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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 9818/03
présentée par PHOTOTELEM
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
R. Türmen,
Mmes A. Mularoni,,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 mars 2003,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision partielle du 6 septembre 2005,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, la SARL Phototelem, est une société française, dont le siège social se trouve à Marseille. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La société requérante a pour objet la conception, l’exploitation et la commercialisation de services télématiques Vidéotex, accessible par le Minitel. Elle souscrit auprès de la société France Télécom plusieurs contrats d’accès dits « contrats Télétel », en qualité de centre serveur et de fournisseur de services télématiques. Elle a ainsi exploité différents codes d’accès fournis par France Télécom, qui disposait d’un monopole en la matière, en acquittant des abonnements.

Par un courrier du 5 novembre 1998, France Télécom informa la requérante d’une augmentation des tarifs des abonnements qu’elle avait souscrits.

Par une lettre du 24 juin 1999, la requérante saisit le Conseil de la concurrence. Elle estimait que l’augmentation unilatérale et brutale de son tarif d’abonnement Télétel était constitutive d’un abus de position dominante que détenait France Télécom sur le marché de la télématique, contraire à l’article 8 de l’ordonnance no 86- 1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence. Devant le refus de la requérante de payer les abonnements aux nouveaux tarifs, France Télécom suspendit les codes télématiques contractés du 13 au 22 juillet 1999. Soutenant que cet abus lui causait une atteinte grave et immédiate au sens de l’article 12 de l’ordonnance, elle demandait également le prononcé de mesures conservatoires. A cet égard, par une lettre du 16 juillet 1999, la requérante précisa au Conseil de la concurrence que sa demande de mesure conservatoire consistait à intervenir auprès de France Télécom pour éviter la suspension ou la résiliation de ses codes réservés en attendant une décision sur le fond. Elle demandait au Conseil, par une lettre du 6 septembre 1999, que France Télécom respecte les dispositions contractuelles prévues par l’article 11-2 des conditions générales du contrat Télétel relatives à un délai d’information d’un changement tarifaire de six mois avant d’appliquer la hausse de ses tarifs, et renonce à toute procédure de suspension ou de résiliation d’office des codes d’accès.

Entre-temps, le 9 juillet 1999, un rapporteur fut désigné par le Conseil de la concurrence.

Les 21 et 22 juillet 1999, France Télécom et la requérante, respectivement, furent entendus par le rapporteur désigné. Par une lettre du 30 juillet 1999, le conseil de la concurrence convoqua les parties à la séance prévue le 29 septembre 1999, et les informa qu’elles pouvaient consulter le dossier de l’affaire au secrétariat du Conseil et présenter des observations. La séance fut reportée au 7 octobre 1999. Le Gouvernement précise que l’ensemble des pièces du dossier comportait les procès-verbaux des auditions des intéressés et leurs annexes (comprenant un extrait du rapport de la Cour des comptes de septembre 1998 fourni au rapporteur par France télécom le 21 juillet 1999), les observations écrites des parties, et un avis du 27 septembre 1999 adopté par l’Autorité de régulation des télécommunications sur l’affaire, demandé par le Conseil de la concurrence.

Sur la base de ces pièces, le rapporteur présenta ses observations orales lors de la séance du 7 octobre 1999, au cours de laquelle son intervention fut suivie successivement de celle du rapporteur général, du commissaire du gouvernement, du président de l’Association française de télématique multimédia, et des représentants de la requérante et de France Télécom.

Par une décision motivée du 7 octobre 1999, le Conseil de la concurrence rejeta la demande de mesures conservatoires et déclara la requête de la requérante irrecevable. Il considéra que si la société France Télécom détenait un monopole sur le marché des prestations nécessaires à la fourniture au grand public de services disponibles sur le Minitel, il lui était loisible de relever ses tarifs, dès lors que cette augmentation n’avait pas un objet ou un effet anticoncurrentiel, et releva que la saisine ne contenait pas d’éléments suffisamment probants à l’appui des allégations selon lesquelles la société France Télécom aurait abusé de sa position dominante. Par conséquent, il déclara la saisine irrecevable et rejeta la demande de mesures conservatoires.

Le 22 décembre 1999, la requérante forma un recours devant la cour d’appel de Paris, dans lequel elle maintenait ses arguments précédents, et soutenait que le procès-verbal de la séance qui avait été produit ne permettait pas de s’assurer du respect de l’article 6 § 1 de la Convention dès lors que le rapport du rapporteur, qui n’était pas versé aux débats, n’y était pas transcrit.

Par un arrêt du 9 mai 2000, la cour d’appel de Paris enjoignit au Conseil de la concurrence de déposer au greffe le procès-verbal de la séance du 7 octobre 1999 et de le communiquer aux parties afin que la cour puisse être en mesure d’apprécier la régularité formelle de ladite séance, contestée par la requérante. Par un courrier du 18 mai 2000, le Conseil de la concurrence communiqua à la cour et aux parties le procès verbal de la séance du 7 octobre 1999.

Par un arrêt contradictoire du 3 octobre 2000, la cour d’appel de Paris constata que le procès-verbal communiqué par le Conseil de la concurrence et contenant la date de la séance, les parties présentes, l’ordre du jour et le déroulement des débats était régulier. Sur la communication du rapport avec le procès-verbal de séance, elle motiva ainsi sa décision :

« Considérant que, par lettre du 18 mai 2000, le Conseil de la concurrence a communiqué à la Cour et aux parties le procès-verbal de la séance du 7 octobre 1999, que ce dernier indique la date de la séance, les parties présentes, l’ordre du jour, et le déroulement des débats ;

Considérant qu’aux termes de l’article 15 du règlement intérieur du Conseil de la concurrence, le secrétaire du Conseil rédige et signe avec le président le procès-verbal chronologique des séances, qui mentionne le nom des personnes présentes ; que le procès-verbal transmis respecte les prescriptions du règlement intérieur (...) ; qu’il est dès lors régulier ;

Considérant qu’en outre, l’absence de communication de la retranscription des interventions au cours de la séance ne fait pas grief à la requérante dès lors, d’une part, qu’aucune disposition ne prescrit cette communication, et d’autre part, que le rapport a été contradictoirement porté à la connaissance des parties lors des débats ; que les critiques de la requérante ne sont donc pas fondées. »

Quant au fond, elle rejeta le recours de la requérante.

La requérante se pourvut en cassation invoquant notamment que l’absence de communication du rapport du rapporteur devant le Conseil de la concurrence avant l’audience avait violé le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes en l’empêchant d’en discuter utilement les éléments. Par un arrêt du 24 septembre 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes :

« Mais attendu, en premier lieu, que si, à l’occasion d’une saisine ou d’une demande de mesures conservatoires, un rapporteur, qui n’a procédé à aucun acte d’investigation, use de la faculté que lui confère l’article 15 du décret du 29 décembre 1986 de présenter ses observations orales en séance, aucune violation du principe de la contradiction ni du principe de l’égalité des armes ne saurait résulter du défaut de communication préalable et écrite de ces observations aux parties, dès lors qu’elles sont présentées dans le cadre des débats contradictoires et que les parties disposent de la même faculté ;

Attendu, en second lieu, que l’article 5, alinéa 2, du décret du 19 octobre 1987, relatif aux recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, vise, non les observations orales mentionnées à l’article 15 du décret du 29 décembre 1986, mais le rapport indiquant les griefs retenus par le rapporteur à l’issue de l’instruction au fond prévue par l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L 463-2 du code de commerce ; que c’est donc par une exacte application de l’article 5 précité que l’arrêt retient qu’aucun texte n’impose la transmission des observations du rapporteur au greffe de la cour d’appel ;

Attendu, enfin, qu’aucune disposition légale n’impose au Conseil de la concurrence de transcrire les auditions des témoins auxquelles il procède en séance ; qu’il n’en résulte aucune atteinte aux droits de la défense, dès lors que ces auditions sont recueillis contradictoirement au cours des débats et que les parties qui forment un recours peuvent demander à la cour d’appel de les renouveler, conformément aux article 204 et suivants du code de procédure civile (...) ».

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Le droit et la pratique internes pertinents sont principalement exposés dans l’affaire Lilly France c. France (déc), no 53892/00, 3 décembre 2002).

En ce qui concerne la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, elle est réputée abrégée lorsqu’une demande de mesures conservatoires a été formulée (article 12 de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence). Cette procédure d’urgence ne comporte pas de phase écrite et ne prévoit pas l’établissement d’un rapport écrit par le rapporteur. Lorsque la demande de mesures conservatoires est contenue dans l’acte de saisine ou qu’elle lui est concomitante, le Conseil peut se prononcer sur l’ensemble par une même décision. La demande de mesures conservatoires est examinée en séance par le Conseil de la concurrence qui se prononce en l’état du dossier. Les convocations aux séances du Conseil de la concurrence sont adressées par lettre recommandée avec accusé de réception trois semaines au moins avant le jour de la séance. Au cours de la séance, le rapporteur peut présenter des observations orales, conformément à article 15 du décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d’application de l’ordonnance du 1er décembre 1986, qui disposait à l’époque des faits :

« Pour l’application des articles 10-1, 12 et 19 de l’ordonnance [no 86-1243 du 1er décembre 1986], le président du Conseil de la concurrence peut fixer des délais pour la production des mémoires, pièces justificatives ou observations et pour leur consultation par les intéressés ou par le commissaire du Gouvernement. Au cours de la séance, un rapporteur peut présenter des observations orales. »

S’agissant des recours exercés devant la cour d’appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, l’article 5, alinéa 2, du décret d’application du 19 octobre 1987, en vigueur à l’époque des faits, disposait :

« Le Conseil de la concurrence transmet au greffe de la cour le dossier de l’affaire qui comporte les procès-verbaux et rapports d’enquête, les griefs, les observations, le rapport, les documents et les mémoires mentionnés aux articles 20 à 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 [aujourd’hui l’article L. 463-2 du code de commerce]. »

Aux termes de l’article L. 463-2 du code de commerce :

« Sans préjudice des mesures prévues à l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 le conseil notifie les griefs aux intéressés ainsi qu’au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier et présenter leurs observations dans un délai de deux mois.

Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés.

Les parties ont un délai de deux mois pour présenter un mémoire en réponse qui peut être consulté dans les quinze jours qui précèdent la séance par les personnes visées à l’alinéa précédent. »

GRIEF

Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante se plaint du défaut d’équité de la procédure en raison de l’absence de communication du rapport du rapporteur devant le Conseil de la concurrence.

EN DROIT

La requérante se plaint de l’absence de communication du rapport du rapporteur devant le Conseil de la concurrence et invoque l’article 6 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. A titre principal, il considère que contrairement à l’affaire Lilly France c. France (no 53892/00, (déc.), 3 décembre 2002), la nature de la procédure en cause et la qualité de la requérante rendent l’article 6 § 1 inapplicable. A titre subsidiaire, il estime que le grief est dénué de tout fondement dès lors qu’il n’y a eu aucun rapport écrit, le conseiller-rapporteur ayant suivi la procédure orale applicable relative aux demandes de mesures conservatoires.

La Cour n’estime pas nécessaire de statuer sur la question relative à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à la procédure qui s’est déroulée devant le Conseil de la concurrence, dans la mesure où le grief de la requérante est irrecevable, en tout état de cause, pour un autre motif.

Le principe de l’égalité des armes, la Cour le rappelle, est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, qui requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir l’arrêt NideröstHuber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, p. 107, § 23).

Dans la présente affaire, la saisine au fond du Conseil de la concurrence était assortie d’une demande de mesures conservatoires, et la procédure suivie devant ce dernier était de celle où le rapporteur peut présenter ses observations, oralement et pour la première fois en séance. En l’espèce, le rapporteur désigné usa de cette faculté que lui conférait le droit interne (article 15 du décret du 29 décembre 1986) et présenta pour la première fois des observations orales lors de la séance du 7 octobre 1999. La Cour relève que ce fait fut d’ailleurs constaté par la Cour de cassation dans son arrêt du 24 septembre 2002.

La Cour est dès lors convaincue que les observations orales du rapporteur n’ont pas fait l’objet d’un document écrit et que, tant les parties à l’instance – ensemble avec le commissaire du gouvernement – que les membres du Conseil de la concurrence, en ont découvert le sens et le contenu à cette occasion. Dans ces conditions, la requérante ne saurait tirer du droit à l’égalité des armes reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention le droit de se voir communiquer, préalablement à la séance, des observations qui ne l’ont pas été à l’autre partie à l’instance, ni au commissaire du gouvernement, ni aux membres du Conseil, de sorte qu’aucun manquement à l’égalité des armes ne se trouve établi en l’espèce (voir, mutatis mutandis, pour ce qui est des conclusions du commissaire du gouvernement présentées oralement et pour la première fois à l’audience publique devant le Conseil d’Etat, l’arrêt Kress c. France [GC], no 39594/98, § 29, CEDH 2001VI et Farange S.A. c. France, no 77575/01, § 24, 13 juillet 2006 ; voir, pour ce qui est de l’absence de communication du rapport établi par le conseiller rapporteur au justiciable dans la procédure devant la Cour de cassation française, Pascolini c. France, no 45019/98, 26 juin 2003, Negouai c. France, no 67852/01, (déc.), 21 octobre 2003, et Lilly France c. France, no 53892/00, 14 octobre 2003).

La Cour rappelle ensuite que la notion de procès équitable implique aussi le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation soumise au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir les arrêts Lobo Machado c. Portugal du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 215, § 49, Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, p. 234, § 33, K.D.B. c. Pays-Bas du 27 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 631, § 44, et NideröstHuber précité, p. 108, § 24).

En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le rapport litigieux a été contradictoirement porté à la connaissance des parties, oralement, lors des débats le 7 octobre 1999, et que l’intervention du rapporteur fut suivie successivement de celle du rapporteur général, du commissaire du gouvernement, du président de l’Association française de télématique multimédia, et enfin des représentants de la requérante et de France Télécom, de sorte qu’en s’exprimant en dernier, la société requérante disposait de la faculté de discuter utilement les observations formulées. Par ailleurs, la requérante conservait la possibilité, comme l’a constaté la Cour de cassation, de demander à la cour d’appel le renouvellement de l’audition du rapporteur si elle l’estimait nécessaire. Il en ressort qu’aux yeux de la Cour, la requérante a non seulement pu prendre connaissance du rapport litigieux mais encore discuter de son contenu contradictoirement.

Bref, considérant la procédure en cause dans sa globalité, la Cour parvient à la conclusion que la requérante a bénéficié de l’ensemble des garanties d’un procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, le grief apparaît comme étant manifestement mal fondé, et doit être rejeté, par application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. En outre, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Dollé A.B. Baka              Greffière              Président