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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ATUT SP. Z O.O. c. POLOGNE

(Requête no 71151/01)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Atut Sp. z o.o. c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. G. Bonello,
M. Pellonpää,
K. Traja,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 71151/01) dirigée contre la République de Pologne et dont une société de cet Etat, ATUT Sp.z o. o. (« la requérante ») a saisi la Cour le 26 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 13 octobre 2005, le Président de la quatrième Section a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, il a été décidé que la Cour se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. La requérante est une société commerciale à responsabilité limitée établie à Nowy Sącz. Devant la Cour, elle est représentée par son président, M. Stanisław Jakubowski.

1. Procédure en paiement des dommages et intérêts intentée à l’encontre des autorités douanières

5. A la suite de l’annulation par une autorité administrative compétente de la décision en vertu de laquelle les autorités douanières avaient saisi et gardé en dépôt pendant un certain temps les marchandises importées par la requérante, le 31 juillet 1995, cette dernière intenta à l’encontre des autorités en question une action en dommages et intérêts.

6. Le 3 août 1995, le tribunal régional demanda à la requérante de présenter des documents supplémentaires qu’elle soumit par courrier des 17 et 23 août 1995.

7. Par une décision du 28 septembre 1995, la requérante fut dispensée partiellement des frais de justice.

8. Le 12 décembre 1995, le tribunal régional ajourna l’audience demandant à la partie défenderesse de présenter ses observations dans un délai de quatorze jours. Celles-ci furent communiquées le 10 janvier 1996.

9. Une audience se tint le 15 janvier 1996. Par une décision du 29 janvier 1996, le tribunal régional de Varsovie octroya à la requérante une certaine somme d’argent.

10. Le 6 février 1995, la partie défenderesse demanda la motivation de la sentence rendue. Le tribunal régional fournit la motivation en question le 22 avril 1996.

11. La partie défenderesse interjeta appel le 8 mai 1996.

12. Le 24 mai 1996, le représentant de la requérante demanda le rejet de l’appel.

13. Le 18 juin 1996, la cour d’appel annula la décision du tribunal régional et renvoya l’affaire pour réexamen.

14. Les 8 novembre 1996 et 7 juin 1997, le représentant de la requérante formula de nouveaux griefs.

15. Le 3 décembre 1996, la partie défenderesse présenta des documents supplémentaires et, le 7 août 1997, elle formula également de nouveaux griefs.

16. Par une décision prononcée le 22 août 1997, le tribunal régional rejeta la demande de la requérante. La motivation de jugement fut notifiée à l’intéressée le 19 septembre 1997. Le 7 octobre 1997, cette dernière fit appel par son représentant légal. Ce dernier présenta également le 21 octobre 1997 au tribunal les informations supplémentaires antérieurement requises.

17. Le 3 février 1998, la cour d’appel rejeta l’appel estimant, à l’instar du tribunal régional, que la requérante n’avait pas prouvé avoir subi de préjudice du fait des les actes des autorités douanières.

18. Le 22 juin 1998, la requérante se pourvut en cassation. Sommée de présenter des documents supplémentaires, elle les soumit à la Cour suprême le 3 août 1998.

19. Le 27 août 1998, la Cour suprême décida de dispenser partiellement la requérante des frais de justice.

20. Par décision du 13 mars 2001, la Cour suprême refusa d’examiner le pourvoi formé par l’intéressée au motif que le recours ne soulevait aucune question de nature à nécessiter l’examen de la juridiction suprême.

2. Procédure en paiement des dommages et intérêts intentée à l’encontre de la société S.

21. La société requérante assigna en justice la société S., son partenaire commercial. L’action introduite par l’intéressée tendait au paiement des dommages et intérêts au titre de la rupture anticipée et injustifié par la société S. du contrat de coopération commerciale liant les parties.

22. Le 26 mars 1999, le tribunal régional de Cracovie rejeta la demande, décision confirmée par la cour d’appel le 19 octobre 1999. Les tribunaux estimèrent que la demande de la requérante ne se justifiait pas dans la mesure où en l’espèce il s’agissait d’une rupture de contrat acceptée par la requérante et non pas d’une rupture unilatérale.

23. Par une décision prononcée le 8 mars 2002 (et notifiée à la requérante le 21 août 2002), la Cour Suprême refusa d’examiner le pourvoi formé par la requérante au motif que le recours ne soulevait aucune question justifiant l’examen de l’affaire par la juridiction suprême.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

24. La société requérante allègue que la durée de la procédure à l’encontre des autorités douanières a méconnu le principe du « délai raisonnable », tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

25. La période à considérer a débuté le 31 juillet 1995 et s’est terminée le 13 mars 2001. La procédure en question a donc duré cinq ans et huit mois pour trois instances et un renvoi.

  1. Sur la recevabilité

26. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire alléguant que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes.

27. Le Gouvernement estime en premier lieu que la requérante aurait dû faire usage de l’article 417 du code civil, disposition permettant d’obtenir une satisfaction pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.

28. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considéré comme telle (voir Skawińska c. Pologne (déc.), 42096/98, 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, 14 Octobre 2003 et récemment : Barszcz c. Pologne, no 71152/01, 30 mai 2006). Le Gouvernement ne présente aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante, il convient en conséquence de rejeter cet argument.

29. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que la requérante aurait dû avoir recours à l’article 16 de la loi du 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004 (ci dessous « loi de 2004»), qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.

30. La Cour rappelle qu’elle s’est également déjà prononcée sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004 en relation avec l’article 417 du code civil constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention. Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, le délai de prescription de l’action de l’article 417 (voir l’arrêt du 14 juin 2005, Krasuski c. Pologne, no 61444/00, § 72).

31. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (voir Ratajczyk c. Pologne, (déc.) no 11215/02, 31 mai 2005).

32. En l’occurrence, la procédure s’est terminée le 13 mars 2001, donc plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, la requérante ne disposait pas de voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.

33. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement, les deux événements ne se produisent pas à la même date.

34. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz c. Pologne précité. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.

35. La Cour constate enfin que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  1. Sur le fond

36. La société requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable », tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.

37. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

38. Le Gouvernement met l’accent sur la complexité de l’affaire et sur la nécessité d’examiner une quantité volumineuse des documents et d’observations des parties. Il soutient par la suite que la requérante a contribué elle-même à un prolongement de la procédure dans la mesure où elle négligeait de soumettre ses observations et les documents requis par les juridictions dans les meilleurs délais. Enfin, selon lui, les juridictions ayant tenu régulièrement des audiences, aucune négligence ne saurait en conséquence leur être reprochée.

39. La requérante concentre ses allégations sur des pertes subies du fait d’une durée prolongée da la procédure. Elle présente une description détaillée des frais encourus au cours de la procédure.

40. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

41. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir notamment Czech c. Pologne, no49034/99, § 44, 15 novembre 2005 ; Wojda c. Pologne, no35233/00, § 9, 8 novembre 2005).

42. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

43. La Cour relève en particulier un délai d’inactivité d’environ deux ans et sept mois depuis l’introduction d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

44. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » (voir Wylęgły c. Pologne, no3333/96, 3 juin 2003).

45. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR L’AUTRE VIOLATION ALLÉGUÉE

46. La requérante se plaint de l’issue de la procédure engagée à l’encontre de la société S.

47. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Spécialement, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Garcia-Ruiz c. Espagne, arrêt du 21 janvier 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I, p. 118, § 28).

48. Il s’ensuit que ce grief doit être déclaré irrecevable conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

III SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. La requérante réclame 40 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’elle aurait subi.

51. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable.

52. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.

53. La Cour admet en revanche que la requérante a pu subir un certain tort moral en raison des retards relevés. Dès lors, statuant en équité et eu égard à sa jurisprudence (voir Wyległy précité § 44), elle alloue à l’intéressée la somme de 3000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

54. La requérante, qui n’était pas représentée par un avocat devant la Cour, ne présente pas d’observations quant aux frais et dépens encourus devant les juridictions internes et ceux encourus devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

55. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure à l’encontre des autorités douanières et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, montant à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président