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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SERIFIS c. GRÈCE

(Requête no 27695/03)

ARRÊT

STRASBOURG

2 novembre 2006

DÉFINITIF

02/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Serifis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27695/03) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Pavlos Serifis (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me I. Stamoulis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme M. Papida, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant se plaignait notamment, sous l’angle des articles 3 et 5 § 4 de la Convention, de la façon dont les autorités étatiques avaient fait face à ses problèmes de santé lors de son maintien en détention, ainsi que du rejet de sa demande de comparution devant la chambre d’accusation par l’ordonnance no 1885/2003.

4. Par une décision du 8 septembre 2005, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1956 et réside à Athènes. Victime d’un accident de la route en 1980, il souffre depuis d’une paralysie de la main gauche. En 1996, il fut atteint de la sclérose en plaques, une maladie inflammatoire évolutive touchant le cerveau et la moelle épinière, occasionnant plusieurs troubles (neurologiques, moteurs, de l’équilibre, visuels, etc.) et nécessitant une prise en charge multidisciplinaire (traitements de fond, symptomatiques, rééducation, etc.).

7. Le 24 juillet 2002, le requérant fut arrêté par la police et placé en détention provisoire. Il était soupçonné d’appartenir à l’organisation terroriste « 17 Novembre » qui, entre sa création en 1975 et son démantèlement au début de l’été 2002, perpétra plusieurs actes criminels. Le requérant fut détenu avec d’autres membres présumés de l’organisation dans des cellules spécialement aménagées de la prison de Korydallos. Il s’agissait de nouvelles installations, construites en 2002. Le requérant occupait seul une cellule de 12 m², disposant d’un espace interne séparé avec toilettes et douche.

A. La procédure devant les chambres d’accusation

8. Le 9 décembre 2002, le requérant demanda sa libération conditionnelle. Il affirmait notamment qu’il souffrait d’une sclérose en plaques et qu’il devait être soigné dans un hôpital neurologique. Il demanda en outre à la chambre d’accusation de l’autoriser à comparaître devant elle afin de défendre sa cause. Ces demandes furent rejetées le 6 février 2003. La chambre d’accusation près la cour d’appel d’Athènes estima en particulier que le requérant était une personne particulièrement dangereuse, soupçonnée d’appartenir à un groupe terroriste et qu’il existait un risque de fuite. Elle ajouta que le requérant pouvait être soigné à l’hôpital de la prison (ordonnance no 300/2003).

9. Le 23 juin 2003, le requérant demanda à la chambre d’accusation, qui devait se réunir le lendemain pour décider de son maintien en détention provisoire, de l’autoriser à comparaître devant elle pour défendre sa cause et de le placer sous contrôle judiciaire. Il invoquait à cet égard un rapport médical établi le 19 juin 2003 par le directeur adjoint de la clinique neurologique de l’hôpital général régional « Georgios Gennimatas », qui l’avait ausculté en prison et qui attestait que le malade avait rechuté et préconisait son traitement en milieu hospitalier.

10. Le 11 juillet 2003, la chambre d’accusation prolongea la détention provisoire du requérant pour une période supplémentaire de six mois afin de prévenir le renouvellement de ses agissements criminels et de s’assurer de sa représentation en justice. La chambre d’accusation sursit à statuer sur les demandes déposées par le requérant jusqu’à ce que le procureur dépose ses conclusions à cet égard (ordonnance no 1554/2003). Le 18 juillet 2003, ce dernier invita la chambre d’accusation à rejeter la demande de comparution du requérant au motif que celui-ci avait déjà suffisamment développé et étayé ses arguments par écrit. Il invita en outre la chambre d’accusation à rejeter la demande de libération conditionnelle de l’intéressé. Le 30 juillet 2003, la chambre d’accusation entérina les conclusions du procureur (ordonnance no 1885/2003).

B. La procédure de jugement

11. Le 17 décembre 2003, la cour d’assises d’Athènes déclara le requérant coupable pour avoir été membre d’une organisation criminelle et le condamna à huit ans de réclusion criminelle. Le tribunal décida en outre que l’appel n’aurait pas d’effet suspensif (jugement no 3244-3395/2003).

12. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Le procès devant la cour d’appel d’Athènes débuta le 2 décembre 2005 et est actuellement en cours.

C. Le suivi médical du requérant

13. Les 24 février 2003, le requérant passa une IRM (imagerie par résonance magnétique) à l’hôpital « Georgios Gennimatas ». Le 8 mars 2003, le neurologue auprès du même hôpital, qui le suivait depuis plusieurs années, attesta que les lésions du système nerveux s’étaient étendues et préconisa un traitement.

14. Les 19 juin et 9 décembre 2003, à la demande du requérant, l’hôpital « Georgios Gennimatas » lui délivra deux certificats, attestant qu’il souffrait d’une sclérose en plaques, qu’il devait suivre un traitement spécifique, à défaut duquel il risquait une aggravation sévère de son état, et qu’un suivi en milieu spécialisé était souhaitable.

15. Le 28 janvier 2004, le requérant, s’appuyant sur plusieurs rapports médicaux, demanda sa libération au motif que s’il continuait à purger sa peine, sa santé risquait de subir un préjudice irréparable. A titre alternatif, il demandait son transfert à l’hôpital « Georgios Gennimatas » pour bénéficier d’un traitement approprié.

16. Le 12 février 2004, à la demande du procureur près le tribunal correctionnel du Pirée, deux médecins légistes auscultèrent le requérant en prison. Se fondant également sur son dossier médical, ils conclurent que son état de santé était sérieux et qu’il était nécessaire de lui faire subir de nouveaux examens de laboratoire et de lui administrer le traitement proposé par ses médecins dans une clinique neurologique.

17. Le 17 mars 2004, le tribunal correctionnel du Pirée rejeta la demande de libération du requérant, au motif qu’il n’était pas compétent pour l’examiner et que le requérant aurait dû saisir la cour d’appel. Le tribunal rejeta également la demande de transfert du requérant à l’hôpital « Georgios Gennimatas » au motif que, vu son état de santé, son transfert en clinique spécialisée n’était pas impératif et que celui-ci pouvait être soigné à l’hôpital de la prison (décision no AT 1686/2004).

18. Le 17 juin 2004, le conseil de la prison proposa le transfert du requérant à l’hôpital « Georgios Gennimatas » afin de le soumettre à des examens complémentaires et de décider de sa prise en charge dans un hôpital spécialisé dans le traitement de sa pathologie.

19. Le 14 juillet 2004, le requérant fut transféré à l’hôpital « Georgios Gennimatas » où il passa une IRM. Ensuite, dans l’attente de l’expertise médicale, il retourna à la prison.

20. Le 4 août 2004, le requérant fut de nouveau transféré à l’hôpital, afin de se soumettre à la thérapie et aux examens médicaux nécessaires. Le 12 août 2004, il retourna en prison, muni du traitement qu’il devait suivre.

21. Le 12 septembre 2004, le requérant fut de nouveau transféré à l’hôpital pour un traitement d’un jour. Il lui fut conseillé de renouveler ce traitement le mois suivant et de suivre une kinésithérapie à l’hôpital de la prison, à raison de deux séances par semaine.

22. Le requérant fut de nouveau transféré à l’hôpital les 17 octobre, 21 novembre, 26 décembre 2004 et 30 janvier 2005. Lors de cette dernière visite à l’hôpital, les médecins diagnostiquèrent une dégradation de son état de santé et adaptèrent son traitement en conséquence. Parallèlement à ses transferts à l’hôpital « Georgios Gennimatas », le requérant suivait régulièrement une kinésithérapie à l’hôpital de la prison.

D. La libération conditionnelle du requérant

23. Le 6 décembre 2004, le requérant déposa une nouvelle demande, certificats médicaux à l’appui, tendant à sa libération conditionnelle.

24. Le 7 février 2005, compte tenu de l’état de santé du requérant, la cour d’appel d’Athènes fit droit à cette demande (décision no 255/2005).

25. Le 8 février 2005, le requérant fut libéré et placé sous contrôle judiciaire. Il versa 6 000 euros à titre de caution.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

26. Conformément à l’article 306 du code de procédure pénale, les délibérations de la chambre d’accusation ne sont pas publiques ; les décisions sont prises à la majorité, après que le procureur a été entendu et se fut retiré (article 138).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint que, vu son état de santé, son maintien en détention constituait un traitement inhumain, en violation de l’article 3 de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Arguments des parties

28. Le requérant affirme qu’il est gravement malade et que son état de santé nécessitait des soins particuliers, qui n’ont pas pu lui être administrés lors de sa détention. Il considère que son maintien en détention était incompatible avec son état de santé et souligne que s’il n’avait pas saisi la Cour de sa requête, les autorités étatiques n’auraient pris aucune mesure appropriée pour le soigner. Il ajoute que sa détention s’était transformée en une torture « pénible et insoutenable » et que son état humiliant avait même causé le malaise parmi le personnel pénitencier. La gravité de ses souffrances a finalement été prise en compte par la cour d’appel d’Athènes qui a ordonné sa libération conditionnelle ; le requérant en déduit que l’article 3 de la Convention avait été enfreint durant toute sa détention provisoire.

29. Le Gouvernement affirme que les problèmes de santé du requérant avaient été bien pris en compte par les autorités de la prison et que celui-ci a reçu un traitement approprié. Selon le Gouvernement, l’ensemble du personnel de l’hôpital de la prison veillait constamment sur le requérant et lui administrait tous les soins nécessaires. Il n’a par ailleurs aucunement été établi que la dégradation de son état de santé était due à son incarcération. Le Gouvernement affirme que le requérant a utilisé sa maladie comme prétexte devant les tribunaux nationaux et la Cour pour obtenir sa libération et non pas parce qu’il était réellement victime d’un traitement contraire à l’article 3. L’intéressé n’est donc pas en droit d’exploiter la clémence et la magnanimité de la justice démocratique grecque qui l’a libéré sous contrôle judiciaire pour alléguer que cette décision aurait reconnu implicitement la violation à son égard de l’article 3 de la Convention.

30. Le Gouvernement ajoute que les conditions de détention du requérant étaient très bonnes. Il rappelle que le requérant fut arrêté et détenu, puis condamné en première instance comme membre de l’organisation terroriste « 17 Novembre », qui avait commis nombre d’assassinats, d’attentats à la bombe et de vols à main armée, mettant ainsi en grave péril l’ordre et la sécurité publics et les relations internationales du pays. Pour cette raison, le requérant, ainsi que toutes les autres personnes arrêtées dans le cadre du démantèlement de cette organisation terroriste, ont dû être détenus dans des cellules spécialement aménagées de la prison de Korydallos, loin des autres détenus, avec des mesures de sécurité renforcées. Or, en dépit de ces mesures de sécurité, les conditions de détention étaient bien meilleures que celles des autres détenus, puisque le requérant et ses co-accusés séjournaient dans des cellules spacieuses et aménagées de façon « à couvrir tout besoin humain » et à assurer aussi le contact régulier avec leurs avocats et leurs proches.

B. Appréciation de la Cour

31. La Cour réaffirme que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime ; la nature de l’infraction dont le requérant est condamné est donc dépourvue de pertinence pour l’examen de la requête sous l’angle de l’article 3 (voir, parmi beaucoup d’autres, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 69, CEDH 1999-IX ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV ; Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 90, CEDH 2000-XI ; Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 100, CEDH 2001VIII).

32. La Cour rappelle ensuite que, selon sa jurisprudence constante, pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité (voir McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 45, CEDH 2003-V). L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997–VIII, pp. 2821–2822, § 55 ; Kudła c. Pologne, précité, § 91 ; Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte ; l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (voir l’arrêt Peers c. Grèce, précité, § 74).

33. S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, la Cour a affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté un détenu pour motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d’obtenir un traitement médical d’un type particulier (voir Kudla c. Pologne, précité, § 93), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis (voir Mouisel c. France, no 67623/01, § 40, CEDH 2002-IX). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII ; Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004 ; Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004).

34. Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour note que le requérant souffre d’une pathologie chronique et invalidante qui nécessite une prise en charge thérapeutique constante et multidisciplinaire. Toutefois, malgré la gravité de sa maladie, il ressort du dossier que les autorités étatiques ont tardé à fournir au requérant lors de sa détention une assistance médicale conforme à ce qu’exigeait son état de santé.

35. La Cour observe en particulier que, bien que le requérant eût informé les instances compétentes peu après son arrestation qu’il souffrait d’une sclérose en plaques et que son état nécessitait une prise en charge dans un hôpital neurologique, il a dû attendre longtemps pour être suivi de manière régulière. En effet, durant les deux premières années de sa détention, le requérant n’a bénéficié que d’une prise en charge sporadique. Contraint de se contenter pendant une longue période des contrôles occasionnels et des soins qui pouvaient lui être administrés dans l’hôpital de la prison, il n’a pas pu faire régulièrement contrôler l’évolution de sa maladie dans un milieu hospitalier spécialisé ni faire face aux multiples troubles occasionnés par la sclérose en plaques par la prescription de traitements adaptés à son cas. Ce n’est qu’à partir de l’été 2004 qu’un traitement approprié à sa pathologie assorti d’une kinésithérapie dispensée dans l’hôpital de la prison ont été mis en place. La nécessité pour le requérant de recevoir des soins médicaux dans le cadre d’un traitement régulier a par ailleurs motivé sa libération conditionnelle le 8 février 2005.

36. En définitive, la Cour conclut que la manière dont les autorités étatiques se sont occupées de la santé du requérant durant les deux premières années de sa détention l’a soumis à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

37. Le requérant se plaint d’une violation du principe de l’égalité des armes devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes, qui résulterait du rejet de sa demande de comparution devant la chambre d’accusation par l’ordonnance no 1885/2003. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

38. Le requérant se réfère à l’affaire Kampanis, dans lequel la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention en raison du refus de la chambre d’accusation d’autoriser la comparution personnelle de l’intéressé lors de l’examen de sa demande d’élargissement (Kampanis c. Grèce, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 318-B). Il invite la Cour à appliquer cette jurisprudence dans le cas d’espèce.

39. Le Gouvernement affirme que la comparution du requérant devant la chambre d’accusation n’était pas nécessaire car celui-ci avait déjà suffisamment développé et étayé ses arguments par écrit.

40. La Cour rappelle que dans l’arrêt Kampanis, elle a estimé que « l’égalité des armes imposait d’accorder au requérant la possibilité de comparaître en même temps que le procureur afin de pouvoir répliquer à ses conclusions ». Elle a conclu que « faute d’offrir à l’intéressé une participation adéquate à une instance dont l’issue était déterminante pour le maintien ou la levée de sa détention, le système juridique grec en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5 § 4 » (Kampanis c. Grèce, précité, p. 48, § 58). La Cour estime que cette jurisprudence, confirmée dans l’affaire Kotsaridis (Kotsaridis c. Grèce, no 71498/01, 23 septembre 2004), s’applique aussi dans le cas d’espèce. Par conséquent, en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

42. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il aurait subi en combinaison avec la perte de son travail.

43. Le Gouvernement affirme que la somme demandée est « irréelle » et qu’un constat de violation fournirait une réparation suffisante pour le tort moral.

44. La Cour considère que le fait de ne pas bénéficier des soins et d’un encadrement médical appropriés à son état de santé lors des deux premières années de sa détention, ainsi que l’impossibilité de comparaître devant la chambre d’accusation ont causé au requérant un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 10 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

45. Le requérant réclame 7 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes. Il produit à cet égard une note d’honoraires d’un montant de 610 EUR pour l’audience du 7 février 2005 devant la cour d’appel d’Athènes et une facture de 200 EUR pour l’audience du 17 mars 2004 devant le tribunal correctionnel du Pirée. Le requérant réclame en outre, facture à l’appui, 8 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

46. Le Gouvernement conteste l’existence d’un lien de causalité entre la majorité des frais et dépens encourus devant les juridictions internes et les violations alléguées. Il affirme par ailleurs que les sommes demandées sont excessives et non justifiées. En ce qui concerne les frais exposés devant la Cour, le Gouvernement affirme qu’il est difficile de croire que, malgré son incapacité de travailler en raison de son état de santé et le fait qu’il a dû s’acquitter de 6 000 EUR pour être libéré sous caution, le requérant ait pu payer 8 000 EUR à son avocat pour le représenter devant la Cour. Le Gouvernement affirme que cette somme est « excessive et irréelle ».

47. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

48. En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 5 000 EUR au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 novembre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président