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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DI PIETRO c. ITALIE
(Requête no 73575/01)
ARRÊT
STRASBOURG
2 novembre 2006
DÉFINITIF
02/02/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire di Pietro c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Gyulumyan,
I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 octobre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 73575/01) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Paola di Pietro (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er février 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me F. Magro, avocat à Avola. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. N. Lettieri.
3. Le 14 juin 2004, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. La requérante est née en 1927 et réside à Avola.
6. Elle était propriétaire d'un terrain sis à Avola et enregistré au cadastre feuille 56.
7. Par un arrêté du 13 juin 1979, la région de Sicile disposa l'occupation d'urgence de 4 263 mètres carrés du terrain de la requérante en vue d'y construire une école. L'arrêté fixa le délai pour l'expropriation au 5 octobre 1981. Par la suite, le délai fut prorogé d'un an conformément à la loi no 385 de 1980.
8. Le 9 août 1979, le terrain fut occupé matériellement par le ministère des Travaux publics et les travaux de construction furent entamés.
9. Le 12 mai 1980, la municipalité d'Avola procéda à une offre d'acompte sur l'indemnité d'expropriation, fixée à 2 131 500 lires italiennes (ITL). La requérante, jugeant cette somme dérisoire, refusa l'offre de l'administration et le montant fut versé à la Caisse des dépôts et des prêts.
10. Par un arrêté du 15 juin 1983, la municipalité d'Avola déclara l'expropriation définitive du terrain de la requérante.
A. La procédure en réparation
11. Le 19 octobre 1983, la requérante assigna la municipalité d'Avola et le ministère des Travaux publics devant le tribunal de Catane. Elle fit valoir que l'occupation de son terrain s'était poursuivie au-delà de la période autorisée et demanda un dédommagement pour l'occupation illicite.
12. Le tribunal ordonna une expertise technique. Dans son rapport déposé le 24 novembre 1986, l'expert conclut que la valeur vénale du terrain de la requérante en octobre 1982 était de 330 000 000 ITL.
Le 7 avril 1989, le ministère des travaux publics déposa un mémoire (« comparsa conclusionale ») par lequel il s'opposait aux conclusions de l'expert.
13. Par une ordonnance du 9 novembre 1994, le tribunal, faisant droit aux arguments de la partie défenderesse, disposa une nouvelle enquête et nomma un autre expert.
14. Le deuxième rapport d'expertise fut déposé au greffe le 11 avril 1995. L'expert affirma que le terrain litigieux avait nature constructible et conclut que la valeur marchande de celui-ci en octobre 1982 était de 225 000 000 ITL. En outre, il fixa l'indemnité d'occupation licite à 10 657 500 ITL.
15. Par une ordonnance du 1er octobre 2001, le tribunal de Catane disposa un supplément d'expertise pour recalculer la somme due à la requérante selon les critères introduits par la loi no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur.
16. Par un jugement du 17 mars 2003, le tribunal de Catane fit application de la règle de l'expropriation indirecte et, suivant les conclusions du supplément d'expertise, condamna les parties défenderesses à payer à la requérante la somme de 372 675 122 ITL à titre de dédommagement et d'indemnité d'occupation licite et de 339 412 182 ITL à titre d'intérêts.
17. Le 12 mai 2003, la municipalité d'Avola interjeta appel.
18. La procédure est à ce jour pendante devant la cour d'appel de Catane.
B. La procédure Pinto
19. Le 12 avril 2002, la requérante déposa près la cour d'appel de Messine une demande en réparation pour la durée de la procédure, au sens de la loi Pinto.
20. La requérante sollicitait la réparation des dommages moraux dérivant de la longueur excessive de la procédure. Elle demandait la somme de 6 197,48 EUR au moins.
21. Par une décision du 4 octobre 2002, la cour d'appel accorda à la requérante la somme de 6 000 EUR à titre de satisfaction équitable.
22. Celle-ci a par la suite estimé inutile de se pourvoir en cassation.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).
EN DROIT
I. QUESTION PRÉLIMINAIRE
24. Le Gouvernement s'oppose à la décision de la Cour d'examiner conjointement la recevabilité de la requête et le fond de celle-ci, comme prévu à l'article 29 § 3 de la Convention (article 54 A § 1 du règlement). Il craint en effet que la Cour ne se livre qu'à un examen sommaire de la requête. Il estime que cette dernière ne se prête pas à pareille approche, vu la nature des questions d'ordre général soulevées (sauvegarde des intérêts de la collectivité) et la nouveauté de certains arguments avancés.
25. La Cour constate que la procédure d'examen conjoint en question n'empêche pas un examen attentif des questions soulevées et des arguments invoqués par le Gouvernement.
26. Dès lors, il n'y pas lieu de faire droit à la demande du Gouvernement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
27. La requérante soutient que la procédure engagée afin d'obtenir un dédommagement a méconnu le principe du « délai raisonnable » posé par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
28. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Il observe que la requérante ne s'est pas pourvue en cassation contre la décision de la cour d'appel de Messine alors que le pourvoi en cassation était un remède à épuiser, notamment depuis le revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière.
29. La requérante demande le rejet de cette exception et précise que le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, sur la base duquel un grief tiré de l'insuffisance de l'indemnité « Pinto » peut être examiné, n'est intervenu qu'après que la décision de la cour d'appel rendue en l'espèce eut acquis l'autorité de la chose jugée.
30. Dans l'affaire Scordino c. Italie ((déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV), la Cour a estimé que, lorsqu'un requérant se plaint uniquement du montant de l'indemnisation et de l'écart existant entre celui-ci et la somme qui lui aurait été accordée au titre de l'article 41 de la Convention, l'intéressé n'est pas tenu, aux fins de l'épuisement des voies de recours internes, de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour d'appel. Pour parvenir à cette conclusion, elle s'est basée sur l'examen d'une centaine d'arrêts de la Cour de cassation, parmi lesquels elle n'a trouvé aucun cas où cette dernière avait pris en considération un grief tenant au fait que le montant accordé par la cour d'appel était insuffisant par rapport au préjudice allégué ou inadéquat par rapport à la jurisprudence de Strasbourg.
31. Or, la Cour rappelle que, le 26 janvier 2004, la Cour de cassation, statuant en plénière dans quatre affaires, a effectué un revirement de sa jurisprudence constante. Elle rappelle en outre avoir jugé raisonnable de retenir que le revirement de jurisprudence, et notamment l'arrêt no 1340 de la Cour de cassation, ne pouvait plus être ignoré du public à partir du 26 juillet 2004. Par conséquent, elle a considéré qu'à partir de cette date il doit être exigé des requérants qu'ils usent de ce recours aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention (Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004, et, mutatis mutandis, Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, § 20, 21 octobre 2003).
32. En l'espèce, la Cour constate que le délai pour se pourvoir en cassation avait expiré avant le 26 juillet 2004 et estime que, dans ces circonstances, la requérante était dispensée de l'obligation d'épuiser les voies de recours internes.
33. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que cette exception doit être rejetée. Elle relève par ailleurs que le grief ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
34. La requérante se plaint du montant des dommages accordés dans le cadre du recours « Pinto » qu'elle a intenté au plan national et demande à la Cour de conclure à la violation de la disposition invoquée.
35. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
36. La Cour estime qu'en constatant un dépassement du délai raisonnable et en octroyant la somme de 6 000 EUR à la requérante, à titre de réparation du dommage non patrimonial en application de la loi Pinto, la cour d'appel de Messine n'a pas réparé de manière appropriée et suffisante l'infraction alléguée par la requérante. Se référant aux principes en matière de « victime » dans le cadre des durées excessives de procédure (Scordino c. Italie (no 1), [GC], no 36813/97, §§178-207, CEDH 2006‑ ), la Cour note que la somme accordée par la cour d'appel en l'espèce représente en effet environ 20 % de ce que la Cour octroie généralement dans des affaires italiennes similaires. Cet élément à lui seul aboutit à un résultat manifestement déraisonnable par rapport à sa jurisprudence et aux principes sur lesquels celle-ci repose.
37. La Cour estime que la période à considérer a commencé le 19 octobre 1983, avec l'assignation de la défenderesse par la requérante devant le tribunal de Catane, pour s'achever le 12 avril 2002, date à laquelle la requérante a déposé le recours Pinto devant la cour d'appel de Messine. A cette époque, la procédure demeurait pendante devant le tribunal. Elle a donc duré un peu plus de dix-huit ans pour un degré de juridiction.
38. La Cour rappelle avoir conclu dans quatre arrêts contre l'Italie du 28 juillet 1999 (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V ; Ferrari c. Italie [GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999, A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999, et Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, § 23, CEDH 1999‑V) à l'existence d'une pratique en Italie incompatible avec la Convention.
39. Elle rappelle en outre avoir affirmé dans neuf arrêts contre l'Italie du 29 mars 2006 (Scordino (no 1), précité, § 224, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 119, CEDH 2006‑..., Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 119, CEDH 2006‑..., Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, § 116, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1) [GC], no 64705/01, § 117, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 116, 29 mars 2006, Apicella c. Italie [GC], no 64890/01, § 116, 29 mars 2006, Ernestina Zullo c. Italie [GC], no 64897/01, § 121, 29 mars 2006, et Giuseppina et Orestina Procaccini c. Italie [GC], no 65075/01, § 117, 29 mars 2006) que la situation de l'Italie au sujet des retards dans l'administration de la justice n'a pas suffisamment changé pour remettre en cause l'évaluation selon laquelle l'accumulation de manquements est constitutive d'une pratique incompatible avec la Convention.
40. Le fait que la procédure « Pinto » examinée dans son ensemble n'ait pas fait perdre à la requérante sa qualité de « victime » constitue une circonstance aggravante dans un contexte de violation de l'article 6 § 1 pour dépassement du délai raisonnable. La Cour sera donc amenée à revenir sur cette question sous l'angle de l'article 41.
41. Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties et de la pratique précitée, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
42. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
43. La requérante affirme que la procédure « Pinto » n'est pas un remède effectif, en raison du montant dérisoire reconnu par les autorités internes à titre de réparation. Elle invoque l'article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
- Sur la recevabilité
44. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
45. La requérante allègue le manque d'efficacité du recours Pinto du fait que le montant accordé par la cour d'appel a eté insuffisant.
46. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
47. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de faire valoir les droits et libertés tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés. Il a pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant l'instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et, de plus, à offrir le redressement approprié dans les cas qui le méritent (voir Mifsud c. France (dec.) [GC], no 57220/00, § 17, ECHR 2002-VIII, Scordino (no 1), précité, §§ 186-188, et Surmeli c. Allemagne [GC], no. 75529/01, § 99, 8 June 2006). La Cour rappelle en outre que le droit à un recours efficace au sens de la Convention ne saurait être interprété comme donnant droit à ce qu'une demande soit accueillie dans le sens dans lequel l'entend l'intéressé (Surmeli, précité, § 98).
48. La Cour doit déterminer si le moyen offert à la requérante en droit italien peut être considéré un recours efficace, adéquat et accessible, permettant de sanctionner la durée excessive d'une procédure judiciaire. A cet égard, elle rappelle avoir déjà estimé que le recours devant les cours d'appel introduit en Italie par la loi Pinto est accessible et que rien ne permet de douter de son efficacité (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX, et Scordino (no 1), précité, § 144).
49. En l'espèce, la cour d'appel de Bologne avait compétence pour se prononcer sur le grief de la requérante et a procédé à son examen. Aux yeux de la Cour, le simple fait que le niveau du montant de l'indemnisation ne soit pas élevé ne constitue pas en soi un élément suffisant pour mettre en cause le caractère effectif du recours « Pinto » (voir, mutatis mutandis, Zarb c. Malte, no 16631/04, §§ 50 et 51, 4 juillet 2006).
50. Par conséquent, la requérante ayant disposé d'un recours effectif pour exposer les violations de la Convention qu'elle alléguait, il n'y a pas eu violation de l'article 13.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
51. La requérante allègue avoir été privée de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
52. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que la procédure est toujours pendante devant la cour d'appel de Catane.
53. La requérante s'oppose à la thèse du Gouvernement.
54. La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que cette exception est étroitement liée au fond du grief et décide de la joindre au fond. Elle constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
- Sur le fond
1. Thèses des parties
55. Le Gouvernement réitère les arguments avancés dans de nombreuses affaires (voir, parmi d'autres, Serrao c. Italie, arrêt précité, §§ 56-72 ; Immobiliare Cerro s.a.s c. Italie, no 35638/03, §§ 49-65, 23 février 2006) : la privation des biens résultant de l'expropriation indirecte est « prévue par la loi » et répond à un intérêt collectif d'utilité publique ; le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui conditionne le transfert au patrimoine public du bien illégalement occupé ; l'illégalité commise par l'administration est un simple manquement aux règles qui président à la procédure administrative ; l'indemnisation peut être inférieure au préjudice subi par l'intéressé puisque la fixation de son montant rentre dans la marge d'appréciation laissée aux Etats.
56. A la lumière de ces considérations, le Gouvernement demande à la Cour de conclure à la non-violation de l'article 1 du Protocole no 1.
57. La requérante s'oppose aux arguments du Gouvernement et fait observer que l'expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l'autorité publique d'acquérir un bien en toute illégalité.
58. Elle dénonce un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à son cas au motif qu'un principe jurisprudentiel, tel que celui de l'expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.
59. Enfin, la requérante allègue qu'elle ne pourra pas en tout cas demander la restitution du terrain et ne pourra que recevoir une indemnité largement inférieure au préjudice subi, étant donné la loi budgétaire no 662 de 1996 appliquée en l'espèce.
2. Appréciation de la Cour
60. La Cour rappelle d'emblée qu'elle a joint au fond l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.
61. Pour la requérante, il y a eu perte de disponibilité totale du terrain sans décret d'expropriation ni indemnisation, si bien qu'en substance il y aurait eu une expropriation de fait.
62. Pour le Gouvernement, la requérante a été privée de son bien à compter du moment où celui-ci a été irréversiblement transformé ou, en tout cas, à partir du moment retenu par les juridictions nationales comme moment du transfert de propriété.
63. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).
64. Elle rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II). Le principe de légalité signifie l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296‑A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110).
65. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000‑VI , et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000‑VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.
66. La Cour relève qu'en l'espèce, la requérante a perdu la disponibilité du terrain à compter de son occupation en 1979, et que ce terrain a été par la suite transformé de manière irréversible à la suite de la réalisation d'un ouvrage public. Les juridictions internes ont estimé que l'occupation est devenue sans titre à compter de 1982 et à cette même date la requérante a été privée de son bien. La procédure est encore pendante devant la cour d'appel de Catane.
67. A défaut d'un acte formel de transfert de propriété susceptible de déployer ses effets et à défaut d'un jugement national déclarant qu'un tel transfert doit être considéré comme réalisé (Carbonara et Ventura, précité, § 80) et éclaircissant une fois pour toutes les circonstances exactes de celui-ci, la Cour estime que la perte de toute disponibilité du terrain en question, combinée avec l'impossibilité jusqu'ici de remédier à la situation incriminée, a engendré des conséquences assez graves pour que la requérante ait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de ses biens (Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993, série A no 260‑B, § 45) et non conforme au principe de prééminence du droit.
68. Dès lors, l'exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue et il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage, frais et dépens
1. Sur le dédommagement demandé en raison de la privation du terrain
70. La requérante demande 5 000 000 EUR à titre de préjudice matériel, plus la somme de 1 300 658,25 EUR correspondant à la différence entre l'indemnité qu'elle aurait perçue au sens de la loi no 2359 de 1865, à savoir la valeur marchande du terrain, et celle qui lui a été accordée conformément à l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992, majorée d'intérêts et réévaluée.
En tout état de cause, il demande à la Cour d'ordonner une expertise dans le cas où son évaluation du dédommagement serait mise en cause.
71. La requérante sollicite 400 000 EUR, plus intérêts et réévaluation, pour le préjudice moral dérivant de la violation des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention.
72. Enfin, elle demande le remboursement des frais encourus devant la Cour, soit 86 750 EUR, plus taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA).
73. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées dans les arrêts précités Carbonara et Ventura c. Italie et Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie et estime qu'en tout état de cause les sommes sollicitées par la requérante à ce titre sont excessives et en grande partie injustifiées.
74. S'agissant du préjudice moral et des frais de procédure, le Gouvernement estime disproportionnée les sommes revendiquées par la requérante.
75. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 en ce qui concerne le constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.
2. Sur le dédommagement demandé en raison de la durée de la procédure
76. S'agissant du préjudice moral causé par la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante renvoie aux sommes demandées dans le cadre de la demande de réparation de la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
77. Elle demande le remboursement des frais encourus devant la Cour et devant les autorités internes. Quant aux premiers, elle renvoie à la somme sollicitée dans le cadre de la demande de réparation de la violation de l'article 1 du Protocole no 1. S'agissant des seconds, elle les chiffre à 7 000 EUR.
78. Le Gouvernement affirme que les juridictions internes ont reconnu à la requérante un dédommagement conforme aux critères établis par la jurisprudence de la Cour.
79. Quant aux frais de procédure, il estime les prétentions de la requérante excessives.
80. S'agissant de la réparation du dommage moral, eu égard aux éléments de la présente affaire, la Cour estime qu'elle aurait accordé, en l'absence de voies de recours internes, la somme de 30 000 EUR. Vu que la requérante s'est vue accorder 6 000 EUR, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours choisie par l'Italie et compte tenu de ce qu'elle est parvenue à un constat de violation, la Cour, statuant en équité, estime que le requérant devrait se voir allouer 12 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
81. Quant aux frais et dépens dans le cadre du constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence établie, l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003‑VIII).
82. Si la Cour ne doute pas de la nécessité des frais réclamés ni qu'ils aient été effectivement engagés à ce titre, elle trouve cependant excessifs les honoraires revendiqués par la requérante. Elle considère dès lors qu'il n'y a lieu de les rembourser qu'en partie. Compte tenu des circonstances de la cause, elle alloue à la requérante 3 500 EUR au total pour l'ensemble des frais exposés devant les juridictions nationales et à Strasbourg, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
B. Intérêts moratoires
83. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
5. Dit, quant à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention,
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral ;
ii. 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Dit, quant à la violation de l'article 1 du Protocole no 1, que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et la requérante à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président