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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ŻAK c. POLOGNE

(Requête no 31999/03)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2006

DÉFINITIF

24/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Żak c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31999/03) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sławomir Żak (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 septembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me Jerzy Buchliński, avocat à Lublin. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 22 septembre 2005, le Président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En application de l’article 29 § 3, il a été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1962 et réside à Lublin.

5. Le 8 novembre 2000, soupçonné de meurtre, il fut arrêté.

6. Le 11 novembre 2000, il fut placé en détention provisoire. La décision de mise en détention, confirmée en appel le 21 décembre 2000, était motivée par le risque de voir le requérant exercer des pressions sur les témoins, ainsi que par la sévérité de la peine encourue.

7. Dans la phase d’instruction, les tribunaux prolongèrent la détention pour les mêmes motifs. Ils invoquèrent également la nécessité de placer le requérant en observation psychiatrique et de recueillir d’autres preuves, dont des rapports d’experts.

8. Le 30 juillet 2001, le parquet déposa l’acte d’accusation auprès du tribunal régional. La première audience sur le fond eut lieu le 10 octobre 2002.

9. Le juge de la mise en détention justifia le maintien en détention en invoquant la gravité de l’infraction reprochée au requérant ainsi que la sévérité de la peine que l’intéressé encourait.

10. A compter du 23 octobre 2002, la cour d’appel, statuant sur le maintien en détention, mit l’accent sur le fait que les témoignages rassemblés jusque-là mettaient le requérant clairement en cause. Elle estima également que les raisons invoquées par les autorités judiciaires pour justifier les retards dans la procédure, telles que la non-comparution des témoins ou l’absence du juge, étaient objectivement justifiées.

11. A partir de janvier 2003 et de mars 2004, le procès fut recommencé à deux reprises du fait d’un changement dans la composition du collège des juges.

12. Par une décision prononcée le 24 juin 2004, le tribunal régional reconnut le requérant coupable de meurtre et le condamna à 25 ans de réclusion criminelle.

13. Le 9 novembre 2004, la cour d’appel annula la décision du tribunal régional et renvoya l’affaire pour réexamen.

14. Dans les motivations des décisions prolongeant la détention provisoire du requérant durant l’examen de l’affaire par la juridiction de renvoi, la cour d’appel releva que durée de la détention était importante mais estima que celle-ci était justifiée par les faits de l’espèce. Les juges soulignèrent la nécessité de garantir la bonne marche de la procédure, ainsi que la sévérité de la peine encourue.

15. Le 5 mai 2005, la cour d’appel ordonna la libération de l’intéressé.

16. Le 9 mars 2006, le tribunal régional reconnut le requérant une fois encore coupable de meurtre et le condamna à 25 ans de réclusion criminelle. A la même date, le tribunal ordonna de replacer l’intéressé en détention provisoire, ce qui fut fait le 10 mars 2006.

17. La procédure est pendante.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

18. Le requérant se plaint de la durée de sa détention et cite l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »

A. Sur la recevabilité

19. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1 La période à prendre en considération

20. La Cour considère que la durée de la détention du requérant se divise en deux périodes : la première de trois années, sept mois et seize jours (du 8 novembre 2000, date de son arrestation, au 24 juin 2004, date de sa condamnation en première instance), et la seconde de cinq mois et vingt-six jours (du 9 novembre 2004, date de l’annulation en appel de la première condamnation, au 5 mai 2005, date de la décision de la cour d’appel de remettre l’intéressé en liberté). La durée totale de la détention provisoire du requérant est dès lors de quatre années, un mois et douze jours.

2 Le caractère raisonnable de la durée de la détention

21. Le Gouvernement considère que le grief est manifestement mal fondé. Il estime que la détention se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu’elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux, lesquels ont fourni des explications détaillées.

Le Gouvernement met l’accent sur le caractère particulièrement grave de l’infraction reprochée au requérant (homicide) et la sévérité de la peine encourue. Il estime qu’on pouvait raisonnablement croire qu’une fois en liberté l’intéressé tenterait d’influencer ou même d’intimider les témoins dont le nombre était considérable. Selon le Gouvernement, les autorités ont apporté toute la diligence nécessaire à l’affaire. En particulier, le tribunal a tenu des audiences régulièrement et a rappelé à l’ordre les témoins récalcitrants.

22. Le requérant combat les arguments du Gouvernement.

23. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

24. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, l’arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).

25. La Cour observe qu’en l’espèce les autorités se fondaient dans un premier sur le risque de voir le requérant exercer des pressions sur les témoins, ainsi que sur la sévérité de la peine encourue. Ensuite, elles se sont bornées en substance à souligner la perspective d’une lourde sentence.

26. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (quatre années, un mois et douze jours) se justifiait au regard de l’article 5 § 3.

27. La Cour ne décèle aucune raison de la sorte en l’espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes d’élargissement du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment.

28. La Cour rappelle à cet égard que l’existence d’un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d’une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir notamment les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, § 14 ; Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, § 11 ; Letellier c. France 26 juin 1991, § 43 ; Scott c. Espagne du 30 novembre 1996, § 78).

29. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.

30. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

32. Le requérant réclame 7 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

33. Le Gouvernement estime cette demande dénuée de tout fondement. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable suffisante.

34. La Cour considère que l’intéressé a certainement subi un préjudice moral qui n’est pas suffisamment réparé par le constat d’une violation. Statuant en équité, elle alloue au requérant 2 000 EUR de ce chef.

B. Frais et dépens

35. Le requérant, qui a bénéficié de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe et a reçu à ce titre 850 EUR, ne présente aucune demande de remboursement de frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

36. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt; cette somme est à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président