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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
14.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
2
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 32842/02
présentée par
MEDYA FM REHA RADYO VE İLETİŞİM HİZMETLERİ A.Ş.
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 14 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 août 2002,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Medya FM Reha Radyo ve İletişim Hizmetleri A.Ş., est une société anonyme qui diffuse des programmes de radio. Son siège se trouve à Şanlıurfa. Elle est représentée devant la Cour par Me H. Erdoğan, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 22 septembre 1998, la requérante fit l’objet d’une décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (Radyo Televizyon Üst Kurulu, ci-après « le RTÜK ») en vertu de l’article 4 a) de la loi no 3984. Cette décision prévoyait l’interdiction d’émettre pendant une durée de 180 jours, ce en raison des propos tenus lors d’une émission diffusée le 11 juin 1998 qui ne respectaient pas l’existence et l’indépendance de la République de Turquie, de l’unité de l’Etat et de la nation et de l’indivisibilité du territoire national.

Le Conseil d’Etat annula la décision prise par le RTÜK. Dès lors, celle-ci ne fut jamais exécutée.

Au cours d’une émission diffusée par la requérante le 28 mai 1998 à 16 h 15, les propos ci-dessus furent prononcés :

« Hé l’enfant, ramasse le ballon, les pierres. Épuise ta colère grâce aux pierres. Sais-tu pourquoi tu dois accumuler ta colère ? Tu as vu les ruines de ton village. Réunis ta colère en secret. Que ta colère devienne le coup de poing. Que le coup de poing devienne la révolte. Amasse la révolte, accumule la révolte. Que la révolte devienne la révolution. »

Le RTÜK adressa un avertissement à la requérante sur le fondement de l’article 4 a) de la loi no 3984.

Le 1er juin 1998, les propos suivants furent diffusés par la requérante au cours d’une émission programmée à 13 h 15 :

« Tu es encore beau Kurdistan car tu es le pays de Şeyh Said, Saidi Nursi et Ahmet Xani. Au cours de l’histoire, les cruels ne t’ont pas laissé goûter au bonheur. Tu es encore beau Kurdistan. Tu es beau avec tes adolescents loyaux qui escaladent les montagnes et qui ont à la main une kalachnikov, dans la paume de l’argent. Ayez honte les cruels, ayez honte de votre oppression. Ceux qui deviennent animaux tant ils tuent, qui courent de grade en grade, qui s’étonnent eux mêmes de ce qu’ils font, ayez honte ».

Le RTÜK estima que la diffusion de ces propos constituait une atteinte au principe énoncé à l’article 4 g) de la loi no 3984, selon lequel on ne peut émettre des programmes qui sont de nature à inciter le peuple à la violence, au terrorisme ou à la discrimination raciale, ou à provoquer des sentiments de haine. Relevant que la requérante avait déjà fait l’objet d’un avertissement le 28 février 1997 pour une atteinte à ce même principe, le RTÜK décida de suspendre le droit à diffusion de l’intéressée pendant 30 jours.

Le 19 juillet 1998, la requérante diffusa une chanson dont les paroles étaient les suivantes :

« Hé le musulman, ressaisis-toi. Allez ma sœur musulmane et mon frère musulman, notre cause nous attend. La cause supérieure de l’islam. Cette cause qui va effacer les larmes de l’opprimé est mon droit, ton droit, son droit, le droit de ceux qui se disent musulmans. Pour cette cause, que des milliers de vies, de têtes soient sacrifiées. Cette lutte est une lutte de sang pour le sang. Les opprimés demanderont des comptes ; dans chaque larme versée, les cruels se noieront. »

Le RTÜK décida de suspendre le droit à diffusion de la requérante pendant 30 jours sur le fondement de l’article 4 g) de la loi no 3984. Dans sa décision, elle releva que l’intéressée avait déjà été avertie sur le même fondement à la suite de deux émissions datant des 26 octobre et 2 novembre 1996.

Le 27 octobre 1999, la requérante diffusa une émission ayant comme thème de débat le port du foulard islamique.

Le 6 janvier 2000, la requérante fit à nouveau l’objet d’une décision du RTÜK en vertu des articles 4 g) et 33 de la loi no 3984. Cette décision prévoyait l’interdiction d’émettre pendant une durée de 365 jours, ce en raison des propos tenus et des chansons diffusées lors de l’émission du 27 octobre 1999 :

« Nous sommes des êtres humains, musulmans, et ils font ça en raison de notre croyance. C’est une attaque, un empêchement à l’ordre donné par Dieu. Aujourd’hui, il y a un affrontement qui va de la tête jusqu’au point le plus profond du système. Le procureur général près la Cour de cassation, Vural Savaş, ayant constaté les interdictions en vigueur insuffisantes, demande de nouvelles interdictions dans la loi pénale concernant la liberté de la presse et d’autres libertés. Aujourd’hui, un de nos journaux donnait en manchette : « Voilà l’ultimatum de guerre ». Il est vrai que ceci était un ultimatum de guerre. La solution est peut-être dans la suppression du MGK (Conseil national de Sécurité). De toute manière, ils l’ont rendu dangereux. Ceux qui se taisent devant une injustice, ceux qui acceptent l’injustice, perdent leur honneur.

(...)

Le Yemeni est un voile traditionnel, le foulard un drapeau ; dans cette lutte de sang pour le sang, dent pour dent, les opprimés demanderont des comptes ; dans chaque larme versée, les cruels se noieront. »

Le RTÜK constata que la requérante avait enfreint le principe énoncé dans la loi relative à la création de chaînes audiovisuelles et à leur diffusion, selon lequel on ne peut émettre des programmes qui sont de nature à inciter le peuple à la violence, au terrorisme ou à la discrimination raciale, ou à provoquer des sentiments de haine.

Le RTÜK indiqua en outre que, le 28 février 1997, en raison de deux autres émissions diffusées les 26 octobre et 2 novembre 1996, la requérante avait fait l’objet d’un avertissement lié au même article de la loi no 3984. Il conclut, eu égard à cette récidive (article 33), à une sanction selon laquelle la requérante serait frappée d’une interdiction d’émettre pendant une durée de 365 jours. Cette décision fut notifiée à l’intéressée le 19 janvier 2000 et exécutée entre le 11 février 2000 et le 11 février 2001.

La requérante introduisit une action en annulation de la décision prise par le RTÜK devant le tribunal administratif d’Ankara.

Par un jugement du 15 juin 2000, le tribunal débouta la requérante de sa demande. Il releva que celle-ci avait déjà été avertie pour les mêmes motifs et sur le même fondement. Il conclut que, du fait des informations émises, la requérante avait à nouveau enfreint le principe énoncé à l’article 4 g) de la loi no 3984 et que cette récidive justifiait, au regard des faits, la suspension d’émission pendant 365 jours.

Par un arrêt du 5 février 2002, le Conseil d’Etat confirma le jugement de première instance. Cet arrêt fut notifié à la requérante le 30 mai 2002.

B. Le droit et la pratique internes pertinents à l’époque des faits

1. Le RTÜK a été institué par la loi no 3984 du 12 avril 1991 relative à la création des chaînes audiovisuelles et à leur diffusion, à la suite d’une révision constitutionnelle. Il s’agit d’une autorité administrative indépendante, dont la composition, le statut et la compétence sont prévus par la loi précitée. Selon les dispositions pertinentes de celle-ci, le rôle du RTÜK est de réglementer les activités des stations de radio et des chaînes de télévision. Il est composé de neuf membres désignés par l’Assemblée nationale. Parmi ses pouvoirs réglementaires figurent celui d’accorder aux opérateurs privés l’autorisation d’émettre et celui de les sanctionner.

Les dispositions pertinentes de la loi no 3984 du 12 avril 1991, relative à la création de chaînes audiovisuelles et à leurs diffusions, sont libellées en ces termes :

Article 4

« La diffusion des programmes de radio et de télévision s’effectue dans le respect de la notion de service public et des principes énoncés ci-dessous :

(...)

a) le respect de l’existence et de l’indépendance de la République de Turquie, de l’unité de l’Etat et de la nation et de l’indivisibilité du territoire national ;

(...)

g) la non-diffusion d’émissions qui sont de nature à inciter la population à la haine, à la violence, au terrorisme ou à la discrimination ethnique ;

(...)

j) le respect de l’interdiction de diffuser des émissions qui calomnient ou diffament autrui en dépassant les limites de la critique. »

Article 33

« Le RTÜK adresse un avertissement aux établissements audiovisuels privés qui ne remplissent pas les conditions de l’autorisation d’émettre ou qui diffusent des émissions contraires aux principes énoncés par la présente loi. Dans l’avertissement, sont clairement précisées la nature et la gravité de la violation, ainsi que ses conséquences en cas de récidive.

En cas de récidive, selon la gravité de la violation, l’autorisation d’émettre est temporairement suspendue, pour un délai maximal d’un an, ou bien celle-ci est annulée. »

2. L’article 125 de la Constitution dispose :

« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) »

GRIEFS

La requérante allègue que les mesures infligées par le RTÜK ont entraîné une violation des articles 9 et 10 de la Convention.

EN DROIT

Invoquant les articles 9 et 10 de la Convention, la requérante dénonce une violation de sa liberté de communiquer des informations et des idées du fait de l’interdiction d’émettre infligée à son encontre par le RTÜK.

La Cour décide d’examiner ce grief uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) »

La Cour note que la requérante n’a pas envoyé d’observations en réponse à celles soumises par le Gouvernement et résumées ci-dessous.

A. Exceptions du Gouvernement

Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Se référant à l’arrêt Ahmet Sadık c. Grèce (15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996V), il fait valoir que l’article 35 § 1 de la Convention n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes mais aussi la présentation devant ces mêmes juridictions des griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour. Or, dans la présente affaire la requérante n’aurait pas soulevé ses griefs au niveau interne.

La Cour rappelle qu’il suffit que lintéressé ait soulevé devant les autorités nationales, « au moins en substance et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne », les griefs quil entend formuler par la suite à la Cour (Castells c. Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A no 236, § 27, et Akdıvar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996IV, §§ 6569). En l’espèce, elle observe que les moyens présentés par la requérante à l’appui de ses divers recours en droit interne se référaient à la substance même de la liberté de communiquer des informations et des idées, au sens de l’article 10 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que la requérante doit être considérée comme ayant soulevé en substance, devant les juridictions internes, le grief qu’elle formule devant la Cour.

Partant, la Cour rejette cette exception.

Le Gouvernement soutient par ailleurs que, n’ayant pas formé de recours en rectification, la requérante ne pouvait passer pour avoir épuisé les voies de recours internes.

La Cour note qu’en droit turc, le recours en rectification d’arrêt a pour objet de réviser l’arrêt en question en raison d’une erreur commise par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat. Sur simple recours en révision des parties, la juridiction procède à un deuxième examen de la même affaire sans qu’il y ait d’éléments nouveaux (İsmail Çınar c. Turquie (déc.), no 28602/95, 13 novembre 2003, et, mutatis mutandis, Karaduman c. Turquie (déc), no 16278/90, 3 mai 1993).

La Cour rappelle qu’un requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants. Lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, par exemple, Patrícia Raquel Real Alves c. Portugal (déc.), no 19485/02, 9 novembre 2004). En l’espèce, il suffit à la Cour de relever que le Conseil d’Etat a confirmé définitivement la décision rendue par le tribunal administratif concernant le rejet du recours de la requérante.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la requérante a fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elle afin d’épuiser les voies de recours internes. Elle rejette ainsi l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

B. Grief tiré de l’article 10 de la Convention

1. Sur l’existence d’une ingérence

Le Gouvernement ne nie pas l’existence d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante à la suite de l’interruption totale de ses émissions pendant 365 jours.

La Cour confirme que cette sanction a constitué une ingérence dans le droit de la requérante à la liberté d’expression protégé par l’article 10 § 1 de la Convention.

2. « Prévue par la loi » et buts légitimes

La Cour note que l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes au sens de l’article 10 § 2 de la Convention, notamment la protection de la sécurité nationale et la sûreté publique, ou la défense de l’ordre et la prévention du crime. En l’occurrence, la question est de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

3. « Nécessaire dans une société démocratique »

Le Gouvernement estime que les mesures incriminées étaient nécessaires dès lors que les émissions litigieuses étaient de nature à inciter la population à la violence, à la haine et à la discrimination raciale, et mettaient en cause le principe de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale de la Turquie.

La Cour rappelle que la liberté d’expression, consacrée par le paragraphe 1 de l’article 10, constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès. Sous réserve du paragraphe 2, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ; ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » (voir, entre autres, Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, § 49, et Castells, précité).

La Cour a souligné à plusieurs reprises le rôle éminent que joue la presse dans une société démocratique. Si la presse ne doit pas franchir certaines bornes, tenant notamment à la défense de l’ordre, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et responsabilités, des informations et des idées sur les questions d’intérêt général ; à sa fonction qui consiste à diffuser des informations s’ajoute le droit, pour le public, de les recevoir (voir, parmi d’autres, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, arrêt du 25 juin 1992, série A no 239, § 63, et Colombani et autres c. France, no 51279/99, § 55, CEDH 2002V). La Cour rappelle en outre que, dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de la presse et de l’opinion publique (voir Castells, précité).

La Cour estime que ces principes revêtent une importance spéciale, non seulement pour la presse écrite, mais aussi pour la radiodiffusion (Groppera Radio AG et autres c. Suisse, arrêt du 28 mars 1990, série A no 173, avis de la Commission, § 138 ; Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 298, § 31, et Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 33, CEDH 2004II).

La Cour rappelle également que telle que la consacre le paragraphe 2 de l’article 10, la liberté d’expression est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante. La marge d’appréciation des autorités nationales est circonscrite par l’intérêt d’une société démocratique à permettre à la presse de jouer son rôle indispensable de « chien de garde ». Bien que formulés d’abord pour la presse écrite, ces principes s’appliquent aux moyens audiovisuels (voir, en particulier, Jersild, précité, et Radio France et autres, précité).

Toutefois, lorsque les propos incriminés incitent à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’Etat ou d’une partie de la population, les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation plus large dans leur examen de la nécessité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 62, CEDH 1999IV).

A cet égard, la Cour porte une attention particulière aux termes employés dans les émissions incriminées et au contexte dans lequel elles ont été diffusées.

Tout d’abord, concernant la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 22 septembre 1998, la requérante ne peut se prétendre victime d’une violation des dispositions de la Convention car celle-ci a été annulée par le Conseil d’Etat et n’a donc jamais été exécutée.

Concernant, l’interdiction d’émettre pendant une durée de 365 jours, la Cour note que la requérante a été à plusieurs reprises avertie par le Conseil supérieur de l’audiovisuel avant que ladite sanction ne lui soit infligée pour atteinte au principe selon lequel on ne peut émettre des programmes qui sont de nature à inciter le peuple à la violence, au terrorisme, à la discrimination raciale ou à provoquer des sentiments de haine. Dans ces circonstances, en l’espèce, la Cour se doit également de prendre en compte les émissions antérieures de la requérante pour apprécier si la sanction infligée peut raisonnablement être considérée comme « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, répondant donc à un « besoin social impérieux ».

La Cour relève que les propos tenus et les chansons diffusées lors de l’émission du 27 octobre 1999 sont particulièrement acerbes, franchement provocateurs, avec de surcroît une connotation hostile :

« (...) il est vrai que ceci était un ultimatum de guerre (...) ceux qui se taisent devant une injustice, ceux qui acceptent l’injustice perdent leur honneur (...) »

et notamment dans le passage suivant où les propos litigieux incitent clairement au soulèvement avec violence :

« (...) dans cette lutte de sang pour sang, dent pour dent, les opprimés demanderont des comptes ; dans chaque larme versée, les cruels se noieront (...) »

La Cour observe le contenu et la tonalité des propos dans les différentes émissions diffusées par la requérante et note qu’il y a incitation et appel à l’usage de la force et de la violence comme moyens d’action :

« (...) Tu es beau (Kurdistan) avec tes adolescents loyaux qui escaladent les montagnes et qui ont à la main une kalachnikov, dans la paume de l’argent (...) »

« (...) Pour cette cause (la cause supérieure de l’Islam), que des milliers de vie, de têtes soient sacrifiées (...) Cette lutte est une lutte de sang pour sang. Les opprimés demanderont des comptes (...) »

La Cour rappelle à ce titre que les déclarations pouvant être qualifiées de discours de haine, d’apologie de la violence ou d’incitation à la violence, comme c’est le cas en l’espèce, ne sauraient passer pour compatibles avec l’esprit de la tolérance et vont à l’encontre des valeurs fondamentales de justice et de paix qu’exprime le Préambule à la Convention (Sürek c. Turquie (no 1), précité, §§ 6165, et Gündüz c. Turquie (déc), no 59745/00, CEDH 2003XI).

La Cour estime que les motifs avancés par les autorités pour justifier la sanction prononcée à l’encontre de la requérante sont « pertinents et suffisants ».

Reste à savoir si l’ingérence était proportionnée aux buts légitimes poursuivis. Certes, la Cour reconnaît la sévérité de la peine infligée à la requérante, à savoir une suspension de l’autorisation d’émettre pendant 365 jours, soit la sanction maximale prévue par la loi interne. Elle estime toutefois que l’inscription dans le droit interne de sanctions dissuasives peut se révéler nécessaire lorsqu’un comportement atteint le niveau de celui constaté ci-dessus et devient intolérable en ce qu’il constitue la négation des principes fondateurs d’une démocratie pluraliste.

En conséquence, la Cour considère que la gravité de la sanction infligée en l’espèce à la requérante ne peut être considérée comme disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis – la protection de la sécurité nationale et la sûreté publique, ou la défense de l’ordre et la prévention du crime – au sens de 10 § 2 de la Convention.

Il s’ensuit que le grief de la requérante est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. Il y a ainsi lieu de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Naismith J.-P. Costa
Greffier adjoint Président