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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
23.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 65022/01
présentée par Vasilijs ZAICEVS
contre la Lettonie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 23 novembre en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 décembre 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un « non-citoyen résident permanent » de Lettonie, né en 1955 et résidant à Liepāja (Lettonie). Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme I. Reine.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est président d’une organisation non gouvernementale, intitulée « Aizstāvis » (« Défenseur »), ayant son siège à Liepāja et visant, selon ses statuts, à protéger les droits des retraités, des handicapés, des démunis et d’autres catégories de personnes vulnérables.

Le 20 juillet 2000, Mme Ņ.L., que le requérant estime être l’une de ses clientes, se rendit au tribunal de première instance de Liepāja, afin d’obtenir une copie du procès-verbal de l’audience tenue quelques jours auparavant dans son affaire civile. A la demande de Ņ.L., le requérant consentit à l’accompagner jusqu’au bureau de Mme M.J., la juge ayant examiné l’affaire susmentionnée. Cependant, il ressort du dossier que la juge refusa de leur délivrer le document sollicité et leur ordonna de quitter le bureau.

Immédiatement après le départ du requérant, la juge M.J. dressa un procès-verbal de contravention administrative (administratīvā pārkāpuma protokols). Ce document, écrit entièrement à la main, était ainsi rédigé :

« A Liepāja, le 20 juillet 2000.

A 11 h 30, la juge [M.J.] du tribunal de Liepāja dresse un procès-verbal de contravention administrative au sujet de M. Vasilijs Zaicevs (...), demeurant à Liepāja (...). Il a fait, sans autorisation, une irruption bruyante dans le bureau de la juge, gênant ainsi le travail de celle-ci ; sur un ton offensif, il a demandé des informations qu’il n’était pas autorisé à recevoir, bafouant ainsi les règles [de conduite] dans l’enceinte d’un tribunal et montrant un manque de respect.

Par conséquent, Vasilijs Zaicevs a enfreint l’article 201-39 du code des contraventions administratives.

Le contrevenant ayant quitté les lieux, il [lui] est impossible de fournir des explications. (...) »

Le même jour, la juge M.J. adressa au juge K.S., président par intérim du tribunal, une note explicative ainsi rédigée :

« Le 20 juillet 2000, vers 11 h 30, je travaillais dans mon bureau (...), je préparais un jugement dans une autre affaire ; la porte du bureau s’est alors brusquement ouverte, et Vasilijs Zaicevs et [Ņ.L.] ont fait irruption chez moi sans autorisation.

Bafouant le secret des délibérations, Vasilijs Zaicevs m’a demandé, à voix haute et sur un ton offensif, de faire une copie du procès-verbal de l’affaire de [Ņ.L.] Je lui ai calmement expliqué que copie des procès-verbaux n’était [normalement] pas fournie. Vasilijs Zaicevs s’est mis à crier plus fort, réclamant le respect des droits présumés de [Ņ.L.], brandissant son téléphone portable et menaçant de téléphoner au parquet. Les deux [visiteurs] n’ont pas quitté le bureau jusqu’au moment où je me suis levée et me suis dirigée vers le bureau du greffe, pour appeler un gardien.

Par son comportement, Zaicevs a montré un manque grossier de respect à l’encontre du tribunal, bafouant les règles [de conduite] dans l’enceinte d’un tribunal : non seulement en parlant sur un ton impoli, mais également en proférant des menaces, en pénétrant dans le bureau d’un juge sans autorisation et en violant le secret des délibérations. (...) »

Peu après, une explication écrite similaire fut présentée par une agente du greffe du tribunal, témoin oculaire de l’incident.

Le lendemain, le 21 juillet 2000, le juge K.S. ordonna au greffe de citer le requérant pour le 25 juillet, afin d’examiner la question de savoir s’il était coupable ou non d’outrage au tribunal. Le requérant n’ayant pas comparu à la date et à l’heure fixées, le juge ordonna à la police de le trouver et de l’amener de force. Le lendemain, le 26 juillet 2000, l’agent de police compétent informa K.S. que le requérant était absent de son domicile et qu’il était impossible de le localiser.

Le 2 août 2000, le requérant se rendit lui-même au tribunal de Liepāja, afin de représenter une autre personne déclarée victime dans le cadre d’une affaire pénale. Après l’audience, la greffière du tribunal lui remit une citation (tiesas pavēste) l’invitant à comparaître le 7 août 2000 devant le même tribunal qui examinerait sa contravention administrative. Selon le requérant, c’est à ce moment-là seulement qu’il apprit l’existence d’une accusation portée contre lui. Le requérant se rendit immédiatement chez le juge K.S. et lui demanda l’autorisation d’accéder aux pièces de son dossier et d’en faire des copies, afin de pouvoir préparer sa défense. Cette demande fut rejetée ; le requérant en fit immédiatement mention sur l’acte de citation qu’il rendit à la greffière.

Par une lettre expédiée le lendemain, le 3 août 2003, le requérant se plaignit au parquet près la cour régionale de Kurzeme et au ministre de la Justice du refus du juge K.S. de lui permettre d’accéder au dossier. Il ne reçut aucune réponse.

Le 7 août 2000, le juge K.S. autorisa le requérant à prendre connaissance des pièces de son dossier et à en faire gratuitement des photocopies. Selon les explications du Gouvernement, non démenties par le requérant, ce dossier se composait, au total, de sept documents longs d’une page chacun, à savoir : le procès-verbal de la contravention, les dépositions de l’agente du greffe témoin oculaire de l’incident, les dépositions de la juge M.J., l’ordonnance du juge K.S. enjoignant à la police de localiser et d’amener le requérant de force, le rapport de l’agent de police concerné, ainsi que deux actes de citation du requérant.

Le bien-fondé de l’accusation portée contre le requérant fut examiné le 9 août 2000 par Mme A.P., une autre juge du tribunal de Liepāja. A l’audience, le requérant plaida non coupable du chef de la contravention dont il était accusé ; il contestait notamment l’exposé des faits dressé par la juge M.J. La partie pertinente du procès-verbal de l’audience se lit comme suit :

« (...) A la question du tribunal s’il n’a pas de requêtes particulières concernant l’affaire, V. Zaicevs [répond] : ‘Je vous prie de noter que j’ai pris connaissance des sept feuilles qui se trouvent dans le dossier.

A la question du tribunal s’il a pris connaissance du procès-verbal de contravention administrative, V. Zaicevs [répond] : ‘J’ai lu ces pièces, y compris le procès-verbal de contravention administrative, mais je ne comprends pas pourquoi l’article 238 du c[ode des] c[ontraventions] a[dministratives] a été appliqué. (...) Je demande à en vérifier la légalité en ouvrant une procédure administrative.’ (...) V. Zaicevs répond : ‘Le procès-verbal de [la juge M.J.] porte la date du 20 juillet, mais je ne l’ai vu que le 7 août.

A la question du tribunal s’il a des questions supplémentaires, V. Zaicevs demande la convocation de la juge [M.J.] à l’audience, car elle ne [lui] a pas fourni des copies du procès-verbal [dans l’affaire de Ņ.L.], ce qui était illégal. Le tribunal explique encore une fois la raison pour laquelle cette affaire administrative a été diligentée, et que la juge [M.J.] ne sera pas convoquée puisqu’il ne s’agit pas d’une affaire contre [M.J.] du fait de ne pas avoir fourni le procès-verbal, mais [d’une affaire] diligentée du chef d’outrage au tribunal.

V. Zaicevs [dit] : ‘Je voudrais récuser le tribunal.Le tribunal explique que, conformément au c[ode des] c[ontraventions] a[dministratives], la possibilité de récuser le juge dans cette catégorie d’affaires n’est pas prévue (...) »

Par une ordonnance définitive rendue à l’issue de l’audience du 9 août 2000, la juge A.P. condamna le requérant à trois jours de « détention administrative » (administratīvais arests) pour avoir commis un outrage au tribunal (necieņa pret tiesu), infraction réprimée par l’article 201-39 du code des contraventions administratives. En effet, la juge estima que la culpabilité du requérant était suffisamment prouvée par les explications écrites de M.J. et de l’agente du greffe ayant assisté à l’incident. La direction de la police d’État (Valsts policija) de Liepāja fut chargée de l’exécution de cette ordonnance, devenue effective dès le moment de son prononcé.

Pendant la période allant de l’après-midi du 9 août à l’après-midi du 12 août 2000, le requérant purgea sa peine dans le quartier d’isolement provisoire (īslaicīgās aizturēšanas izolators) du commissariat de police local. Le 17 août 2000, le chef adjoint du commissariat lui délivra une attestation écrite de son séjour dans le quartier d’isolement.

Au cours de la période allant d’août à octobre 2000, le requérant adressa au parquet général plusieurs lettres critiquant la procédure ayant abouti à sa condamnation. Il ne reçut aucune réponse.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le code des contraventions administratives

A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code des contraventions administratives (Administratīvo pārkāpumu kodekss) étaient ainsi libellées :

Article 31, premier alinéa

« Une détention administrative ne peut être prononcée et appliquée que dans des cas exceptionnels relatifs aux types spécifiques de contraventions administratives, et pour une période allant d’un jour à quinze jours. La détention administrative est appliquée par un juge du tribunal [de première instance] de district (ou de ville). »

Article 201-39

« L’outrage au tribunal, se manifestant par le refus du témoin, de la victime, de la partie civile, de [leurs] représentants, du représentant légal, de l’expert, du spécialiste, de l’interprète, du participant à une affaire civile ou d’une autre personne d’obéir aux ordres du président de l’audience, ou par la non-observation de l’ordre lors de l’audience, ou par tout comportement de la personne attestant sa volonté de négliger, d’une manière flagrante, les règles relatives à l’audience ou au tribunal, – est punie de deux-cent cinquante lati d’amende ou d’une détention administrative pour une période allant jusqu’à quinze jours. »

Article 260, premier et deuxième alinéas

« La personne dont la responsabilité [pour une contravention] administrative a été engagée, a le droit de prendre connaissance de toutes les pièces du dossier, et ce, personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat, de fournir ses explications, de formuler des demandes et des requêtes.

La personne dont la responsabilité [pour une contravention] administrative a été engagée, a le droit de participer à l’examen de l’affaire, de recourir à l’assistance d’un avocat, de soumettre des pièces supplémentaires et de formuler des demandes, ainsi que d’attaquer la décision prise dans l’affaire par voie d’un recours. »

Article 271-2

« La peine (...) pour la contravention administrative prévue à l’article 201-39 du présent code peut être appliquée par le juge présidant l’audience par voie d’une ordonnance.

Mention de [cette] contravention administrative, lorsqu’elle a été commise dans la salle d’audience, doit être faite au procès-verbal de l’audience.

Après avoir donné lecture de cette mention, le président de l’audience détermine la personnalité du contrevenant, donne une qualification légale à son infraction, et, ensuite, prononce le contenu de l’ordonnance prise.

Le contenu de l’ordonnance doit être retranscrit au procès-verbal de l’audience ; cette partie du procès-verbal de l’audience est signée par le président de l’audience.

La personne condamnée pour une contravention [prévue à l’article 201-39] a le droit de recevoir, le jour même où la décision [de sa condamnation] a été prise, un extrait de la partie du procès-verbal de l’audience fixant la nature de la contravention (...) et la peine (...) appliquée.

Lorsqu’il est impossible de déterminer, à l’audience, la personnalité du contrevenant, ou lorsqu’il y a d’autres circonstances empêchant de prononcer la peine (...) sur-le-champ dans la salle d’audience, ainsi que dans les cas où l’outrage au tribunal a été commis en dehors de la salle d’audience, le juge ou le président de l’audience, après avoir examiné le dossier, l’envoie au chef de la direction de la police d’État dans le ressort de laquelle la contravention (...) a été commise.

Le procès-verbal est dressé par le juge chargé de l’affaire examinée [en cours d’audience]. L’affaire de la contravention administrative est examinée par le président du tribunal ou par un autre juge. »

Article 279, deuxième alinéa

« L’ordonnance d’un juge du tribunal [de première instance] (...) appliquant une peine pour contravention administrative est définitive et n’est pas susceptible de recours (...), sauf dans les cas prévus par les actes législatifs. »

Article 282

« Le procureur peut former une tierce opposition [protests] contre une décision prise dans une affaire de contravention administrative. »

Article 285

« En examinant la (...) tierce opposition (...), l’autorité compétente vérifie la légalité et le bien-fondé de la décision prise. »

Article 286

« En examinant une (...) tierce opposition (...), l’autorité compétente peut prendre l’une des décisions suivantes :

1) laisser la décision [entreprise] sans modification et rejeter la (...) tierce opposition ;

2) annuler la décision [entreprise] et renvoyer l’affaire pour un nouvel examen ;

3) annuler la décision [entreprise] et classer l’affaire ;

4) modifier la peine dans les limites fixées dans l’acte normatif prévoyant la responsabilité pour la contravention administrative, sans toutefois aggraver la peine.

Lorsqu’il s’avère que la décision a été prise par une autorité qui n’était pas compétente pour examiner l’affaire, une telle décision est annulée et l’affaire est transmise pour examen à l’autorité compétente.

(...) Le procureur se voit notifier le résultat de l’examen de sa tierce opposition. »

Article 287, premier alinéa

« Une ordonnance prise par le juge dans une affaire (...) relevant de l’article (...) 201-39 (...) peut être annulée ou modifiée : par le juge lui-même suite à une tierce opposition du procureur, ou bien, indépendamment de toute tierce opposition (...), par le président de la juridiction supérieure. »

Article 291, deuxième alinéa

« Lorsqu’une (...) tierce opposition a été formée contre une décision portant condamnation à une peine pour contravention administrative, celle-ci doit être exécutée après le rejet de (...) la tierce opposition (...). »

Article 317

« Une ordonnance portant [condamnation à] une détention administrative est exécutée immédiatement après son adoption. »

Article 318

« Les personnes condamnées à une détention administrative sont placées dans des établissements de détention désignés par les autorités de police. Lors de l’exécution d’une ordonnance portant [condamnation à] une détention administrative, une fouille corporelle du détenu est effectuée.

La durée de l’arrestation administrative s’impute sur la durée de la détention administrative.

La détention administrative se déroule selon les modalités définies par la loi. »

2. L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 juin 2002

Par un arrêt du 20 juin 2002, rendu dans l’affaire no 2001-17-0106, la Cour constitutionnelle (Satversmes tiesa) déclara l’article 279, deuxième alinéa, du code des contraventions administratives contraire aux dispositions pertinentes de la Constitution lettonne, à l’article 6 de la Convention et à l’article 2 du Protocole no 7, et l’annula ex nunc. Les parties pertinentes de l’arrêt précité se lisent ainsi :

« (...) 1o (...)

En Lettonie, de même que dans la plupart des États postsocialistes, la procédure administrative – à la différence de la procédure civile et pénale – présente une caractéristique générale selon laquelle la décision du tribunal (du juge) dans une affaire de contravention administrative est définitive et n’est pas susceptible de recours devant une juridiction supérieure. (...)

(...)

6o (...)

Les affaires de contraventions administratives peuvent (...) être regroupées en [trois catégories] : 1) celles qui peuvent être assimilées aux affaires pénales, 2) celles qui peuvent être assimilées aux affaires civiles, 3) celles ne contenant pas de critères d’après lesquels elles pourraient être assimilées à une autre catégorie d’affaires. De cette analyse dépend la réponse à la question si, dans chaque affaire concrète (...), le recours devant une juridiction supérieure est un droit garanti par (...) la Constitution.

(6.1) (...) En analysant les affaires de contraventions administratives régies par le c[ode des ] c[ontraventions] a[dministratives], on voit qu’une partie de celles-ci prévoit, en guise de sanction, une amende ou une détention [de courte durée]. Tant l’amende que la détention revêtent un caractère punitif caractéristique pour la sphère pénale ; par conséquent, ces sanctions correspondent à la sanction pénale. L’objectif de la Convention exige que des sanctions si importantes soient protégées [sic] par l’article 6 de la Convention et par l’article 2 du Protocole no 7.

De même, l’ordre juridique national rattache une partie des affaires de contraventions administratives – par exemple, la conduite en état d’ivresse (...), ainsi que la plupart des infractions contre le milieu naturel –, tant au domaine du droit administratif qu’à celui du droit pénal puisque, si une telle contravention (...) est commise deux fois au cours de la même année, [la personne coupable] encourt la responsabilité pénale. Partant, dans ces cas également, les droits d’une personne punie pour avoir commis une contravention administrative sont protégés par l’article 6 de la Convention et par l’article 2 du Protocole no 7.

Il y a donc lieu de conclure que (...) la Constitution garantit le droit au recours dans les affaires de contraventions administratives, lorsque celles-ci correspondent aux caractéristiques d’une affaire pénale d’après l’un des critères susmentionnés ou d’après un autre critère.

(...)

(6.3) (...) [L]es affaires de nature publique, dans lesquelles priorité est donnée aux intérêts de la société, ne peuvent pas être qualifiées d’affaires civiles, au sens de la Convention. Par exemple, [ce sont] les décisions liées aux impôts, à l’immigration et l’émigration, à la délivrance de visas ou aux droits électoraux. De même, les infractions contre l’ordre juridique (...) qui n’ont pas de caractéristiques du domaine pénal, ne sont couvertes ni par l’article 6 de la Convention ni par l’article 2 du Protocole no 7. Par conséquent, la loi nationale peut définir des catégories d’affaires de contraventions administratives qui ne sont pas susceptibles de recours.

(...) »

GRIEFS

Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant estime avoir été illégalement privé de sa liberté. Il dénonce également l’absence de toute possibilité, pour lui, d’obtenir une réparation du fait de sa détention irrégulière.

Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant critique le caractère prétendument inéquitable de la procédure ayant abouti à sa condamnation. Il se plaint en particulier des retards avec lesquels le juge K.S. a autorisé son accès au dossier, ainsi que du refus de la juge A.P. d’appeler et d’interroger la juge M.J., dont les explications écrites ont pourtant servi de base à sa condamnation. A cet égard, le requérant soutient que le contenu de ces explications et le procès-verbal dressé par M.J. ne correspondaient pas à la vérité, et qu’il a dès lors été condamné à tort. Enfin, le requérant dénonce l’inertie du procureur général ; selon lui, celui-ci aurait dû intervenir et s’opposer à sa condamnation illégale.

Se référant en substance à l’article 2 du Protocole no 7, le requérant se plaint que la décision portant sa condamnation n’étant susceptible d’aucun recours régulier devant une juridiction supérieure.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 5 de la Convention

Le requérant s’estime victime de plusieurs violations de ses droits au titre de l’article 5 de la Convention. Les parties pertinentes de cet article disposent :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

La Cour constate que le requérant a été placé en détention après sa condamnation par un tribunal compétent ; en d’autres termes, sa détention relève de l’article 5 § 1 a) de la Convention. A cet égard, la Cour rappelle que l’article 5 § 1 a) ne distingue pas selon le caractère juridique de l’infraction dont une personne a été déclarée coupable, et qu’il s’applique à toute « condamnation » privative de liberté prononcée par un « tribunal ». La peine de détention appliquée au requérant était sans nul doute régulière au regard du droit letton et avait été infligée selon les voies légales (voir Kadiķis c. Lettonie (no 2) (déc.), no 62393/00, 25 septembre 2003).

Pour ce qui est de l’article 5 § 4, la Cour estime que le contrôle exigé par cette disposition était déjà incorporé dans l’ordonnance de la juge du tribunal de Liepāja du 9 août 2000 (ibidem).

Enfin, quant à l’article 5 § 5, la Cour rappelle qu’il garantit un droit exécutoire à réparation aux seules victimes d’une arrestation ou d’une détention opérée dans des conditions contraires à l’article 5. En d’autres termes, le droit à réparation énoncé à l’article 5 § 5 suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes (1, 2, 3 ou 4) du même article ait été établie par une autorité nationale ou par la Cour (voir, par exemple, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X, et Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, CEDH 2003VI). Or, la Cour vient de constater que la détention du requérant a satisfait aux exigences de l’article 5 §§ 1 et 4. Il n’y a aucune apparence de violation du deuxième paragraphe du même article non plus, le requérant ayant été informé en avance des raisons et de la base légale de sa privation de liberté. Dans ces circonstances, les garanties de l’article 5 § 5 de la Convention ne trouvent pas à s’appliquer (voir la décision Kadiķis (no 2), précitée).

En résumé, cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Griefs tirés de l’article 6 de la Convention

Le requérant se plaint qu’en le condamnant à trois jours de « détention administrative » à l’issue d’une procédure injuste, la juge A.P. du tribunal de Liepāja a violé plusieurs dispositions de l’article 6 de la Convention, ainsi libellés :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

1. Arguments des parties

a) Sur l’applicabilité de l’article 6 de la Convention

Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux faits de la cause. Selon lui, la procédure ayant abouti à la condamnation du requérant ne revêtait ni un aspect « civil », ni un aspect « pénal ». Plus particulièrement, l’ordonnance du 9 août 2000 ne constituait pas une « décision sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant, au sens de l’article 6 § 1.

A cet égard, le Gouvernement renvoie à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle le caractère « pénal » d’un procès s’apprécie selon trois critères alternatifs, à savoir la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature de l’infraction et la nature et le degré de sévérité de la sanction. Or, à la lumière de chacun de ces trois critères, la procédure litigieuse manque clairement de caractère « pénal ».

S’agissant du premier critère, le Gouvernement souligne que l’infraction commise par le requérant constituait une « contravention administrative » (administratīvs pārkāpums), non qualifiée de pénale. En effet, en droit letton, les contraventions administratives, régies par un code séparé, sont bien distinctes des infractions pénales (noziedzīgi nodarījumi).

Pour ce qui est du second critère, le Gouvernement rappelle que l’article 201-39 du code des contraventions administratives ne réprime que les actes d’outrage au tribunal commis par des personnes se trouvant à l’audience ou dans le bâtiment du tribunal et troublant l’ordre interne de cette juridiction. Cet article s’applique donc à un groupe restreint et précisément défini de contrevenants potentiels. Le Gouvernement cite, mutatis mutandis, l’arrêt Demicoli c. Malte (27 août 1991, série A no 210), dans lequel la Cour a tracé une distinction entre une procédure applicable à n’importe quelle personne et « d’autres types de poursuites pour atteinte aux privilèges, que l’on peut dire disciplinaires en ce qu’elles ont trait à l’organisation interne et au bon fonctionnement du Parlement » (loc.cit., pp. 16-17, § 33). Or, en l’occurrence, l’article 201-39 susmentionné a justement trait à l’organisation interne et au bon fonctionnement des tribunaux.

En résumé, invoquant les arrêts Ravnsborg c. Suède (23 mars 1994, série A no 283-B) et Putz c. Autriche (22 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I), le Gouvernement conclut que de telles sanctions imposées d’office par le juge aux parties, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, se rapprochent plutôt de l’exercice de prérogatives disciplinaires et non du domaine des sanctions pénales (loc.cit., p. 30, § 34, et p. 324, § 33, respectivement).

Enfin, quant au troisième critère, relatif à la nature et à la gravité de la peine encourue, le Gouvernement rappelle que la sanction maximale prévue par l’article 201-39 litigieux s’élevait à quinze jours de détention ou à 250 lati d’amende. Or, même si cette disposition prévoit, entre autres, une peine privative de liberté, cela n’implique pas nécessairement une qualification « pénale » sur le terrain de l’article 6 (voir notamment Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, pp. 34-35, § 82, et Ravnsborg, précité, pp. 30-31, § 35). En effet, même une telle peine peut sortir du domaine « pénal » lorsque par sa nature, par sa durée ou par ses modalités d’exécution elle ne saurait causer un préjudice important ; or, la détention de quelques jours infligée au requérant correspond parfaitement à cette formule.

En résumé, le Gouvernement estime que, la sanction litigieuse étant de nature disciplinaire et non pénale, la procédure ayant abouti à la condamnation du requérant ne relevait pas du champ d’application de l’article 6 de la Convention.

Le requérant maintient que sa condamnation relevait du volet « pénal » de l’article 6 § 1. En particulier, il a dû purger sa peine dans les locaux d’un commissariat de police, servant également à détenir les personnes arrêtées dans le cadre d’une procédure pénale. Selon le requérant, ce fait suffit pour démontrer l’applicabilité de l’article 6 dans la présente affaire.

b) Sur l’observation de l’article 6 de la Convention

A supposer que l’article 6 de la Convention s’applique en l’espèce, le Gouvernement fait valoir qu’aucune de ses dispositions pertinentes n’a été violée. S’agissant en premier lieu du droit « d’être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui », au sens du point a) de l’article 6 § 3, le Gouvernement rappelle que la première citation fut envoyée au requérant le 21 juillet 2000, c’est-à-dire le lendemain de l’incident litigieux. La police fit ensuite tous les efforts raisonnablement requis afin de le retrouver et de lui remettre la citation, jusqu’à ce qu’il se présentât lui-même le 2 août 2000. A cette date, on remit au requérant une citation pour le 7 août 2000, mais celui-ci ne présenta alors aucune demande ni objection. L’examen de l’affaire fut finalement reporté au 9 août 2000, et, au matin du 7 août, le requérant put accéder à son dossier et obtenir gratuitement des copies des sept pages qu’il contenait. Par ailleurs, à l’audience du 9 août 2000, il reconnut expressément avoir pris connaissance du dossier.

De même, s’agissant du droit du requérant de « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense », au sens du point b) de l’article 6 § 3, le Gouvernement rappelle qu’à l’audience du 9 août 2000, celui-ci n’a présenté au juge aucune demande d’ajournement du procès ni même une simple objection ; cependant, s’il s’estimait ne pas être en mesure de se défendre, il aurait pu présenter une telle objection ou demande conformément à l’article 260 du code des contraventions administratives. Qui plus est, il ressort clairement du procès-verbal de l’audience (que le requérant n’a jamais contesté) qu’il a expressément déclaré au juge avoir lu le dossier et qu’il a renoncé à toute demande procédurale supplémentaire sur ce point.

Enfin, quant au droit « d’interroger ou faire interroger les témoins à charge », garanti par le point d) de l’article 6 § 3, le Gouvernement considère que, vu la nature spécifique de la procédure litigieuse, cette disposition ne peut pas s’appliquer à la juge M.J. En effet, en dressant un procès-verbal de la contravention réprimée par l’article 201-39 du code des contraventions administratives, un juge agit en sa qualité de magistrat, même si la décision finale est prise plus tard par un autre juge. Selon le Gouvernement, la possibilité de citer et d’interroger le juge auteur du procès-verbal irait manifestement à l’encontre du principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire, aucun magistrat ne pouvant être interrogé sur les motifs de sa décision.

Au demeurant, et dans la mesure où le requérant allègue une violation de son droit à un procès équitable en général, le Gouvernement est d’avis que ce grief est, par son contenu, incorporé dans les griefs spécifiques énumérés et développés ci-dessus.

Le requérant combat les arguments du Gouvernement. S’agissant de son droit « d’être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui », il soutient que la police n’a pas agi avec une diligence suffisante pour le trouver et lui notifier la citation : en effet, l’agent de police concerné est venu chez lui pendant les heures de travail, lorsqu’il ne pouvait pas, par définition, être à la maison. Pour ce qui est du droit de « disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense », le requérant fait valoir que, par analogie avec le règlement sur la procédure des actes administratifs, le délai minimum qui lui devait être accordé était de sept jours.

Enfin, quant au droit « d’interroger ou faire interroger les témoins à charge », le requérant estime que la thèse du Gouvernement relative à l’indépendance du pouvoir judiciaire est dénuée de fondement. En effet, le procès-verbal dressé par la juge M.J. le 20 juin 2000 ne constituait pas une « décision judiciaire », mais reflétait uniquement la version des faits de cette magistrate. En refusant de convoquer et d’interroger M.J., la juge A.P. a enfreint le principe d’égalité des armes.

Pour le reste, le requérant conteste l’exposé des faits de l’ordonnance du 9 août 2000 portant sa condamnation. Selon lui, il ne s’est jamais comporté d’une manière arrogante à l’égard de M.J. ; en d’autres termes, il a été condamné à tort.

2. Appréciation de la Cour

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ces griefs posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ces griefs ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

C. Grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7

Le requérant s’estime également victime d’une violation de son droit à un double degré de juridiction en matière pénale. Ce droit est garanti par l’article 2 du Protocole no 7, ainsi libellé :

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

Le Gouvernement renvoie d’emblée à ses arguments exposés sur le terrain de l’article 6 de la Convention. Selon lui, puisque le volet « pénal » de l’article 6 est inapplicable à la procédure litigieuse, les garanties de l’article 2 du Protocole no 7 ne trouvent pas non plus à s’appliquer.

A supposer toutefois le contraire, le Gouvernement considère que l’ordonnance du 9 août 2000 tombe sous le coup du paragraphe 2 de l’article 2 précité, le requérant ayant été condamné « pour une infraction mineure telle qu’elle est définie par la loi ». A cet égard, le Gouvernement rappelle qu’il s’agit là d’une contravention administrative, non qualifiée de pénale par le législateur letton en raison de son caractère beaucoup moins sévère. Enfin, le Gouvernement renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 juin 2002 (cf. supra, le droit et la pratique internes pertinents) ; toutefois, il estime que cet arrêt n’est pas pertinent dans la présente affaire.

Le requérant maintient que l’impossibilité de faire appel contre l’ordonnance du 9 août 2000 a enfreint l’article 2 du Protocole no 7.

De même que pour les griefs précédents, la Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant tirés de l’article 6 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7 ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président