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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BABA c. TURQUIE
(Requête no 35075/97)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 2006
DÉFINITIF
24/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Baba c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35075/97) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, Murat Baba (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme, le 25 février 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me V. Soytekin, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent pour la procédure devant la Cour.
3. La requête avait pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause relèvent d’un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 4 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.
4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
5. Le 12 septembre 2000, la première section a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 au Gouvernement.
6. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, la Cour a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites.
7. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Le requérant est né en 1935 et réside à Ordu (Turquie). Il est menuisier.
9. Suite à un contrat qu’il avait passé avec la mairie de Kumru, le requérant construisit des portes en bois pour un bâtiment appartenant à la municipalité. N’ayant reçu qu’une partie de ses honoraires dus pour les travaux effectués, il entama une procédure civile contre la mairie et demanda le versement du reste de ses honoraires.
10. Par une décision du 8 juin 1995, le tribunal de grande instance de Kumru donna gain de cause au requérant et lui accorda une indemnité d’un montant de 37 460 000 livres turques (TRL), assortie des intérêts moratoires de 30 % l’an calculés à partir du 30 novembre 1994.
11. Sur la base de cette décision, le requérant entama une procédure d’exécution forcée contre la municipalité de Kumru. Par une décision du 28 septembre 1995, le juge de l’exécution de Kumru ordonna la saisine des comptes bancaires de la ville. Cependant, cette somme était inférieure à la somme due. Les biens immobiliers d’une municipalité ne pouvant faire l’objet d’une saisine, le requérant ne put aller plus loin dans ses démarches afin de recouvrer sa créance.
12. Par une lettre du 17 janvier 2006, le requérant informa la Cour qu’à ce jour, aucun paiement n’avait été effectué.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
13. En vertu de l’article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur les voies d’exécution et la faillite (Icra ve Iflas Kanunu) et de l’article 19 de la loi no 1530 du 3 avril 1930 sur les communes (Belediyeler Kanunu), les biens appartenant à l’Etat et aux communes ainsi que les biens destinés à l’usage public ne peuvent faire l’objet d’une saisie (voir Gaganuş et autres c. Turquie, no 39335/98, §§ 15-18, 5 juin 2001).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No1 DE LA CONVENTION
14. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit de propriété en raison de l’inexécution des décisions définitives rendues en sa faveur par les juridictions internes. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1 ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
15. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que le restant de la requête est recevable et doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate, en effet, qu’il ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
16. Le Gouvernement conteste l’existence d’une violation.
17. La Cour rappelle que, selon le principe qui se dégage de sa jurisprudence, une « créance » peut constituer un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 lorsque la créance est suffisamment établie pour être exigible (voir Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301‑B, p. 84, § 59, et Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 40, CEDH 2002‑III). Tel est le cas dans la présente affaire.
18. La Cour observe qu’en l’espèce, par un arrêt du 8 juin 1995 le tribunal de grande instance a donné gain de cause au requérant et lui a accordé 37 460 000 TRL, assortie d’un intérêt moratoire de 30 % l’an calculé à compter du 30 novembre 1994. Le requérant a entamé une procédure d’exécution forcée contre la ville en 1995. Cependant, eu égard à la législation nationale pertinente qui ne permettait pas de saisir les biens immobiliers de la municipalité (paragraphe 12 ci-dessus) et aussi à l’absence de l’effectif de celles-ci dans ses comptes bancaires, le requérant se trouvait dans l’impossibilité d’obtenir l’exécution de l’arrêt en question. La Cour note qu’en s’abstenant d’exécuter les décisions définitives, les autorités nationales ont privé le requérant de la jouissance de son droit de propriété sans fournir de justifications pour cette ingérence (Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, § 39, 7 avril 2005, et Sabin Popescu c. Roumanie (no 48102/99, § 81, 2 mars 2004)
19. Par ailleurs, le Gouvernement n’a offert aucune justification convaincant pour l’ingérence causée par la non-exécution des décisions judiciaires rendues en l’espèce ; elle était donc arbitraire et emportait violation du principe de légalité. Une telle conclusion dispense la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels du requérant (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004).
20. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
21. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
22. Le requérant réclame 8 631 euros (EUR) au titre du préjudice matériel. Cette somme comprend les frais et dépenses encourus devant les juridictions internes et la Cour. Il réclame, en outre, 5 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
23. Le Gouvernement conteste ces prétentions et ne les estime pas étayées.
24. A la lumière de sa jurisprudence et ayant procédé à son propre calcul, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 1 175 EUR à titre de dommage matériel, incluant la somme non payée et les intérêts moratoires.
25. La Cour estime que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable pour le dommage moral subi par le requérant.
26. La Cour considère qu’il sera approprié d’examiner la question de frais et dépense sous la rubrique suivante.
B. Frais et dépens
27. Eu égard aux éléments en sa possession et aux critères qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour octroie, en équité, la somme de 2 000 EUR au requérant, moins les 630 EUR versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judicaire.
C. Intérêts moratoires
28. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare recevable le restant de la requête ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante quant au préjudice moral ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 175 EUR (mille cent soixante quinze euros) pour dommage matériel ;
ii. 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, moins les 630 EUR (six cent trente euros) versés par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judicaire ;
iii. plus tout montant pouvant être dû au titre des impôts ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président