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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
16.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 9987/03
présentée par Antoine VAN INGEN
contre la Belgique

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 16 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 mars 2003,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Antoine van Ingen, est un ressortissant néerlandais, né en 1971. Il est représenté devant la Cour par Me R. Verstraeten, avocat à Bruxelles. Le gouvernement défendeur était représenté par son agent, M. C. Debrulle, Directeur du Service public fédéral de la Justice.

Par une lettre du 15 septembre 2005, le gouvernement néerlandais a été invité à présenter des observations écrites en vertu de l’article 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement de la Cour. Cette lettre étant restée sans réponse, il y a lieu de considérer que ce dernier n’entend pas se prévaloir de son droit d’intervention.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant explique que, suite à la découverte de drogue par les douaniers des Etats-Unis, une enquête sur un trafic international de stupéfiants fut ouverte. La procédure américaine aboutit notamment à l’arrestation de G., qui vivait aux Etats-Unis et avoua être mêlé à l’importation d’ecstasy en provenance de Belgique.

Suite à une demande d’assistance judiciaire des autorités américaines, une procédure pénale fut engagée en Belgique le 27 octobre 2000.

En janvier 2001, les enquêteurs américains saisirent 250 000 pilules d’ecstasy et procédèrent à l’arrestation de R., un citoyen belge. Le juge d’instruction belge désigné, H., procéda à l’inculpation de R., ainsi que de trois autres ressortissants belges, P., B. et K., après avoir obtenu un relevé des conversations téléphoniques de R. et opéré une perquisition à son domicile en janvier 2001.

Le juge d’instruction décerna ultérieurement une commission rogatoire : deux officiers de gendarmerie furent chargés d’entendre R. et d’autres personnes éventuellement impliquées, de remettre des copies des déclarations reçues aux services de la DEA, de parcourir tous les documents et pièces établis lors de l’arrestation de R., d’échanger des copies, photographies et d’éventuelles empreintes digitales, de prendre des photographies et empreintes digitales de R. et d’effectuer tout acte d’enquête qui pouvait éventuellement s’imposer. Au cours de cette mission qu’ils effectuèrent à Sacramento entre le 26 mai et le 2 juin 2001, les enquêteurs procédèrent à des auditions de R. après avoir rencontré son avocat et le procureur local en charge de l’affaire pour s’accorder sur les modalités de ces auditions, ainsi qu’à l’audition de G. qui, à leur demande, avait accepté d’être entendu dans le cadre de leur enquête. Tous deux déclarèrent qu’une partie des pilules d’ecstasy leur avaient été vendues par le requérant et R. expliqua avoir acquis les autres par l’intermédiaire de B. et précisa les rôles de P. et K. à cet égard.

Les policiers se rendirent aussi sur le lieu de l’arrestation de R. où leur furent exposées les méthodes techniques utilisées en relation avec la surveillance et l’arrestation de R. Ils furent également reçus dans les bureaux de la DEA de Sacramento où leur fut remis pour examen tout le dossier de l’affaire, aussi bien le dossier judiciaire que le dossier technique de la police (politioneel-technische), et des copies des pièces pertinentes pour le dossier belge furent faites. Dans le procès-verbal rédigé le 6 juin 2001 à propos de cette mission, il est mentionné à ce propos que « tous les documents retenus, ainsi que les photographies et les empreintes digitales seraient transmis, avec la commission rogatoire, aux services du juge d’instruction par la voie officielle » (« Alle weerhouden documenten, alsmede foto’s en de vingerafdrukken worden samen met de rogatoire opdracht overgemaakt aan het ambt van de Heer Onderzoekrechter via officiele weg »).

En juin 2001, le nouveau juge d’instruction belge nommé pour l’affaire prit une ordonnance de jonction au dossier des déclarations faites par G. et R. aux enquêteurs américains. Sur base de celles-ci, une perquisition fut faite au domicile du requérant, qui fut inculpé, après la découverte de 50 tablettes d’ecstasy et de décomptes d’opérations de change de dollars américains en francs belges et en florins néerlandais.

Le requérant fut renvoyé devant les juridictions du fond, de même que quatre autres personnes dont P., B. et R., pour infraction à la législation sur les stupéfiants et d’association de malfaiteurs, à savoir la participation à un trafic portant sur 370 000 pilules d’ecstasy entre le 1er janvier 1999 et le 6 janvier 2001.

Par un jugement du 17 janvier 2002, le tribunal correctionnel de Hasselt releva que le dossier pénal qui lui était soumis contenait des copies simples du dossier de l’enquête américaine qui avaient été considérées comme pertinentes par les membres de la police de Hasselt, en exécution d’une demande d’assistance judiciaire. Selon un procès-verbal, les policiers avaient pu consulter tout le dossier américain sur place et les documents retenus avaient été transmis au juge d’instruction par la voie officielle, de même que des photographies et des empreintes digitales et la commission rogatoire. Des biffures avaient été portées sur ces pièces et des données écrites sur certaines d’entre elles avaient été rendues illisibles. Le tribunal en conclut que le dossier qui lui était présenté n’était pas complet et ne lui permettait pas de se prononcer sur les charges dirigées contre les prévenus. Le tribunal ordonna donc au ministère public de déposer toutes les pièces du dossier pénal établi par les autorités américaines, celles ayant trait aux circonstances des poursuites engagées par celles-ci, en ce compris les déclarations, constatations et documents établis par les agents infiltrés et celles en relation avec les transactions conclues avec G. et R.

Le ministère public fit appel de cette décision. La cour d’appel d’Anvers tint une audience le 13 février 2002, au cours de laquelle le ministère public déposa au dossier, après traduction, de nouvelles pièces provenant du dossier américain.

Par un arrêt du 13 mars 2002, la cour d’appel réforma le jugement du 17 janvier 2002. Elle releva qu’aucune disposition légale n’autorisait un juge, régulièrement saisi d’une affaire, à renvoyer l’affaire au parquet. Elle indiqua que l’article 6 de la Convention, pour sa part, exige qu’un accusé ait, entre autres, la possibilité de connaître tous les éléments de preuve utilisés à son encontre et d’en débattre contradictoirement. Il implique aussi que, dans le système inquisitoire belge, le ministère public soumette au juge tous les éléments à décharge dont il dispose et qu’il faut considérer, sauf preuve du contraire, que ce dernier agit loyalement. Lorsqu’il considère que les allégations du prévenu selon lesquelles le parquet dispose d’éléments à décharge non produits ou selon lesquelles les éléments de preuve n’ont pas été produits légalement, le juge ne peut dès lors remettre sine die le dossier en vue de le compléter par le ministère public, mais il doit se prononcer, en l’état du dossier, à la lumière des principes précités. La cour d’appel annula donc la décision attaquée. Jugeant qu’il y avait lieu à évocation de l’affaire, elle décida de tenir une audience sur le bien-fondé le 17 avril 2002. Lors de l’audience, le requérant souleva à nouveau que le dossier était incomplet. La cour d’appel clôtura les débats à l’issue de l’audience.

Le 29 mai 2002, le ministère public fit une demande de réouverture des débats. Il expliquait avoir reçu, par notification du 22 mai 2002 du ministre de la Justice, de nouvelles pièces transmises par les autorités américaines concernant la commission rogatoire.

Par arrêt du 27 juin 2002, la cour d’appel se prononça sur le bien-fondé des poursuites.

S’agissant du caractère incomplet du dossier et de la demande de réouverture des débats, la cour d’appel s’exprima en ces mots :

« Attendu que le prévenu Van Ingen soutient que le ministère public avait jusqu’alors refusé, sans aucune justification, de joindre au dossier des pièces émanant de la DEA américaine et que son droit à la consultation du dossier était limité ;

Attendu que, lors de l’audience devant la cour, le ministère public a déclaré qu’il ne disposait pas d’autres documents que ceux qui figuraient au dossier, tel qu’il était soumis pour examen à la cour ;

Qu’à preuve du contraire, le ministère public doit être présumé agir loyalement ;

Que la circonstance que le ministère public ait déposé un certain nombre de pièces complémentaires à l’audience du 13 février 2002 ne démontre pas le contraire ;

Que l’assertion que le ministère public disposerait d’éléments à décharge à son avantage est dénuée de toute base de vraisemblance et le prévenu Van Ingen s’exprime d’ailleurs dans ses conclusions dans le sens « qu’il est toujours fort possible que des informations à décharge existent dans les documents américains » ;

Qu’au cours de l’audience, les prévenus ont eu la possibilité de prendre connaissance de toutes les pièces soumises à la cour ;

Attendu cependant que le ministère public a demandé, après la clôture des débats, la réouverture des débats en communiquant que par notification ministérielle du 29 mai 2002 de documents officiels complémentaires concernant l’exécution [de la commission rogatoire] provenant du Département de la Justice des Etats-Unis avaient été transmis à ses services, concernant la commission rogatoire du juge d’instruction H., documents qui devaient cependant encore être traduits de sorte qu’ils n’étaient pas joints à la demande ;

Attendu que l’existence de ces documents était déjà connue depuis longtemps et qu’elle a été évoquée notamment par la défense lors des débats devant le premier juge et la cour ;

Que le ministère public, à l’occasion du traitement de l’affaire devant la cour, a maintenu que le dossier de la procédure, tel qu’il se trouvait, était complet et que la cour n’était pas compétente pour donner une injonction au ministère public, le dossier de la procédure devant être examiné dans l’état dans lequel il se trouvait (voyez l’arrêt de cette cour et de cette chambre du 13 mars 2002) ;

Attendu que la cour, pourvu qu’elle respecte les droits de la défense, doit cependant veiller à ce que le traitement de l’affaire ne connaisse aucun retard non nécessaire (voyez aussi le délai raisonnable prévu à l’article 6 de la Convention des droits de l’Homme) ;

Attendu que dans les circonstances exposées et dans le contexte donné, la cour ne donnera pas suite à la demande du ministère public de réouverture des débats, à laquelle la défense des prévenus P. et K. s’oppose, et aura égard, pour la détermination de la culpabilité, au dossier de la procédure dans l’état dans lequel il se trouve.

Attendu qu’il ne peut être déduit ou établi de manière acceptable de ce qui précède que le ministère public n’aurait pas agi loyalement. »

La cour d’appel déclara la prévention de trafic d’ecstasy établie en ce qui concerne le requérant sur base de la découverte d’une cinquantaine de tablettes d’ecstasy et de feuilles de papier reprenant des opérations de change de dollars américains en francs belges et en florins néerlandais découverts lors d’une perquisition à son domicile intervenue le 5 juillet 2001, ainsi que des déclarations de G., de R. et du coïnculpé K. Il releva aussi que le requérant avait changé à cinq reprises de numéro de téléphone dans un court laps de temps au moment de l’arrestation de R. Elle fixa la peine à sept ans d’emprisonnement. La cour d’appel condamna également P., B. et K. et acquitta le dernier prévenu.

Le requérant se pourvut en cassation, présentant un unique moyen. Il se plaignait que la cour d’appel n’ait pas donné suite à la demande de réouverture des débats présentée par le ministère public pour déposer au dossier des documents bien déterminés émanant des autorités américaines, malgré le fait que cette cour n’avait pas pu prendre connaissance de ces documents qui devaient encore être traduits.

Par arrêt du 24 septembre 2002, la Cour de cassation rejeta le moyen en ces termes :

« Attendu qu’en matière pénale, le juge se prononce de manière « intangible » sur les demandes de réouverture des débats présentées par une des parties, sur base des données qui lui sont soumises au moment de la demande ;

Attendu qu’il en va de même lorsque la demande s’étend au dépôt de pièces déterminées au dossier ; même lorsque celles-ci ne sont pas jointes à la demande soumise au juge ; qu’en ce cas, aucune disposition légale ou conventionnelle ne s’oppose à ce que le juge refuse la réouverture des débats sans préalablement avoir pris connaissance de ces documents. »

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du fait que le dossier américain complet n’était pas joint au dossier pénal belge, seule une partie des documents, sélectionnés par les enquêteurs, y figurant. Il fait valoir que le ministère public aurait dû déposer l’entièreté du dossier américain pour permettre l’exercice des droits de la défense et assurer l’équité du procès.

2. Toujours au titre de l’article 6 § 1, il se plaint aussi du refus de la cour d’appel de rouvrir les débats pour permettre au ministère public de déposer de nouvelles pièces, sans même prendre connaissance du contenu de ces pièces.

Il explique que ces circonstances l’ont empêché de plaider efficacement, le cas échéant, l’irrégularité du déclenchement de la procédure pénale et l’existence d’une provocation de la part des autorités américaines, ainsi que la pertinence des éléments de preuves à son égard.

EN DROIT

Le requérant allègue que la procédure pénale dirigée contre lui a porté, à deux égards, atteinte à l’article 6 § 1 de la Convention dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal (..), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

1. Le requérant se plaint d’abord du fait que le dossier américain complet n’était pas joint au dossier pénal belge, seule une partie de celui-ci y figurant.

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait soulevé ce grief devant la Cour de cassation. Le requérant n’a, dès lors, pas satisfait, quant à ce grief, à cette condition de l’épuisement.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Le requérant se plaint aussi du refus de la cour d’appel de rouvrir les débats pour permettre au ministère public de déposer de nouvelles pièces.

Le Gouvernement fait valoir que les pièces litigieuses n’étaient parvenues au Parquet que le 22 mai 2002. Par ailleurs, la majorité de ces pièces étaient identiques à celles dont la police fédérale avait reçu copie à l’occasion de l’exécution de la commission rogatoire et qui se trouvaient déjà dans le dossier. Il en déduit que la cour d’appel n’a pas violé l’article 6 § 1 par son refus d’ordonner la réouverture des débats.

Le requérant relève d’abord que le Gouvernement se borne à des affirmations, sans indiquer quel était le contenu des pièces ou en transmettre une copie. De ce fait, il n’est toujours pas possible de savoir quelles étaient les nouvelles pièces dont la jonction au dossier pénal était demandée. Il insiste ensuite sur le fait qu’en refusant la jonction de ces pièces sans avoir pris connaissance de leur contenu, la cour d’appel a adopté une attitude qui constitue en elle-même déjà une violation du droit à un procès équitable.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant le refus de la cour d’appel de rouvrir les débats pour permettre au ministère public de déposer de nouvelles pièces ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président