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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LENARDON c. BELGIQUE

(Requête no 18211/03)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2006

DÉFINITIF

26/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Lenardon c. Belgique,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
MM. A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18211/03) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Pascal Lenardon (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 mai 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. C. Debrulle, directeur du Service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant alléguait que la durée de la procédure avait dépassé le délai raisonnable.

4. Par une décision du 8 décembre 2005, la Cour a déclaré la requête recevable.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1962 et réside à Bruxelles.

7. Le requérant, alors âgé de 22 ans, a été victime d’un accident de la circulation le 26 octobre 1985, qui lui a occasionné de graves lésions (fracture du crâne, œdème cérébral ainsi qu’un œdème pulmonaire et dixhuit jours de coma profond dont il conserve des troubles psychiques importants). Le responsable de l’accident, qui roulait sans assurance avec un taux d’alcoolémie relevé à 2,80 g/l quatre heures plus tard, avait pris la fuite.

8. Un jugement du 10 mars 1987 du tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le responsable de l’accident à une peine d’emprisonnement avec sursis et à treize mois de suspension de permis de conduire. Statuant sur les intérêts civils, le tribunal accorda au requérant la somme provisionnelle de 10 000 francs belges (BEF) (soit 247,89 euros (EUR)) augmentée des intérêts judiciaires sur un dommage provisoirement évalué à 8 millions de francs belges (soit, 198 314,82 EUR), et fit droit à sa demande d’expertise médico-légale. Le tribunal sursit à statuer quant aux actions subrogatoires des autres parties civiles, de l’employeur du requérant (l’organisme E.) qui lui avait versé une somme à titre d’assurance pour les risques de la vie privée et de la compagnie d’assurance R. qui lui avait versé une somme pour frais médicaux en vertu d’une assurance souscrite par l’organisme E.

9. Par un jugement du 7 octobre 1987, le tribunal correctionnel de Bruxelles fit droit à ces actions.

10. Le 21 octobre 1987, l’organisme E. interjeta appel du jugement précité en tant qu’il avait rejeté son action contre le Fonds commun de garantie automobile et pour le montant payé par lui au requérant non couvert par la subrogation. L’affaire fut introduite le 14 mai 1991 devant la cour d’appel de Bruxelles puis remise au 9 septembre 1992 à la demande de l’organisme E. A cette date, l’affaire fut mise en continuation. L’arrêt fut rendu le 13 janvier 1993. L’organisme E. forma un pourvoi en cassation, qui fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 1993. Le Gouvernement explique que, pendant la durée de cette procédure, l’aspect du litige relatif aux obligations du responsable de l’accident par rapport au requérant fut suspendu.

11. Dans l’intervalle, le 1er juin 1989, l’expert avait estimé le taux d’invalidité permanente partielle du requérant à 72 %, consolidé au 1er août 1988.

12. L’affaire fut remise à plusieurs reprises et mise en délibéré le 31 mai 1995. Par un jugement du 23 octobre 1995, le tribunal correctionnel de Bruxelles alloua au requérant diverses indemnités sur la base de ce rapport d’expertise. Le tribunal limita le dommage matériel à 50 000 BEF pour les incapacités temporaires (environ 1 239 EUR) et 2 000 000 BEF (environ 49 579 EUR) pour les incapacités permanentes, ne prenant en compte que la perte d’une chance d’accéder à des promotions au sein de l’organisme E., où il était fonctionnaire.

Jugeant les sommes insuffisantes eu égard à son préjudice total, le requérant interjeta appel.

13. Selon le Gouvernement, le parquet de la cour d’appel avertit les différentes parties, le 29 novembre 1995, que l’affaire serait fixée devant la Cour dès qu’elle serait en état d’être plaidée.

14. La cause fut introduite à l’audience du 13 octobre 1997.

15. Par un arrêt du 11 mai 1998, la cour d’appel de Bruxelles alloua au requérant diverses indemnités pour le remboursement de ses frais médicaux, vestimentaires, de déplacement et de rééducation, ainsi que pour les préjudices esthétique, matériel et moral liés à l’incapacité de travail et pour la perte d’une chance de promotion au sein de l’organisme E. Cependant, la cour releva que l’activité professionnelle partielle que le requérant avait reprise depuis février 1987, portée à 70 % de temps de travail à partir de décembre 1992, pouvait paraître incompatible avec le taux d’incapacité fixé par l’expert. Elle décida de surseoir à statuer quant au dommage matériel et moral résultant de l’incapacité permanente de travail, le préjudice d’agrément et le pretium voluptatis, et ordonna une expertise complémentaire.

16. Le 3 octobre 2001, l’expert déposa son rapport par lequel il proposa de maintenir les conclusions du rapport établi en 1989 et de confirmer le taux de 72 %.

17. L’affaire fut fixée à l’audience du 11 mars 2002.

18. Après une remise et des débats, l’affaire fut mise en délibéré le 29 mai 2002.

19. Par un arrêt du 14 janvier 2003, la cour fixa les indemnisations, en tenant compte de la rémunération que le requérant tire de son activité professionnelle à temps partiel, pour diminuer le montant des indemnisations.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

20. Le requérant se plaint de la violation du délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont rédigées comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

21. Le Gouvernement belge justifie la longueur de la procédure par l’extrême complexité de l’affaire, la multiplicité des intérêts en cause, l’ampleur des conclusions déposées tout au long de la procédure et les délais mis à les rédiger, l’ampleur des rapports d’expertise ainsi que les délais mis à les déposer et, enfin, les recours exercés par les différentes parties. En particulier, le retard pris s’expliquerait par la procédure parallèle intentée par l’employeur du requérant et la compagnie d’assurance en vue de récupérer les sommes avancées auprès du Fonds commun de garantie automobile ainsi que par le responsable de l’accident afin de déterminer les montants restants dus par ce fonds au requérant. Le retard subi jusqu’au jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles du 7 octobre 1987 s’expliquerait, quant à lui, essentiellement par le retard pris par les parties à échanger leurs conclusions et par une remise sollicitée par l’employeur du requérant. Le Gouvernement souligne que l’arrêt de cassation est intervenu moins de six mois après le prononcé de la cour d’appel. Il en va de même quant au délai qui s’est écoulé avant que ne soit rendu le jugement du 23 octobre 1995. Enfin, l’affaire a été fixée cinq mois après le dépôt de l’expertise complémentaire en appel.

Le Gouvernement reconnaît l’importance du litige pour le requérant mais insiste sur le fait que, bien avant le 14 janvier 2003, il avait obtenu gain de cause s’agissant de plusieurs des préjudices qu’il avait subis. Le requérant a, par ailleurs, rapidement été indemnisé par la compagnie d’assurance après son accident ainsi que conservé son statut et sa rémunération. Selon le Gouvernement, aucune inertie ne peut, en l’espèce, être reprochée aux autorités belges.

22. La Cour relève que la période à considérer a débuté le 10 mars 1987 avec le jugement condamnant pénalement le responsable de l’accident et s’est achevée le 14 janvier 2003 par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, statuant sur les intérêts civils, soit dix-sept ans après les faits. La procédure a donc duré quinze ans et plus de onze mois.

23. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

24. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender, précité).

25. La Cour constate que des retards ont affecté la procédure. Ainsi, cinq ans se sont écoulés entre le premier arrêt rendu par la cour d’appel et l’arrêt définitif. La Cour relève également que l’expertise ordonnée en première instance a duré plus de deux ans et rappelle à cet égard que l’expert travaillait dans le cadre d’une procédure judiciaire contrôlée par un juge qui restait chargé de la mise en état et de la conduite rapide du procès (arrêts Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A no 119, § 30, et Pierazzini c. Italie du 27 février 1992, série A no 231-C, § 18). Elle relève aussi que l’expertise ordonnée en appel, alors que la procédure avait déjà atteint une durée de plus de dix ans, a duré plus de trois ans. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse était excessive et ne répondait pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

26. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

28. Le requérant fait valoir, s’agissant du préjudice matériel, que celui-ci est constitué par l’atteinte à l’intégrité physique et n’est pas modifié par la circonstance que la victime d’un accident de roulage a perçu son traitement. Il fait valoir que la somme qui a été fixée pour le préjudice matériel couvre uniquement ses frais d’avocats et en réclame le remboursement au titre de préjudice moral. Le requérant réclame les sommes de 129 193,82 EUR au titre de la perte d’une chance d’avancement du fait de l’accident, 202 650,14 EUR au titre de l’incapacité, 12 394,68 EUR au titre de préjudice d’agrément et 6 197,34 EUR au titre de pretium voluptatis. Il ne réclame rien au titre des frais et dépens.

29. Le Gouvernement fait valoir que le requérant ne présente aucune demande de satisfaction équitable mais tente d’obtenir une indemnisation plus élevée des dommages liés à son accident de roulage à celles obtenues devant les juridictions internes. Le requérant n’allègue selon lui aucun dommage matériel et/ou moral directement causé par la longueur de la procédure d’examen. Il confond le dommage matériel avec celui lié à l’accident lui-même et celui de dommage moral avec les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et non devant la Cour.

30. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que le prolongement de la procédure au delà du délai raisonnable a causé au requérant un tort moral certain justifiant l’octroi d’indemnités. Statuant en équité, elle décide de lui accorder 20 000 EUR au titre du préjudice moral subi du fait de la durée excessive de la procédure.

31. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président