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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE STANKIEWICZ c. POLOGNE

(Requête no 29386/03)

ARRÊT

Cet arrêt a été révisé conformément à l'article 80 du règlement de la Cour

par un arrêt prononcé le 4 mars 2008

STRASBOURG

17 octobre 2006

DÉFINITIF

17/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Stankiewicz c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
M. Pellonpää,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović,
MM. J. Šikuta, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29386/03) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Leszek Stankiewicz (« le requérant ») a saisi la Cour le 5 septembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Andrzej Siemiński, avocat à Płock. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 16 septembre 2005, la Cour (quatrième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1959 et réside à Poręba-Kocęby.

5. Le requérant fut arrêté le 27 août 2001, et placé en détention provisoire. Le tribunal de district releva que l’intéressé était soupçonné d’avoir commis, dans le cadre d’un groupe organisé, des agressions armées sur des chauffeurs routiers en usurpant l’identité d’un officier de police. Le juge estima que les témoignages recueillis et les preuves saisies indiquaient de manière suffisante que le requérant pourrait être considéré comme un des auteurs des faits.

6. La détention provisoire fut prolongée le 13 novembre 2001, pour tous les inculpés. Le tribunal rappela que les intéressés étaient soupçonnés d’agissements en bande organisée avec usage d’armes à feu, qu’il était nécessaire de recueillir des preuves supplémentaires et de procéder à des expertises.

7. L’enquête fut clôturée le 15 mars 2002.

8. A la même date, un acte d’accusation fut dirigé à l’encontre du requérant. Soixante-neuf témoins furent cités à comparaître.

9. Le 26 mars 2002, le tribunal régional prolongea la détention des inculpés en invoquant la gravité des faits, la sévérité de la peine encourue et la nécessité de préciser les faits. Le tribunal rejeta dans la même décision une demande de remise en liberté présentée par un des détenus.

10. Le 10 juin 2002, le tribunal régional prolongea la détention de tous les inculpés et rejeta la demande de remise en liberté présentée par l’un d’entre eux en se fondant essentiellement sur la sévérité de la peine encourue.

11. Le 17 septembre 2002, le tribunal régional prolongea de nouveau la détention des inculpés en se fondant sur deux témoignages, la sévérité de la peine encourue et le risque d’entraver le bon déroulement de la procédure.

12. Le 28 octobre 2002, eut lieu la première audience devant le tribunal régional. Le requérant soutient que l’affaire d’un des membres du groupe a été renvoyée pour un examen séparé et que celui-ci a déjà été condamné à une peine de dix années de prison sur la base des mêmes faits et mêmes témoignages.

13. Le 11 juillet 2003, la cour d’appel accueillit la demande de prolongement de la détention provisoire présentée par le tribunal régional pour les besoins de la procédure. La cour estima que les preuves rassemblées démontraient de manière convaincante que les intéressés pourraient être les auteurs des faits reprochés.

14. La nécessité d’assurer le bon déroulement de la procédure et la probabilité que le requérant eût été l’auteur des faits reprochés figurent parmi les principaux motifs du prolongement d’application de la mesure.

15. Le 29 mars 2005, le tribunal régional reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de cinq ans de prison. La période de détention provisoire de l’intéressé fut imputée sur la peine à exécuter. Le requérant n’interjeta pas appel.

16. Cent sept audiences eurent lieu au cours du procès, qui nécessita l’audition d’un grand nombre de témoins et d’experts.

17. Le 24 juin 2005, le tribunal de district remit en liberté l’intéressé.

18. Le 29 novembre 2005, à la suite de l’appel interjeté par les co-accusés, le tribunal régional infirma la décision du tribunal de district et renvoya l’affaire pour réexamen.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

19. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et invoque l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »

A. Sur la recevabilité

20. Le Gouvernement ne soulève aucune exception préliminaire d’irrecevabilité de ce grief.

21. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  1. Sur le fond
  1. La période à prendre en considération

22. La Cour considère que la détention provisoire de l’intéressé s’étend du 27 août 2001, date de son placement en détention, au 29 mars 2005, date de sa condamnation en première instance. La durée totale de la détention de l’intéressé est dès lors d’environ trois années et sept mois.

  1. Le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire

23. A titre liminaire, le Gouvernement met l’accent sur la nature des infractions commises par le requérant qui avaient trait à la délinquance organisée. Il souligne qu’en Pologne le nombre de procédures pénales concernant les groupes organisés est considérable et qu’il continue de croître. Il attire l’attention de la Cour sur les difficultés procédurales et logistiques qui sont inhérentes à ce type d’affaires et qui les complexifient, ce qui est le cas en l’espèce.

24. Le Gouvernement souligne que la présente affaire impliquait dix-huit prévenus, que soixante-neuf témoins étaient appelés à comparaître et cent sept audiences eurent lieu. Le dossier de l’affaire comptait cent volumes.

25. Le Gouvernement relève que les prévenus ont contribué eux-mêmes au prolongement de la procédure en introduisant diverses demandes et recours à l’encontre de chaque décision liée au procès.

26. S’agissant de la prolongation de la détention de l’intéressé, le Gouvernement estime que celle-ci se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu’elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux, lesquels ont fourni à chaque fois des explications particulièrement détaillées et fondées sur les circonstances concrètes de l’affaire.

27. Il soulève que les raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis les infractions reprochées persistaient tout au long de la procédure. Selon le Gouvernement, on pouvait raisonnablement croire qu’une fois en liberté l’intéressé tenterait de se soustraire à la justice et d’entraver le bon déroulement de la procédure notamment en influençant les témoignages à recueillir.

28. Le requérant réfute les arguments du Gouvernement. Il met l’accent en particulier sur le fait que le prolongement de sa détention provisoire n’était pas suffisamment motivé. Il soulève qu’il n’a jamais tenté de prendre la fuite ni d’entraver le bon déroulement de la procédure. Il conclut que le prolongement de sa détention n’était justifié par aucune raison pertinente et était en conséquence infondé.

29. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controuvés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

30. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, l’arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).

31. La Cour observe qu’en l’espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention par la sévérité de la peine encourue, par la complexité de l’affaire ainsi que par le risque de fuite et d’entrave à la bonne marche de la justice.

32. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents, et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (trois ans et sept mois environ) se justifiait au regard de l’article 5 § 3.

33. La Cour ne décèle aucune raison de la sorte en l’espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes de libération du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour observe de surcroît que, tout au long de la procédure, les juges ont motivé leurs décisions par le caractère complexe de l’affaire, soulignant surtout la sévérité de la peine encourue en conséquence de la nature des infractions reprochées à l’intéressé.

34. La Cour rappelle à cet égard qu’à la lumière de sa jurisprudence établie l’existence d’un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d’une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir, notamment, les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A no7, p. 22, § 14 ; Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A no10, p. 29, § 11 ; Letellier c. France précité, § 43 ; Scott c. Espagne du 30 novembre 1996, CEDH 1996VI, p. 2304, § 78).

35. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n’étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question.

36. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

37. Le requérant se plaint du déroulement de la procédure et de l’absence d’équité. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

38. La Cour constate que le requérant avait omis d’interjeter appel à l’encontre de la décision rendue dans son affaire afin de contester le caractère prétendument inéquitable de la procédure.

39. Dès lors, elle déclare ce grief irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

41. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) sans préciser toutefois si sa demande concerne le préjudice matériel ou moral qu’il aurait subi.

42. Le Gouvernement estime cette somme excessive. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, il demande à la Cour d’apprécier le montant de la satisfaction équitable sur la base de sa jurisprudence dans des affaires similaires et à la lumière de la conjoncture économique interne.

43. La Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

44. Le requérant, qui a bénéficié d’une aide judiciaire du Conseil de l’Europe, ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens encourus devant la Cour.

45. Dès lors, il n’y a pas lieu de lui octroyer une somme au titre des frais et dépens afférents à la procédure devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

46. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit,

a) que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ; cette somme à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président