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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.11.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 51288/99
présentée par Klaus ALEKER
contre l’Allemagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 6 novembre 2006 en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger,
M. M. Villiger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 juin 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Klaus Aleker, est un ressortissant allemand, né en 1955 et résidant à Ulm. Il était représenté devant la Cour d’abord par Me Carsten Knodel, avocat à Stuttgart, puis par Me Lothar Eck, avocat à Passau. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») était d’abord représenté par son agent, M. Klaus Stoltenberg, Ministerialdirigent, puis par Mme Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin, au ministère fédéral de la Justice.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant était avocat. Le 1er octobre 1993, il fonda un cabinet de consultant qui fut surendetté à partir du 31 décembre 1994 et fit faillite au plus tard à la fin de l’année 1996.

Le 11 mars 1996, à la suite d’une plainte déposée par l’associé du requérant, le parquet de Stuttgart (ci-après : « le parquet ») ouvrit une information judiciaire contre le requérant pour soupçon de détournement de fonds, d’escroquerie, de concussion et d’abus de confiance.

Le 14 avril 1997, le tribunal d’instance d’Esslingen (ci-après « le tribunal d’instance ») ordonna la perquisition du domicile et du cabinet du requérant.

Le 13 mai 1997, à l’occasion de la perquisition, de nombreux documents (au total 86 classeurs, livres et cahiers) furent saisis sans que le requérant s’y opposât. Le même jour, la police interrogea le requérant en tant que prévenu et l’informa sur ses droits.

Le 15 mai 1997, le représentant du requérant demanda la communication du dossier. Le 20 mai 1997, le parquet refusa de donner suite à la demande au motif que le dossier se trouvait encore dans les mains de la police chargée de l’enquête. Il ajouta qu’il procéderait, le moment venu, à la communication du dossier pour consultation.

Le 14 juin 1997, le requérant déposa une plainte contre son ancien associé pour tentative de détournement de procédure (Prozessbetrug) et faux témoignage. Par conséquent, le 17 juillet 1997, le parquet demanda au tribunal régional de Stuttgart (ci-après « le tribunal régional ») de lui communiquer le dossier de la procédure civile.

Le 26 mars 1998, le parquet ouvrit une deuxième information judiciaire contre le requérant pour soupçon de manœuvres dilatoires en faillite (Konkursverschleppung) concernant une société que le requérant avait fondée en 1993 avec son associé d’alors.

Dans le cadre de ces deux informations judiciaires, sur demande du parquet, le tribunal d’instance, le 27 avril 1998, ordonna la perquisition entre autres du domicile du requérant (y compris les dépendances et les véhicules) et des bureaux du cabinet Aleker & Associés en vue de saisir notamment tout document bancaire ou patrimonial depuis 1993, des dossiers de treize clients énumérés et documents annexes du cabinet d’avocats Aleker & Associés. Le 8 mai 1998, il émit quatre autres ordres de perquisition et de saisie.

Le 2 juin 1998, le tribunal d’instance compléta sa décision du 27 avril 1998 et ordonna la saisie de tout document écrit se trouvant dans les locaux privés et professionnels du requérant des clients dont le nom restait à établir et qui avaient effectué ou reçu de paiements au bénéfice ou à la charge du compte bancaire X du requérant.

Le lendemain eurent lieu plusieurs perquisitions au domicile et au cabinet du requérant au cours desquelles nombre de documents et de pièces furent saisis dans le cabinet. Alors que la perquisition à son domicile était encore en cours, le requérant saisit le tribunal d’instance d’un recours contre celle-ci en dénonçant notamment le caractère imprécis (Unbestimmtheit) de l’ordonnance du 2 juin 1998 qui aurait permis, en principe, de saisir tout document dans le cabinet

Le 5 juin 1998, le requérant fut de nouveau interrogé par la police au sujet des nouveaux faits reprochés.

Le 6 juillet 1998, le tribunal d’instance confirma la saisie des documents. Le requérant contesta la décision. Le 29 juillet 1998, le parquet transmit le dossier au tribunal régional. Le 11 août 1998, il invita l’avocat du requérant par téléphone à retirer son recours et lui proposa de trier ensemble les documents saisis, de limiter l’enquête aux points principaux et d’y associer le requérant. D’après le Gouvernement, le requérant et son avocat déclinèrent cette proposition mais acceptèrent l’offre de faire des photocopies de certains documents importants. Le requérant nie l’existence de cette proposition par téléphone.

Le 13 août 1998, le département pour des infractions économiques du parquet classa l’information judiciaire pour soupçon de manœuvres dilatoires en faillite, d’une part pour manque de preuves pertinentes, d’autre part contre le paiement par le requérant de 9,000 DEM à un établissement d’intérêt commun.

Le 10 septembre 1998, le tribunal régional rejeta le recours du requérant contre les décisions du tribunal d’instance des 27 avril, 2 juin et 6 juillet 1998. Il releva notamment que les documents énumérés dans les ordres de saisie étaient appropriés pour apporter la confirmation du soupçon initial et que les saisies avaient suivi le programme de perquisition établi. Les mesures étaient proportionnées aux faits reprochés au requérant. Cependant, si l’ordonnance « de complément » du tribunal d’instance du 2 juin 1998 était comprise comme un ordre de saisie, elle n’aurait pas respecté le principe selon lequel les actes de l’autorité publique doivent être suffisamment clairs et précis (Bestimmtheitsgebot). Tel n’était toutefois pas le cas car cette décision ne faisait que compléter le programme de perquisition (Durchsuchungsprogramm), contrairement à ce qu’indiquait son énoncé, et était comme telle suffisamment précise.

Le 18 septembre 1998, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours constitutionnel. Il fit notamment valoir l’interprétation erronée et illégale de la décision « de complément » du tribunal d’instance faite par le tribunal régional et une violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale.

Le 12 mai 1999, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, n’admit pas le recours au motif qu’il n’y avait aucune violation des droits fondamentaux, tels que garantis par la Loi fondamentale.

Le 14 juin 1999, le requérant saisit la Cour de sa requête.

Par la suite, entre 1999 et 2001, le parquet ouvrait sept autres enquêtes préliminaires.

Le 22 mai 2002, le parquet inculpa le requérant pour 17 infractions en déposant l’acte d’accusation au tribunal régional.

Le 21 mai 2003, le requérant fut arrêté et mis en détention provisoire.

Le 28 mai 2003, le parquet inculpa le requérant de 28 nouvelles infractions et déposa un autre acte d’accusation au tribunal régional.

Le 23 juillet 2003, le tribunal régional condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de trois ans et dix mois pour 33 délits d’escroquerie, de détournement de fonds, de concussion et de trahison d’intérêts (Parteiverrat). Un de ces délits a été commis en 1996, deux en 1998, six en 1999, 2000 et 2001 respectivement, dix en 2002 et deux en 2003. Le tribunal régional retint en faveur du requérant ses aveux circonstanciés (umfängliches Geständnis) qui avaient considérablement simplifié (stark vereinfacht) la procédure mais releva à son détriment qu’il avait continué ses agissements criminels en dépit des enquêtes et des perquisitions du parquet, et ce même après la notification du premier acte d’accusation. Le jugement devint définitif le même jour le requérant et son défenseur ayant déclaré qu’ils renonçaient à se pourvoir en cassation.

3. Développements ultérieurs

Le 25 avril 2005, le requérant se pourvut en cassation et fit une demande en relèvement de forclusion. Il allégua que le tribunal régional n’avait accepté la transaction qu’à condition que le requérant renonçât à se pourvoir en cassation, ce qui était illégal d’après le nouvel arrêt de la Cour fédérale de justice du 3 mars (voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous).

Le 1er juillet 2005, le procureur général fédéral demanda de déclarer irrecevable le pourvoi pour tardiveté. A supposer même que les allégations du requérant fussent véridiques, elles eussent seulement eu pour conséquence que le délai d’une semaine pour se pourvoir en cassation commençait à courir mais ne constituaient pas un motif de relèvement de la forclusion.

Le 27 juillet 2005, la Cour fédérale de justice rejeta la demande en relèvement de forclusion et déclara irrecevable le pourvoi en cassation du requérant en faisant siennes les conclusions du procureur général fédéral et en revoyant à son arrêt du 31 mai 2005 (voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessous).

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Jurisprudence de la Cour fédérale de justice quant au délai pour se pourvoir en cassation

Par un arrêt de principe du 3 mars 2005 (no GSSt 1/04), la Grande Chambre (Grosser Senat) de la Cour fédérale de justice décida notamment qu’un condamné n’était pas déchu de son droit d’attaquer sa condamnation pénale même si celle-ci était le résultat d’une transaction entre le tribunal et le prévenu et que ce dernier avait déclaré renoncer à introduire un recours contre sa condamnation. Le juge avait l’obligation d’informer le condamné sur ce droit. A défaut celui-ci n’était pas empêché d’attaquer la décision litigieuse. Par une décision du 31 mai 2005, la Cour fédérale de justice précisa sa nouvelle jurisprudence en estimant que même si la déclaration du condamné, faite dans le cadre d’une transaction devant le juge, de renoncer à se pourvoir en cassation n’était pas valide en l’absence d’une instruction du juge à ce sujet, la seule conséquence était que l’intéressé pouvait se pourvoir en cassation dans le délai d’une semaine prévu par la loi.

2. Jurisprudence relative à la durée excessive d’une procédure pénale

L’article 2 § 1 de la Loi fondamentale combiné avec le principe de l’État de droit, qui, lui, découle de l’article 20 § 3 de la Loi fondamentale, garantit que les litiges juridiques soient tranchés dans un délai raisonnable. D’après la jurisprudence constante de la Cour fédérale de justice (voir p.ex. les décisions du 21 juillet 1994,1 StR 396/94, et du 26 juin 1996, no 3 StR 199/95) et de la Cour constitutionnelle fédérale (voir p.ex. les décisions du 24 novembre 1983, no 2 BvR 121/83, et du 19 avril 1993, no 2 BvR 1487/90), le constat de durée excessive d’une procédure pénale doit avoir pour conséquence soit l’atténuation de la peine soit le classement de l’affaire. Cette jurisprudence s’applique, en principe, d’après des décisions plus récentes (voir p.ex. no 2 BvR 327/02 du 5 février 2003, no 2 BvR 153/03 du 25 juillet 2003, et no 2 BvR 1471/03 du 21 janvier 2004) tant aux tribunaux qu’au ministère public (Anklagebehörde).

GRIEFS

1. Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale engagée à son encontre, contraire à l’article 6 § 1 de la Convention. Il dénonce en particulier la durée de la phase d’enquête.

2. Le requérant se plaint aussi du refus du parquet de lui communiquer le dossier de l’enquête pour consultation. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Le requérant estime enfin que le tribunal régional a méconnu la présomption d’innocence en ce qu’il a relevé l’imprécision de l’ordonnance du tribunal d’instance sans toutefois en tirer les conséquences qui se seraient imposées, à savoir d’annuler l’ordonnance et d’interdire l’utilisation de ces documents dans le procès pénal. Tout au contraire, il aurait procédé à une interprétation illégale contre l’énoncé de la décision litigieuse au détriment du requérant. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention.

4. Dans ses observations du 30 mai 2001 en réponse à celles du Gouvernement le requérant allègue qu’il n’a pas eu à sa disposition un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, pour se plaindre de la durée de la procédure.

EN DROIT

1. Le premier grief du requérant porte sur la durée de la procédure pénale qui n’aurait pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention dont la partie pertinente est ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

La Cour rappelle que la période à prendre en considération au regard de l’article 6 § 1 débute dès qu’une personne est formellement accusée ou lorsque les soupçons dont elle est l’objet ont des répercussions importantes sur sa situation, en raison des mesures prises par les autorités de poursuite (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 33, § 73, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 44, CEDH 2004XI). Dès lors, elle considère que le point de départ de la période à considérer se situe le 13 mai 1997, date de la première perquisition au domicile du requérant (voir Stratégies et communications et Dumoulin c. Belgique, no 37370/97, § 42, 15 juillet 2002, et Barry c. Irlande, no 18273/04, § 35, 15 décembre 2005) et du premier interrogatoire de celui-ci en tant que prévenu. Les parties n’en disconviennent par ailleurs pas.

La procédure s’est terminée le 23 juillet 2003, date du jugement du tribunal régional. Le fait que le requérant s’est - en vain - pourvu en cassation presque deux ans après le jugement du tribunal régional en se prévalant d’une nouvelle jurisprudence de la Cour fédérale de justice (voir Droit et pratique internes pertinents ci-dessus) ne saurait entrer en ligne de compte pour le calcul de la durée. La procédure a donc duré un peu plus de six ans et deux mois pour la phase d’enquête et un degré de juridiction.

1. Thèses des parties

Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. A aucun moment de la procédure, le requérant n’aurait soulevé le grief tiré de la durée de la procédure, ni n’aurait pris d’autres mesures en vue d’accélérer celle-ci. En particulier, il aurait omis de saisir la Cour constitutionnelle fédérale de ce grief. Or, d’après la jurisprudence constante de celle-ci et aussi de la Cour fédérale de justice, la durée excessive d’une procédure peut donner lieu à l’atténuation de la peine, au classement de l’affaire à des conditions différentes en vertu des dispositions pertinentes du code de procédure pénale ou peut même, dans des cas exceptionnels, constituer un obstacle à la poursuite de la procédure.

Quant au fond le Gouvernement soutient que l’affaire était particulièrement complexe du fait du nombre considérable de délits reprochés à caractère économique qui avaient été commis de surcroît dans la sphère délicate entre le requérant et ses clients et du fait du nombre de témoins interrogés. En ce qui concerne le comportement du requérant, le Gouvernement soutient que celui-ci a considérablement contribué à la durée constatée. Le parquet a en effet dû ouvrir sept autres enquêtes préliminaires après avoir découvert que le requérant avait commis de nouveaux délits au cours de la phase d’investigation. Des enquêtes supplémentaires sont en outre devenues nécessaires après que le requérant eut déposé une plainte contre son ex-associé. Le requérant a de plus refusé la proposition du parquet du 11 août 1996 de se mettre d’accord sur la manière de procéder à l’avenir et de trier ensemble les documents saisis. Le Gouvernement souligne enfin que le requérant a pu continuer d’exercer son métier et a eu l’occasion de photocopier des documents nécessaires à cet effet.

Pour ce qui est de l’exception tiré du non-épuisement des voies de recours le requérant réplique que l’on ne pouvait exiger de lui qu’il attende l’issue de la procédure pénale avant de pouvoir se plaindre de la durée excessive de la durée.

En ce qui concerne le fond du grief, il souligne que la durée de la procédure à son encontre l’a empêché d’organiser sa vie et celle de sa famille et a sapée la confiance entre ses clients et lui. De même, tous ses associés et employés ont quitté son cabinet depuis la première perquisition si bien qu’il a été obligé de reconstituer une équipe d’avocats et de secrétaires. Il affirme par ailleurs que ni son avocat ni lui n’ont eu connaissance d’une quelconque proposition du parquet d’août 1996.

2. Appréciation de la Cour

La Cour note que, d’après la jurisprudence établie de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle fédérale, la durée excessive d’une procédure pénale peut avoir pour conséquence l’atténuation de la peine ou le classement de l’affaire. Elle observe que le requérant n’a soulevé le grief tiré de la durée de la procédure ni dans un recours constitutionnel devant la Cour constitutionnelle fédérale, ni dans son pourvoi en cassation devant la Cour fédérale de justice, et ce indépendamment de la question de savoir si ce dernier avait été introduit ou non dans le délai prescrit par la loi et en conformité à l’interprétation que la Grande Chambre de la Cour fédérale de justice en a donné dans son arrêt de principe du 3 mai 2005 (voir Droit et pratique pertinents ci-dessus).

Il n’y a cependant pas lieu de se prononcer sur la question de savoir si le requérant était dispensé de saisir ces juridictions ou, en particulier, s’il avait à sa disposition un recours pour se plaindre de la durée de la phase d’enquête notamment devant la Cour constitutionnelle fédérale, car le grief doit de toute manière être rejeté pour les motifs suivants.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (Abdoella c. Pays-Bas, arrêt du 25 novembre 1992, série A no 248A, p. 17, § 24, et Casse c. Luxembourg, no 40327/02, § 47, 27 avril 2006). De même, si l’article 6 § 1 de la Convention prescrit la célérité des procédures judiciaires, il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (Boddaert c. Belgique, arrêt du 12 octobre 1992, série A no 235D, p. 82, § 39).

La Cour peut accepter que l’affaire ait revêtu une certaine complexité du fait notamment du nombre d’infractions à caractère économique reprochées et de documents saisis, même s’il y a lieu de constater que les délits n’avaient pas d’implications au delà de la région de Stuttgart. Elle note aussi que le jugement du tribunal régional s’est essentiellement fondé sur les aveux du requérant, ce qui a considérablement facilité la procédure.

S’agissant du comportement du requérant, la Cour rappelle que si l’article 6 n’exige pas de l’intéressé une coopération active avec les autorités judiciaires, elle note en l’espèce que le requérant, en dépit de l’ouverture des enquêtes à son encontre et du dépôt du premier acte d’accusation au tribunal régional en mai 2002, a continué de commettre des infractions de la même nature que celles faisant l’objet des enquêtes. Elle estime cependant plus indiqué d’examiner cette question dans le cadre de l’appréciation du comportement des autorités judiciaires.

La Cour observe que si le tribunal régional a statué rapidement en rendant son jugement quatorze mois après avoir reçu le premier acte d’accusation, c’est la phase de l’instruction d’une durée de cinq ans qui soulève des questions au regard de la Convention. Elle note qu’entre le début des enquêtes et la fin de l’année 1998, le parquet a ouvert plusieurs enquêtes préliminaires à l’encontre du requérant et a effectué plusieurs perquisitions au domicile et dans les locaux professionnels de celui-ci lors desquelles un nombre considérable de documents ont été saisis. En ce qui concerne la période de 1999 jusqu’au jugement du tribunal régional en juillet 2003, le Gouvernement, dans ses observations du 2 mai 2001, s’est limité à indiquer que sept autres enquêtes préliminaires avaient été ouvertes entre 1999 et 2001. Aucune autre information pertinente à cet égard n’a été donnée par les parties ni dans leurs observations ni par la suite. La Cour relève néanmoins que le requérant a d’abord été accusé de 17 infractions commises entre 1996 et 2000 (premier acte d’accusation), et qu’un complément d’accusation s’avérait nécessaire par la suite afin d’inclure à la procédure 28 nouvelles infractions commises entre fin 1999 et février 2003 (second acte d’accusation), c’est-à-dire même après l’introduction de la requête devant la Cour. Ces infractions étaient de la même nature et avaient été commises dans un contexte semblable que celles ayant provoqué l’ouverture de la première enquête du parquet en 1996 si bien que leur traitement en une seule procédure judiciaire ne paraît pas déraisonnable au regard du principe d’une bonne administration de la justice, d’autant qu’un tel procédé peut aussi profiter à l’intéressé. Sur ce point, la Cour note que l’information judiciaire pour soupçon de manœuvres dilatoires en faillite avait été traitée séparément en ordonnant son classement entre autres contre le paiement d’une amende en 1998. En conclusion, confrontées à la découverte de ces nouvelles infractions commises par le requérant tout au long de l’enquête, la Cour ne décerne pas de phase d’inactivité sérieuse de nature à mettre en cause le comportement notamment des autorités de poursuite.

Pour ce qui est enfin de l’enjeu pour le requérant, la Cour note que celui-ci ne s’est trouvé en détention provisoire que pour une courte période, à savoir pendant les deux mois précédant le jugement du tribunal régional (voir Abdoella précité, § 24). Le requérant a pu continuer d’exercer son métier d’avocat grâce inter alia au fait qu’il avait pu obtenir des photocopies d’un certain nombre de documents saisis (voir, mutatis mutandis, Intiba c. Turquie, no 42585/98, 24 mai 2005, § 52). Si de telles circonstances ne sont pas, en principe, de nature à faire disparaître l’état d’incertitude d’un accusé quant au sort des poursuites pénales engagées contre lui (voir Merit c. Ukraine, no 66561/01, § 75, 30 mars 2004), la Cour estime qu’à la lumière de ses conclusions ci-dessus le requérant n’est pas fondé d’invoquer une situation d’incertitude ayant pesé sur sa vie professionnelle et familiale. Si l’article 6 § 1 a en effet pour but d’éviter qu’une personne inculpée ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort (Stögmüller c. Autriche, arrêt du 10 novembre 1969, série A no 9, p. 40, § 5), il ne saurait en être ainsi lorsque l’intéressé, comme en l’occurrence, ne semble pas se sentir concerné par l’ouverture de poursuites pénales à son encontre et continue à commettre des infractions de la même nature que celles pour lesquelles il est mis en cause.

Au vu de ce qui précède et compte tenu en particulier de ce que les autorités de poursuite pouvaient raisonnablement élargir leurs enquêtes en vue d’inclure les nouvelles infractions du requérant commises après l’ouverture des poursuites, la Cour estime que ni les retards en résultant ni la durée de la procédure globale n’ont dépassé le délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Le requérant se plaint de ce que le parquet ne lui aurait jamais communiqué son dossier pénal. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour estime qu’il convient d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention combinés (Foucher c. France, arrêt du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997II, p. 464, § 30) qui sont ainsi libellés :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (...)

Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. A aucun moment le requérant n’a répété sa demande auprès du parquet ou, après le transfert du dossier au tribunal régional, auprès de celui-ci. De même, il n’a pas non plus fait valoir l’impossibilité pour lui d’accéder au dossier judiciaire à d’autres occasions, telles dans ses observations concernant la perquisition et la saisie de documents. En règle générale, on peut attendre d’un requérant qu’il ne demande la consultation du dossier qu’après l’achèvement de l’information judiciaire et le transfert du dossier au tribunal compétent. Le Gouvernement souligne que le représentant du requérant pouvait à tout moment demander de consulter certaines pièces du dossier et, dans l’hypothèse d’un refus du parquet, saisir le juge compétent d’une demande de contrôle judiciaire et, le cas échéant, de recours prévus par la loi à ce sujet.

Le requérant réplique que le parquet l’ayant informé qu’il communiquerait le dossier dès le retour de celui-ci, il n’y avait pas lieu de répéter la demande.

La Cour note que le parquet de Stuttgart a refusé la demande du requérant au motif que le dossier de l’information judiciaire se trouvait encore dans les mains de la police, mais qu’il donnerait suite à la demande « le moment venu ». Il est vrai que le parquet n’a pas procédé à la communication du dossier par la suite. La Cour relève cependant que le requérant n’a à aucun moment de la procédure répété sa demande, n’a envoyé aucune lettre de rappel, n’a fait valoir aucune doléance à cet égard à d’autres occasions et n’a introduit aucun recours auprès du ministère public, du juge pénal ou du juge constitutionnel. Il n’a en outre pas allégué qu’il ne disposait pas de recours en droit interne à cet effet. L’exception du Gouvernement doit dès lors être accueillie.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. En ce qui concerne les autres griefs, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et au vu des considérations ci-dessus, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président