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Rozhodnutí
DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 34808/04
présentée par Kemal ÖZELMALI
contre la Turquie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 21 novembre 2006 en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 30 août 2004,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Kemal Özelmalı, est un ressortissant turc, né en 1964. Il est représenté devant la Cour par Me B. Günyeli, avocat à Adana. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le 22 août 1997, le requérant fut condamné par la cour de sûreté de l’Etat de Malatya, à la réclusion à perpétuité, pour attentat contre l’ordre constitutionnel de l’Etat.
Alors qu’il purgeait sa peine à la prison d’Edirne, il entama une grève de la faim.
Le 12 juin 2001, suite à la dégradation de son état de santé, il fut hospitalisé à l’hôpital civil d’Edirne, qui, par son rapport du 3 juillet 2001, établit une ataxie et difficulté à marcher, liées à une mauvaise nutrition chronique.
Le 5 juillet 2001, il fut transféré devant l’Institut médicolégal, qui, par son rapport du 11 juillet 2001, diagnostiqua le syndrome de Wernicke‑Korsakoff[1] (« S-WK »), chez le requérant et recommanda le sursis à exécution de sa peine pour une durée de six mois.
Le 13 juillet 2001, le procureur de Pendik accorda le sursis, en application de l’article 399 du code de procédure pénale (« CPP »).
Cette mesure fut prolongée à plusieurs reprises suite aux rapports du 7 janvier 2002, 7 août 2002, et 21 avril 2003 de l’Institut.
A une date non précisée, le requérant fut appelé sous les drapeaux. Après s’être fracturé une jambe en septembre 2002, il fut déclaré inapte pour le service militaire en date du 28 avril 2003.
Le 17 décembre 2003, le procureur d’Edirne délivra un mandat d’amener à l’encontre du requérant au motif qu’il ne s’était pas présenté à son examen suivant.
Le 29 décembre 2003, le requérant fut réincarcéré, suite à l’examen médical effectué par le médecin pénitencier.
Du 14 janvier 2004 au 28 novembre 2004, suite à ses demandes, le requérant fut examiné vingt-six fois par le médecin de l’établissement pénitentiaire.
Le 21 avril 2004, il fut mis sous surveillance à l’hôpital des maladies mentales et neurologiques d’Adana, où il demeura jusqu’au 29 avril 2004. Le rapport rendu en conséquence le 30 avril 2004 établit une perte de mémoire partielle et indiqua que l’état de santé du requérant ne constituait pas un obstacle à l’exécution de sa peine.
Plus tard, le requérant fut transféré à l’hôpital des maladies mentales et neurologiques de Bakırköy, où il resta sous surveillance du 6 au 26 avril 2006. Le rapport établi à cette dernière date indique que, bien qu’il existe chez le requérant certaines séquelles de mémoire dues au S-WK, son état de santé est compatible avec les conditions carcérales.
Le requérant se trouve actuellement à la prison d’Adana.
B. Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents
S’agissant des dispositions constitutionnelle et législative quant à la grâce présidentielle pour les condamnés atteint d’une maladie irréversible (article 104 de la Constitution), quant aux conditions de sursis à exécution des peines pour cause de santé (articles 399 et 402 du CPP), la composition et le fonctionnement de l’Institut médicolégal, et les travaux du Conseil de l’Europe en matière de services de santé en milieu pénitentiaire, la Cour renvoie à son arrêt Tekin Yıldız c. Turquie (no 22913/04, §§ 42-52, 10 novembre 2005).
EN DROIT
Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant estime que son état de santé est incompatible avec les conditions carcérales et que sa réincarcération constitue un traitement inhumain et dégradant.
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes en ce que le requérant n’a pas formé opposition à sa réincarcération, selon les voies prévues par le CPP et la loi nº 4675 sur le juge des exécutions. Ensuite, il fait valoir les conditions favorables des prisons et dit que les soins médicaux nécessaires sont administrés à tous les détenus. Si le besoin se manifeste, les intéressés sont transférés à l’hôpital, sinon libérés provisoirement, en application de l’article 399 du CPP, comme cela a été le cas pour le requérant. Il invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
2. Le requérant
Selon le requérant, le S-WK est une maladie incurable. Donc, sa réincarcération constitue en tous les cas une violation de l’article 3.
B. Appréciation de la Cour
Pour les motifs énoncés ci-après, la Cour n’examinera pas l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes.
Elle examinera par ailleurs les griefs du requérants sous l’angle de l’article 3 de la Convention qui se lit comme suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
S’agissant de la jurisprudence en matière de la santé en milieu pénitentiaire eu égard à l’article 3 de la Convention, des mouvements de la grève de la faim dans les prisons turques en 1996 et les années 2000, et la mission d’enquête effectuée par la Cour en septembre 2004 dans le cadre de ce groupe d’affaires, la Cour renvoie à son arrêt Tekin Yıldız, précité, et ses décisions Mutlu c. Turquie (no 37652/04) et Paksoy c. Turquie (no 33901/04), du 17 octobre 2006.
En l’espèce, la Cour estime nécessaire, d’emblée, de confirmer sa jurisprudence, selon laquelle la libération d’un détenu pour cause de santé n’est pas obligatoire (voir parmi d’autres, Matencio c. France, no 58749/00, § 78, 15 janvier 2004) et, ensuite, de préciser que dans le contexte des affaires similaires introduites contre la Turquie – et malgré l’absence de griefs quant aux soins médicaux dispensés lors de la détention – la question de la compatibilité de la réincarcération avec l’article 3 de la Convention s’était posée au vu de la libération provisoire accordée auparavant par les autorités, pour que les intéressées puissent se faire soigner, ou assister, à l’extérieur (voir, par exemple, Kuruçay c. Turquie, no 24040/04, § 49, 10 novembre 2005).
La Cour ne peut accorder une importance décisive aux résultats obtenus suite à la mission d’enquête effectuée pour le premier groupe de ces requêtes, même si cette mission l’avait amenée à dire qu’au vu des circonstances qui régnaient à l’époque, l’Institut, face à plus de deux milles grévistes de la faim, avait préféré – pour des raisons éventuellement humanitaires, ou pour des raisons qui échappent à la Cour – recommander la libération des intéressés sur des symptômes peu fiables (voir par exemple, Balyemez c. Turquie, no 32495/03, § 95, 22 décembre 2005). Ces conclusions ne peuvent en effet lui permettre de dire qu’il en était de même pour le requérant.
Cela dit, rappelant qu’en matière d’administration de la preuve, il lui est loisible, pour forger sa conviction, de se fonder sur des données de toute sorte, pour autant qu’elle les juge pertinentes (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 79, 80, §§ 209 et 210), la Cour gardera à l’esprit ces conclusions.
En l’espèce, la Cour observe que le requérant a tiré profit des dispositions légales et de la pratique en la matière. Il a ainsi été libéré suite au rapport du 5 juillet 2001 de l’Institut recommandant le sursis à exécution de sa peine. Cette mesure fut renouvelée à plusieurs reprises, conformément aux rapports médicaux de l’Institut.
Il a ensuite été réincarcéré, suite au rapport du 29 décembre 2003 du médecin pénitencier.
Vu que les autorités ont réincarcéré le requérant après s’être dûment assuré de la compatibilité de son état de santé avec les conditions carcérales (voir par exemple, Tekin Yıldız, précité, § 84), la Cour ne relève aucune démarche portant préjudice aux droits du requérant, d’autant plus que celui‑ci a fait l’objet d’une surveillance médicale considérable après sa réincarcération (Ahmet Arslan c. Turquie (déc.), no 5114/04, 1er décembre 2005). Aucun des rapports dressés jusqu’au 26 avril 2006 ne contiennent une contre-indication à son maintien en prison.
Par ailleurs, le requérant ne se plaint pas de la nature ou de l’insuffisance des soins médicaux dispensés en milieu pénitentiaire mais se limite à alléguer qu’il n’aurait pas dû être réincarcéré, sans toutefois étayer ses arguments (Ahmet Arslan, précité).
Ainsi, se livrant à une appréciation globale des faits pertinents, et gardant à l’esprit l’assurance que le Gouvernement a donnée de sa pratique, ainsi que des constats de la délégation ayant visité les établissements carcéraux dans le cadre de la mission effectué pour le premier groupe d’affaires, la Cour conclut à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que la réincarcération du requérant ou les conditions de détention de celui-ci, ont constitué en soi, un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention (Balyemez, précité, § 96, et Sinan Eren c. Turquie, no 8062/04, § 50, 10 novembre 2005).
Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président
[1] Selon la littérature médicale, cette maladie, qu’on retrouve principalement chez les alcooliques chroniques et les mal nourris, consiste en une combinaison du syndrome de Korsakoff, qui provoque la confusion, l’aphonie et l’affabulation, et d’encéphalopathie de Wernicke, qui entraîne une paralysie des yeux, un nystagmus, le coma, voire la mort, si le patient n’est pas dûment traité. Cet état est considéré comme résultant, en principe, d’une carence chronique en thiamine, substance qui participe au métabolisme du glucose, étant entendu qu’en cas de pareille carence toute activité qui nécessite la métabolisation du glucose peut entraîner la maladie de Wernicke-Korsakoff. Le traitement le plus courant consiste à injecter de la thiamine par intraveineuse ou intramusculaire pour ralentir la maladie, puis un traitement à long terme, à base de pastilles orales, pour le rétablissement.