dans le ressort de laquelle la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail a son siège, désigné pour trois ans dans les formes prévues pour la nomination des magistrats du siège, de présidents de section, magistrats du siège de ladite cour d’appel désignés pour trois ans par ordonnance du premier président prise avec leur consentement et après avis de l’assemblée générale des magistrats du siège et d’assesseurs représentant les travailleurs salariés, d’une part, et les employeurs ou travailleurs indépendants, d’autre part.
Nota : Loi 2002-73 2002-01-17 art. 35 II : Par dérogation aux dispositions de l’article L. 143-3 du code de la sécurité sociale, le premier président de la cour d’appel dans le ressort duquel la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail a son siège peut désigner, jusqu’au 1er janvier 2003, des magistrats de l’ordre judiciaire honoraires pour exercer les fonctions de président de section prévues à cet article. »
Article L. 143-5
« I. - Les assesseurs représentant les salariés et les assesseurs représentant les employeurs ou travailleurs indépendants sont nommés pour trois ans renouvelables par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, sur une liste dressée par le premier président de la Cour de cassation sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives intéressées.
Un nombre égal d’assesseurs suppléants est désigné concomitamment et dans les mêmes formes.
II. - Les employeurs sont tenus de laisser aux salariés de leur entreprise, membres assesseurs de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, le temps nécessaire pour l’exercice de leurs fonctions. »
D’autres dispositions du code de la sécurité sociale, relatives à la procédure devant la CNITAT, ont été modifiées par un décret no 2003-614 du 5 juillet 2003. Ces dispositions sont les suivantes :
Article R. 143-25
« (...). Le secrétaire général de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail assure la communication des mémoires et des pièces jointes aux parties ou, le cas échéant, au médecin qu’elles ont désigné lorsqu’il s’agit de documents médicaux, et les avise qu’elles peuvent présenter des observations en réplique et des pièces nouvelles dans un délai de vingt jours courant de la réception de cette communication. (...). »
Article R. 143-26
« Les parties sont dispensées du ministère d’avocat ou d’avoué. Elles comparaissent en personne et présentent leurs observations orales ou écrites. Elles ont toutefois la faculté de se faire assister ou représenter par un avoué ou un avocat. »
Article R. 143-29
« (...) les parties sont informées de la date de l’audience et de la possibilité qu’elles ont d’y présenter des observations orales (...). »
2. Jurisprudence
Le 22 décembre 2000, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, rendit cinq arrêts de cassation sur des griefs relatifs au manque allégué d’indépendance et d’impartialité des juridictions de l’incapacité. La motivation du premier arrêt (no 99-11303) est reprise quasiment à l’identique dans les autres arrêts. Elle est ainsi formulée :
« Vu l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ;
Attendu qu’il résulte du dossier de la procédure que la décision attaquée a été rendue par une formation de jugement de la Cour nationale, comprenant parmi ses membres un fonctionnaire honoraire d’administration centrale ;
Que cet élément et le fait que la juridiction comprend des fonctionnaires de catégorie A, en activité ou honoraires, du ministère chargé de la Sécurité sociale ou du ministère chargé de l’Agriculture, nommés sans limitation de durée de sorte qu’il peut être mis fin à tout moment et sans condition à leurs fonctions par les autorités de nomination qui comprennent le ministre, exerçant ou ayant exercé, lorsqu’ils étaient en activité, le pouvoir hiérarchique sur eux, constituaient des circonstances de nature à porter atteinte à l’indépendance de la Cour nationale et à faire naître un doute légitime sur son impartialité ;
D’où il suit que la cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Sur le deuxième moyen :
Vu l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que cette exigence implique que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision ;
Attendu que l’arrêt a été rendu après examen préalable du dossier par un médecin qualifié, choisi sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la Sécurité sociale ou du ministre chargé de l’Agriculture, dont l’avis n’a pas été communiqué aux parties ; qu’il en résulte que l’appelant a été privé de la faculté de prendre connaissance et de discuter les observations présentées par le médecin qualifié à la Cour nationale ;
Que la procédure suivie ayant été dépourvue de caractère contradictoire, la Cour nationale a violé les textes susvisés ;
Sur le troisième moyen :
Vu l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 14 et 433 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement ;
Attendu qu’il ne ressort pas des mentions de l’arrêt que la Cour nationale ait convoqué l’appelant à l’audience et organisé des débats lui permettant de faire valoir publiquement ses prétentions ;
Qu’en statuant ainsi, la Cour nationale a violé les textes susvisés ; (...). »
3. Nouveau code de procédure civile
Article 978
« A peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de cinq mois à compter du pourvoi, remettre au secrétariat-greffe de la Cour de cassation et signifier au défendeur un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. (...) »
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, est irrecevable le grief présenté dans un mémoire additionnel déposé plus de cinq mois après la déclaration de pourvoi (Civ. 3ème, 20 mai 1985, Bull. civ. III, no 82, Civ. 1ère, 1er octobre 1985, Bull. civ. I, no 242).
GRIEFS
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que la composition du tribunal du contentieux de l’incapacité (la présidente était la directrice régionale des affaires sanitaires et sociales de l’Aquitaine) et de la composition de la CNITAT (ses membres pouvaient être des fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires du ministère chargé de la sécurité sociale) font naître un doute légitime sur l’impartialité et l’indépendance de ces deux juridictions. Il se plaint également de n’avoir été ni entendu ni appelé par la CNITAT.
Sur le même fondement, il conteste le motif de non-admission de son pourvoi en cassation, estimant au contraire que son moyen de cassation était fondé.
EN DROIT
Le requérant se plaint, d’une part, de ce que la composition du tribunal du contentieux de l’incapacité (la présidente était la directrice régionale des affaires sanitaires et sociales de l’Aquitaine) et celle de la CNITAT (ses membres pouvaient être des fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires du ministère chargé de la sécurité sociale) font naître un doute légitime sur l’impartialité et l’indépendance de ces deux juridictions. Il se plaint d’autre part de n’avoir été ni entendu ni appelé par la CNITAT. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Le Gouvernement considère, à titre principal, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne au moins la première branche du grief. Après avoir rappelé les principes régissant l’article 35 § 1 de la Convention, il fait valoir que le requérant n’a jamais contesté devant les juridictions nationales, expressément ou même en substance, la composition des juridictions de l’incapacité. Il relève que dans son unique mémoire ampliatif déposé à l’appui de son pourvoi le 21 novembre 2000, il n’a soulevé que deux moyens tirés de la non transmission du rapport de l’expert à son médecin traitant, et de l’absence de prise en compte de ses observations sur les résultats de l’expertise, ce qui a logiquement conduit à ce que son pourvoi fasse l’objet d’une décision de non-admission sur ce point. En revanche, le grief tiré du caractère non équitable et non public des audiences devant ces mêmes juridictions peut être regardé comme ayant été soulevé en substance bien que le requérant n’ait jamais mentionné l’article 6 § 1 de la Convention.
A supposer que la Cour considère que le requérant a épuisé les voies de recours internes, le Gouvernement souligne que le législateur, suite aux cinq arrêts rendus en assemblée plénière par la Cour de cassation le 22 décembre 2000, a entrepris une importante réforme (loi no 2002-73 du 17 janvier 2002) relative au contentieux de l’incapacité et modifia plusieurs dispositions du code de la sécurité sociale afin que les tribunaux dudit contentieux soient conformes aux exigences posées par l’article 6 § 1 de la Convention. Cette réforme n’étant entrée en vigueur que postérieurement aux faits en litige, le Gouvernement, qui prend également acte de la motivation des cinq arrêts précités de la Cour de cassation sur ce point, s’en remet à la sagesse de la Cour pour l’appréciation du bien-fondé du grief. Pareillement, sur le caractère équitable et public de la procédure, le Gouvernement souligne qu’à la suite du revirement jurisprudentiel du 22 décembre 2000, la procédure a été largement modifiée par deux décrets du 2 juin 1999 et du 5 juillet 2003, organisant le respect du principe du contradictoire, la convocation des parties à l’audience qui est désormais publique et la possibilité de présenter des observations orales garantissant l’équité du procès. Cette réforme n’étant entrée en vigueur que postérieurement aux faits de l’espèce, le Gouvernement s’en remet à cet égard à la sagesse de la Cour.
Le requérant estime que le Gouvernement méconnait une des pièces essentielles de la procédure suivie devant la Cour de cassation, à savoir le mémoire complémentaire déposé au greffe le 28 novembre 2001, et considère dès lors qu’il a épuisé les voies de recours internes. En outre, il prend acte de ce que le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour quant au grief pris en ses deux branches.
La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes (Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p.18 §§ 34 à 36). Si cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif », elle ne se borne pas à exiger la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue. Il faut que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (arrêt Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, CEDH 1999-I, §§ 36-37).
En l’espèce, la Cour relève que le requérant disposait d’un délai de cinq mois à compter du dépôt de son pourvoi pour présenter des moyens nouveaux de cassation, conformément à l’article 978 du nouveau code de procédure civile, et rappelle à cet égard que les règles relatives au délai de pourvoi sont suffisamment claires et prévisibles et présentent une clarté et une cohérence suffisantes (a contrario, voir De Geouffre de la Pradelle c. France, 16 décembre 1992, série A no 253-B et Bellet c. France, 4 décembre 1995, série A no 333-B).
La Cour note qu’il résulte des textes applicables et d’une jurisprudence constante (voir la partie relative au droit et à la pratique internes pertinents) que devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi n’est plus recevable à invoquer de nouveaux moyens après l’expiration du délai de cinq mois. Or en l’espèce, le requérant se pourvut en cassation le 21 juin 2000 et déposa son mémoire ampliatif dans le délai requis précité, le 21 novembre 2000. Déposé le 21 novembre 2001, son « mémoire tendant au relevé d’office de moyens d’ordre publics » relatif à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du manque d’indépendance et d’impartialité de la CNITAT et du défaut d’équité de la procédure suivie devant celle-ci en raison de sa non convocation et sa non audition, était donc manifestement tardif et irrecevable, quels que fussent les moyens qui y étaient développés (voir sur ce point S.G. c. France (déc.), no 40669/98, 11 juillet 2000 ; voir aussi Lilly France c. France, (déc.), no 53892/00, 29 mai 2001). L’article 6 n’obligeait d’ailleurs pas la juridiction nationale suprême de relever d’office les moyens présentés hors délai (Lilly France c. France précité), ce qui l’amena – la Cour le souligne – à déclarer l’unique moyen de cassation dénué de fondement.
Dans ces conditions, il apparaît que le requérant n’a pas soulevé devant la Cour de cassation, expressément ou même en substance, les griefs qu’il formule aujourd’hui devant la Cour. Il en résulte qu’il n’a pas valablement épuisé les voies de recours internes, conformément aux règles de droit interne, et que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Le requérant conteste enfin le motif de non-admission de son pourvoi en cassation, estimant au contraire que son moyen de cassation était fondé.
Pour autant que le grief puisse être compris comme visant l’interprétation du droit interne et le résultat de la procédure menée devant la Cour de cassation, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, CEDH 1999‑I). Dans la mesure où le requérant se borne à contester l’issue de son pourvoi et à dénoncer une erreur de droit qu’aurait commise la Cour de cassation dans l’interprétation du droit national positif, la Cour considère que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président