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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE EMANUELE CALANDRA ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 71310/01)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2006

DÉFINITIF

26/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Emanuele Calandra et autres c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 décembre 2004 et 5 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 71310/01) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet État, M. Francesco Emanuele Calandra, M. Nicola Emanuele, Mme Rossella Emanuele et Mme Wanda Bocca (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 novembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me C. F. Emanuele, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Les requérants se plaignaient en particulier d’une atteinte injustifiée à leur droit au respect de leurs biens, ainsi que de l’absence d’équité de la procédure devant les juridictions internes.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Le 18 septembre 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention (équité de la procédure) au Gouvernement.

6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7. Par une décision du 9 décembre 2004, la chambre a joint au fond le troisième volet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes et déclaré le restant de la requête recevable.

8. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Les requérants sont nés respectivement en 1928, 1961, 1962 et 1924 et résident à Turin.

10. Les requérants étaient propriétaires d’un terrain constructible de 228 mètres carrés sis à Partanna (Trapani) et enregistré au cadastre, feuille 35, parcelle 183, ainsi que d’un bâtiment y construit.

11. Par un arrêté du 30 juillet 1973, la municipalité de Partanna adopta un plan détaillé d’urbanisme qui prévoyait l’aménagement d’une place sur le terrain des requérants.

12. Le 31 décembre 1973, ce plan détaillé d’urbanisme fut approuvé par la région de Sicile, cet acte valant déclaration d’utilité publique.

13. Par un arrêté du 6 juillet 1979, le maire de Partanna ordonna la démolition du bâtiment des requérants se trouvant sur le terrain.

14. En 1979, la municipalité de Partanna procéda à l’occupation matérielle du terrain et à la démolition du bâtiment, et entama les travaux de construction de la place.

15. Ces travaux de construction se terminèrent le 31 décembre 1985.

16. Par un acte d’assignation notifié le 25 octobre 1989, les requérants introduisirent devant le tribunal civil de Marsala une action en dommages intérêts à l’encontre de la municipalité de Partanna.

17. Ils alléguaient que l’occupation du terrain s’était prolongée au-delà du délai autorisé et que les travaux de construction de la place s’étaient terminés sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle du terrain et au paiement d’une indemnité.

18. Se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte, ils estimaient qu’à la suite de l’achèvement de l’ouvrage public, leur droit de propriété avait été neutralisé et que par conséquent il ne leur était pas possible de demander la restitution du terrain litigieux, mais seulement des dommages-intérêts. A la lumière de ces considérations, ils réclamaient un dédommagement pour la perte du terrain et une indemnisation pour non-jouissance du terrain.

19. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur marchande du terrain des requérants au 31 décembre 1985, date de la réalisation de l’ouvrage public, était de 57 000 000 ITL, soit 250 000 ITL le mètre carré.

20. Par une ordonnance du 20 juin 2000, le tribunal de Marsala déclara que le terrain avait été occupé de manière illégale en l’absence d’un décret d’expropriation et que les requérants devaient se considérer comme privés de celui-ci à compter du 31 décembre 1985, date de la réalisation de l’ouvrage public, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. A la lumière de ces considérations, le tribunal décida que les requérants avaient droit à un dédommagement de 34 562 000 ITL, somme quantifiée à partir de l’évaluation de l’expert et réduite en application de la loi no 662 du 1996, entre-temps entrée en vigueur.

21. Par un acte notifié aux requérants le 19 mars 2002, la municipalité de Partanna déclara de renoncer au jugement définitif. Par conséquent, l’ordonnance du 20 juin 2000 acquit force de jugement, aux termes de l’article 186 quater du code de procédure civile.

22. D’après les requérants, cette ordonnance ayant acquis force de jugement est devenue définitive le 6 juillet 2002.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

24. Les requérants allèguent avoir été privés de leur terrain dans des circonstances incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur l’exception du Gouvernement jointe au fond

25. Dans sa décision sur la recevabilité du 9 décembre 2004, la Cour a décidé de joindre au fond le troisième volet de l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes, basé sur le constat que la procédure nationale était pendante devant le tribunal de Marsala de sorte qu’il n’y avait pas encore de jugement interne définitif.

26. Dans ses observations sur le fond, le Gouvernement prend acte de ce que l’ordonnance du tribunal de Marsala du 20 juin 2000 a acquis force de jugement aux termes de l’article 186 quater du code procédure civile et est devenue définitive.

27. Vu que l’ordonnance du tribunal de Marsala du 20 juin 2000 a acquis force de jugement aux termes de l’article 186 quater du code procédure civile et est devenue définitive le 6 juillet 2002, la Cour estime qu’il ne s’impose pas de se prononcer sur ce volet de l’exception.

B. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

28. Dans ses observations, le Gouvernement a soulevé une exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes comportant deux volets.

29. Quant au premier volet, le Gouvernement a plaidé que les requérants n’ont pas contesté devant les juridictions administratives compétentes la légitimité des actes administratifs autorisant l’occupation de leur terrain.

30. S’agissant du deuxième volet, le Gouvernement fait valoir que les requérants auraient dû attaquer l’ordonnance du 20 juin 2000 ayant acquis force de jugement devant les juridictions nationales compétentes, afin d’obtenir un dédommagement égal à la valeur marchande du terrain compte tenu de ce que l’ouvrage public a été réalisé en l’absence d’un arrêté autorisant l’occupation du terrain.

31. Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement.

32. Quant au premier volet de l’exception, la Cour note que celui-ci a déjà été rejeté dans sa décision sur la recevabilité du 9 décembre 2004 et que le Gouvernement fonde son exception sur des arguments qui ne sont pas de nature à remettre en cause sa décision sur la recevabilité. Par conséquent, le premier volet de l’exception ne saurait être retenu.

33. S’agissant du deuxième volet de l’exception, la Cour rappelle d’abord qu’elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Giacobbe et autres c. Italie (no 16041/02, 15 décembre 2005), Grossi c. Italie, (no 18791/03, 6 juillet 2006), Ucci c. Italie (no 213/04, 22 juin 2006), Lo Bue c. Italie (no 12912/04, 13 juillet 2006), Zaffuto c. Italie (no 12894/04, 13 juillet 2006) et Sciarrotta c. Italie (no 14793/02, 12 janvier 2006).

34. De surcroît, elle rappelle qu’en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, étant entendu qu’il incombe au Gouvernement excipant du non épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe et autres c. Italie, no 16041/02, § 63, 15 décembre 2005). En l’espèce, le Gouvernement n’a pas démontré que devant la cour d’appel compétente les requérants auraient pu obtenir une réparation conforme aux critères dégagés par la jurisprudence de la Cour.

35. A la lumière des considérations qui précèdent, le deuxième volet de l’exception doit être rejeté.

C. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

36. D’emblée, le Gouvernement fait valoir que la démolition du bâtiment sis sur le terrain des requérants, effectuée en 1979, n’était pas liée en tant que telle aux travaux de construction de la place, ayant été ordonnée en raison de la dangerosité de l’immeuble en conséquence des dommages provoqués par un tremblement de terre et une alluvion.

37. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d’espèce, il s’agit d’une occupation de terrain dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. Il admet que la procédure d’expropriation n’a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun arrêté d’expropriation n’a été adopté.

38. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n’a pas été remis en cause par les juridictions nationales.

39. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l’expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Selon le Gouvernement, le principe de l’expropriation indirecte doit être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l’arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.

40. Le Gouvernement en conclut qu’à partir de 1983, les règles de l’expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.

41. A cet égard, le Gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Cour a reconnu que la notion de loi comprend les principes généraux énoncés ou impliqués par elle (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33 § 45, Kruslin c. France, no 11801/85, arrêt du 24 avril 1990 série A 176-A, Huvig c. France, no 11105/84, arrêt du 24 avril 1990 série A 176-B, Maestri c. Italie, no 39748/98, 17 février 2004, et N. F. c. Italie, no 37119/97, 2 août 2001) ainsi que du droit non écrit (Sunday Times c. Royaume-Uni (no1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, § 47).

42. Il s’ensuit que la jurisprudence consolidée de la Cour de cassation ne saurait être exclue de la notion de loi au sens de la Convention.

43. Le Gouvernement rappelle que dans l’affaire ForrerNiedenthal c. Allemagne (arrêt du 20 février 2003), la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui ont privé la requérante de toute protection contre l’atteinte portée à sa propriété. Il demande à la Cour de suivre la même approche pour la présente affaire.

44. S’agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu’un arrêté d’expropriation n’ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.

45. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, la restitution du terrain n’est plus possible.

46. Le Gouvernement définit l’expropriation indirecte comme le résultat d’une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt des particuliers, lorsque l’ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et qu’il répond à l’utilité publique.

47. Quant à l’exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l’administration est tenue d’indemniser les intéressés.

48. Compte tenu de ce que l’expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l’illégalité commise par l’administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, l’indemnisation peut être inférieure au préjudice subi.

49. La fixation du montant de l’indemnité en cause rentre dans la marge d’appréciation laissée aux États pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Le Gouvernement rappelle en outre que l’indemnité telle que plafonnée par la loi budgétaire no 662 de 1996 est en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l’expropriation avait été régulière.

50. A la lumière de ces considérations et en se référant notamment aux affaires OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, 20 juillet 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté et que la situation dénoncée est compatible à tous points de vue avec l’article 1 du Protocole no 1.

b) Les requérants

51. Se référant à l’arrêt Carbonara et Ventura c. Italie (no 24638/94, CEDH 2000-VI), les requérants observent que l’application du principe de l’expropriation indirecte à leur cas n’est pas conforme au principe de la prééminence du droit.

52. A cet égard, les requérants font observer que le terrain litigieux a été occupé et transformé sans qu’un décret d’expropriation ait été adopté. Ce n’est que parce qu’ils ont intenté une procédure en dommages-intérêts devant les juridictions nationales qu’ils ont pu obtenir une décision judiciaire déclarant l’illégalité de l’occupation, décision qui avait en même temps comme conséquence de les déclarer rétroactivement privés de leur bien.

53. Quant à l’indemnisation, qui dépend également de l’initiative de la personne concernée, les requérants soutiennent que celle-ci n’est pas apte à réparer l’illégalité commise, étant largement inférieure au préjudice subi.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

54. La Cour rappelle que, pour déterminer s’il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s’il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

55. La Cour relève que, en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, le tribunal de Marsala a considéré les requérants comme étant privés de leur bien à compter du moment où le terrain a été irréversiblement transformé à la suite de la réalisation de l’ouvrage public. A défaut d’un acte formel d’expropriation, le constat d’illégalité de la part du juge est l’élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le jugement du tribunal de Marsala a eu pour effet de priver les requérants de leur bien au sens de la deuxième phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura précité, § 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).

56. Pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d’utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d’examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n’était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).

57. Dès lors, la Cour n’estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu’une réparation intégrale en faveur des requérants n’a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).

b) Sur le respect du principe de légalité

58. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI, Carbonara et Ventura c. Italie, précité ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l’expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu’elle n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu’elle permet en général à l’administration de passer outre les règles fixées en matière d’expropriation. En effet, dans tous les cas, l’expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l’administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l’administration, au bénéfice de celle-ci.

59. Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, le tribunal de Marsala a considéré les requérants privés de leur bien à compter du moment où le terrain a été transformé de manière irréversible, les conditions d’illégalité de l’occupation et d’intérêt public de l’ouvrage construit étant réunies. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 6 juillet 2002, date à laquelle l’ordonnance du tribunal de Marsala ayant acquis force de jugement aux termes de l’article 186 quater du code de procédure civile est devenue définitive.

60. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier du terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu’une indemnité soit mise en parallèle à la disposition des intéressés.

61. S’agissant de l’indemnité, la Cour constate que l’application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d’espèce a eu pour effet de priver les requérants de la possibilité d’obtenir réparation du préjudice subi.

62. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants.

63. Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

64. Les requérants allèguent que l’adoption et l’application de la loi no 662 du 23 décembre 1996 à leur procédure constitue une ingérence législative contraire à leur droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

65. Le Gouvernement conteste cette thèse et observe que la loi litigieuse n’a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par les requérants. En outre, l’application de cette loi n’aurait pas eu de répercussions négatives pour les requérants. Il en conclut que l’application de la disposition litigieuse à la cause des requérants ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l’appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère notamment aux arrêts Forrer Niedenthal c. Allemagne (précité) et OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (précité).

66. La Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par les requérants n’est pas conforme au principe de légalité (paragraphes 61 à 63 ci-dessus). Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de cette disposition (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 133, CEDH 2006).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

67. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

68. Les requérants sollicitent d’abord le versement d’une indemnité de 217 654,57 EUR à titre de préjudice matériel, somme résultant de la différence entre la valeur actuelle du terrain litigieux et la somme que la municipalité de Partanna leur a versée en exécution de l’ordonnance du tribunal de Marsala.

69. De plus, les requérants sollicitent le versement d’une indemnité de 115 397,13 EUR pour non-jouissance du terrain.

70. S’agissant du préjudice moral, les requérants sollicitent le versement d’une indemnité de 100 000 EUR.

71. Enfin, les requérants demandent une indemnité globale de 30 683,74 EUR à titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.

72. Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations au sujet de la demande de satisfaction équitable des requérants.

73. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent à un accord.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’exception du Gouvernement jointe au fond ;

2. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

5. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président