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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
26.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE IPPOLITI c. ITALIE

(Requête no 12263/05)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2006

DÉFINITIF

26/03/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Ippoliti c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefevre, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 octobre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 12263/05) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Elio Ippoliti (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er décembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes R. Baldassini et B. Forte, avocats à Sora. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, par son coagent, M. F. Crisafulli, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3. Le 6 septembre 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1953 et réside à Ciampino.

5. Il était propriétaire d'un terrain constructible de 1 002 mètres carrés, sis à Ciampino et enregistré au cadastre, feuille 7, parcelle 59.

6. Par un arrêté du 18 décembre 1981, le conseil régional (Giunta regionale) du Latium approuva le projet de construction d'habitations à loyer modéré sur le terrain du requérant.

7. Par un arrêté du 25 mai 1984, le conseil municipal (Giunta municipale) de Ciampino autorisa le maire de la ville à procéder à l'occupation d'urgence de ce terrain en vue de son expropriation, afin de procéder aux travaux de construction.

8. Par un arrêté notifié au requérant le 10 octobre 1984, le maire de Ciampino ordonna l'occupation d'urgence du terrain et, le 19 novembre 1984, la municipalité procéda à l'occupation matérielle de celui-ci et entama les travaux de construction.

9. Par un acte d'assignation notifié le 26 juillet 1991, le requérant introduisit une action en dommages-intérêts à l'encontre de la municipalité de Ciampino devant le tribunal de Velletri. Il faisait valoir que l'occupation du terrain était illégale au motif qu'elle s'était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans qu'il fût procédé à l'expropriation formelle et au paiement d'une indemnité. Il demandait une somme correspondant à la valeur marchande du terrain, ainsi qu'une indemnité d'occupation.

10. Au cours du procès, le 15 décembre 1992, une expertise fut déposée au greffe. Selon l'expert, les travaux de construction s'étaient terminés le 3 octobre 1988 et la valeur marchande du terrain à cette dernière date était de 160 320 000 ITL.

11. Par un jugement déposé au greffe le 7 avril 2003, le tribunal estima que le délai d'occupation autorisée, prolongé au sens de la législation en vigueur dans la matière, avait pris fin le 29 mai 1993. A compter de cette dernière date, le requérant devait être considéré comme ayant été privé de son terrain en vertu du principe de l'expropriation indirecte. A la lumière de ces considérations, le tribunal condamna la municipalité de Ciampino à verser au requérant un dédommagement calculé aux termes de la loi budgetaire no 662 de 1996, entre-temps entrée en vigueur, à savoir 63 373,96 EUR, plus intérêts et réévaluation à compter du 29 mai 1993. En outre, le tribunal condamna la municipalité à verser au requérant une indemnité d'occupation, à savoir 34 803,59 EUR, assortie d'intérêts et réévaluation à compter du 29 mai 1993.

12. Il ressort du dossier que ce jugement acquit force de chose jugée le 6 juin 2003.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l'arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

14. Le requérant allègue avoir été privé de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

15. Le Gouvernement ne soulève pas d'exceptions concernant la recevabilité de ce grief.

16. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

17. Le Gouvernement renvoie d'abord aux arguments déjà soumis à la Cour dans d'autres affaires similaires en matière d'expropriation indirecte.

18. De plus, il soutient que la responsabilité de l'administration en l'espèce serait atténuée, compte tenu de ce que l'impossibilité d'adopter un décret d'expropriation aurait été déterminée par la saisie de la part des autorités de police de la documentation concernant l'occupation du terrain et qu'en tout état de cause la municipalité de Ciampino a versé dans un bref délai les sommes liquidées par le tribunal de Velletri.

19. En outre, le Gouvernement observe que la situation d'incertitude pour le requérant aurait pris fin avec le jugement du tribunal de Velletri, qui a déclaré que la propriété du terrain avait été transférée à l'administration en vertu du principe de l'expropriation indirecte.

20. Enfin, il fait valoir que le principe jurisprudentiel de l'expropriation indirecte constituerait une manière de réglementer une situation résultant d'un défaut de procédure ayant entaché l'expropriation et à la suite duquel l'action de l'administration est devenue illégale.

21. D'après le Gouvernement, une telle réglementation d'une situation née d'un acte illégal ne romprait pas de manière évidente le juste équilibre entre les différentes exigences en conflit.

b) Le requérant

22. Le requérant n'a pas présenté d'observations concernant la présente requête.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l'existence d'une ingérence

23. La Cour rappelle que, pour déterminer s'il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s'il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).

24. La Cour relève que, en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, le tribunal a considéré le requérant comme étant privé de son bien à compter de la date d'expiration du délai d'occupation autorisée. A défaut d'un acte formel d'expropriation, le constat d'illégalité de la part du juge est l'élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le jugement du tribunal de Velletri a eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la deuxième phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura précité, § 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).

25. Pour être compatible avec l'article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d'utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L'ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d'examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu'il s'est avéré que l'ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n'était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).

26. Dès lors, la Cour n'estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu'une réparation intégrale en faveur du requérant n'a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).

b) Sur le respect du principe de légalité

27. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d'expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l'expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu'elle n'est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu'elle permet en général à l'administration de passer outre les règles fixées en matière d'expropriation. En effet, dans tous les cas, l'expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l'administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l'administration, au bénéfice de celle-ci.

28. Dans la présente affaire, la Cour relève qu'en appliquant le principe de l'expropriation indirecte, le tribunal a considéré le requérant comme privé de son bien à compter du moment où l'occupation avait cessé d'être autorisée, les conditions d'illégalité de l'occupation et d'intérêt public de l'ouvrage construit étant réunies. Or, en l'absence d'un acte formel d'expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n'est que par la décision judiciaire définitive que l'on peut considérer le principe de l'expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l'acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, le requérant n'a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 6 juin 2003, date à laquelle le jugement du tribunal de Velletri a acquis force de chose jugée.

29. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l'administration de tirer parti d'une occupation de terrain illégale. En d'autres termes, l'administration a pu s'approprier du terrain au mépris des règles régissant l'expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu'une indemnité soit mise en parallèle à la disposition de l'intéressé.

30. S'agissant de l'indemnité, la Cour constate que l'application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d'espèce a eu pour effet de priver le requérant de la possibilité d'obtenir réparation du préjudice subi.

31. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l'ingérence litigieuse n'est pas compatible avec le principe de légalité et qu'elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requérant.

32. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33. Le requérant allègue que l'adoption et l'application de la loi no 662 du 23 décembre 1996 à sa procédure constitue une ingérence législative contraire à son droit à un procès équitable tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

34. Le Gouvernement reconnaît que la loi no 662 de 1996 a réduit de manière significative le montant du dédommagement mais fait valoir qu'en tout état de cause l'État dispose d'une ample marge d'appréciation dans le choix de la réglementation des conséquences matérielles d'une illégalité commise par l'administration.

35. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

36. La Cour vient de constater, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par le requérant n'est pas conforme au principe de légalité. Eu égard aux motifs l'ayant amenée à ce constat de violation (paragraphes 29 à 32 ci-dessus), elle estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 133, CEDH 2006).

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

37. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

38. La Cour constate que dans le formulaire de requête le requérant réclamait un dédommagement pour le préjudice moral et matériel subis.

39. Aucun chiffre n'a toutefois été indiqué dans le délai imparti par l'article 60 du règlement de la Cour. Par ailleurs, la Cour estime que l'application de l'article 41, dans les circonstances de l'affaire, n'appelle pas un examen d'office. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme au titre de l'article 41 (voir, parmi d'autres, Cardarelli c. Italie du 27 février 1992, série A no 229-G, p. 75, § 19, Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003, Van Rossem c. Belgique, no 41872/98, § 53, 9 décembre 2004, et Viola c. Italie, no 8316/02, § 60, 29 juin 2006).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président