Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE AKKAN ET ERKIZILKAYA c. TURQUIE

(Requête no 48055/99)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2006

DÉFINITIF

23/05/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Akkan et Erkızılkaya c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48055/99) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet Etat, Necmiye Akkan et Ersen Erkızılkaya, avaient saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour ») le 22 avril 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me N. Özkan, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

4. Le 3 avril 2001, la Cour (première section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.

5. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6. Par une lettre du 17 mars 2005, la Cour informa les parties qu’elle se prononcerait, en application de l’article 29 § 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le bien-fondé des affaires.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Les requérants, Necmiye Akkan et Ersen Erkızılkaya, sont nés respectivement en 1928 et 1955 et résident à İstanbul.

8. En 1997, la direction générale de la gestion des espaces aériens de l’Etat (Devlet Hava Meydanları İşletmesi Müdürlüğü, « la Direction ») procéda à l’expropriation des terrains appartenant aux requérants et sis à Istanbul, pour la construction d’une piste d’atterrissage.

9. Une indemnité d’expropriation de 1 500 000 000 livres turques (TRL) fut versée aux requérants à la date du transfert de propriété.

10. Insatisfaits du montant payé par l’administration, les requérants introduisirent, auprès du tribunal de grande instance de Küçükçekmece une action en augmentation de l’indemnité d’expropriation.

11. Par un jugement du 20 avril 1998, le tribunal leur accorda une indemnité complémentaire de 27 750 000 000 TRL, assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 26 juin 1997.

12. Par un arrêt du 21 septembre 1998, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal de première instance et, le 9 novembre 1998, elle rejeta la demande en rectification de l’arrêt.

NOM DES REQUÉRANTS

MONTANT DE L’INDEMNITÉ COMPLÉMEN-

TAIRE

(TRL)

DATE DE DÉPART DU CALCUL DES INTÉRÊTS MORATOIRES

DATE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION

DATE DU PAIEMENT

MONTANT DU PAIEMENT

(TRL)

Necmiye Akkan

Ersen Erkızılkaya

27 750 000 000

26/06/1997

21/09/1998

10/10/1998

43 699 880 000

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998VI, pp. 26742676, §§ 17-25).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

14. Les requérants se plaignent d’une perte de valeur de l’indemnité complémentaire d’expropriation, en raison du retard pris par l’Etat dans le paiement de cette indemnité et de l’insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Ils invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

15. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Aka, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celui-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

16. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).

17. Elle a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes, imputable à l’administration expropriante, a fait subir aux requérants un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de leur bien. Ce préjudice est doublé par l’insuffisance du taux des intérêts moratoires par rapport à celui de l’inflation. Le décalage entre la valeur de la créance du requérant au moment de l’expropriation de son terrain et sa valeur lors de son règlement effectif amène la Cour à considérer que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.

18. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

19. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

20. Les requérants affirment devoir être dédommagés pour un préjudice matériel qu’ils évaluent à 141 035 dollars américains (USD), soit 112 459 euros (EUR). Ils demandent une somme raisonnable au titre du préjudice moral.

21. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

22. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Aka (précité, pp. 26832684, §§ 55-56) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 88 000 EUR conjointement aux requérants.

23. Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

24. Les requérants ne sollicitent aucune somme au titre des frais et dépens. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

25. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 88 000 EUR (quatre-vingt huit mille euros) plus tout montant pouvant être dû au titre d’impôts, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président