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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ACATRINEI c. ROUMANIE

(Requête no 7114/02)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2006

DÉFINITIF

26/03/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Acatrinei c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouvent une requête (no 7114/02) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Vasile Acatrinei et Mme Elena Acatrinei (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 mai 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Beatrice Ramaşcanu, du ministère des Affaires Étrangères.

3. Les requérants se plaignaient, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, de la non-exécution par l’administration de décisions judiciaires définitives ordonnant leur mise en possession des terrains et la délivrance des titres de propriété. Ils y voyaient également, de ce fait, une atteinte à leur droit au respect de leurs biens, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.

4. Le 24 octobre 2003, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants, mère et fils, sont nés respectivement en 1928 et 1948 et résident à Negriţeşti.

7. Par deux jugements définitifs du 11 novembre 1993, le tribunal départemental de Neamţ ordonna à la commission locale de Mărgineni pour l’application de la loi no 18/1991 (« la commission locale de Mărgineni») de mettre la requérante en possession d’un terrain de 3,20 ha situé à Mărgineni et de mettre le requérant et G.A. en possession de deux terrains de respectivement 0,77 ha et 0,44 ha situés à Mărgineni. Le 28 mars 1994, ces jugements devinrent exécutoires.

8. Par un jugement définitif du 17 février 1994, le tribunal départemental de Neamţ ordonna à la commission locale de Podoleni pour l’application de la loi no 18/1991 (« la commission locale de Podoleni ») de mettre la requérante en possession de deux terrains de respectivement 1,22 ha et 1,99 ha dans le périmètre de la commune de Podoleni, sans identifier leur emplacement, et à dresser un procès-verbal de mise en possession.

1. Démarches faites par les requérants pour obtenir l’exécution des jugements définitifs du 11 novembre 1993

9. Le 23 juin 1994, les requérants saisirent le tribunal départemental de Neamţ d’une action contre la commission locale de Mărgineni tendant à condamner cette dernière au versement d’une astreinte pour non-exécution des jugements définitifs du 11 novembre 1993. Par un jugement du 20 septembre 1994, le tribunal départemental fit droit à leur action et condamna la commission locale de Mărgineni au paiement d’une astreinte de 5 000 lei roumains (ROL) par jour de retard dans l’exécution du jugement en cause.

10. Le 19 septembre 1996, la commission locale de Mărgineni dressa en faveur de la requérante un procès-verbal de mise en possession d’un terrain de 5,27 ha situé à Mărgineni. Dans le procès-verbal était fait mention de ce qu’il valait exécution du jugement du 11 novembre 1993. Le procès-verbal fut signé par la requérante.

11. Le 14 février 1997, la commission locale de Mărgineni dressa en faveur du requérant un procès-verbal de mise en possession des terrains de 0,77 ha et 0,44 ha situés à Mărgineni. Sur ce procès-verbal, signé par le requérant, était indiqué que le jugement du 11 novembre 1993 a été exécuté.

2. Démarches faites par la requérante pour obtenir l’exécution du jugement définitif du 17 février 1994

12. Le 23 juin 1994, la requérante saisit le tribunal départemental de Neamţ d’une action contre la commission locale de Podoleni pour la voir condamnée à exécuter le jugement du 17 février 1994. Par un jugement du 6 septembre 1994, le tribunal fit droit à son action et condamna la commission locale de Podoleni au paiement d’une astreinte de 5 000 ROL par jour de retard jusqu’à l’exécution du jugement du 17 février 1994.

13. A la suite de la demande de la requérante, le 15 mai 1997, la préfecture de Neamţ ordonna à la commission locale de Podoleni de la mettre en possession d’un terrain de 3,21 ha conformément au jugement du 17 février 1994.

14. Le 25 juillet 2001, la commission locale de Podoleni mesura les parcelles de terrain pour mettre la requérante en possession d’un terrain de 3,21 ha. Le requérant, qui représentait la requérante lors de cette procédure, hésita à accepter les terrains proposés. Il soutint que les terrains proposés tels qu’identifiés par la commission lui paraissaient acceptables en principe, mais qu’à sa connaissance, une partie de ces terrains était utilisée par d’autres personnes. La commission locale de Podoleni lui demanda alors de trouver une autre solution ou de lui indiquer d’autres terrains pour la mise en possession, ce que le requérant ne fit pas. Dans ces conditions, la commission locale de Podoleni dressa un procès-verbal indiquant les terrains acceptés en principe par le requérant et ajourna la mise effective en possession à « l’automne, après la moisson ». Le requérant refusa de signer ce procès-verbal.

15. Le 13 décembre 2001, la commission locale de Podoleni dressa un procès-verbal de mise en possession en faveur de la requérante pour 3,21 ha de terrain conformément au jugement du 17 février 1994 tel qu’identifié dans le procès-verbal du 25 juillet 2001. La signature de la requérante ne figure pas sur ce procès-verbal. Le 11 février 2002, la commission locale dressa un titre de propriété en faveur de la requérante pour le terrain de 3,21 ha.

16. En 2003, les requérants adressèrent plusieurs lettres à la commission locale de Podoleni pour contester la mise en possession en l’informant de l’impossibilité d’utiliser effectivement les terrains, du fait que des tiers avaient également des titres de propriété sur une partie de ces terrains.

17. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la requérante est la seule titulaire d’un droit de propriété sur les terrains en cause et qu’aucune autre personne ne s’est vu octroyer un titre de propriété ni n’a été mise en possession de ces terrains.

18. Par lettre du 26 janvier 2004, la commission départementale de Neamţ informa les requérants qu’ils avaient été mis en possession des terrains conformément au jugement du 17 février 1994. En outre, elle les informa que dans la mesure où ils n’étaient pas satisfaits de la mise en possession, il leur était loisible de saisir les juridictions nationales d’une action en annulation ou en modification de leur titre de propriété conformément aux dispositions de la loi no 18/1991.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. La législation interne pertinente, à savoir des extraits des lois nos 18/1991 sur le domaine foncier, 169/1997 portant modification de la loi no 18/1991 et 29/1990 sur le contentieux administratif, ainsi que des extraits du code civil et du code de procédure civile, est décrite dans les affaires Sabin Popescu c. Roumanie (no 48102/99, §§ 42-46, 2 mars 2004) et Roman et Hogea c. Roumanie ((déc.), no 62959/00, 31 août 2004).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

20. Les requérants allèguent que le refus des autorités compétentes de se conformer aux jugements des 11 novembre 1993 et 17 février 1994 du tribunal départemental de Neamţ a méconnu leur droit d’accès à un tribunal. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

1. L’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois

21. Le Gouvernement affirme que la partie de la requête concernant la nonexécution des jugements du 11 novembre 1993 favorables aux requérants est irrecevable pour non-respect du délai de six mois. Il s’appuie sur ce que, selon la jurisprudence de la Cour en matière de violation continue, le délai de six mois commence à courir à partir du moment où il est mis fin à la situation continue (Skowronski c. Pologne (déc.) no 37609/97, 19 mars 2002, Paar c. Hongrie (déc.) no 40867/98, 20 septembre 2001, et Malama c. Grèce, no 43622/98, 1er mars 2001, § 34). Or, en l’espèce les deux jugements du 11 novembre 1993 ont été respectivement exécutés les 19 septembre 1996 et 17 février 1997, soit plus de six mois avant que les requérants saisissent la Cour de ce grief, à savoir le 20 mai 2001.

22. Les requérants ne présentent pas expressément d’observations sur cette exception, mais ils affirment que bien qu’ils aient été mis en possession des terrains conformément aux jugements précités, d’autres personnes ont également obtenu des titres de propriété sur les mêmes terrains.

23. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Or, lorsque la violation alléguée consiste en une situation continue, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où cette situation continue prend fin (voir, mutatis mutandis, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 508, § 35, et Marinakos c. Grèce (déc.), no 49282/99, 29 mars 2000).

24. Dans le cas d’espèce, la Cour note que les requérants se plaignent du refus de l’autorité compétente de les mettre en possession des terrains conformément aux jugements du 11 novembre 1993. Ce refus s’analyse en une situation continue. Néanmoins, la Cour observe que les deux jugements ont été respectivement exécutés les 19 septembre 1996 et 17 février 1997, comme il ressort des procès-verbaux dressés par les autorités compétentes à ces occasions. Dès lors, il a été mis fin la situation continue plus de six mois avant le 20 mai 2001, date d’introduction de la requête devant la Cour. En outre, dans la mesure où les requérants entendaient se plaindre d’une exécution inefficace des jugements en cause et vu qu’ils n’étaient pas tenus d’épuiser des voies de recours internes (Mihai-Iulian Popescu c. Roumanie, no 2911/02, § 43, 29 septembre 2005, et Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004), ils auraient dû saisir la Cour de ce grief dans un délai de six mois à partir de la date de la prétendue violation de la Convention.

25. Il s’ensuit que cette partie du grief est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. L’exception du Gouvernement tirée de l’absence de la qualité de victime

26. Le Gouvernement fait valoir que la requérante ne peut plus alléguer une violation de ses droits découlant de la Convention, dès lors que le jugement du 17 février 1994 a été exécuté. Il indique que le 13 décembre 2001, la requérante a été mise en possession, conformément au jugement précité et qu’un procès-verbal a été dressé à cette fin.

27. Le Gouvernement affirme que cette exception peut être soulevée à tous les stades de la procédure (Burdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002III). Il souligne également que dans la mesure où la requérante a vu réparer son préjudice par les juridictions internes, elle a perdu sa qualité de victime (Popov c. Ukraine (déc.), no 13243/02, 8 juillet 2003).

28. La requérante conteste l’exception du Gouvernement. Elle affirme que le jugement du 17 février 1994 n’a pas été exécuté avec diligence et de manière effective par les autorités nationales, compte tenu de ce que d’autres personnes utilisent ces terrains.

29. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, par « victime » l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice. Partant, une décision ou une mesure favorable aux requérants ne suffit en principe à leur retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Lüdi c. Suisse, arrêt du 15 juin 1992, série A no 238, p. 18, § 34, et Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999VI).

30. La Cour note que la décision du 17 février 1994 n’a donc été exécutée que le 13 décembre 2001. Cependant, dans la mesure où aucune décision judiciaire n’a reconnu une éventuelle violation ni réparé le préjudice allégué par la requérante du fait de la durée de l’exécution, elle constate que les conditions imposées par la jurisprudence afin de perdre la qualité de « victime » n’étaient pas réunies en l’espèce (Skubenko v. Ukraine (déc.), no 41152/98, 6 avril 2004, et Shmalko v. Ukraine, no 60750/00, § 37, 20 juillet 2004). Dès lors, la Cour considère que la requérante peut se prétendre victime d’une violation de ses droits protégés par la Convention.

31. Il y a donc lieu de rejeter l’exception.

3. Sur le bien-fondé du grief

32. Quant au grief de la requérante relatif à la non-exécution par les autorités nationales du jugement définitif du 17 février 1994, favorable à la requérante, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

33. Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’exécution d’un arrêt doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention (Hornsby précité, § 40). En outre, il souligne qu’afin d’apprécier la durée raisonnable d’une procédure, il faut tenir compte des circonstances particulières de l’espèce, et plus particulièrement de la complexité de l’affaire, du comportement des requérants et des autorités (Zappia c. Italie, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996IV, p. 1412, § 23).

34. Le Gouvernement admet qu’en l’espèce, les autorités compétentes ont exécuté l’arrêt du 17 février 1994 avec un certain retard, à savoir le 13 décembre 2001. Toutefois, il note que la période à prendre en considération commence à courir le 20 juin 1994, date à laquelle la Roumanie a ratifié la Convention (Antonetto c. Italie, no 15918/89, § 29, 20 juillet 2000). Dès lors, le jugement en cause a été exécuté dans un délai de sept ans et six mois qui toutefois ne peut être imputé aux autorités compétentes. À cet égard, le Gouvernement note que, bien que la requérante eût été invitée à plusieurs reprises à se rendre la mairie clarifier la situation du terrain, elle ne s’est jamais présentée et a refusé de signer le procèsverbal de mise en possession.

35. Le Gouvernement considère que la requérante aurait pu demander l’exécution forcée de la décision et introduire des actions devant les juridictions, soit afin d’obtenir l’exécution par équivalent, soit afin de contraindre les autorités à exécuter la décision et de les condamner au versement d’astreintes ou d’une amende civile.

36. La requérante conteste la thèse du Gouvernement. Elle fait valoir qu’elle a coopéré avec les autorités administratives afin d’assurer leur mise en possession. Elle justifie le refus de signer le procès verbal du 25 juillet 2001 par le fait que le terrain offert par la commission est en possession de tiers. Dès lors, sa mise en possession formelle ne vaut pas une exécution effective du jugement du 17 février 1994.

37. La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999V).

38. La Cour admet, avec le Gouvernement, que le droit d’accès à un tribunal ne peut obliger un Etat à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu’il soit et quelles que soient les circonstances (Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Cependant, elle note que si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby précité, § 41).

39. La Cour constate que le 13 décembre 2001, la commission locale de Podoleni a mis la requérante en possession des terrains conformément au jugement du 17 février 1994. Néanmoins, la requérante allègue qu’elle n’a pas signé le procès-verbal de mise en possession, au motif que certains tiers utilisent une partie des terrains, sans toutefois faire la preuve de ses allégations. Or, la Cour note qu’il ressort du dossier que la situation juridique des terrains en cause est claire et que la requérante est la seule titulaire d’un droit de propriété sur les terrains, aucune autre personne ne s’étant vu délivrer un titre de propriété ni une mise en possession de ces terrains. Dès lors, l’autorité administrative compétente s’était conformée à l’obligation qui lui a été imposée par le jugement précité.

40. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que l’omission des autorités de se conformer dans un délai raisonnable à une décision définitive peut entraîner une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, surtout quand l’obligation de faire exécuter la décision en cause appartient à une autorité administrative (voir, mutatis mutandis, Metaxas précité, § 26, Burdov précité, §§ 36-38, Timofeyev c. Russie, no 58263/00, §§ 41-42, 23 octobre 2003, et Dubenko c. Ukraine, no 74221/01, § 36, 11 janvier 2005).

41. En l’espèce, la commission locale a exécuté le jugement du 17 février 1994 seulement le 31 décembre 2001 et cela, malgré l’attitude hésitante des requérants (paragraphe 14 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est d’avis que la commission locale de Podoleni aurait pu prendre plus tôt l’initiative pour exécuter le jugement en cause, comme elle l’a fait en 2001 (paragraphe 15 ci-dessus). Cela d’autant plus que le jugement en cause ne déterminait pas l’emplacement des terrains à octroyer à la requérante et qu’elle était la seule autorité compétente pour identifier les terrains libres et pour formuler des offres concrètes. Dès lors, la Cour n’est pas d’avis que le retard dans l’exécution est imputable aux requérants.

42. Par ailleurs, la Cour a déjà affirmé que les voies de recours suggérées par le Gouvernement, à savoir la demande d’astreintes ou de dommagesintérêts, sont des moyens indirects de faire exécuter la décision définitive et ne sont donc pas de nature à remédier directement à la violation alléguée (Roman et Hogea c. Roumanie (déc.), no 62959/00, 31 août 2004). La requérante ne pouvait donc être tenue de les employer afin de voir exécuter les décisions judiciaires rendues en l’espèce. Par conséquent, aucune démarche quant à l’exécution forcée des décisions définitives ordonnant la mise en possession n’était requise de la requérante.

43. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’Etat, par l’intermédiaire de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter avec célérité la décision judiciaire favorable à la requérante.

44. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

45. La requérante dénonce une atteinte à son droit de propriété en raison de l’inexécution par l’autorité administrative compétente du jugement du 17 février 1994 rendu en sa faveur par les juridictions internes. Elle invoque l’article 1 du Protocole nº 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

46. Le Gouvernement fait valoir que les jugements internes définitifs n’ont pas fait naître dans le patrimoine de la requérante un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, dans la mesure où les juridictions nationales ont condamné les commissions locales seulement à la mettre en possession des terrains et n’ont pas déterminé l’emplacement des terrains à octroyer. En outre, selon lui, la présente affaire se distingue de l’affaire Jasiuniene c. Lituanie (no 41510/98, 6 mars 2003, § 44) en raison de ce que l’obligation imposée aux commissions locales de mettre la requérante en possession des terrains n’était pas alternative avec l’obligation de lui verser une indemnité dans le cas où la mise en possession n’était plus possible (Burdov précité, § 35).

47. En tout état de cause, le Gouvernement souligne que même à supposer que la requérante pouvait prétendre avoir un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, le retard dans l’exécution du jugement en cause n’est pas imputable aux autorités.

48. La requérante conteste la thèse du Gouvernement.

49. Pour déterminer si la requérante disposait d’un « bien » aux fins de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour doit rechercher si le jugement du 17 février 1994 avait fait naître dans le chef de celle-ci une créance suffisamment établie pour être exigible (voir Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301B, p. 84, § 59).

50. La Cour rappelle que la notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles la requérante peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (Kopecky c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, 28 septembre 2004). En l’espèce, le jugement du 17 février 1994 a créé au bénéfice de la requérante « l’espérance légitime » de se voir effectivement mise en possession d’un terrain dans le périmètre de Podoleni et d’obtenir, par la suite, le titre administratif de propriété. Dans ces conditions, sa « créance » est suffisamment établie pour constituer une « valeur patrimoniale » qui entraîne l’application des garanties de l’article 1 du Protocole no 1.

51. Toutefois, la Cour constate que dans le cas d’espèce, le jugement octroyant à la requérante des terrains n’a pas été exécuté dans des délais raisonnables, ce qui est imputable exclusivement aux autorités administratives compétentes. Il s’ensuit que l’impossibilité pour elle d’obtenir l’exécution immédiate et complète de ce jugement s’analyse en une ingérence dans son droit au respect de ses biens, qui relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

52. S’il est vrai qu’actuellement la requérante a été mise en possession des terrains auxquels elle avait droit, la Cour considère qu’en raison du retard dans l’exécution imputable aux autorités, elle a subi un préjudice découlant du défaut de jouissance de son bien pendant de nombreuses années (Sabin Popescu précité, §§ 80-81).

53. La Cour note que le Gouvernement n’a offert aucune justification valable pour l’ingérence causée par l’inexécution dans un délai raisonnable de la décision judiciaire rendue en l’espèce ; elle était donc arbitraire et emportait violation du principe de légalité. Une telle conclusion dispense la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels des requérants (Metaxas précité, § 31).

54. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu en violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. La requérante sollicite, au titre du préjudice matériel et moral, la somme de 1 000 000 euros (EUR).

57. Le Gouvernement note que la requérante ne chiffre pas séparément le montant pour le dommage matériel et moral. En tout état de cause, il considère que le montant demandé à titre de réparation est excessif, plus particulièrement, en tenant compte de ce que les décisions internes définitives ont été exécutées par les autorités compétentes. En outre, le Gouvernement rappelle que dans l’affaire Sabin Popescu précitée, après avoir constaté une violation de l’article 6 de la Convention, la Cour a octroyé au requérant la somme de 1 500 EUR pour le défaut de jouissance d’un terrain pendant plusieurs années.

58. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la durée de la non-exécution de l’obligation de mettre la requérante en possession des terrains en vertu d’un jugement définitif du 17 février 1994. Cependant, la Cour observe que la requérante ne peut plus alléguer un quelconque préjudice matériel de ce chef, dans la mesure où elle a reçu le titre de propriété des terrains en cause (paragraphe 15 ci-dessus).

59. La Cour estime, toutefois, que la requérante a subi un préjudice moral, du fait notamment de la frustration provoquée par le retard dans l’exécution du jugement rendu en sa faveur et que ce préjudice n’est pas suffisamment compensé par un constat de violation.

60. Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 3 200 EUR pour le préjudice moral.

B. Frais et dépens

61. Les requérants ne sollicitent pas de frais et dépens, au motif qu’ils n’ont pas conservé de justificatifs.

62. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Dès lors, en l’espèce, la Cour n’accorde rien à ce titre.

C. Intérêts moratoires

63. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs de la requérante tirés des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 liés à la non­exécution du jugement définitif du 17 février 1994 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 200 EUR (trois mille deux cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en lei au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président