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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MUKHIN c. UKRAINE
(Requête no 39404/02)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 9 janvier 2007.
STRASBOURG
19 octobre 2006
DÉFINITIF
19/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Mukhin c. Ukraine,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. P. Lorenzen, président,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger,
MM. M. Villiger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 39404/02) dirigée contre l'Ukraine et dont un ressortissant de cet Etat, M. Yevgeniy Viktorovich Mukhin (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er octobre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») est représenté par ses agents, Mme Valeria Lutkovska et M. Yuriy Zaytsev, du Ministère de la Justice.
3. Le 7 septembre 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu'elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
4. Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée (articles 25 § 5 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1946 et réside à Gorlovka.
A. Sur la première procédure litigieuse
6. En mai 1998, le requérant assigna une particulière en vue de lever les obstacles dans l'utilisation d'un lot de terrain (en particulier, il se plaignait de ce que la défenderesse avait déplacé la ligne mitoyenne sur laquelle elle avait édifié une clôture).
7. Le 16 novembre 1998, le tribunal de première instance d'arrondissement Tsentralno-Miskiy à Gorlovka (ci-après «le tribunal de première instance ») ordonna une expertise qui fut achevée le 22 mars 1999.
8. Par un jugement du 7 juin 1999, le tribunal de première instance statua en faveur du requérant. La défenderesse contesta ce jugement.
9. Par un arrêt du 26 juillet 1999, la Cour de la région de Donetsk infirma le jugement précité, notamment, au motif que le tribunal de première instance n'avait pas établi au préalable, si les parties au litige possédaient un titre de propriété ou de jouissance sur le lot en cause. L'affaire fut renvoyée au tribunal de première instance pour nouvel examen.
10. Par une décision du 23 septembre 1999, le tribunal de première instance clôtura l'examen de la demande au motif que les parties n'avaient pas recouru au préalable à une procédure non-judiciaire. Le requérant contesta le jugement.
11. Par un arrêt du 15 novembre 1999, la Cour de la région de Donetsk infirma cette décision au motif, notamment, que l'article 124 de la Constitution de l'Ukraine stipulait que les tribunaux étaient compétents pour connaître de tous les litiges relatifs à la sauvegarde des droits et obligations des citoyens, et dès lors la clôture de l'examen pour le motif précité s'en trouvait infondé. L'affaire fut alors envoyée au tribunal de première instance pour examen.
12. Par un jugement du 7 avril 2000, le tribunal de première instance rejeta la demande du requérant. Le requérant contesta le jugement.
13. Par un arrêt du 22 mai 2000, la Cour de la région de Donetsk infirma le jugement précité au motif que le tribunal, en déboutant le requérant, n'avait pas considéré toutes les circonstances de l'affaire, les droits et les obligations des parties et avait fait une mauvaise application du droit. Par ailleurs, elle renvoya l'affaire au tribunal de première instance en vue d'un nouvel examen.
14. Des cinq audiences fixées entre le 6 juillet 2000 et le 22 novembre 2000, quatre furent reportées pour, notamment, non-comparution des parties. Par la suite, des dix audiences fixées entre le 15 décembre 2000 et le 9 août 2001, trois furent reportées à la demande du requérant qui souhaitait, notamment, convoquer un témoin et un expert, et deux audiences pour non-comparution de la défenderesse.
15. Par un jugement du 10 août 2001, le tribunal de première instance débouta le requérant. Le requérant contesta le jugement.
16. Par un arrêt du 29 novembre 2001, la Cour d'appel de la région de Donetsk infirma le jugement précité au motif que le tribunal de première instance statua sur la taille du lot de terrain du requérant alors que le litige initial portait sur le non-respect de la ligne mitoyenne par la défenderesse. L'affaire fut à nouveau renvoyée au tribunal de première instance pour examen.
17. L'audience fixée par le tribunal de première instance au 10 janvier 2002 fut reportée à la demande du requérant. Des dix audiences fixées entre le 30 janvier 2002 et le 16 octobre 2002, quatre furent reportées pour cause de maladie tantôt du juge tantôt de la défenderesse.
18. Le 1er novembre 2002, le tribunal de première instance ordonna, à la demande du requérant, une expertise technique qui fut achevée le 25 février 2003.
19. Par un jugement du 26 août 2003, le tribunal de première instance rejeta la demande du requérant. Ce dernier interjeta appel.
20. Par un arrêt du 24 novembre 2003, la Cour d'appel de la région de Donetsk rejeta l'appel du requérant et maintint le jugement précité. Le requérant se pourvut en cassation.
21. Par une décision du 25 octobre 2005, notifiée au requérant le 9 novembre 2005, la Cour Suprême de l'Ukraine rejeta le pourvoi n'ayant décelé aucune application erronée de la législation interne dans les décisions judicaires contestées.
B. Sur la deuxième procédure litigieuse
22. En 2004, le requérant déposa devant le tribunal de première instance une plainte contre V. pour coups et blessures ayant entraîné des lésions corporelles simples. En octobre 2004, la plainte fut déclarée irrecevable pour vice de forme.
23. En juin 2005, le requérant réitéra sa plainte.
24. Il ressort de la lettre du Collège des juges de la région de Donetsk en date du 13 février 2006 que l'examen de ladite plainte fut suspendu plusieurs fois pour, notamment, le transfert de l'affaire à un autre juge, la non-comparution de V., la maladie du juge chargé de l'affaire.
25. A l'heure actuelle, la procédure est pendante.
C. Sur la troisième procédure litigieuse
26. Le 13 novembre 2005, le service des huissiers de l'Etat d'arrondissement Tsentralno-Miskiy à Gorlovka ouvrit, sur la base d'un titre d'exécution délivré le 15 février 2005, la procédure d'exécution à l'encontre d'un particulier contraint, en vertu d'une décision judicaire, au paiement d'un certain montant au profit du requérant.
27. Par une lettre du 20 février 2006, le service des huissiers de l'Etat informa le requérant de ce qu'il avait été établi que le débiteur ne possédait aucuns biens susceptibles d'être saisis.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
28. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
29. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
30. Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il pouvait contester les actes allongeant la procédure devant les instances ayant pris de tels actes.
31. Le requérant réplique que de tels recours étaient inefficaces en l'espèce.
32. La Cour constate que le Gouvernement a failli à démonter si et dans quelle mesure le requérant pourrait obtenir un redressement d'un droit en déposant des plaintes devant les mêmes autorités que celles prétendument responsables pour les retards de la procédure.
33. Dès lors, la Cour est d'avis que le requérant n'était pas tenu d'exercer le recours mentionné par le Gouvernement.
34. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
B. Sur le fond
35. La période à considérer a débuté en mai 1998 et a pris fin le 9 novembre 2005, date à laquelle la décision de la Cour Suprême de l'Ukraine a été notifiée du requérant. Elle a donc duré sept ans et six mois.
36. Le Gouvernement souligne la complexité de l'affaire, il considère que la durée de la procédure tenait à la difficulté de déterminer la base factuelle. Il souligne également qu'il n'y a pas eu pendant la procédure de longues périodes d'inactivité des autorités judiciaires, et estime que le requérant a contribué au prolongement de la durée de la procédure dans la mesure où il a formulé un certain nombre de demandes d'ajournement, notamment, en vue de convoquer les témoins ou les experts, solliciter les documents supplémentaires etc.
37. Le requérant s'oppose à la thèse du Gouvernement.
38. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
39. La Cour souscrit aux arguments du Gouvernement selon lesquels l'affaire présentait une certaine complexité en raison de son objet technique. Néanmoins, cette complexité ne saurait justifier la durée de la procédure. En outre, la Cour note que, si certains retards peuvent être imputés au requérant, ceux-ci ne sont pas significatifs : ses demandes d'ajournement n'ont pas contribué à ralentir considérablement la procédure. En tout état de cause, l'on ne saurait reprocher au requérant d'avoir usé de telles demandes (voir, notamment, Erkner et Hofauer c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, p. 63, § 68).
40. La Cour constate, enfin, que l'affaire a été renvoyée quatre fois devant le tribunal de première instance. Or, il n'est pas déraisonnable de penser que ces renvois successifs étaient dus, comme il ressort des faits de l'espèce, aux erreurs commises par les juridictions inférieures, de sorte que les retards ne sauraient être imputés au requérant (voir, mutatis mutandis, Wierciszewska c. Pologne, no 41431/98, § 46, 25 novembre 2003). Même si la Cour n'est pas en position d'analyser la qualité de la jurisprudence des tribunaux internes, elle est de l'avis que les renvois constants dans le cadre d'une même procédure peuvent dévoiler une sérieuse faiblesse du système juridique. La Cour considère qu'un tel nombre de renvois ne saurait être justifié par la complexité de l'affaire. Le Gouvernement a failli à fournir toute explication qui pourrait amener la Cour à parvenir à une autre conclusion.
41. A la lumière de ce qui précède et compte tenu de sa jurisprudence en la matière la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse était excessive et ne répondait pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
42. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
43. Le requérant se plaint de ce que le tribunal n'a pas jugé dans le plus bref délai sa plainte pénale déposée en juin 2005. Il se plaint enfin de ce que les autorités nationales ne lui ont pas accordé le concours de la force publique afin d'exécuter le jugement rendu en sa faveur.
44. Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
45. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
47. Le requérant réclame 50 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.
48. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
49. La Cour estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 1 200 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
50. Le requérant n'a formulé aucune demande à cet égard. Dès lors, la Cour ne lui alloue aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
51. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 200 EUR (mille deux cents euros)[1] pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek P. Lorenzen
Greffière Président
[1]. Rectifiée le 9 janvier 2007. Le montant du préjudice moral indiqué en toutes lettres dans le texte précédent était : « mille quatre cents euros ».