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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
7.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 39344/04
présentée par Jean-Christophe MITTERRAND
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 7 novembre 2006 en une chambre composée de :

MM. I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović,
Mme D. Jočienė, juges,
et de M. S. Naismith, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 28 octobre 2004,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jean-Christophe Mitterrand, est un ressortissant français, né en 1946 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me P. Spinosi, avocat à Paris.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant fut mis en examen le 21 décembre 2000 du chef de recel et complicité de trafic d’armes, recel d’abus de biens sociaux et trafic d’influence aggravé par le juge d’instruction P. Courroye.

Dans le cadre de cette information, le juge d’instruction rendit une ordonnance de soit-communiqué datée du 3 juillet 2000.

Le 16 octobre 2001, le requérant porta plainte avec constitution de partie civile, considérant que P. Courroye, en sa qualité de juge d’instruction, avait commis, en considération de la date portée sur l’ordonnance, une infraction de faux en écritures publiques.

Le 14 janvier 2003, le requérant sollicita l’audition de la greffière de P. Courroye au moment de ces faits, et, la saisie de l’ordinateur du cabinet du magistrat instructeur.

Le juge d’instruction n’ayant pas statué sur certaines demandes d’actes, le requérant présenta une requête au président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims, lequel saisit, par une ordonnance du 15 mai 2003, la juridiction.

Par un arrêt du 11 septembre 2003, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims ordonna, sans évoquer, l’audition du greffier qui assistait le juge Courroye à l’époque où furent rédigées l’ordonnance de soit-communiqué litigieuse et la saisie, aux fins d’expertise technique, du disque dur de l’ordinateur du juge. Elle déclara irrecevables toutes les autres demandes présentées pour la première fois à hauteur d’appel.

Le 26 mai 2003, le requérant présenta une demande d’actes au juge d’instruction, qui fut rejetée par une ordonnance du 5 juin 2003.

Par un arrêt du 27 octobre 2003, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims infirma l’ordonnance du juge d’instruction et fit partiellement droit aux demandes d’actes.

Par deux arrêts du 6 janvier 2004, la Cour de cassation cassa et annula les arrêts de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims du 11 septembre 2003 et du 27 octobre 2003 et renvoya la cause devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy.

Au jour des faits ci-dessous relatés, la procédure était encore pendante devant la juridiction d’instruction saisie.

Le 9 mars 2004, l’ancien associé du requérant, O.C., fut interrogé, à sa demande, par P. Courroye.

Fin mars 2004, divers organes de presse se seraient fait écho de l’ouverture, suite aux déclarations d’O.C., d’une information judiciaire du chef de blanchiment confiée au juge Courroye.

Le 30 mars 2004, le magistrat instructeur, accompagné d’un représentant du parquet, Madame le Substitut Marie-Christine Daubigney, et d’un délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats, Monsieur Jean-Paul Lévy, procéda à une perquisition dans les cabinets des deux avocats parisiens du requérant, Maître Wilner et Maître Versini-Campinchi.

Le délégué du bâtonnier émit des réserves sur le déroulement de la perquisition et le requérant affirme que le juge refusa que sa greffière en prenne note. Le délégué du bâtonnier rédigea dès lors sur place un courrier manuscrit au juge d’instruction, courrier dans lequel il relevait les irrégularités de la perquisition menée et dans lequel on pouvait lire :

« Monsieur le Premier Juge,

Agissant dans l’exercice des pouvoirs qui me sont délégués par Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre dans le cadre de l’article 56-1 du Code de Procédure Pénale, j’ai l’honneur d’émettre les réserves qui suivent sur la perquisition diligentée par vous-même au Cabinet de Maître Jean Pierre Versini et de Maître Rémy Wilner ce jour dans le cadre d’une information ouverte du chef de blanchiment :

1) Alors que l’article 56-1 du Code de procédure pénale prévoit expressément que le Juge et le Bâtonnier ou son délégué ont seul le droit de prendre connaissance des documents découverts lors de la perquisition préalable à leur éventuelle saisie, Madame le représentant du Procureur a compulsé divers dossiers jusqu’à ce que la remarque lui soit faite par moi de l’irrégularité du procédé.

2) Vous avez demandé à prendre connaissance des dossiers Mitterrand, I., N., L. F., C. O., J.Y. T. au cabinet de mes confrères. J’attire avant l’ouverture du dossier pénal concernant Monsieur Jean Christophe Mitterrand, instruit à votre cabinet, votre attention sur les points suivants :

a) Il s’agit du dossier dans lequel Maître Wilner et Maître Versini-Campinchi sont désignés comme conseils et à propos duquel existaient diverses procédures incidentes notamment à propos du conflit vous opposant à Monsieur Jean Christophe Mitterrand et à mon confrère Maître Versini-Campinchi.

b) Il s’agit du dossier dans lequel le client et les avocats ont pu échanger des correspondances et des notes sur la stratégie de défense mise en place dans les diverses procédures, des correspondances confidentielles entre avocats, toutes couvertes par le secret professionnel en vertu de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.

3) La consultation systématique des notes, consultations des correspondances des dossiers dans lesquels vous instruisez et des dossiers dans lesquels vous avez été mis en cause à titre personnel constitue une atteinte au procès équitable en violation des termes de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Je vous remercie d’annexer cette correspondance au procès verbal de transport. »

Le délégué du bâtonnier prévint également par téléphone le bâtonnier, qui dépêcha sur place son prédécesseur, le bâtonnier Paul Albert Iweins. Celui-ci, une fois sur place, fit dactylographier un courrier au juge, à qui il le remit et dans lequel on pouvait lire :

« Monsieur le Juge,

Il m’apparaît que le fait même que vous ayez pu prendre connaissance des échanges de courriers et notes contenus dans le dossier constitué par Maître Versini-Campinchi pour la défense pénale de Monsieur Jean-Christophe Mitterrand dans l’instruction dont vous êtes chargé, porte une grave atteinte aux règles du procès équitable telles que consacrées par l’article 6 de la CEDH et aux droits de la défense, de valeur constitutionnelle.

En effet, s’il n’est pas contesté que le secret professionnel n’est pas opposable lorsque des documents sont révélateurs d’une participation d’un Avocat à une infraction, il n’existe aucune présomption générale de culpabilité permettant d’accéder à l’ensemble du dossier d’un Avocat sous prétexte d’y rechercher s’il ne recèlerait pas une preuve de la participation de cet avocat à une infraction quelconque.

En l’espèce, la consultation que vous avez faite du dossier de l’avocat, si elle ne vous a pas permis de découvrir une quelconque infraction, vous a donné loisir de prendre connaissance des éléments de défense, des secrets existant entre l’avocat, son client et d’autres confrères, ce qui constitue un véritable détournement du droit de perquisition au préjudice des droits de la défense.

J’ajoute que le Parquet a pu dans les mêmes conditions prendre connaissance des éléments de défense alors que rien ne le justifiait a priori comme a posteriori.

Je formule donc les présentes observations pour qu’elles soient annexées à votre procès verbal. »

Maître Wilner saisit le juge des libertés et de la détention concernant certaines saisies effectuées au cours de la perquisition. Par une ordonnance du 5 avril 2004, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris constata :

« attendu que dans le cadre de la perquisition effectuée le 30 mars 2004, aux cabinets de la SCP Versini et associés et de Maître Rémy Wilner, tous deux installés dans des locaux utilisés en commun, 4 rue de la Tour des Dames à Paris 9ème, le juge d’instruction a procédé à la saisie dans le bureau de Maître Wilner, de deux documents qui ont été placés sous scellés fermés, conformément aux dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale, les délégués du bâtonnier s’étant opposés à cette saisie en raison d’une part, que la perquisition effectuée aurait porté atteinte aux règles du procès équitable telles que consacrées par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et aux droits de la défense et d’autre part, que la saisie desdits documents serait de nature à porter atteinte au secret professionnel ;

Attendu que s’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la régularité de la perquisition, le contentieux des nullités relevant de la chambre de l’instruction, il entre dans ses attributions de vérifier si les documents saisis relèvent de la protection du secret professionnel des avocats tel que résultant des dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 7 avril 1997 ;

Attendu qu’il est constant que si le secret professionnel de l’avocat, tel qu’il est défini par ces textes ne saurait avoir de secret absolu de nature à faire échec aux dispositions du code de procédure pénale, il convient d’observer que la protection de ce secret, qui est inhérent à l’exercice de la mission de l’avocat, doit être appréciée d’une manière stricte et ne peut connaître de dérogation que dans l’hypothèse où les documents saisis dans un cabinet sont susceptibles de se rattacher directement à la commission d’une infraction et de rendre vraisemblable l’implication de l’avocat concerné dans les faits dont il s’agit, en qualité d’auteur ou de complice ;

Attendu qu’en l’espèce, les deux pièces saisies sont manifestement des documents transmis, pour l’un, par [le requérant] à ses conseils Me Wilner et Me Versini-Campinchi et pour l’autre, par la société I. Industries à son avocat Me Wilner et qu’elle constituent des pièces du dossier de ceux-ci ; qu’il ne résulte pas en outre, de leur examen qu’elles sont susceptibles de rendre vraisemblable l’implication de Me Versini-Campinchi ou de Me Wilner dans les faits objets de la présente information. »

En conséquence, le juge ordonna la restitution des documents placés sous scellés fermés no 1 bis et 2 bis, le 30 mars 2004, par le juge d’instruction et la destruction du procès verbal de mise sous scellés fermés.

Par une deuxième ordonnance du 5 avril 2004, le juge des libertés et de la détention ordonna la restitution des documents placés sous scellés fermés par le représentant du ministère public (conformément aux dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale) à l’occasion de la même perquisition dans le cadre de la procédure suivie contre X. du chef de blanchiment.

Par ailleurs, le requérant, considérant que P. Courroye ne présentait pas les garanties d’impartialité nécessaires, déposa une requête tendant au renvoi, pour cause de suspicion légitime, avec demande d’effet suspensif, devant une juridiction du même ordre, de la connaissance de la procédure suivie notamment contre lui devant le juge d’instruction de Paris des chefs de recel, complicité de trafic d’armes, recel d’abus de biens sociaux et trafic d’influence aggravé.

Par un arrêt du 28 avril 2004, la Cour de cassation rejeta la requête considérant :

« qu’il n’existe pas, en l’espèce, de cause de renvoi pour cause de suspicion légitime. »

Enfin, le journal « Le canard enchaîné » ayant publié le 7 avril 2004 un article mettant en cause le juge d’instruction et intitulé « les fouilles curieuses du juge Courroye », le requérant précise que celui-ci y répliqua par un courrier qui fut publié dans l’édition du 5 mai 2004.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’impartialité du magistrat instructeur.

Il estime tout d’abord que l’utilisation, par le juge Courroye, des prérogatives de sa fonction pour privilégier sa qualité de partie dans un litige qui l’opposait à celui qu’il avait pour mission de juger, constitue un élément objectif de nature à faire naître un doute sur l’impartialité du magistrat. Il relève en effet qu’il existait aux cabinets des deux avocats, parallèlement au dossier pour lequel il avait été mis en examen et dont P. Courroye avait la charge, un dossier relatif à la procédure de faux en écritures publiques qu’il avait initiée contre P. Courroye. Il souligne que ce dernier a pu prendre connaissance du dossier et en saisir certaines pièces.

Il considère ensuite que les conditions déloyales dans lesquelles le juge d’instruction a diligenté une perquisition dans les cabinets de ses avocats constituent la manifestation de l’hostilité du magistrat à son égard et démontrent, par conséquent, que le magistrat ne présentait plus de garantie d’impartialité suffisante.

Enfin, il estime qu’en répondant par voie de presse aux accusations dont il faisait l’objet dans le cadre de la requête en suspicion légitime, le magistrat a méconnu la discrétion qui s’impose aux autorités judiciaires lorsqu’elles sont appelées à juger.

2. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque de motivation du rejet de sa demande de renvoi pour cause de suspicion légitime par la Cour de cassation.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint du manque d’impartialité du magistrat instructeur et invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

La Cour rappelle tout d’abord que, selon sa jurisprudence, l’exigence d’impartialité ne vise que le « tribunal » qui se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (voir notamment Strivay, Simon et Simon c. Belgique (déc.), no 44559/98, 45038/98 et 45083/98, 5 septembre 2002 ; H. c. Belgique, arrêt du 30 novembre 1987, série A no 127, p. 34, § 50 et Sramek c. Autriche, arrêt du 22 octobre 1984, série A no 84, p17, § 36). Se pose avant tout la question de savoir si tel est le cas d’un juge d’instruction appelé à procéder à des investigations dans le cadre d’une instruction pénale et si les principes régissant l’exigence d’impartialité doivent lui être appliqués de la même manière qu’aux juges du fond, et notamment en considération de la particularité de la phase d’instruction (voir Koval c. Ukraine (déc.), no 65550/01, 30 mars 2004). Toutefois, la Cour n’estime pas devoir répondre à ces questions, dans la mesure où, le grief doit être rejeté pour non épuisement des voies de recours internes selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention pour les motifs exposés ci-dessous.

En effet, la Cour rappelle également qu’elle a toujours estimé que la conformité d’un procès aux principes fixés à l’article 6 de la Convention doit être examinée sur la base de l’ensemble du procès sauf si un incident ou un aspect particulier peuvent avoir été marquants ou avoir revêtu une importance telle qu’ils constituent un élément décisif pour l’appréciation générale de l’ensemble du procès. Mais il est important de relever que même en pareil cas, c’est sur la base du procès dans son ensemble qu’il convient de décider si la cause a été entendue équitablement.

Or, la Cour observe qu’à ce stade de la procédure aucun tribunal n’a statué sur le bien fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre le requérant. Elle note en outre que, le cas échéant, le requérant pourra interjeter appel du jugement rendu par le tribunal et se pourvoir en cassation.

Par conséquent, la Cour considère que, à supposer même que l’exigence d’impartialité s’applique au stade de l’instruction, le grief est prématuré.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Le requérant se plaint du manque de motivation de l’arrêt de la Cour de cassation rejetant sa requête en renvoi pour cause de suspicion légitime et invoque l’article 6 § 1 de la Convention précité.

La Cour constate d’emblée que la procédure en cause avait comme unique objet d’obtenir le renvoi de l’affaire, en raison de la suspicion du requérant, devant une autre juridiction. Or, la Cour observe à cet égard que, tout comme pour la procédure de récusation d’un magistrat, la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, indépendante de la procédure qui l’a fait naître, ne concerne pas le bien-fondé d’une accusation en matière pénale et ne porte pas davantage sur une contestation sur des droits et obligations de caractère civil d’un requérant au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Quemar c. France (déc.), no 69258/01, 23 mars 2004 ; Schreiber et Boetsch c. France (déc.), no 58751/00, 11 décembre 2003).

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. Naismith I. Cabral Barreto
Greffier adjoint Président