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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
19.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SAĞIR c. TURQUIE

(Requête no 37562/02)

ARRÊT

STRASBOURG

19 octobre 2006

DÉFINITIF

19/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Sağir c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
R. Türmen,
C. Bîrsan,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 37562/02) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Nurullah Sağir (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 août 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me M. Sürücü, avocat à Izmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 1er décembre 2005, la Cour (troisième section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer au Gouvernement le grief tiré de l'absence de communication au requérant de l'avis du procureur général près la Cour de cassation. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1955 et réside à Izmir.

5. Le 12 janvier 2000, le requérant – ancien dirigeant départemental du ANAP (« Parti de la Mère Patrie ») – fut arrêté et placé en garde à vue. Il lui était notamment reproché d'avoir fondé une association de malfaiteurs et de s'être livré à des activités telles que extorsion, chantage, tentative et incitation au meurtre, incitation à la commission de blessures, séquestration et infraction à la loi no 6136 sur les armes à feu et armes blanches.

6. Le 19 janvier 2000, le requérant fut placé en détention provisoire par le juge assesseur près la cour de sûreté de l'État d'Izmir pour avoir fondé une association de malfaiteurs et pour extorsion.

7. Le 18 février 2000, l'avocat du requérant saisit la cour de sûreté de l'État d'une demande de libération provisoire. Dans la requête qu'il soumit à cette fin, il contesta la compétence de la cour de sûreté de l'État eu égard à la nature des infractions reprochées, de même que l'application de la loi no 4422 relative à la lutte contre les associations de malfaiteurs, entrée en vigueur près de cinq ans après la réalisation des faits reprochés. Il se plaignit, en outre, du caractère secret de l'instruction, alléguant n'avoir pu, de ce fait, prendre connaissance des faits reprochés à son client.

8. Le 2 mai 2000, le requérant fut déféré devant le juge assesseur pour des faits d'incitation au meurtre, à la commission de blessures, complicité d'extorsion, séquestration, chantage et atteinte à la loi no 6136.

9. Le 24 avril 2001, l'avocat du requérant déposa son mémoire en défense et répondit aux réquisitions du procureur de la République, lequel requit la condamnation du requérant en vertu de la loi no 4422.

10. Le 25 avril 2001, la cour de sûreté de l'État reconnut le requérant coupable d'avoir dirigé une association de malfaiteurs et le condamna à une peine de trois ans et quatre mois d'emprisonnement en vertu de l'article 1 § 2 de la loi no 4422. Elle prononça en outre, à titre de peine accessoire, la confiscation de tous biens infractionnels, fruits, objets et moyens d'activités illégales en vertu de l'article 1 § 4 de la loi no 4422, ainsi que la confiscation d'un véhicule en vertu de l'article 36 du code pénal. Au vu de la durée de la détention du requérant, elle prononça sa libération provisoire.

11. Le même jour, le requérant fut libéré.

12. Le 13 juin 2001, l'avocat du requérant se pourvut en cassation aux fins d'infirmation de la décision de première instance.

13. Le 23 octobre 2001, le procureur général près la Cour de cassation transmit à la Cour de cassation son avis sur le pourvoi, lequel ne fut pas communiqué au requérant.

14. Le 30 janvier 2002, la Cour de cassation tint une audience au cours de laquelle elle examina l'avis du procureur général.

15. Par un arrêt du 20 février 2002, prononcé le 27 février 2002, la Cour de cassation, statuant en audience publique, débouta le requérant de son pourvoi et confirma la décision de première instance.

16. Le 6 mars 2002, l'avocat du requérant saisit le procureur général d'un recours en rectification d'arrêt, lequel demeure pendant.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17. Le requérant se plaint de l'absence de communication de l'avis du procureur général près la Cour de cassation. Il invoque à cet égard l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

18. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

19. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter, pour non-respect du délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention, le grief du requérant. Il soutient à cet égard que la Cour de cassation a tenu une audience le 30 janvier 2002, au cours de laquelle elle a procédé à la lecture de l'avis du procureur général. Il en conclut que le requérant aurait dû introduire sa requête dans les six mois suivant le moment où il avait pris connaissance de l'avis du procureur général, à savoir dans les six mois suivant l'audience du 30 janvier 2002. Or, il souligne que la requête a été introduite le 6 août 2002.

20. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.

21. La Cour relève que la décision interne définitive à prendre en compte pour la computation du délai de six mois est l'arrêt rendu par la Cour de cassation quant au cas du requérant. A cet égard, elle relève que la présente requête a été introduite le 6 août 2002, soit dans les six mois à compter de la décision interne définitive. Partant, elle rejette l'exception du Gouvernement.

22. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998VII) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l'objet d'un examen au fond. Elle constate en outre que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

B. Sur le fond

23. Le Gouvernement soutient que l'avocat du requérant aurait dû examiner le dossier de l'affaire avant l'audience devant la Cour de cassation, ce qui lui aurait permit d'avoir accès à l'avis du procureur général, puisque ce dernier se trouve versé au dossier. Il soutient en outre que la Cour de cassation a tenu une audience au cours de laquelle le requérant ou son avocat aurait pu répondre à l'avis du procureur général. Au surplus, le requérant aurait pu contester cet avis lors du prononcé du jugement ou lors de son recours en révision.

24. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement et soutient ne pas avoir eu connaissance de l'avis du procureur général.

25. La Cour rappelle avoir examiné un grief identique à celui présenté par le requérant et avoir conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication de l'avis du procureur général, compte tenu de la nature des observations de celui-ci et de l'impossibilité pour un justiciable d'y répondre par écrit (voir Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002V).

26. Elle observe en outre que le Gouvernement ne soumet aucun élément à même d'étayer les déclarations selon lesquelles une lecture de l'avis litigieux aurait été faite en cours d'audience devant la Cour de cassation. Ainsi, à la lecture des pièces du dossier, s'il apparaît établi que l'avis du procureur général a été examiné par la Cour de cassation lors de l'audience du 30 janvier 2002, aucun élément du dossier ne permet d'établir que le requérant a eu la possibilité d'en prendre connaissance et de le commenter dans des conditions satisfaisantes, oralement ou par une note en délibéré, conformément aux exigences de la jurisprudence en la matière (voir, notamment, Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998II, pp. 665-666, §§ 105-106, et Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 75-76, CEDH 2001VI).

27. Dès lors, la Cour considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente de celle énoncée pour des griefs identiques (Göç, précité, § 55).

28. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

29. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

30. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.

31. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

32. Selon sa jurisprudence constante dans des affaires analogues, la Cour estime que son constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral allégué (Göç, précité, § 41, et Kömürcü c. Turquie, no 77432/01, § 24, 22 juin 2006).

B. Frais et dépens

33. Le requérant demande 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour.

34. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

35. Statuant en équité, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

36. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare le restant de la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

4. Dit

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président