Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
28.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIEME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 31790/02
présentée par Mahmut AVCI
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 28 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 29 juillet 2002,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Mahmut Avcı, est un ressortissant turc, né en 1971. Il est représenté devant la Cour par Mes Ahmet Erkul, Cemal Çoban et Mehmet Şah Onur, avocats à Batman.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1. L’arrestation du requérant

Le 2 octobre 2001 (vers 19 h 00), le requérant se vit approché par des hommes masqués, vêtus en civil qui, sans aucun avertissement, l’allongèrent par terre, lui donnèrent des coups et le menacèrent avec un pistolet, pour enfin le monter dans une véhicule, les yeux bandés. M. Avcı fut ensuite conduit dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de sûreté de Batman (« la direction ») où il fut placé en garde à vue. Il était soupçonné d’appartenance à une organisation illégale, le Hizbullah.

Dès le début de sa détention, les policiers soumirent le requérant à des tortures pour lui extorquer des aveux ; ils le dénudèrent, l’arrosèrent d’eau et lui infligèrent des électrochocs aux parties génitales. Toujours le 2 octobre vers minuit, le requérant fut conduit à l’hôpital civil de Batman pour examen. Le rapport médico-légal établi à cet égard et daté le 3 octobre 2001 est libellé comme suit :

« Il existe des ecchymoses sur la poitrine droite, la face extérieure du bras gauche, les deux épaules et le talon gauche ainsi qu’au niveau du côté gauche du dos, sous le sein gauche et au cou. Il existe également un oedème et une hyperémie sur la lèvre supérieure et à coté de la lèvre inférieure (...) »

Sur le même rapport, le motif de l’examen figure comme étant « le placement [en garde à vue] ».

Après cet examen, le requérant fut reconduit à la direction et de nouveau interrogé sous torture. En sus des méthodes déjà utilisées, le requérant fut menotté, nu, dans un couloir de la direction et, insulté verbalement par les policiers. Il fut également privé de sommeil et de nourriture et boisson.

Le 8 octobre 2001, à la fin des interrogatoires, le requérant fut réexaminé à l’hôpital civil. Le rapport établi le même jour fit état « d’une ecchymose et d’une hyperémie sur le talon gauche et d’une ecchymose sur la face extérieure du bras gauche ».

Vraisemblablement, le procès-verbal d’interrogatoire affirme que le requérant a usé de son droit au silence.

Toujours le 8 octobre 2001, le requérant comparut d’abord devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır ensuite, devant un juge assesseur de cette juridiction lequel ordonna son placement en détention provisoire. Il fut ainsi incarcéré à la maison d’arrêt de Batman.

2. L’enquête pénale sur les allégations de mauvais traitements

Le 26 novembre 2001, par trois lettres adressées respectivement au barreau, à la préfecture et à l’association des droits de l’Homme de Batman, le requérant exposa les conditions de son arrestation et de sa garde à vue. Il soutint notamment avoir été arrêté le 2 octobre et non pas le lendemain comme le rapport médical établi quelques heures après son arrestation puisse laisser entendre. Affirmant avoir répondu à toutes les questions des policiers, le requérant contesta aussi le contenu du procès-verbal d’interrogatoire. Enfin, le requérant se plaignit de « l’occupation » de son domicile par les policiers, pendant la période de sa garde à vue.

Sur ce, le procureur de Batman (« le procureur ») déclencha ex officio une enquête pénale et par une lettre du 29 novembre 2001, enjoignit la direction de lui envoyer copie conforme de la page du registre de garde à vue afférente au requérant.

Le 30 novembre 2001, le procureur entendit le requérant qui réitéra sa version des faits exposée dans la lettre du 26 novembre. Les parties pertinentes de ce témoignage se lisent comme suit :

« (...) J’avais les bras et les jambes attachés pendant les électrochocs. Je pouvais quand même bouger mes pieds vers l’arrière. Par l’effet des chocs et de la souffrance, mon pied frottait le tissu qui se trouvait par terre et ces frottements ont laissé une marque (...) Avant de comparaître devant le procureur, le policier qui m’y a conduit a dit : tu n’a pas fait d’aveu, si tu allègues avoir été torturé ça jouera à ton encontre. Alors je n’ai pas vu l’utilité d’en parler. D’ailleurs, j’avais juste une rougeur au talon, puis de nombreuses blessures. Je les ai montrées au médecin de la prison, il m’a donné des médicaments. Puis, je ne sais pas pourquoi mais je toussais du sang. Le médecin a donné des médicaments pour cela aussi. Je garde encore la marque de la blessure au talon. J’avais les yeux bandés lors des tortures, donc je n’ai pas vu mes tortionnaires, mais je pouvais les entendre. J’avais des bleus sur mes organes génitaux en raison des électrochocs, [mais] je n’ai rien dit ou montré au médecin. Je suis plaintif et je demande à être réexaminé ».

Le même jour, le procureur ordonna l’examen du requérant par le médecin pénitentiaire afin de constater les éventuels traces d’électrochocs sur ses parties génitales ainsi que pour déterminer les raisons susceptibles d’avoir causé la blessure à son talon. Il ordonna également l’envoi, le cas échéant, d’autres rapports médicaux concernant cette blessure.

Le 8 février 2002, faute d’exécution par l’administration pénitentiaire, le parquet réitéra son injonction accompagnée d’une demande ayant trait à l’identification du médecin pénitentiaire en faction le jour du placement en détention provisoire du requérant. Celle-ci fut aussitôt faite.

Le même jour, l’administration pénitentiaire produisit également le rapport médical concernant le requérant et établi 3 décembre 2001, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

« Le détenu Mahmut Avcı fut transféré à notre établissement le 8 octobre 2001. Le même jour, il fut examiné par le médecin [pénitentiaire] qui lui diagnostiqua une infection du système respiratoire supérieur. Par ailleurs, son examen neurophysique ne fit état d’aucune pathologie.

A la demande du parquet, l’intéressé fut réexaminé le 3 décembre 2001. Aucune trace de coup, blessure ou de cicatrice ne fut constatée sur son pénis. Une vieille cicatrice fut constatée sur son talon gauche. Celle-ci peut être la trace d’une blessure causée par l’effet du frottement. »

Le 11 février 2002, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu, en l’absence d’élément dans le rapport du 3 décembre 2001 justifiant les allégations du requérant. Vraisemblablement, les rapports médicaux des 3 et 8 octobre ne furent jamais versés au dossier d’enquête.

Une note apposée sur le document attestant la notification de cette ordonnance au requérant – en prison à l’époque - et daté le 18 février 2002, précise que « L’intéressé a lu le document [de notification] mais a refusé de le signer ».

L’administration pénitentiaire renvoya ledit document au parquet, lequel était accompagné d’une note explicative datée le 12 février 2002.

B. Le droit et la pratique internes

A l’époque des faits, l’article 16 de la loi no 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence exclusive des dites juridictions, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant ledit juge. En cas de délit collectif, en raison du nombre des accusés et de la difficulté de la réunion des preuves et pour des raisons similaires, le procureur pouvait prolonger la durée de la garde à vue jusqu’à quatre jours au terme desquels si l’investigation n’avait pas abouti, celle-ci pouvait être prolongée par le juge, sur demande du procureur, jusqu’à sept jours ou dix jours dans le cas où la personne était arrêtée dans une région soumise à l’état d’urgence.

Par ailleurs, l’article 128 du code de procédure pénale, tel que modifié par la loi no 3842 du 18 novembre 1992, prévoyait que toute personne arrêtée ou dont la garde à vue a été prolongée sur ordre d’un procureur pouvait contester la mesure en question devant le juge d’instance compétent et, le cas échéant, être libérée. Dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, cet article n’était initialement applicable que dans sa version antérieure aux modifications du 18 novembre 1992, version qui ne prévoyait pas de moyen de recours pour les personnes arrêtées ou maintenues en garde à vue sur ordre du parquet. Par la loi no 4229 du 6 mars 1997, cette exception fut abrogée et l’article en question devint également applicable dans la procédure devant ces juridictions.

GRIEFS

1. Le requérant allègue avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, lors de sa garde à vue. A cet égard, il déplore notamment la lenteur de l’enquête pénale engagée contre ses tortionnaires, ayant causé une disparition des preuves. Par ailleurs, il critique l’absence d’un examen médical sérieux dont notamment un ultrason urinaire et du ventre ainsi qu’une scintigraphie osseuse, les seuls examens susceptibles d’établir les traces de torture. A cet égard, il soutient que le rapport établi le 3 décembre 2001 était destiné à abroger les autres rapports médicaux en son faveur, lesquels n’ont d’ailleurs jamais été versés au dossier d’enquête.

2. Alléguant une violation de l’article 5 §§ 1-5 de la Convention, le requérant se plaint de l’irrégularité de son arrestation ainsi que des conditions dans lesquelles celle-ci a eu lieu. Il dénonce également n’avoir pas été informé des raisons de cette mesure ainsi que des accusations portées à son encontre, la durée excessive de sa privation de liberté, l’absence de voie de recours en droit interne pour les violations de ses droits consacrés par les quatre premiers paragraphes de l’article 5.

3. Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le requérant dénonce la perquisition de son domicile en l’absence d’une décision judiciaire ainsi que l’ingérence portée à son droit à la vie privée du fait de « l’occupation » de celui-ci par les policiers en son absence.

4. En connexion avec l’ensemble des griefs ci-dessus, le requérant allègue une violation de l’article 13 de la Convention.

5. Enfin, invoquant une violation de l’article 6 de la Convention, le requérant dénonce la pratique courante de la torture et l’absence d’investigation administrative et pénale approfondie et effective concernant les tortionnaires, dont les siens, renforcées par une politique empêchant l’identification même de ces derniers, la durée légale excessive des gardes à vue ainsi que par la légèreté des sanctions prévues pour les crimes relatifs aux mauvais traitements.

EN DROIT

1. Le requérant dénonce l’irrégularité de son arrestation ainsi que les conditions et les modalités d’exécution de sa garde à vue. A ces égards, il allègue une violation de l’article 5 §§ 1-5 de la Convention.

La Cour relève que la garde à vue litigieuse était conforme à la législation en vigueur à l’époque des faits et que le requérant ne disposait d’aucune voie de recours effective pour contester ni la durée ni la légalité de sa garde à vue (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, §§ 66-72, CEDH 2005...).Partant, le délai de six mois court à partir de l’acte incriminé dans la requête, à savoir la garde à vue du requérant qui a pris fin le 8 octobre 2001, avec son placement en détention provisoire.

La requête introduite le 29 juillet 2002 est donc tardive à cet égard et cette partie doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de la perquisition irrégulière de son domicile ainsi que de l’« occupation » de ce dernier par les policiers.

La Cour note que ce grief n’est ni étayé ni appuyé par un quelconque élément de preuve. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

3. Le requérant allègue une violation de l’article 13 combiné avec ses griefs soulevés sous l’angle des articles 5 et 8 de la Convention.

Au vu de ses conclusions eu égard aux articles en question, la Cour relève que le requérant n’a pas de grief défendable sous l’angle de l’article 13 de la Convention. Elle rejette donc cette partie de la requête comme étant manifestement mal fondée en application des articles 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. S’agissant des doléances formulées par le requérant sur le terrain de l’article 6, la Cour estime qu’elles relèvent du volet procédural de l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle les examinera sous l’angle de ce dernier.

5. En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité du grief tiré de l’article 3 combiné avec l’article 13 de la Convention et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés des articles 3 et 13 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président