Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ZYCH c. POLOGNE

(Requête no 28730/02)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2006

DÉFINITIF

24/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zych c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. G. Bonello,
M. Pellonpää,
K. Traja,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,


et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28730/02) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Leszek Zych (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juin 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Edmund Dobecki, avocat à Bydgoszcz. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 26 septembre 2006, la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1966 et réside à Bydgoszcz.

5. Le 15 mai 1998, soupçonné d’avoir été impliqué dans l’importation illicite et le trafic de stupéfiants - infractions commises en association avec d’autres délinquants - le requérant fut arrêté et placé en détention provisoire.

6. Dans un premier temps, les décisions de prolongation de la détention furent motivées par la nécessité d’assurer le bon déroulement de la procédure. Le juge de la détention mit l’accent sur la complexité de l’affaire résultant, entre autres, du nombre de personnes mises en cause (9). Le juge releva que, dans la mesure où la procédure portait sur les infractions commises par l’association de malfaiteurs, il était très probable qu’en cas de libération, les membres du groupe, y compris le requérant, cherchent à entraver le bon déroulement de l’instruction.

7. Au cours de l’instruction, cinquante-six auditions des témoins eurent lieu. Les prévenus furent interrogés seize fois. Neuf opinions d’experts furent recueillies et sept visites des lieux effectuées.

8. Le 28 avril 1999, un acte d’accusation fut dirigé contre le requérant. Quarante-sept témoins furent cités à comparaître.

9. Entre le 11 mai 1999 et 21 juin 2001, la détention provisoire de l’intéressé fut prolongée huit fois.

10. A compter du 8 mai 2000, pour justifier le maintien du requérant en détention, le juge mit l’accent sur le fait que les moyens de preuve rassemblés mettaient l’intéressé clairement en cause et que la peine qu’il encourait était sévère.

11. Par un jugement prononcé le 28 mars 2001, le tribunal régional condamna le requérant à une peine de six ans et six mois de prison.

12. Le 24 janvier 2002, la cour d’appel infirma cette décision et renvoya l’affaire pour réexamen.

13. Le 20 novembre 2002, le tribunal régional décida de remettre le requérant en liberté et le plaça sous surveillance policière.

14. L’affaire est pendante.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

15. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et cite l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »

A. Sur la recevabilité

16. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que le grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  1. Sur le fond

1. La période à prendre en considération

17. La Cour considère que la détention provisoire de l’intéressé s’étend du 15 mai 1998, date du placement de l’intéressé en détention, au 28 mars 2001, date de sa condamnation en première instance, et du 24 janvier 2002, date de l’infirmation de cette décision au 20 novembre 2002, date de la libération de l’intéressé. La durée totale de la détention du requérant est dès lors d’environ trois années et de huit mois.

2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire

18. Le Gouvernement considère que le grief est manifestement mal fondé.

19. A titre liminaire, il met l’accent sur la nature des infractions commises par le requérant, qui avaient trait à la délinquance organisée. Il souligne qu’en Pologne le nombre de procédures pénales concernant les groupes organisés est considérable et qu’il continue de croître. Il attire l’attention de la Cour sur les difficultés procédurales et logistiques qui sont inhérentes à ce type d’affaires et qui font leur complexité, ce qui est le cas en l’espèce.

20. Le Gouvernement relève que la présente affaire se caractérise par un dégrée élevé de complexité, dans la mesure où elle a impliqué un grand nombre de prévenus et de témoins. La nécessité d’effectuer des expertises et des visites des lieux a contribué au prolongement de la procédure. Le Gouvernement attire également l’attention sur le type de l’infraction en cause. Celle-ci, ayant trait au trafic de stupéfiants, a exigé des investigations approfondies et une administration des preuves compliquée.

21. Concernant la prolongation de la détention de l’intéressé, le Gouvernement estime que celle-ci se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu’elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux, lesquels ont à chaque fois fourni des explications particulièrement détaillées et fondées sur les circonstances concrètes de l’affaire.

22. Il soutient que les raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis les infractions reprochées ont persisté tout au long de la procédure. Selon le Gouvernement, on pouvait raisonnablement croire qu’une fois en liberté l’intéressé tenterait de se soustraire à la justice et d’entraver le bon déroulement de la procédure, notamment en influençant les témoignages à recueillir.

23. Le requérant combat les arguments du Gouvernement. Dans son argumentation, il se limite à constater que le prolongement de sa détention était dépourvu de raisons pertinentes et s’avérait en conséquence infondé.

24. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

25. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, l’arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).

26. La Cour observe qu’en l’espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention par la sévérité de la peine encourue, par la complexité de l’affaire ainsi que par le risque de fuite et d’entrave à la bonne marche de la justice.

27. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (trois ans et huit mois environ) se justifiait au regard de l’article 5 § 3.

28. La Cour n’a pas décelé pareilles raisons en l’espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes de libération du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour observe de surcroît que tout au long de la procédure, les juges ont motivé leurs décisions par le caractère complexe de l’affaire, soulignant surtout la forte probabilité que le requérant eût été l’auteur des faits reprochés.

29. La Cour rappelle à cet égard qu’à la lumière de sa jurisprudence établie l’existence d’un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d’une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir, notamment, les arrêts Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, série A no7, p. 22, § 14 ; Matznetter c. Autriche, 10 novembre 1969, série A no10, p. 29, § 11 ; Letellier c. France précité, § 43 ; Scott c. Espagne, 30 novembre 1996, CEDH 1996 – VI, p. 2304, § 78).

30. La Cour note par ailleurs que le fait que la procédure en l’occurrence avait trait à un groupe criminel organisé est incontestablement un facteur rendant les investigations plus complexes et plus longues. Ceci ne saurait toutefois justifier une détention provisoire d’une durée de trois années et d’huis mois (voir Celejewski c. Pologne, no 17584/04, 4 mai 2006, § 40).

31. En conséquence la Cour conclut que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.

32. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure pénale engagée contre lui. Il cite l’article 6 § 1 de la Convention.

34. La Cour observe que le requérant n’a pas engagé d’action sur la base de l’article 5 de la loi de 17 juin 2004 permettant de contester la durée excessive d’une procédure devant les instances internes, recours jugé efficace par la jurisprudence de la Cour (Charzyński c. Pologne (déc.) no 24549/03).

35. Dès lors, elle déclare ce grief irrecevable pour non–épuisement des voies de recours internes.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Le requérant réclame 26 073, 90 PLN (6 500 euros environ) pour le préjudice matériel qu’il aurait subi. Il fonde ce montant sur le calcul du salaire minimal qu’il aurait pu gagner en travaillant s’il n’avait pas été privé de liberté.

38. Il demande également 30 000 PLN (7 500 euros environ) Pour le préjudice moral qu’il aurait subi.

39. En ce qui concerne le préjudice matériel, le Gouvernement souligne que le montant demandé est de nature purement spéculative car non étayé par une probabilité quelconque que le requérant aurait effectivement travaillé au cours de la période en cause.

40. S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement estime cette somme excessive et invite la Cour à rejeter la demande d’octroi de satisfaction équitable.

41. La Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

42. Le requérant demande également 2 196 PLN (550 EUR environ) pour les frais et dépens exposés devant la Cour ; il présente à cet égard une déclaration certifiée par son avocat.

43. Le Gouvernement estime cette somme excessive et demande la Cour de rejeter la demande du requérant.

44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 550 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

45. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral 550 EUR (cinq cent cinquante euros) pour frais et dépens plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ; cette somme à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président