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Rozsudek
QUATRIEME SECTION
AFFAIRE SOKOŁOWSKI c. POLOGNE
(Requête no 15337/02)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 2006
DÉFINITIF
24/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sokołowski c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges
et de M. T.L. Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15337/02) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Władysław Sokołowski (« le requérant ») a saisi la Cour le 1er décembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 11 novembre 2005, le Président de la chambre a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Conformément à l’article 29 § 3 de la Convention, il a été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1957 et réside à Radom.
5. En 1994, (les parties n’ayant pas précisé la date exacte), le requérant engagea une action contre la clinique de la faculté de médecine en dommages et intérêts pour avoir été infecté par l’hépatite B durant son séjour à l’hôpital.
6. Le 5 décembre 1994, le tribunal régional de Radom se déclara incompétent et renvoya l’affaire au tribunal de district de Varsovie.
7. Le 8 février 1995, le tribunal désigna un avocat d’office et dispensa l’intéressé des frais de justice. Les audiences eurent lieu les 26 avril et 11 novembre 1995, 8 mai 1996 et 30 juillet 1997.
8. Le 17 mars 1998, le tribunal accueillit une expertise médicale complémentaire.
9. Une audience eut lieu le 14 juin 1999. A l’audience du 12 avril 2000, le conseil de la partie défenderesse demanda à ce que le ministre de la Santé soit cité à la place de la clinique de la faculté de médecine.
10. Une audience eut lieu le 12 mai 2000. Celle fixée au 11 juillet 2000, fut annulée en raison de l’absence, pour congé, du juge chargé de l’affaire.
11. Les audiences suivantes eurent lieu les 13 septembre, 23 octobre et 21 novembre 2000.
12. Le 5 décembre 2000, le tribunal de district rejeta la demande du requérant.
13. Le 20 décembre 2000, le tribunal rectifia une erreur d’écriture.
14. La décision fut notifiée au requérant le 2 janvier 2001.
15. Le 16 janvier 2001, l’intéressé interjeta appel.
16. Les audiences en appel eurent lieu les 16 mars, 10 avril et 12 septembre 2001.
17. Le 13 septembre 2001, le tribunal régional modifia la décision en octroyant au requérant une certaine somme d’argent.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18. L’article 417 al. 1 du code civil
« Le Trésor public est responsable pour les dommages résultant des actes d’un fonctionnaire de l’État ».
19. L’article 16 de la loi de 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004 (ci-dessous : loi de 2004), introduisant dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive d’une procédure judiciaire, (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki) stipule :
« Une partie qui n’a pas déposé plainte pour retard excessif de procédure conformément à l’article 5 § 1 peut demander - au titre de l’article 417 du Code civil - une réparation pour les dommages ayant résulté du retard excessif, une fois terminée la procédure sur le fond. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
21. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
22. La période à considérer a débuté en 1994 et s’est terminée le 13 septembre 2001. Elle a donc duré environ 7 années, pour deux instances.
A. Sur la recevabilité
23. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire alléguant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes.
24. Le Gouvernement estime en premier lieu que le requérant aurait du faire l’usage de l’article 417 du code civil, disposition permettant d’obtenir une satisfaction pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.
25. La Cour rappelle qu’elle s’était déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considérée comme telle (voir Skawińska c. Pologne (déc.), no 42096/98, 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, 14 octobre 2003 et récemment : Barszcz c. Pologne, no 71152/01, 30 mai 2006). Le Gouvernement ne présente aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante, il convient en conséquence de rejeter cet argument.
26. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que le requérant aurait du faire usage de l’article 16 de la loi de 2004 qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.
27. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà également prononcée sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004 en relation avec l’article 417 du code civil constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.
28. Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, délai de prescription de l’action de l’article 417 (voir l’arrêt du 14 juin 2005, Krasuski c. Pologne, no 61444/00, § 72).
29. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (voir Ratajczyk c. Pologne (déc.), no 11215/02, 31 mai 2005).
30. En l’occurrence, la procédure s’est terminée le 13 septembre 2001, donc plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, le requérant ne disposait pas de voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.
31. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement, les deux événements ne se produisent pas à la même date.
32. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz c. Pologne précité. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.
33. La Cour constate enfin que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
34. La Cour souligne que dans la présente affaire le Gouvernement, bien qu’invité par la Cour à le faire n’a présenté que des observations concernant la recevabilité et ne s’est pas prononcé quant au fond de l’affaire.
35. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, Czech c. Pologne, no 49034/99, § 44, 15 novembre 2005, Wojda c. Pologne, no 55233/00, § 9, du 8 novembre 2005)
36. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Czech, Wojda précités).
37. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
38. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
39. Le requérant réclame 50 000 PLN (12 500 euros (EUR)) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi.
40. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable. A titre subsidiaire, il demande d’accorder au requérant une satisfaction équitable dont le montant ne dépasserait pas 10 000 PLN, (2 600 EUR environ), la somme maximale prévue par la loi de 2004.
41. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 600 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
42. Le requérant ne sollicite aucune somme pour ces frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
43. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 600 EUR (trois mille six cents euros) pour dommage moral plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président