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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZ ET BAŞPINAR c. TURQUIE

(Requête no 41227/02)

ARRÊT

STRASBOURG

17 octobre 2006

DÉFINITIF

17/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Öz et Başpınar c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
M. D. Popović, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41227/02) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Dursun Öz et Hürü Başpınar (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 7 octobre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes sont représentées par Mes T. Akıllıoğlu et A. Aktay, avocats à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Le 18 mai 2005, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérantes sont nées respectivement en 1953 et 1924 et résident à Mersin.

5. Le 3 octobre 1991, la Direction générale des routes nationales (« l’administration ») procéda à l’expropriation du terrain appartenant aux requérantes, sis à İskenderun, moyennant le versement d’une indemnité d’expropriation.

6. Le 16 juillet 1992, en désaccord sur le montant payé par l’administration, les requérantes introduisirent un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Mersin.

7. Le 31 décembre 1992, le tribunal accorda aux requérantes une indemnité complémentaire de 32 748 219 livres turques (TRL), assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 14 juillet 1992. Ce jugement fut notifié aux requérantes le 18 octobre 2001.

8. Le 1er novembre 2001, les requérantes se pourvurent en cassation au motif que l’indemnité complémentaire d’expropriation fixée en 1992 par les juges de première instance devait être réévaluée à la date d’introduction du pourvoi en raison de la forte dépréciation monétaire à l’époque en Turquie.

9. Le 21 janvier 2002, la Cour de cassation débouta les requérantes de leur demande et confirma le jugement de première instance.

10. Le 18 février 2002, les requérantes introduisirent un recours en rectification de l’arrêt.

11. Par un arrêt du 8 avril 2002, la Cour de cassation rejeta ce recours et confirma son arrêt du 21 janvier 2002 qui devint ainsi définitif.

12. Le 14 juin 2002, l’administration versa aux requérantes la somme de 169 230 000 TRL au titre de l’indemnité complémentaire d’expropriation, assortie d’intérêts moratoires simples au taux légal de 30 % par an entre le 14 juillet 1992 et le 31 décembre 1997, de 50 % entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 1999 et de 60 % entre le 1er janvier 2000 et le 14 juin 2002.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Aka c. Turquie, 23 septembre 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998VI, pp. 26742676, §§ 17-25).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

14. Les requérantes se plaignent d’une perte de valeur de l’indemnité complémentaire d’expropriation obtenue au bout de neuf ans et neuf mois de procédures judiciaires, en raison de l’insuffisance des intérêts moratoires légaux appliqués aux dettes de l’Etat par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Elles invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

15. La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Akkuş c. Turquie, arrêt du 9 juillet 1997, Recueil 1997-IV) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet que celle-ci ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

16. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).

17. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle estime que le décalage entre la valeur des créances des requérantes au moment de l’expropriation de leur terrain et leur valeur lors du règlement effectif a fait subir à celles-ci un préjudice distinct qui, en s’ajoutant à celui de la perte de leur terrain, a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.

18. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19. Les requérantes se plaignent également de ce que la durée des procédures judiciaires a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention.

A. Sur la recevabilité

20. La Cour estime que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

B. Sur le fond

21. Eu égard à la conclusion formulée sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question séparément sous l’angle de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

22. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel et moral

23. Les requérantes affirment devoir être dédommagées pour un préjudice matériel qu’elles évaluent à 6 782 dollars américains (USD). Elles réclament en outre la réparation d’un dommage moral qu’elles évaluent à 1 000 USD.

24. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

25. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Aka (précité, pp. 26832684, §§ 55-56) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde conjointement aux requérantes à titre de dommage matériel 5 000 euros (EUR).

26. La Cour considère qu’en l’espèce les requérantes ont subi un tort moral certain en raison des faits qui ont emporté violation de la Convention. Se prononçant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle leur accorde conjointement une indemnité de 750 EUR.

B. Frais et dépens

27. Les requérantes demandent également 1 000 USD pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

29. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 750 EUR et l’accorde conjointement aux requérantes.

C. Intérêts moratoires

30. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que lEtat défendeur doit verser conjointement aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû au titre de taxes, droits de timbres et charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage matériel ;

ii. 750 EUR (sept cent cinquante euros) pour dommage moral ;

iii. 750 EUR (sept cent cinquante euros) pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président