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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
21.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 30472/04
présentée par Ersin EROĞLU
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 21 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 17 août 2004,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Ersin Eroğlu, est un ressortissant turc, né en 1977. Il est représenté devant la Cour par Me G. Altay, avocate à İstanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

En 1999, le procureur près la cour de sûreté de l’État d’Ankara introduisit un acte d’accusation à l’encontre du requérant pour appartenance à une organisation illégale. Le requérant fut placé en détention provisoire.

En 2000 et 2001, le requérant entama une grève de la faim de longue durée. Il refusa les traitements de l’infirmerie de l’établissement pénitentiaire. Il utilisa des vitamines jusqu’au 11 février 2001, où il déclara par écrit ne plus vouloir en utiliser. Il fut hospitalisé à plusieurs reprises mais il refusa toute intervention.

Le 14 avril 2001 il fut transféré à l’hôpital civil d’Ankara où il y demeura jusqu’au 17 juillet 2001. A cette dernière date, les services concernés diagnostiquèrent « une démence métabolique ou la maladie de Wernicke Korsakoff[1] » chez le requérant et recommandèrent qu’il soit libéré pour six mois, sinon transféré devant l’Institut médicolégal pour réexamen.

Le 6 août 2001, le requérant fut mis en liberté conformément à ce rapport.

En 2003, la cour d’assises de Tokat délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant pour combats armés avec les forces de l’ordre, homicide et vol avec violence, commis entre mai et août 2002.

Le 18 juin 2003, le requérant fut arrêté à Tokat. Le 21 juin 2003, il fut mis en détention provisoire. Ce deuxième dossier pénal fut transmis ultérieurement à la 11ème chambre de la cour d’assises d’Ankara.

Le requérant entama à nouveau une grève de la faim. En 2003 et 2004, il fut hospitalisé à plusieurs reprises aux hôpitaux civils de Tokat, Ankara, Kırşehir et Bayrampaşa. Il refusa plusieurs fois les soins.

Par la loi du 30 juin 2004, les cours de sûreté de l’Etat furent abolies et les cours d’assises devinrent compétentes s’agissant des procédures qui se déroulaient devant celles-ci. Ainsi, la 14ème chambre de la cour d’assises d’Ankara repris l’examen de la première procédure pénale susmentionnée.

Le 18 mai 2004, la 11ème chambre de la cour d’assises d’Ankara ordonna la surveillance médicale du requérant afin d’établir sa capacité physique et mentale.

Le requérant fut examiné par « la chambre de surveillance » (Gözlem İhtisas Dairesi) de l’Institut médicolégal du 2 au 18 juin 2004. Le rapport établi en conséquence à cette dernière date diagnostique le syndrome de Wernicke-Korsakoff (« S-WK ») et conclut à l’absence de la capacité pénale du requérant pour les actes commis entre août 2001 et le 18 juin 2003, date de sa deuxième arrestation.

La 11ème chambre de la cour d’assises saisit toutefois la chambre plénière de l’Institut.

Les 6 et 31 août 2005, le requérant fut réexaminé par la chambre plénière de l’Institut médicolégal (Adli Tıp Kurumu Genel Kurulu). Le rapport rendu en conséquence le 17 octobre 2005 diagnostique « un syndrome organique et chronique du cerveau » et entérine la conclusion précédente quant à la responsabilité pénale.

Par un arrêt du 14 décembre 2005, la 11ème chambre de la cour d’assises d’Ankara rendit un non-lieu quant au requérant au vu de son incapacité pénale et ordonna son placement dans un asile d’aliénés, sous la supervision de l’Institut médicolégal. Elle précisa qu’elle examinera la libération définitive du requérant de cet établissement lorsque les comités médicaux auront rendu un rapport établissant qu’il ne constitue plus un danger public.

Le requérant ne fut toutefois pas immédiatement transféré vers l’asile d’aliénés car il se trouvait toujours en détention provisoire dans le cadre de la première poursuite pénale.

Le 12 avril 2006, la 14ème chambre de la cour d’assises rejeta la demande de libération du requérant notamment au vu du risque de fuite.

Dans l’intervalle, le requérant fut à nouveau examiné par l’Institut. Le résultat de cet examen est inconnu de la Cour.

Le 12 mai 2006, la 14ème chambre de la cour d’assises ordonna la libération du requérant, s’agissant de la procédure qui se déroulait devant elle, au vu de la durée qu’il avait passée en détention provisoire et au vu des dispositions du nouveau code pénal et la loi sur l’exécution des peines et des mesures de sécurité, entrés en vigueur le 1er juin 2005. Elle se référa toutefois à l’arrêt susmentionné de la 11ème chambre de la cour d’assises et ordonna le transfèrement du requérant vers l’asile d’aliénés pour l’exécution de cet arrêt. Celui-ci fut transféré à l’hôpital des maladies mentales et neurologiques de Bakırköy, où il s’y trouve actuellement.

B. Le droit et la pratique internes et internationaux pertinents

S’agissant des dispositions constitutionnelle et législative quant à la grâce présidentielle pour les condamnés atteint d’une maladie irréversible (article 104 de la Constitution), quant aux conditions de sursis à exécution des peines pour cause de santé (articles 399 et 402 du code de procédure pénale (« CPP »)), la composition et le fonctionnement de l’Institut médicolégal, et les travaux du Conseil de l’Europe en matière de services de santé en milieu pénitentiaire, la Cour renvoie à son arrêt Tekin Yıldız c. Turquie (no 22913/04, §§ 42-52, 10 novembre 2005).

EN DROIT

Le requérant fait valoir la maladie dont il est atteint et soutient que son incarcération du 21 juin 2003 au 12 mai 2006 a emporté violation des articles 3 et 5 de la Convention.

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes en ce que le requérant n’a pas formé opposition à sa réincarcération selon les voies prévues par le CPP. En deuxième lieu, il estime que la requête est tardive car elle aurait dû être introduite dans les six mois suivants la réincarcération. Finalement, il fait valoir les conditions favorables des prisons et dit que les soins médicaux nécessaires sont administrés à tous les détenus. Si le besoin se manifeste, les intéressés sont transférés à l’hôpital, sinon libérés provisoirement, comme cela a été le cas pour le requérant. Il invite ainsi la Cour à déclarer la requête irrecevable.

2. Le requérant

Selon le requérant, le S-WK est une maladie incurable. Donc, sa réincarcération a constitué en tous les cas une violation des articles 3 et 5 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

Pour les motifs énoncés ci-après, la Cour n’examinera pas les exceptions préliminaires du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes et du non respect du délai de six mois.

Elle examinera par ailleurs les griefs du requérant sous l’angle de l’article 3 de la Convention, qui se lit comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

S’agissant de la jurisprudence en matière de la santé en milieu pénitentiaire eu égard à l’article 3 de la Convention, des mouvements de la grève de la faim dans les prisons turques en 1996 et les années 2000, et la mission d’enquête effectuée par la Cour en septembre 2004 dans le cadre de ce groupe d’affaires, la Cour renvoie à son arrêt Tekin Yıldız, précité, et ses décisions Mutlu c. Turquie (no 37652/04), et Paksoy c. Turquie (no 33901/04), du 17 octobre 2006.

La Cour estime nécessaire, d’emblée, de confirmer sa jurisprudence, selon laquelle la libération d’un détenu pour cause de santé n’est pas obligatoire (voir parmi d’autres, Matencio c. France, no 58749/00, § 78, 15 janvier 2004) et, ensuite, de préciser que dans le contexte des affaires similaires introduites contre la Turquie – et malgré l’absence de griefs quant aux soins médicaux dispensés lors de la détention – la question de la compatibilité de la réincarcération avec l’article 3 de la Convention s’était posée au vu de la libération provisoire accordée auparavant par les autorités, pour que les intéressés puissent se faire soigner, ou assister, à l’extérieur (voir, par exemple, Kuruçay c. Turquie, no 24040/04, § 49, 10 novembre 2005).

La Cour ne peut accorder une importance décisive aux résultats obtenus suite à la mission d’enquête effectuée pour le premier groupe de ces requêtes, même si cette mission l’avait amenée à dire qu’au vu des circonstances qui régnaient à l’époque, l’Institut, face à plus de deux mille grévistes de la faim, avait préféré – pour des raisons éventuellement humanitaires, ou pour des raisons qui échappent à la Cour – recommander la libération des intéressés sur des symptômes peu fiables (voir par exemple, Balyemez c. Turquie, no 32495/03, § 95, 22 décembre 2005). Ces conclusions ne peuvent en effet lui permettre de dire qu’il en était de même pour le requérant.

Cela dit, rappelant qu’en matière d’administration de la preuve, il lui est loisible, pour forger sa conviction, de se fonder sur des données de toute sorte, pour autant qu’elle les juge pertinentes (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 79, 80, §§ 209 et 210), la Cour gardera à l’esprit ces conclusions.

Elle observe qu’en l’espèce, le 17 juillet 2001, l’hôpital civil d’Ankara recommanda la libération du requérant pour six mois, ce qui lui fut accordé par les instances judiciaires. Le requérant a ainsi tiré profit des moyens internes à ce propos.

Plus tard, le 18 juin 2003, le requérant fut arrêté pour des actes perpétrés en 2002. A partir de cette date, le requérant fit l’objet de différentes procédures juridiques. Quoi qu’il en soit, il bénéficia d’un suivi médical rigoureux pendant cette période et fut finalement placé dans un asile d’aliénés.

S’agissant de l’opportunité de maintenir une personne en détention provisoire, en l’occurrence du 21 juin 2003 au 12 mai 2006, la Cour ne peut substituer son point de vue à celui des juridictions internes (Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, 15 janvier 2004, § 44, et Reggiani Martinelli c. Italie (déc.), no 22682/02, 16 juin 2005) d’autant plus quand les autorités nationales ont satisfait, en général, à leur obligation de protéger l’intégrité physique du requérant, notamment par l’administration des soins médicaux appropriés (ibidem). Le requérant ne se plaint d’ailleurs pas de la nature ou de l’insuffisance des soins médicaux en question mais se limite à alléguer qu’il aurait dû être mis en liberté, sans toutefois étayer ses arguments (Ahmet Arslan c. Turquie (déc.), no 5114/04, 1er décembre 2005).

Ainsi, se livrant à une appréciation globale des faits pertinents, et gardant à l’esprit l’assurance que le Gouvernement a donnée de sa pratique, ainsi que des constats de la délégation ayant visité les établissements carcéraux dans le cadre de la mission effectué pour le premier groupe d’affaires, la Cour conclut à l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que la réincarcération du requérant ou les conditions de détention de celui-ci ont constitué en soi, un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention (Balyemez, précité, § 96, et Sinan Eren c. Turquie, no 8062/04, § 50, 10 novembre 2005).

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime également qu’il y a lieu de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président


[1] Selon la littérature médicale, cette maladie, qu’on retrouve principalement chez les alcooliques chroniques et les mal nourris, consiste en une combinaison du syndrome de Korsakoff, qui provoque la confusion, l’aphonie et l’affabulation, et d’encéphalopathie de Wernicke, qui entraîne une paralysie des yeux, un nystagmus, le coma, voire la mort, si le patient n’est pas dûment traité. Cet état est considéré comme résultant, en principe, d’une carence chronique en thiamine, substance qui participe au métabolisme du glucose, étant entendu qu’en cas de pareille carence toute activité qui nécessite la métabolisation du glucose peut entraîner la maladie de Wernicke-Korsakoff. Le traitement le plus courant consiste à injecter de la thiamine par intraveineuse ou intramusculaire pour ralentir la maladie, puis un traitement à long terme, à base de pastilles orales, pour le rétablissement.