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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 26892/02
présentée par Şeyhmus YILDIZ et Muhyettin SEVİNÇ
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 26 mars 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, MM. Şeyhmus Yıldız (« Ş.Y.») et Muhyettin Sevinç (« M.S. »), sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1974 et en 1967. Ils sont représentés devant la Cour par Me Selahattin Kaya, avocat à Ankara.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Le 2 janvier 1993, dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale PKK[1], les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans les locaux de la section antiterrorisme de la direction de la sûreté de Diyarbakır.

Le 14 janvier 1993, M.S. signa une déposition détaillée reconnaissant son appartenance au PKK ainsi que sa participation à certains actes de violence au nom de ladite organisation. Le 18 janvier suivant, il déposa devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« le procureur » - « la cour de sureté ») dans le sens de ses aveux faits à la police et participa également à une reconstitution des faits.

Le 19 janvier 1993, Ş.Y. comparut à son tour devant le procureur et nia catégoriquement les accusations. Toutefois, plus tard dans la même journée, il rétracta sa déposition antérieure et fit des aveux quant à son assistance à certains actes de violence au nom du PKK. Il participa lui aussi, à une reconstitution des faits en présence du procureur. Le 26 janvier suivant, il signa une déposition par laquelle il reconnut être un sympathisant du PKK et y avoir porté assistance.

Le 29 janvier 1993, à la fin de leur garde à vue, les requérants comparurent derechef devant le procureur. M.S. nia catégoriquement les accusations affirmant avoir signé sa déposition sous la torture et sans l’avoir lue. Soutenant avoir été menacé par les policiers, il rétracta également ses aveux du 18 janvier et contesta le contenu du procès-verbal de reconstitution des faits effectuée le même jour. Quant à Ş.Y, il rétracta lui aussi sa déposition faite à la police, affirmant avoir été battu.

Le même jour, les requérants furent traduits devant un juge assesseur de la cour de sûreté et réitérèrent leurs dires. Ş.Y. soutint de surplus avoir fait l’objet des menaces par les policiers avant la reconstitution des faits du 19 janvier. Le juge ordonna la mise en détention provisoire des requérants.

A une date non précisée, le procureur mit les requérants ainsi que 49 autres personnes en accusation pour atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat ainsi que pour appartenance et assistance au PKK (articles 125, 168 et 169 de l’ancien code pénal turc). Devant la cour de sureté, les requérants nièrent les accusations.

Le 18 juin 1999, le législateur turc modifia l’article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires des collèges des cours de sûreté de l’Etat.

Le 25 avril 2000, les juges du fond civils déclarèrent les requérants coupables d’infraction à l’article 125 du code pénal et les condamnèrent à la peine capitale, peine qui fut commuée en une réclusion à perpétuité. Pour ce faire, ils considérèrent que l’ensemble des éléments de preuve tels les dépositions, les procès-verbaux d’arrestation, de perquisition, de confrontation et de reconstitution des faits, ainsi que les expertises effectuées dans le cadre du procès, venaient confirmer la version des faits présentée par l’accusation.

Les requérants se pourvurent en cassation, en sollicitant la tenue d’une audience publique.

Le 9 octobre 2001, après avoir tenu une audience, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué dans le chef des requérants.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

A l’époque des faits, l’article 30 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les provinces où l’état d’urgence avait été décrété, ces délais étaient susceptibles d’être prolongés jusqu’à quatre et trente jours respectivement. Par ailleurs, l’article 128 du code de procédure pénale, tel que modifié par ladite loi no 3842, prévoyait que toute personne arrêtée ou dont la garde à vue a été prolongée sur ordre d’un procureur pouvait contester la mesure en question devant le juge d’instance compétent et, le cas échéant, être libérée. Dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, cet article n’était toutefois applicable que dans sa version antérieure aux modifications du 18 novembre 1992, version qui ne prévoyait pas de moyen de recours pour les personnes arrêtées ou maintenues en garde à vue sur ordre du parquet.

Quant à la composition des cours de sûreté de l’Etat, avant la loi du 22 juin 1999, l’article 5 de la loi no 2845 prévoyait que l’un des trois juges siégeant au sein de ces juridictions devait être un juge militaire (pour la législation à l’époque, voir l’arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, §§ 26-29). Après la loi no 4390, entrée en vigueur à la date précitée, aucun magistrat militaire ne siégea dans les juridictions en question, lesquelles furent finalement abolies par la loi no 5190 du 16 juin 2004.

GRIEFS

1. Les requérants soutiennent que le fait d’être jugé d’un crime passible de la peine de mort constitue un traitement inhumain et dégradant et constitue donc une violation de l’article 3 de la Convention.

2. Dénonçant le caractère arbitraire ainsi que de la durée excessive de leur garde à vue de 27 jours, les requérants invoquent encore une violation de l’article 5 §§ 1 et 3. Ils déplorent également l’absence de recours effectif pour faire contrôler la légalité et la durée de cette mesure laquelle ils estiment contraire aux paragraphes 4 et 5 du même article.

3. Les requérants déplorent avoir été jugé par un tribunal qui ne pouvait passer pour indépendant et impartial, selon le critère objectif, en raison de la participation d’un magistrat militaire à la plus grande partie de leur procès ainsi que de la durée excessive de celui-ci. Par ailleurs, ils soutiennent avoir été condamné sur le fondement de leurs aveux extorqués sous la contrainte, en l’absence d’éléments objectifs établissant leur culpabilité. Ils soutiennent encore que la qualification des faits par les deux degrés de juridictions pénales est erronée, que l’élément intentionnel ne se trouve pas établi en l’espèce et se plaignent de l’insuffisance de la motivation des arrêts rendus à leur encontre. A ces égards, ils invoquent une violation de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 a) de la Convention,

Invoquant, en substance, l’article 6 § 3 b) de la Convention, les requérants se plaignent aussi de l’absence de communication de l’avis du procureur général près la Cour de cassation. Ils déplorent aussi, en termes généraux, l’absence de temps nécessaire à la préparation de leur défense.

Enfin sous l’angle de l’article 6 § c), les requérants dénoncent l’absence d’un avocat lors de l’instruction préliminaire.

4. Enfin, en relation avec le second volet du grief exposé au point 2, (absence de recours effectif contre la mesure de garde à vue), les requérants se plaignent d’une violation de l’article 13 de la Convention.

EN DROIT

1. Eu égard aux doléances des requérants soulevées sous l’angle de l’article 3, la Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître de griefs similaires qu’elle a écartés, relativement au fait d’être jugé en Turquie pour une infraction passible de la peine capitale (Haydar Tekin et Çetin Baltaş c. Turquie (déc.), nos 42554/98 et 42581/98, 12 avril 2001 ; voir, également, Çınar c. Turquie, requête no 17864/91, décision de la Commission du 5 septembre 1994, Décisions et rapports, 79-A, pp. 7-10).

En l’espèce, la Cour ne voit aucune raison pour conclure autrement : les requérants qui n’ont exposé aucun élément susceptible de démontrer l’existence à l’époque pertinente d’un risque réel d’exécution des peines capitales en Turquie et qui n’ont finalement pas été condamnés à une telle peine, ne sauraient passer pour avoir risqué d’être exposés au syndrome du « couloir de la mort ».

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

2. S’agissant des griefs des requérants tirés de l’article 5, la Cour relève que la garde à vue litigieuse était conforme à la législation en vigueur à l’époque des faits et que les requérants ne disposaient d’aucune voie de recours effective pour contester ni la durée ni la légalité de leur garde à vue. Partant, le délai de six mois a commencé à courir à partir de l’acte incriminé dans la requête, à savoir la garde à vue litigieuse qui a pris fin le 29 janvier 1993. La requête ayant été introduite le 26 mars 2002, ces griefs sont donc tardifs et doivent être rejetés conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. La Cour constate que le grief formulé sous l’angle de l’article 13 est le même que celui tiré de l’article 5 § 4 qui, d’ailleurs, est considéré comme la lex specialis pour les doléances tardives tirées de l’article 5. En conséquence, elle estime qu’il n’y a pas lieu de l’examiner séparément.

4. En l’état actuel du dossier devant elle, la Cour n’estime pas être en mesure de se prononcer sur la recevabilité des griefs tirés de l’article 6 et juge nécessaire de les porter à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l’article 54 § 2 b) de son Règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs des requérants tirés de l’article 6 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dolle J.-P. Costa
Greffière Président


[1] Partie des travailleurs du Kurdistan