Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
9.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VEHBİ ÜNAL c. TURQUIE

(Requête no 48264/99)

ARRÊT

STRASBOURG

9 novembre 2006

DÉFINITIF

09/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Vehbi Ünal c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48264/99) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vehbi Ünal a saisi la Cour le 20 avril 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Ladite requête a été complétée par deux autres, introduites les 10 avril et 3 août 2000, et enregistrées sous le numéro de la requête initiale.

2. Le requérant étant décédé le 25 février 2003, son fils, M. Ömer Faruk Ünal, né en 1956, a déclaré désirer poursuivre la procédure. Pour des raisons d’ordre pratique, la Cour continuera à citer M. Vehbi Ünal comme le requérant.

3. Le requérant est représenté par Me M. Deral, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

5. Le 4 juillet 2005, le président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, il a décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Ultérieurement, la requête a été attribuée à la troisième section (articles 25 § 5 et 52 § 1 du règlement).

EN FAIT

6. Le requérant, ressortissant turc, est né en 1931 et décédé en 2003. A l’époque des faits, il était promoteur immobilier.

A. Genèse de l’affaire

7. En 1980, le requérant se chargea de la réalisation d’un projet de 360 appartements pour une coopérative de logement dont les adhérents étaient principalement des juges et des fonctionnaires du ministère de la Justice (S.S. İstanbul Hukukçular ve İdareciler Yapı Kooperatifi, ci-après « la coopérative »).

8. Suite à un litige concernant l’avancement des travaux, la coopérative résilia le contrat. Les parties intentèrent mutuellement des actions devant les tribunaux d’İstanbul, lesquelles se soldèrent par un jugement joint du 3 mars 1993 par lequel le requérant se vit allouer une indemnité majorée d’intérêts moratoires au taux de réescompte de la banque centrale. Le 28 décembre 1993, la 15ème chambre civile de la Cour de cassation confirma ce jugement. Le 28 juin 1994, le recours en révision formé par le requérant fut rejeté.

9. La requête portant sur ces faits a été déclarée irrecevable le 9 septembre 1998 par la Commission européenne des droits de l’Homme (Ünal c. Turquie, requête no 29916/96).

B. Les épisodes litigieux

10. Entre 1985 et 1995, le requérant se chargea de la réalisation d’autres projets immobiliers de grande envergure. Il eut plusieurs différends avec les parties contractantes, à savoir les membres des coopératives de logement, les constructeurs et les fournisseurs. A partir des faits exposés par le requérant, on peut distinguer dans la présente affaire, trois épisodes litigieux, chacun ayant fait l’objet d’une requête séparée mais enregistrée sous un seul numéro, celui de la première :

1. Affaire contre T.C., à l’origine de la requête introduite le 20 avril 1999

11. En 1986, le requérant passa un accord avec T.C., le chargeant de la construction d’un bâtiment en contrepartie de deux appartements. Suite à un litige concernant les étapes de construction, T.C. introduisit un recours à une date inconnue afin de faire enregistrer à son nom les appartements faisant l’objet du contrat. Le 23 décembre 1991, le tribunal de Kadıköy le débouta. La 15ème chambre civile de la Cour de cassation infirma le jugement (date et motif inconnus). Le 9 juillet 1997, le tribunal calcula les dépenses effectuées par les parties pour la construction et octroya deux appartements à T.C.

12. Le 18 mars 1998, ce jugement fut confirmé par la 15ème chambre civile de la Cour de cassation et devint définitif le 25 juin 1998 par le rejet du recours en révision.

2. Affaires contre « la coopérative », requête complémentaire introduite le 10 avril 2000

13. Le 21 février 1991, estimant que le taux d’intérêt appliqué à sa créance dans son affaire contre la coopérative (paragraphes 7 et 8 ci-dessus) était insuffisant par rapport à la moyenne des taux d’intérêts des banques et l’augmentation des cours de devises, le requérant intenta une action pour une réparation supplémentaire selon l’article 105 du code des obligations. Dans les années suivantes, il introduisit quatre nouvelles actions auprès de la même juridiction pour ses « nouvelles pertes supplémentaires », la dernière datant du 15 août 1994.

14. Le 10 octobre 1995, ayant au préalable joint les cinq affaires, le tribunal de commerce de Kadıköy débouta le requérant. Le 15 mai 1996, la Cour de cassation confirma ce jugement.

15. Le requérant forma un recours en révision et récusa la totalité des juges constituant la 15ème chambre civile de la Cour de cassation qui avait rendu l’arrêt en estimant que « la nomination des juges à la Cour de cassation dépend du Conseil supérieur de la magistrature (Hakim ve Savcılar Yüksek Kurulu) et des fonctionnaires du ministère de la Justice dont plusieurs membres ont souscrit à l’achat d’appartements de la coopérative. Le président d’une autre chambre de la Cour de cassation est lui-même membre de cette coopérative, d’autres sont membres du Conseil d’Etat. Toutes ces relations professionnelles suscitent des doutes d’impartialité ».

16. Ainsi, les affaires du requérant devinrent l’objet de grands débats dans les médias.

17. Finalement, à une date inconnue et selon toute vraisemblance en vue de dissiper les doutes quant aux apparences, les juges de la 15ème chambre civile de la Cour de cassation se déportèrent. Le 7 juillet 1997, le président de la 15ème chambre déposa plainte à l’encontre du requérant pour outrage à la magistrature.

18. Il ressort également du dossier que depuis 1989, le requérant a déjà récusé à plusieurs reprises la 15ème chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire principale concernant ce litige (paragraphes 7 - 9 ci dessus), mais ces demandes furent rejetées au motif qu’il n’était pas possible selon la loi sur la Cour de cassation de récuser la totalité des membres d’une chambre de manière à en empêcher son fonctionnement.

19. Par une décision du 29 janvier 1999, le Conseil des présidents de section de la Cour de cassation (Yargıtay Başkanlar Kurulu) attribua cette affaire à la 11ème chambre civile.

20. Le 4 février 2000, la 11ème chambre civile rejeta le recours en révision au motif que la demande de réparation supplémentaire avait déjà fait l’objet du jugement du 3 mars 1993 du tribunal de commerce d’İstanbul (paragraphe 8 ci-dessus).

3. Affaire contre Özbek İnşaat S.A. (Ankara Sitesi), requête complémentaire introduite le 3 août 2000

21. En 1977, le requérant passa un accord avec la société Özbek İnşaat S.A. et se chargea de la construction de plusieurs appartements sur un terrain de 5 000 m2. En 1983, suite à des litiges concernant l’avancement des travaux, les matériaux et les paiements, la société résilia le contrat.

22. Les parties demandèrent mutuellement réparation, paiement et inscription au registre foncier par six différentes requêtes devant les tribunaux d’İstanbul et de Kadıköy. La première de ces requêtes fut introduite le 4 avril 1983 devant le tribunal de grande instance de Kadıköy.

23. Les affaires furent jointes ultérieurement devant le tribunal de grande instance de Kadıköy qui, après de nombreuses expertises et trois cassations par la 15ème chambre civile de la Cour de cassation les 4 juillet 1988, 15 décembre 1994, et 15 avril 1999, décida le 18 novembre 1999 que la société n’avait pas résilié à tort le contrat. Il ordonna ainsi l’inscription de certains appartements au nom du requérant et l’inscription des appartements restant au nom de la société. Il condamna également le requérant à verser à la société des indemnités correspondant au montant des loyers des appartements inscrits à son nom.

24. Les parties se pourvurent à nouveau en cassation. Le requérant récusa cette fois-ci les juges de la 11ème chambre civile au motif qu’ils « allaient certainement protéger leurs collègues comme ils l’avaient fait par leur décision du 4 février 2000 » (paragraphe 20 ci-dessus).

25. Le 18 avril 2000, sa demande de récusation fut rejetée.

26. Le 6 juillet 2000, la 11ème chambre civile confirma le jugement du 18 novembre 1999 du tribunal de grande instance de Kadıköy.

27. La demande en révision formulée par le requérant fut rejetée le 24 novembre 2000.

4. Autres affaires

28. Le requérant cite ici et là, plusieurs poursuites pénales dont il a fait l’objet, pour importation illégale de véhicule (il fut acquitté le 16 mai 1985), chèques sans provisions, escroqueries et faux en écritures (il fut acquitté le 13 novembre 1990), et outrage à la magistrature (le plaignant est le président de la 15ème chambre civile de la Cour de cassation ; acte d’accusation introduit le 3 mars 1998 par le procureur près la cour d’assises d’Ankara, l’issue est inconnue).

GRIEFS

29. Le requérant lie toutes les affaires susmentionnées au litige qu’il a eu avec « la coopérative » et s’estime victime de la « terreur des justiciers ». Il se plaint de l’absence d’impartialité de toutes les instances judiciaires et invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

30. Invoquant le même article, le requérant dénonce également une violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable qu’il évalue à dix-huit ans.

31. Finalement, il se plaint de la violation de son droit au respect de ses biens à cause de l’insuffisance des intérêts moratoires qui lui ont été octroyés dans l’affaire contre « la coopérative » par rapport à la moyenne des taux d’intérêt des banques et l’augmentation des cours de devises, ainsi que de la perte qu’il a subie du fait que les juges partiaux auraient réduit intentionnellement sa créance. Concernant la dernière affaire, il se plaint de « l’insuffisance du nombre d’appartements qui furent inscrits à son nom par rapport à sa créance ». Il évalue son dommage, englobant les trois dossiers susmentionnés, à un montant entre six et sept trillions de livres turques.

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ DES REQUÊTES

A. Les deux premières requêtes

32. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie d’une affaire que « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Elle doit donc déterminer quelle est la date de la « décision interne définitive » afin d’appliquer d’office la règle des six mois (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000I).

33. En ce qui concerne l’affaire mentionnée aux paragraphes 11 - 12 cidessus, la décision interne définitive est celle de la Cour de Cassation du 25 juin 1998. La requête introduite le 20 avril 1999 est en conséquence tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

34. Quant à l’affaire mentionnée aux paragraphes 13 - 20 ci-dessus, la Cour observe que les demandes d’indemnisation supplémentaire du requérant furent rejetées au motif qu’elles avaient déjà fait l’objet du jugement du 3 mars 1993 (paragraphes 7 – 9 ci-dessus).

35. En effet, à cette date, le requérant s’était vu accorder une indemnité majorée d’intérêts moratoires au taux de réescompte de la banque centrale ; ses demandes avaient été rejetées pour le surplus. Le 28 juin 1994 ce jugement acquis force de la chose jugée suite au rejet du recours en révision formé par le requérant.

36. Or, selon la jurisprudence, une procédure ultérieure engagée en vue de mettre en cause la décision ayant acquis force de la chose jugée ne peut pas être prise en compte aux fins du calcul de la date de départ du délai de six mois (Abozzi et Fabbri c. Italie, no 33604/96, décision de la Commission du 16 avril 1998, Décisions et rapports (DR) 93, p. 87). Dans cette hypothèse, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le point de savoir si les faits allégués révèlent l’apparence d’une violation quelconque.

La requête complémentaire, présentée le 10 avril 2000, doit donc elle aussi être rejetée pour non-respect du délai des six mois.

B. La troisième requête

1. Sur l’exception du Gouvernement

37. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable au motif que l’affaire en cause était encore pendante devant les instances nationales à la date de son introduction.

38. La Cour rappelle qu’elle tolère que le dernier échelon des recours internes soit atteint après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité (voir, mutatis mutandis, Ringeisen c. Autriche, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 38, § 91, et E.K. c. Turquie (déc.), no 28496/95, 28 novembre 2000). En conséquence elle rejette l’exception du Gouvernement.

2. Grief tiré de l’impartialité des instances judiciaires

39. Le requérant dénonce le manque d’impartialité des instances judiciaires ayant eu à connaître de sa cause au vu du différend qu’il avait eu avec « la coopérative ».

40. La Cour observe d’emblée que le requérant n’a allégué ni devant les autorités internes ni devant la Cour, un intérêt personnel ou une relation directe entre les juges en question et les adhérents de la coopérative, qui pourrait ainsi mettre objectivement en cause l’impartialité des magistrats. Toutefois, la 15ème chambre civile de la Cour de cassation se déporta, selon toute vraisemblance suite à la pression médiatique et en vue d’éviter des doutes quant aux apparences de manque d’impartialité.

41. S’il est vrai que les relations professionnelles étroites entre les membres de la magistrature pourrait impliquer un risque de partialité de la part de tel ou tel magistrat appelé à jouer un rôle décisif sur les intérêts d’un collègue, la Cour n’aperçoit toutefois en l’espèce aucun élément concret susceptible de laisser planer un doute sur la diligence et la manière avec laquelle les juges se sont acquittés de leurs tâches. Des inquiétudes subjectives, pour compréhensibles qu’elles puissent être, ne constituent pas l’élément déterminant : il échet avant tout d’établir si elles peuvent passer pour objectivement justifiées (voir, mutatis mutandis, Nortier c. Pays-Bas, arrêt du 24 août 1993, série A no 267, § 33, et Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996II, § 46).

42. Le requérant ayant également récusé la 11ème chambre civile saisie de cette affaire au seul motif que ces juges aussi « allaient certainement protéger leurs collègues », la Cour conclut à l’absence d’un élément quelconque appuyant le grief en question.

En conséquence, elle le déclare irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Grief tiré du droit au respect des biens

43. Invoquant l’article 1 du Protocole nº 1, le requérant dénonce « l’insuffisance du nombre d’appartements qui furent inscrits à son nom par rapport à sa créance ».

La Cour relève que cette affaire a fait l’objet d’un examen très détaillée par le tribunal qui a d’ailleurs ordonné de nombreuses expertises, et que le grief concerne donc uniquement l’issue de la procédure (Kemmache c. France (no 3), arrêt du 24 novembre 1994, série A no 296C, § 44). En conséquence, elle déclare irrecevable ce grief pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Grief tiré de la durée de la procédure

44. Le requérant estime que la durée de la procédure n’était pas conforme à la célérité requise par l’article 6 § 1 de la Convention.

45. Le Gouvernement considère que l’héritier du requérant ne dispose d’aucun intérêt légitime suffisant pour justifier la poursuite de l’examen de ce grief. Il renvoie au rapport de la Commission dans l’affaire Kofler c. Italie (requête nº 861/78, rapport de la Commission du 9 octobre 1982, DR 30) par lequel elle a rayé du rôle, contre la volonté des héritiers, la requête portant sur la durée de la procédure pénale entamée contre le requérant, décédé dans l’intervalle.

46. En l’espèce, la Cour est uniquement saisie du grief concernant la durée de la procédure qui a débuté le 4 avril 1983 et pris fin le 6 juillet 2000.

47. La Cour observe que l’affaire Kofler mentionnée par le Gouvernement concerne une procédure pénale. Or, s’agissant des procédures civiles, elle a déjà poursuivi l’examen de griefs concernant la célérité de la procédure au nom des héritiers (voir, par exemple, L. c. Italie, no 12490/86, décision de la Commission du 9 novembre 1990 ; voir aussi X c. France, arrêt du 31 mars 1992, série A no 234C, p. 89, §§ 21 et 26, Pandolfelli et Palumbo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A no 231B, p. 16, § 2, et Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 17, 113, CEDH 2006...).

En l’espèce, la Cour ne décèle aucun motif pour se départir de cette jurisprudence et reconnaît à M. Ömer Faruk Ünal qualité pour se substituer au requérant.

48. Ne relevant par ailleurs aucun motif d’irrecevabilité au sens de l’article 35 de la Convention quant à ce grief, la Cour le déclare recevable.

II. SUR LE FOND

49. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

50. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

51. La période à considérer a débuté le 4 avril 1983 et pris fin le 6 juillet 2000 (paragraphes 22 et 26 ci-dessus).

52. La période à considérer n’a toutefois commencé qu’avec la prise d’effet, le 28 janvier 1987, de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Turquie. Elle s’élève donc à environ treize ans et six mois, pour huit instances.

Cela étant, pour apprécier le caractère raisonnable du délai écoulé à partir de la date de reconnaissance du recours individuel, la Cour tiendra compte du fait que l’affaire avait déjà durée presque quatre ans à cette date.

53. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

54. La Cour ne constate pas que le requérant ait particulièrement manqué de diligence dans la conduite de la procédure. Elle ne peut ignorer la complexité de l’affaire litigieuse, ni perdre de vue que le tribunal de première instance a dû joindre plusieurs affaires liées et recourir à plusieurs expertises. Toutefois, il incombe aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV).

55. Bref, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

57. Le fils du requérant réclame différentes sommes détaillées au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Il fait aussi observer que le montant qui lui sera octroyé sera versé au dossier d’action en pétition d’hérédité, atteignant aujourd’hui environ dix millions de dollars américains.

58. La Cour observe que ces prétentions sont liées au grief tiré de l’article 1 du Protocole nº 1 qui a été déclarée irrecevable. En conséquence, elle rejette ces demandes.

59. S’agissant du dommage moral, le fils du requérant s’en remet à la sagesse de la Cour.

60. Le Gouvernement estime qu’en cas de constatation de violation, cela serait suffisant à titre de réparation morale.

61. La Cour estime que le fils du requérant a subi un tort moral indirect en l’espèce. Statuant en équité, elle lui accorde 9 000 euros (EUR) à ce titre.

B. Frais et dépens

62. Le fils du requérant demande également différentes sommes pour les frais et dépens encourus devant différentes juridictions internes. Il s’en remet à l’appréciation de la Cour pour les frais et dépens encourus devant elle.

63. Le Gouvernement demande le rejet de ces prétentions vu l’absence d’un justificatif quelconque.

64. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).

En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens des procédures nationales.

65. Quant aux frais et dépens encourus devant elle, la Cour, malgré l’absence de justificatifs à cet égard, estime qu’aux fins de la préparation de la présente requête, il était nécessaire d’encourir certains frais. Dès lors, statuant en équité, elle juge raisonnable d’octroyer 1 000 EUR à ce titre.

C. Intérêts moratoires

66. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit que M. Ömer Faruk Ünal a qualité pour se substituer au requérant en tant qu’héritier ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure mentionnée aux paragraphes 2127 ci-dessus et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à M. Ömer Faruk Ünal, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 9 000 EUR (neuf mille euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président