Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
31.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ZBOROWSKI c. POLOGNE

(Requête no 13532/03)

ARRÊT

STRASBOURG

31 octobre 2006

DÉFINITIF

31/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Zborowski c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 13532/03) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mirosław Zborowski (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 avril 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Jerzy Synowiec, avocat à Gorzów. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 26 septembre 2005, la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4 Le requérant, M. Mirosław Zborowski, est un ressortissant polonais, né en 1958 et résidant à Szamotuły.

5. Le 18 janvier 2001, le requérant, qui exerçait la profession de conseil juridique, fut arrêté. Il était soupçonné d'avoir commis - à l'occasion de l'exercice de ses fonctions et conjointement avec d'autres personnes - douze infractions. En particulier, on lui reprochait l'établissement et l'usage de faux testaments dans le cadre de diverses procédures judicaires qui avaient abouti à l'accaparement de nombreuses successions, dont des immobiliers.

6. Le 19 janvier 2001, le requérant fut placé en détention provisoire. La décision de mise en détention, confirmée en appel à une date indéterminée, fut motivée par la complexité de l'affaire et le risque d'entrave à la bonne marche de la procédure, ainsi que par la sévérité de la peine encourue.

7. Les décisions prolongeant la détention des 13 avril, 11 juillet et 11 octobre 2001, furent basées essentiellement sur les mêmes motifs. Les juges soulignèrent que la crainte d'entrave au bon déroulement de la procédure découlait entre autres du fait que celle-ci avait trait aux irrégularités constatées dans le fonctionnement du système judiciaire. Ils indiquèrent la nécessité d'entendre des témoins, dont la femme du requérant, et de recueillir des opinions d'expert.

8. Dans ses appels et demandes de remise en liberté le requérant tenta sans succès d'échanger la détention contre un autre moyen plus souple, dont le cautionnement de l'ordre des conseils juridiques. Il fit valoir entre autres le caractère médiatique de l'affaire et soutint que même si plusieurs mois avant son arrestation il avait eu pleine conscience de faire l'objet des enquêtes, il n'avait fait aucune démarche visant à entraver la bonne marche de la procédure.

9. Les 26 septembre et 16 octobre 2001, le procureur modifia les charges d'accusation pesant sur le requérant.

10. Le 5 novembre 2001, le procureur déposa l'acte d'accusation auprès du tribunal de district de Poznań, compétent en raison du lieu des infractions.

11. Le 12 février 2002, statuant sur la demande du tribunal de district de Poznań et eu égard à l'intérêt de la justice, la Cour suprême désigna pour connaître de l'affaire le tribunal de district de Szamotuły.

12. Le 8 novembre 2002, le tribunal de district tint sa première audience qui fut finalement reportée au 11 février 2003. Ensuite, selon le requérant, les audiences furent fixées en moyenne une fois par mois, à l'exception d'une période d'inactivité de cinq mois.

13. Entre le 14 novembre 2001 et le 28 novembre 2002, les tribunaux prolongèrent régulièrement la détention provisoire. Les juges évoquèrent essentiellement la sévérité de la peine encourue ainsi que la complexité et le caractère exceptionnel de l'affaire. En plus, au vu de la nécessité d'entendre la femme de l'intéressé et des divergences entre les explications des coaccusés, le requérant aurait pu, selon les juges, se concerter avec d'autres personnes impliquées dans l'affaire pour adopter une position commune. Enfin, le requérant qui avait déjà sollicité, selon les tribunaux de manière peu convaincante, sa libération en raison d'un mauvais état de santé pourrait mettre à profit sa libération pour se dérober à la justice.

14. À compter du mois de janvier 2003 – date de l'expiration de la période maximale de la détention autorisée par la loi – la cour d'appel, en accueillant de nouvelles demandes de prolongation de la détention du requérant, somma le tribunal compétent de terminer la procédure dans les meilleurs délais. Par ailleurs, la cour d'appel releva que les raisons invoquées par les autorités pour justifier les retards dans le déroulement de la procédure, telles que le caractère complexe de l'affaire, la nécessité d'obtenir des expertises médicales concernant les coaccusés et les difficultés logistiques (transport de détenus), étaient objectivement justifiées. Les juges soulevèrent en outre qu'avant son arrestation, le requérant avait pris l'initiative de détruire les preuves et d'exercer des pressions sur les personnes impliquées dans l'affaire, ce qui suggérait que le risque de collusion existait toujours.

15. Le 23 avril 2004, le tribunal de district de Szamotuły condamna le requérant à une peine de 8 années de prison. Le 18 janvier 2005, le tribunal régional de Poznań infirma cette décision et renvoya l'affaire pour réexamen. Le même jour, en vertu de la décision prononcée par le tribunal de district de Szamotuły, le requérant fut libéré sous caution. En même temps, le tribunal prononça à son encontre l'interdiction de quitter le territoire, ordonna la saisie de son passeport et le plaça sous surveillance policière.

16. Selon les informations fournies la procédure est en cours.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

17. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et cite l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »

A. Sur la recevabilité

18. Le gouvernement ne soulève aucune exception préliminaire d'irrecevabilité de la requête.

19. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1 La période à prendre en considération

20. La Cour constate que la période à prendre en considération s'étend du 18 janvier 2001, date de l'arrestation du requérant au 23 avril 2004, date de sa condamnation en première instance. La durée totale de la détention provisoire du requérant est dès lors d'environ trois années et trois mois.

2 Le caractère raisonnable de la durée de la détention

21. Le Gouvernement estime que la détention se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu'elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux fournissant des explications détaillées.

22. Le Gouvernement soulève la gravité des infractions commises par le requérant dont l'examen avait mis en lumière des failles dans le fonctionnement du système judiciaire du fait de l'implication de certains magistrats. Il estime qu'on pouvait raisonnablement croire qu'une fois remis en liberté le requérant, qui a joué un rôle principal, tenterait de faire pression sur les coaccusés et témoins, notamment sur son épouse. Selon le gouvernement polonais l'intéressé aurait pu entraver ainsi le bon déroulement de la procédure.

23. Le Gouvernement fait également valoir que les autorités ont apporté toute la diligence nécessaire à l'affaire, malgré le nombre important de personnes impliquées et la complexité extrême des faits. Cette complexité, qui s'expliquerait notamment par le nombre de juges impliqués dans l'affaire et la nécessité de lever leurs immunités, justifierait selon lui la durée exceptionnelle de la détention.

24. Le requérant réfute les arguments du Gouvernement. Tout en admettant le délai relativement court, par rapport à la complexité d'affaire, de la phase d'instruction (janvier – novembre 2001), il fait valoir l'absence de diligence des tribunaux dans la phase judiciaire qui se manifesterait par de longues périodes d'inactivité entre les audiences.

25. La Cour rappelle qu'il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence d'une véritable exigence d'intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d'en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

26. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir notamment l'arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).

27. La Cour observe qu'en l'espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention essentiellement par la complexité du dossier et la sévérité de la peine encourue, ainsi que par le risque de collusion et de pression sur les témoins.

28. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (environ trois années et trois mois) se justifiait au regard de l'article 5 § 3.

29. La Cour n'a pas décelé pareilles raisons en l'espèce. Elle considère que la complexité de l'affaire ne saurait à elle seule justifier une durée de détention aussi importante.

30. La Cour relève que la longue durée de la phase judiciaire (environ deux années et cinq mois), marquée par de longues périodes où les débats n'ont pas eu lieu, surtout entre le dépôt de l'acte d'accusation et la première audience (un an), ne permet pas constater que les autorités ont apporté à l'affaire toute la diligence nécessaire.

31. La Cour constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes d'élargissement du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour reconnaît que les autorités nationales doivent prévenir le risque de collusion et de pression sur les témoins. Ceci se justifiait sans aucun doute dans les circonstances de la présente affaire, d'autant plus que l'intéressé agissait conjointement avec d'autres personnes soupçonnées d'avoir accaparé de nombreuses successions en profitant des failles dans le fonctionnement du système judiciaire. Cette raison ne suffisait pas toutefois à elle seule à justifier le maintien du requérant en prison.

32. La Cour observe que la nécessité de lever les immunités des juges impliqués dans l'affaire, mentionnée par le Gouvernement, n'a pas été indiquée, comme motif, à l'appui des décisions de maintien de la détention provisoire.

33. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n'étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.

34. Il y a donc eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

36. Le requérant réclame 180 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu'il aurait subi.

37. Le Gouvernement estime cette somme excessive. Il invite la Cour à décider qu'en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il demande à la Cour d'apprécier le montant de la satisfaction équitable sur la base de sa jurisprudence dans des affaires similaires et à la lumière de la conjoncture économique interne.

38. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

39. Le requérant demande le remboursement des frais d'avocat encourus pour la procédure devant la Cour, qui s'élèvent à 9 760 PLN (soit environ 2 400 EUR) et présente des justificatifs.

40. Le Gouvernement prie la Cour de ne rembourser que les frais et dépens dont se trouvent établis la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Il renvoie à cet égard à l'arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983 (série A no 66, p. 14, § 36).

41. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

42. Dès lors, s'agissant des frais et dépens afférents à la procédure devant les organes de la Convention, la Cour estime raisonnable et alloue la somme de 2 400 EUR, plus toute somme pouvant être due au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.

C. Intérêts moratoires

43. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit ,

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour dommage moral et 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt; cette somme est à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président