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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SEKUŁOWICZ c. POLOGNE

(Requête no 64249/01)

ARRÊT

STRASBOURG

7 novembre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Sekułowicz c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64249/01) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Zygmunt Sekułowicz (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mars 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 11 novembre 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1924 et réside à Kraków.

5. Entre 1972 et 1976, des travaux de construction furent conduits par deux coopératives de logement et par la direction municipale des investissements (Dyrekcja Inwestycji Miejskich) à proximité de la parcelle constituant la propriété du requérant. Le voisinage du chantier provoqua de nombreux dommages à la propriété de l’intéressé, notamment des dégâts touchant à la construction de sa maison (fissures aux murs et au plafond).

6. En 1981, l’intéressé reçut de l’organe municipal compétent (Dyrekcja Rozwoju Miasta Krakowa) un dédommagement pour les préjudices subis entre 1972 et 1978.

7. Le 16 août 1992, le requérant engagea une action en indemnisation devant le tribunal régional à l’encontre des coopératives du logement, pour les dommages apparus après 1978.

8. Une audience se tint le 13 novembre 1992.

9. Le 27 janvier 1993, la direction municipale des investissements (Dyrekcja Inwestycji Miejskich) se joignit à la procédure.

10. L’audience fixée au 27 janvier 1993 fut reportée en raison de l’absence des défendeurs. Il en fut de même le 2 avril 1993.

11. Une audience se tint le 4 juin 1993.

12. Le 5 juillet 1993, l’un des défendeurs informa le tribunal qu’il ne pouvait plus se prévaloir de la qualité de partie au litige. Lors de l’audience, le tribunal somma également le requérant de lui fournir l’adresse d’un autre défendeur. Toutefois, l’intéressé omit de le faire.

13. Le 17 janvier 1994, le tribunal somma le requérant de combler les lacunes dans son action et notamment de préciser l’objet du litige. Le 15 mars 1994, ce dernier présenta la demande partiellement complétée. Le 7 décembre 1994, l’intéressé combla toutes les omissions dans sa demande.

14. Une audience se tint le 16 décembre 1994. Lors de cette dernière, le tribunal somma le requérant de préciser le montant du dédommagement souhaité. Il le fit le 12 janvier 1995.

15. L’audience fixée au 17 mars 1995, ne put avoir lieu à cause de l’absence du représentant de la partie adverse au litige. Il en fut de même le 5 décembre 1995. Le même jour, le requérant demanda au tribunal la désignation d’un expert-géomètre.

16. Le 5 décembre 1995, le requérant demanda au juge l’adoption d’une mesure conservatoire concernant l’objet de son action. Le tribunal rejeta cette demande. L’intéressé interjeta appel. Le dossier fut ensuite transmis devant la cour d’appel qui, le 11 mars 1996, rejeta son appel.

17. Le 4 avril 1996, le tribunal régional désigna un expert pour présenter une opinion. L’expert présenta ses conclusions le 18 juin 1996.

18. Lors de l’audience du 13 novembre 1996, l’expert ne se présenta pas. Le tribunal infligea à celui-ci une amende.

19. L’audience suivante se tint le 24 janvier 1997. Le requérant engagea une action tendant à constater la partialité de l’expert qui fut rejetée par le tribunal. L’expert présenta ses conclusions. Le tribunal somma également le requérant de lui délivrer certains documents dans un délai de 14 jours. Le requérant ne le fit pas mais le 5 février 1997, il informa le tribunal que les documents en question se trouvaient en possession d’une entreprise. Le 25 mars 1997, l’entreprise en question informa le tribunal qu’elle ne disposait pas des documents demandés. Le tribunal décida alors d’obtenir les informations nécessaires de la part de l’organe compétent en matière de géométrie (Geolog Wojewódzki). Le 10 mai 1997, l’organe en question fournit au tribunal les informations demandées.

20. Le 12 juin 1997, le tribunal régional rejeta l’action du requérant pour prescription, décision qui fut confirmée en appel le 3 octobre 1997 par la cour d’appel. Le 13 novembre 1998, la Cour suprême rejeta le pourvoi en cassation de l’intéressé.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

21. L’article 417 § 1 du code civil se lit ainsi :

« Le Trésor public est responsable des dommages résultant des actes d’un fonctionnaire de l’Etat ».

22. L’article 16 de la loi de 17 juin 2004, qui est entrée en vigueur le 17 septembre 2004 (ci-dessous « la loi de 2004 »), et qui introduit dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive d’une procédure judiciaire (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki), stipule :

« Une partie qui n’a pas déposé plainte pour retard excessif de procédure conformément à l’article 5 § 1 peut demander – au titre de l’article 417 du Code civil – une réparation pour les dommages ayant résulté du retard excessif, une fois terminée la procédure sur le fond.»

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

23. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

24. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

25. La période à considérer n’a commencé qu’avec la prise d’effet, le 1er mai 1993 de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Pologne. Toutefois, pour apprécier le caractère raisonnable des délais écoulés à partir de cette date, il faut tenir compte de l’état où l’affaire se trouvait alors (la procédure a débutée le 16 août 1992).

La période en question s’est terminée le 13 novembre 1998. La procédure a donc duré cinq ans et six mois pour trois instances.

A. Sur la recevabilité

26. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire, soutenant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il estime en premier lieu que le requérant aurait du faire usage de l’article 417 du code civil, disposition qui permet d’obtenir réparation pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.

27. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considérée comme telle (Skawińska c. Pologne (déc.), no 42096/98, 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, § 32, 14 octobre 2003 et, récemment, Barszcz c. Pologne, no 71152/01, § 42, 30 mai 2006). Le Gouvernement ne présente aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante ; il convient en conséquence de rejeter cet argument.

28. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que le requérant aurait dû faire usage de l’article 16 de la loi de 2004 (paragraphe 26 ci-dessus ), qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.

29. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée également sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004, combiné avec l’article 417 du code civil, constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.

30. Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, le délai de prescription de l’action de l’article 417 (Krasuski c. Pologne, no 61444/00, § 72, 14 juin 2005).

31. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (Ratajczyk c. Pologne (déc.), no 11215/02, 31 mai 2005).

32. En l’occurrence, la procédure s’est terminée le 13 novembre 1998, donc plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, le requérant ne disposait pas d’une voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.

33. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée, mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement, les deux événements ne se produisent pas à la même date.

34. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz (précité, § 43) et a été rejetée. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.

35. La Cour constate enfin que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

36. Le Gouvernement considère que l’affaire était complexe tant en ce qui concerne l’établissement des faits (certains datant des années 70) que du point de vue juridique. Il met accent sur le fait que l’examen de l’affaire nécessitait la présentation de l’opinion d’un expert, et la préparation de celle-ci lui a pris deux mois. Il souligne également les difficultés rencontrées par le tribunal quant à l’obtention de certains documents indispensables pour examiner l’affaire et à l’identification des défendeurs.

37. Le requérant ne se prononce pas sur la question.

38. Le Gouvernement estime que le requérant a contribué à prolonger la procédure, en omettant de présenter des preuves ou de soumettre des demandes de preuve au tribunal avec la célérité requise. Il souligne également que l’intéressé était obligé de combler des vices de forme de son action à plusieurs reprises.

39. Le requérant combat les arguments du Gouvernement.

40. Le Gouvernement estime que les autorités ont apporté à l’affaire toute la diligence nécessaire. Il ne relève aucune période d’inactivité et rappelle qu’elles ont pris les mesures nécessaires pour accélérer la procédure et obtenir les expertises dans les meilleurs délais (paragraphe 18 ci-dessus).

41. Le requérant estime que les tribunaux n’ont pas apporté à l’affaire la diligence nécessaire.

42. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

43. La Cour observe que l’affaire ne présentait pas de difficulté particulière. Toutefois, l’opinion d’un expert et les informations spécifiques relevant du domaine de la géométrie se sont révélées indispensables en l’espèce.

44. La Cour constate que le requérant a contribué à la durée de la procédure, puisqu’il a introduit sa demande de façon incomplète, sans préciser ni l’objet du litige ni le montant de dédommagement souhaité. Le requérant avait comblé seulement partiellement les lacunes de sa demande deux mois après la décision du tribunal l’invitant à le faire. Neuf mois plus tard l’intéressé combla toutes les omissions dans sa demande. Plus tard, il a été également sommé de préciser le montant du dédommagement souhaité ce qui lui a pris environ un mois. (paragraphe 13 ci-dessus).

En outre, le requérant, a omis de délivrer certains documents malgré le fait que le tribunal lui avait fixé une date limite pour le faire. Le requérant a ensuite informé le tribunal que les documents en cause étaient en possession d’une entreprise, ce qui s’est avéré faux en réalité. Finalement, le tribunal a sollicité l’organe compétent en matière de géométrie (Geolog Wojewódzki) à transmettre les informations nécessaires et il les a obtenues environ 5 mois après (paragraphe 19 ci-dessus).

45. En ce qui concerne le comportement des autorités judiciaires, la Cour note qu’aucune période d’inactivité significative dans la présente affaire n’est à relever, les audiences sur le fond de l’affaire ayant été fixées à des intervalles réguliers. Elle souligne que plusieurs audiences fixées ont dû être ajournées pour des raisons objectivement justifiées. Par conséquent, le retard provoqué par ces ajournements ne saurait être imputé aux autorités judiciaires. De surcroît, seuls des retards imputables à l’Etat peuvent amener la Cour à conclure à l’inobservation du délai raisonnable (Proszak c. Pologne, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VIII, p.2774, § 40). De surcroît, la Cour note que les autorités ont pris les mesures nécessaires pour accélérer la procédure et obtenir les expertises ainsi que les documents nécessaires dans les meilleurs délais (paragraphes 18 et 19 ci-dessus).

46. En conclusion, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, et particulièrement à la conduite du requérant qui est le seul responsable du prolongement de la procédure pendant environ un an et cinq mois, la Cour considère que la durée litigieuse, vue dans son ensemble, ne saurait passer pour déraisonnable.

Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION

47. Le requérant se plaint également de ce que la longueur de la procédure litigieuse a porté atteinte au droit au respect de ses biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1.

48. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

49. Eu égard au constat relatif à l’article 6 § 1 (paragraphe 46 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 1 du Protocole nº 1 (Zanghì c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A no 194-C, p. 47, § 23).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président