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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
2.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MILAZZO c. ITALIE

(Requête no 77156/01)

ARRÊT

STRASBOURG

2 novembre 2006

DÉFINITIF

02/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Milazzo c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Gyulumyan,

I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 77156/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Silvio Milazzo (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 octobre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me A. Anfuso Alberghina, avocat à Caltagirone (Catane). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Le 29 juin 2004, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1931 et réside à Catane.

6. Il était copropriétaire avec ses trois frères d'un terrain d'une superficie globale de 2 640 mètres carrés sis à Caltagirone, enregistré au cadastre feuille 108, parcelle 852.

7. Par un arrêté du 12 avril 1976, la région de Sicile décida l'occupation d'urgence dudit terrain en vue de son expropriation pour la construction d'une école. Par un deuxième arrêté du 2 mars 1977, l'administration fixa la période maximale d'occupation d'urgence à quatre ans.

8. Le terrain fut occupé matériellement à une date qui n'a pas été précisée et les travaux furent entamés.

9. Le 21 septembre 1981, la région fixa le montant de l'indemnité provisoire à accorder aux propriétaires du terrain à 47 520 lires italiennes (ITL). Le 27 février 1982, la région prorogea jusqu'au 1er mars 1983 le délai nécessaire à l'accomplissement de la procédure d'expropriation, celle-ci ne s'étant pas achevée dans le délai de quatre ans.

10. Par un arrêté du 5 février 1983, la région déclara l'expropriation définitive du terrain du requérant et confirma le montant de l'indemnité provisoire déjà fixé.

11. Le requérant et ses frères refusèrent l'offre d'acompte de l'administration, dont le montant fut ainsi versé à la Caisse des dépôts et prêts, et assignèrent la région à comparaître devant la cour d'appel de Catane afin d'obtenir une indemnité d'expropriation.

12. Par un arrêt du 4 décembre 1987, la cour d'appel déclara le recours irrecevable.

1. La procédure de dédommagement devant le tribunal de Caltagirone

13. Le 17 mars 1992, le requérant assigna la province de Catane et X, responsable de l'entreprise de construction, à comparaître devant le tribunal de Caltagirone afin d'obtenir un dédommagement. Il fit valoir que l'occupation du terrain litigieux était illicite, puisqu'elle s'était poursuivie au-delà du délai fixé pour l'expropriation, car la dernière prorogation du délai de la part de l'administration était irrégulière. Les parties défenderesses se constituèrent dans la procédure et soutinrent la légalité de l'occupation du terrain.

14. La mise en état de l'affaire commença le 30 avril 1992. A la première audience, l'avocat du requérant demanda que l'affaire fût jointe au recours introduit par ses frères en juillet 1989 et ayant le même objet. Ladite demande fut réitérée par les parties à l'audience du 2 juillet 1992.

15. L'audience du 8 octobre 1992 fut reportée en raison de l'absence des parties. Le 1er décembre 1994, le juge d'instruction disposa la jonction des affaires.

16. Le 11 janvier 1996, les parties demandèrent un délai pour examiner les nouvelles dispositions en matière d'indemnités d'expropriation, introduites par la dernière loi budgétaire de l'Etat.

17. A l'audience du 30 juin 1996, le procès fut interrompu en raison du décès de X, l'une des deux parties défenderesses.

18. Le 4 janvier 1997, le requérant demanda au tribunal la reprise du procès à l'encontre de la région Sicile. Par une ordonnance du 10 janvier 1997, le tribunal fit droit à la demande du requérant.

19. Le 12 juin 1997, l'audience fut reportée à la demande des parties.

20. Le 1er octobre 1998, les parties demandèrent au tribunal d'ordonner une expertise technique visant à établir la valeur du terrain litigieux. Le 1er décembre 1998, l'affaire fut confiée au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio).

21. A l'audience du 16 mars 1999, les parties réitérèrent leur demande d'expertise. Par une ordonnance du même jour, le tribunal nomma un expert. Ce dernier prêta serment à l'audience du 12 mai 1999 et obtint un délai de quatre-vingt dix jours pour le dépôt de son rapport.

22. Les 24 novembre 1999 et 29 mars 2000, les audiences furent renvoyées à la demande des parties car l'expertise n'avait pas encore été déposée. L'expert déposa son rapport au greffe le 11 avril 2000.

23. Le 3 mai 2000, les parties demandèrent au tribunal de trancher l'affaire sur la base des conclusions de l'expertise. Le juge fixa au 5 juillet 2000 la date de l'audience de présentation des conclusions.

24. Par un jugement du 20 décembre 2000, déposé au greffe le 13 février 2001, le tribunal de Caltagirone accueillit le recours du requérant et de ses frères. Il affirma que la période autorisée pour l'expropriation s'était terminée en 1983 et, faisant application des critères introduits par la loi no 662 de 1996, il condamna la région à payer aux quatre demandeurs les sommes de 397 254 331 ITL à titre de dédommagement et 132 522 856 ITL à titre d'indemnité d'occupation licite.

25. Par un acte notifié le 31 octobre 2001, l'administration régionale interjeta appel. La procédure devant la cour d'appel de Catane demeure pendante.

26. Entre-temps, l'administration paya au requérant la somme allouée par le tribunal de Caltagirone.

2. La procédure « Pinto »

27. Le 7 octobre 2001, le requérant saisit la cour d'appel de Messine au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure devant le tribunal de Caltagirone.

28. Le requérant demanda à la cour de déclarer qu'il y avait eu une violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de condamner le gouvernement italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis. Le requérant demanda notamment 50 000 000 ITL à titre de dommage matériel et la même somme à titre de dommage moral.

29. Par une décision du 16 février 2002, la cour d'appel rejeta la demande du requérant et le condamna au paiement des frais de procédure. Elle affirma que les parties avaient demandé une expertise technique le 1er octobre 1998 seulement, à savoir environ six ans après le début de la procédure, faisant état d'un manque d'intérêt pour l'affaire. En outre, la cour mit en exergue le fait qu'à partir de cette dernière date, la durée de la procédure avait été raisonnable, puisqu'elle n'avait duré qu'un peu plus de deux ans.

30. Le requérant se pourvut en cassation. Il fit valoir que la cour d'appel avait fondé son arrêt exclusivement sur l'évaluation du comportement des parties, sans prendre en compte les autres critères consacrés par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme pour apprécier la durée des procédures, à savoir la complexité de l'affaire et le comportement des autorités judiciaires. Il affirma que les parties avaient été diligentes. En revanche, les intervalles entre les audiences ainsi que le retard dans le dépôt de l'expertise, imputables aux autorités judiciaires, avaient provoqué une longueur disproportionnée dans le traitement de l'affaire, qui n'était pas complexe.

31. Par un arrêt du 10 avril 2003, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle affirma que la cour d'appel avait pris en compte le niveau de complexité de l'affaire. Quant à la question concernant les intervalles entres les audiences, elle estima, d'une part, que la vérification de cet élément ne pouvait pas faire l'objet de son examen et, d'autre part, que rien ne démontrait que cet élément était décisif dans l'évaluation de la durée globale de la procédure.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

32. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

33. Le requérant allègue avoir été privés de leur terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

34. Le Gouvernement soulève d'abord une exception de tardiveté. Il fait valoir que le délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention a commencé à courir à compter le 13 février 2001, date d'adoption du jugement du tribunal de Caltagirone, ayant déclaré le transfert de la propriété.

35. En deuxième lieu, il soulève une exception de non épuisement des voies de recours internes, la procédure étant actuellement pendante devant la cour d'appel de Catane.

36. Le requérant s'oppose aux arguments du Gouvernement.

37. S'agissant de la première exception, la Cour rappelle qu'elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires La Rosa et autres c. Italie (no 2), ((déc.), no 58274/00, 1er avril 2004), La Rosa et autres c. Italie (no 3), ((déc.), no 58386/00, 1er avril 2004), Carletta c. Italie, ((déc.), no 63861/00, 1er avril 2004), Donati c. Italie, ((déc.), no 63242/00, 13 mai 2004), Maselli c. Italie (no 2) ((déc.), no 61211/00, 27 mai 2004) et Chirò c. Italie (no 2) ((déc.), no 65137/01, 27 mai 2004). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception en question.

38. S'agissant de l'exception tirée du non-épuisement des voies des recours internes, la Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, qu'elle est étroitement liée au fond de la requête et décide de la joindre au fond.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

39. Le Gouvernement réitère les arguments avancés dans de nombreuses affaires (voir, parmi d'autres, Serrao, précité, §§ 56-72, et Immobiliare Cerro s.a.s c. Italie, no 35638/03, §§ 49-65, 23 février 2006) : la privation des biens résultant de l'expropriation indirecte est « prévue par la loi » et répond à un intérêt collectif d'utilité publique ; le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui conditionne le transfert au patrimoine public du bien illégalement occupé ; l'illégalité commise par l'administration est un simple manquement aux règles qui président à la procédure administrative ; l'indemnisation peut être inférieure au préjudice subi par l'intéressé puisque la fixation de son montant rentre dans la marge d'appréciation laissée aux Etats.

40. A la lumière de ces considérations, le Gouvernement demande à la Cour de conclure à la non-violation de l'article 1 du Protocole no 1.

b) Le requérant

41. Le requérant s'oppose à la thèse du Gouvernement.

42. Il fait observer que l'expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l'autorité publique d'acquérir un bien en toute illégalité.

43. Il dénonce un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à son cas au motif qu'un principe jurisprudentiel, tel que celui de l'expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l'existence d'une ingérence

44. La Cour rappelle d'emblée qu'elle a joint au fond l'exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

45. Pour le requérant, il y a eu perte de disponibilité totale du terrain sans décret d'expropriation ni indemnisation, si bien qu'en substance il y aurait eu une expropriation de fait.

46. Pour le Gouvernement, le requérant a été privé de son bien à compter du moment où celui-ci a été irréversiblement transformé ou, en tout cas, à partir du moment retenu par les juridictions nationales comme moment du transfert de propriété.

47. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

48. La Cour rappelle que l'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II). Le principe de légalité signifie l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles (Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296A, pp. 19-20, § 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 47, § 110).

49. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI , et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.

50. La Cour relève qu'en l'espèce, le requérant a perdu la disponibilité du terrain à compter de son occupation, et que par la suite ce terrain a été transformé de manière irréversible à la suite de la réalisation d'un ouvrage public. Les juridictions internes ont estimé que l'occupation est devenue sans titre à compter de 1983 et à cette même date le requérant a été privé de son bien. La procédure est encore pendante devant la cour d'appel de Catane.

51. A défaut d'un acte formel de transfert de propriété susceptible de déployer ses effets et à défaut d'un jugement national déclarant qu'un tel transfert doit être considéré comme réalisé (Carbonara et Ventura, précité, § 80) et éclaircissant une fois pour toutes les circonstances exactes de celui-ci, la Cour estime que la perte de toute disponibilité du terrain en question, combinée avec l'impossibilité jusqu'ici de remédier à la situation incriminée, a engendré des conséquences assez graves pour que le requérant ait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de leurs biens (Papamichalopoulos et autres c. Grèce, arrêt du 24 juin 1993, série A no 260B, § 45) et non conforme au principe de prééminence du droit.

52. Dès lors, l'exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue et il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

53. Le requérant soutient que la procédure engagée afin d'obtenir le dédommagement pour la perte du terrain a méconnu le principe du « délai raisonnable » posé par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

54. Le Gouvernement affirme que le requérant ne peut plus se prétendre victime de la violation alléguée, la cour d'appel et la Cour de cassation s'étant prononcées sur ses allégations et les ayant rejetées par des décisions motivées et en conformité avec les principes dégagés par la jurisprudence de Strasbourg.

55. Le requérant conteste l'exception du Gouvernement et se plaint d'avoir épuisé le remède offert par la loi Pinto sans toutefois avoir obtenu ni un constat de violation ni une réparation pour le dommage subi.

56. La Cour rappelle d'abord que la question de savoir si une personne peut encore se prétendre victime d'une violation de la Convention implique essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la situation de la personne concernée. Le principe de subsidiarité ne signifie pas qu'il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l'utilisation de la voie de recours interne, sous peine de vider les droits garantis par l'article 6 § 1 de toute substance. En outre, comme la Cour l'a déjà dit dans d'autres affaires de durée de procédure, le fait de savoir si la personne concernée a obtenu pour le dommage qui lui a été causé une réparation – comparable à la satisfaction équitable dont parle l'article 41 de la Convention – revêt de l'importance.

57. La Cour est donc appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention tels qu'interprétés dans sa jurisprudence. En outre, une erreur manifeste d'appréciation de la part du juge national peut aussi découler d'une mauvaise application ou interprétation de la jurisprudence de la Cour (voir, parmi d'autres, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 82, CEDH 2006....).

58. Il découle de ce qui précède que, pour apprécier la qualité de victime d'une personne dans une affaire de durée de procédure après l'utilisation de la voie de recours interne, il appartient à la Cour de vérifier, d'une part, s'il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d'une violation d'un droit protégé par la Convention et, d'autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (voir, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 191, CEDH 2006...).

59. Aucune de ces conditions n'ayant été remplie dans le cas d'espèce, la Cour estime que le requérant peut toujours se prétendre « victime » d'une violation de l'exigence du « délai raisonnable ». Partant, l'exception du Gouvernement doit être rejetée.

B. Sur le fond

60. Le Gouvernement soutient que, compte tenu notamment du comportement des parties et de la complexité de l'affaire, la durée de la procédure litigieuse ne saurait être considérée excessive.

61. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement et, soutenant que l'affaire n'était pas complexe, attire l'attention de la Cour sur les nombreux retards imputables à l'Etat.

62. La Cour observe que la procédure est actuellement pendante devant la cour d'appel de Catane. Cependant, le requérant s'étant prévalu du recours Pinto pour se plaindre de la durée de la procédure devant le tribunal de Caltagirone, la Cour estime que la période à considérer a commencé le 17 mars 1992, avec la l'acte d'assignation devant le tribunal de Caltagirone, pour s'achever le 13 février 2001, date du dépôt au greffe de la décision dudit tribunal. Elle a donc duré presque neuf ans pour un degré de juridiction.

63. La Cour rappelle avoir conclu dans quatre arrêts contre l'Italie du 28 juillet 1999 (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, Ferrari c. Italie [GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999, A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999, et Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, § 23, CEDH 1999-V) à l'existence d'une pratique en Italie incompatible avec la Convention.

64. Elle rappelle en outre avoir affirmé dans neuf arrêts contre l'Italie du 29 mars 2006 (Scordino (no 1), précité, § 224, Cocchiarella, précité , Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 119, CEDH 2006-..., Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, § 116, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1) [GC], no 64705/01, § 117, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 116, 29 mars 2006, Apicella c. Italie [GC], no 64890/01, § 116, 29 mars 2006, Ernestina Zullo c. Italie [GC], no 64897/01, § 121, 29 mars 2006, et Giuseppina et Orestina Procaccini c. Italie [GC], no 65075/01, § 117, 29 mars 2006) que la situation de l'Italie au sujet des retards dans l'administration de la justice n'a pas suffisamment changé pour remettre en cause l'évaluation selon laquelle l'accumulation de manquements est constitutive d'une pratique incompatible avec la Convention.

65. En outre, le fait que la procédure « Pinto » examinée dans son ensemble n'ait pas reconnu au requérant sa qualité de « victime » (paragraphes 56-58 ci-dessus), constitue une circonstance aggravante dans un contexte de violation de l'article 6 § 1 pour dépassement du délai raisonnable. La Cour sera donc amenée à revenir sur cette question sous l'angle de l'article 41.

66. Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties et de la pratique précitée, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

67. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage, frais et dépens

1. Sur le dédommagement demandé en raison de la privation du terrain

69. Pour préjudice matériel, le requérant sollicite la restitution du terrain.

70. A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la restitutio in integrum ne serait pas possible en l'espèce, le requérant réclame 521 516 EUR, à savoir la somme correspondant à la différence entre la valeur marchande du terrain, réévaluée et augmentée de la plus-value dérivant de la réalisation de l'ouvrage public, et le montant obtenu suite au jugement du tribunal de Caltagirone.

En tout état de cause, il demande à la Cour d'ordonner une expertise pour évaluer le dommage subi.

71. Le requérant demande 70 000 EUR pour le préjudice moral dérivant de la violation des articles 1 du protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention.

72. Enfin, il demande le remboursement des frais encourus devant la Cour, soit 43 122,13 EUR.

73. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement conteste les modalités de calcul du dommage matériel employées par le requérant et estime que la somme sollicitée à ce titre est excessive et en grande partie injustifiée.

74. S'agissant du préjudice moral et des frais de procédure, le Gouvernement estime disproportionnée les sommes revendiquées par le requérant.

75. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 en ce qui concerne le constat de violation de l'article 1 du Protocole no 1 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.

2. Sur le dédommagement demandé en raison de la durée de la procédure

76. S'agissant du préjudice moral dans le cadre du constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant renvoie à la somme demandée dans le cadre de la demande de réparation de la violation de l'article 1 du Protocole no 1.

77. Il demande en outre le remboursement des frais encourus devant la Cour et devant les autorités internes. Quant aux premières, il renvoie à la somme sollicitée dans le cadre de la demande de réparation de la violation de l'article 1 du Protocole no 1. S'agissant des secondes, il les chiffre à 7 835 EUR.

78. Le Gouvernement s'oppose à ces prétentions.

79. Quant aux frais de procédure, il estime les demandes du requérant excessives.

80. S'agissant de la réparation du dommage moral, eu égard aux éléments de la présente affaire et compte tenu du fait que la voie de recours choisie par l'Italie n'est pas parvenue à un constat de violation, la Cour, statuant en équité, estime que le requérant doit se voir allouer 10 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

81. Quant aux frais et dépens dans le cadre du constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence établie, l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003VIII).

82. Si la Cour ne doute pas de la nécessité des frais réclamés ni qu'ils aient été effectivement engagés à ce titre, elle trouve cependant excessifs les honoraires revendiqués par le requérant. Elle considère dès lors qu'il n'y a lieu de les rembourser qu'en partie. Compte tenu des circonstances de la cause, elle alloue au requérant 5 500 EUR au total pour l'ensemble des frais exposés devant les juridictions nationales et à Strasbourg, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.

B. Intérêts moratoires

83. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit, quant à la violation de l'article 1 du Protocole no 1, que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin ;

5. Dit, quant à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention,

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral ;

ii. 5 500 EUR (cinq mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 novembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président