Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
9.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 11549/05
présentée par K. D.
contre l’Italie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 9 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 22 mars 2005,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. K. D., est un ressortissant tunisien, né en 1967 et actuellement détenu au pénitencier de Palmi (Reggio de Calabre). Il est représenté devant la Cour par Me S. Clementi, avocat à Milan.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant fut accusé de faire partie d’une association de malfaiteurs liée à des groupes islamistes intégristes et de connivence dans l’immigration clandestine. Par un jugement du 3 décembre 2004, le tribunal de Milan le condamna à une peine de cinq ans et dix mois d’emprisonnement. Il précisa qu’après avoir purgé sa peine, le requérant aurait dû être expulsé du territoire italien.

Le requérant interjeta appel. Il observa que sa condamnation avait été prononcée sur la base de certaines écoutes téléphoniques, de sa qualité de fondateur d’une société, de sa présence dans un appartement lors d’une perquisition et du matériel qui lui avait été saisi. Cependant, ces éléments ne constituaient pas, de l’avis du requérant, des indices suffisamment graves et précis. La défense avait tenté d’expliquer la présence dans l’appartement en question en demandant la convocation de témoins qui auraient dû déclarer que le requérant venait d’être expulsé de son logement ; cependant, le tribunal avait refusé ces preuves. Par ailleurs, les liens de l’association à laquelle le requérant était soupçonné appartenir avec des terroristes islamistes avait été déduite d’un jugement, prononcé à l’encontre d’un coïnculpé par un tribunal tunisien. Ce document n’aurait pas dû être utilisé et sa traduction en italien était douteuse. Le requérant demanda donc à la cour d’appel de l’écarter.

Par ailleurs, les juges de première instance avaient interprété certains morceaux de conversation comme indiquant que le requérant lui-même avait eu des problèmes avec la justice de son pays. En contestant cette interprétation, l’intéressé cita des extraits du rapport d’Amnesty International de 2002, et attira l’attention des autorités judiciaires italiennes sur « l’état de la justice en Tunisie », alléguant des violations des droits fondamentaux et le caractère sommaire des procédures pénales.

La défense contestait également le refus de convoquer et examiner M. M., un journaliste souvent envoyé dans des zones de guerre, qui aurait pu témoigner que le matériel audiovisuel saisi aux accusés était très diffusé et facilement accessible dans les pays musulmans. Le requérant demanda enfin la levée de son expulsion. Il allégua ne pas être socialement dangereux et que son intégrité physique, voire sa vie, auraient été mises en péril en cas de retour en Tunisie.

Par un arrêt du 29 septembre 2005, dont le texte fut déposé au greffe le 21 décembre 2005, la cour d’appel de Milan réduisit la peine infligée au requérant à trois ans et sept mois d’emprisonnement. Elle confirma le jugement de première instance pour le surplus.

La cour d’appel estima notamment qu’il manquait la preuve que l’association des malfaiteurs à laquelle le requérant appartenait était liée à des groupes terroristes ou qu’elle avait pour but de mettre en danger le régime démocratique. Elle estima que la présence de l’intéressé dans l’appartement perquisitionné par la police ne constituait pas une telle preuve, la circonstance pouvant s’expliquer par des raisons autres que l’adhésion aux idéologies intégristes. Quant au matériel audiovisuel trouvé en possession des accusés, il n’était pas possible d’établir s’il s’agissait d’instruments de propagande subversive ou d’une simple évocation d’événements d’intérêt pour la culture islamique. Enfin, la condamnation prononcée en Tunisie à l’encontre d’un coïnculpé du requérant ne démontrait pas que l’association à laquelle l’intéressé appartenait était liée à d’autres groupes criminels.

Le 2 février 2006, le requérant se pourvut en cassation. Il contesta avoir fait partie de l’association de malfaiteurs, dont l’existence n’aurait pas été prouvée. Il ne réitéra pas ses allégations concernant le refus de convoquer les témoins, la production et la traduction du jugement tunisien et les risques de mauvais traitements en Tunisie.

L’issue de la procédure en cassation n’est pas connue.

Devant la Cour, le requérant a produit la traduction en italien d’un document tunisien intitulé « avis de jugement prononcé par contumace ». Dans ses parties pertinentes, la traduction en question se lit comme suit :

« J’informe M. K. D., fils de H. E. M., né le 22 juillet 1967, résident à Menzel Bouzelfa, qu’à l’audience du 20 février 1999 il a été condamné par contumace à [une peine de] dix ans [d’emprisonnement] pour appartenance à une organisation terroriste agissant en temps de paix. On a appliqué la privation des droits humains et une mesure de précaution pour [une durée de] cinq ans. »

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’un manque d’équité de la procédure pénale menée à son encontre en Italie.

2. Invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, le requérant allègue que son expulsion vers la Tunisie l’exposerait au risque de traitements incompatibles avec le respect de ses droits fondamentaux.

EN DROIT

1. Le requérant considère que la procédure pénale dont il a fait l’objet en Italie n’a pas été équitable. Il invoque l’article 6 de la Convention qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...).

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

Le requérant allègue que toute preuve de sa participation à une association de malfaiteurs manquait. Par ailleurs, les témoins indiqués par la défense n’ont pas été convoqués et le tribunal de Milan a pris en considération des décisions rendues par les tribunaux militaires tunisiens à l’issue de procédures inéquitables.

La Cour note tout d’abord que l’issue du pourvoi en cassation du requérant n’est pas connue. Quoi qu’il en soit, et à supposer même que ce grief ne soit pas prématuré, les allégations du requérant sont de toute manière à rejeter, pour les raisons suivantes.

Dans la mesure où le requérant se plaint de sa condamnation pour association de malfaiteurs, la Cour rappelle qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles. La tâche de la Cour n’est pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Garcia Ruiz c. Espagne, no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). La Cour ne doit pas non plus se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence du requérant (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V).

Pour ce qui est du refus de convoquer les témoins sollicités par le requérant et l’utilisation des jugements rendus par les tribunaux militaires tunisiens, la Cour relève que l’intéressé n’a pas réitéré ses allégations sur ces points dans le cadre de son pourvoi en cassation. Il n’a donc pas épuisé les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit italien.

Il s’ensuit que ce grief est à rejeter en partie pour défaut manifeste de fondement et en partie pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§§ 1, 3 et 4 de la Convention.

2. Le requérant considère que l’exécution de son expulsion l’exposerait à un risque de traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention. Ces dispositions se lisent comme suit :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le requérant allègue que plusieurs ressortissants tunisiens, une fois expulsés dans leur pays, ont été torturés et/ou emprisonnés sans procès.

La Cour observe que le requérant a également produit une traduction d’un avis l’informant d’une condamnation prononcée à son encontre par contumace par un tribunal militaire. Elle estime dès lors que ce grief pose également la question de savoir si l’intéressé risquerait de subir un déni de justice flagrant en Tunisie (voir, mutatis mutandis, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 32, CEDH 2001-XI).

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés des articles 2 et 3 de la Convention et du risque de déni de justice flagrant auquel l’intéressé pourrait être exposé en Tunisie ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président