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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YAZGANOĞLU c. TURQUIE

(Requête no 57294/00)

ARRÊT

STRASBOURG

17 octobre 2006

DÉFINITIF

17/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Yazganoğlu c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
Mmes A. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57294/00) dirigée contre la République de Turquie et dont cinq ressortissant de cet État, Urkuş Yazganoğlu, H. Cumhur Yazganoğlu, Ayfer Yazganoğlu, Ayşe Soyer née Yazganoğlu et Gülümser Akmısır née Yazganoğlu, avaient saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour ») le 24 juin 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me M.N. Terzi, avocat à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n’a pas désigné d’agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignaient notamment du retard pris par l’État dans le paiement des indemnités complémentaires d’expropriation, assorties d’intérêts moratoires insuffisants par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5. Par une décision du 14 septembre 2005, la Cour (deuxième section) a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a également décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants, MM. Urkuş Yazganoğlu, H. Cumhur Yazganoğlu, Ayfer Yazganoğlu, Mmes Ayşe Soyer née Yazganoğlu et Gülümser Akmısır née Yazganoğlu, sont nés respectivement en 1935, 1962, 1955, 1958, 1952 et résident à İzmir.

7. La Direction générale des routes nationales (« l’administration ») expropria un bien immeuble des requérants en vue de construire une route. L’administration leur octroya une indemnité d’expropriation.

8. Insatisfait du montant alloué par l’administration, les requérants introduisirent un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Bornova.

9. Le 29 décembre 1995, le tribunal accorda aux requérants une indemnité complémentaire de 26 772 000 000 livres turques (TRL), assortie des intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 novembre 1995.

10. Le 23 mars 1998, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal de première instance.

11. Le 28 décembre 1998, l’administration versa aux requérants un montant de 57 283 166 000 TRL.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Akkuş c. Turquie (9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, pp. 1305-1306, §§ 13-16) et Aka c. Turquie (23 septembre 1998, Recueil 1998VI, pp. 26742676, §§ 17-25).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

A. Sur la recevabilité

13. Les requérants se plaignent d’une dépréciation des indemnités complémentaires versées avec retard par l’administration expropriante, en raison de l’insuffisance des intérêts moratoires par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Ils invoquent à cet égard l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

14. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé, comme l’exige l’article 35 de la Convention, les voies de recours internes faute d’avoir correctement exercé le recours mis à leur disposition par l’article 105 du code des obligations.

15. Les requérants contestent cette thèse.

16. La Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’affaire Aka (précité, pp. 26782679, §§ 34-37). Elle n’aperçoit aucun motif de se départir de sa précédente conclusion.

17. Partant, la Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, notamment, Akkuş, précité) et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l’objet d’un examen au fond. Elle constate en effet qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B. Sur le fond

18. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et constaté la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Akkuş, précité, p. 1317, § 31, et Aka, précité, p. 2682, §§ 50-51).

19. La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le retard pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable à l’administration expropriante, qui a fait subir aux propriétaires un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de leur bien. C’est ce retard qui amène la Cour à considérer que les requérants ont eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect des biens.

20. Par conséquent, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

22. Les requérants affirment devoir être dédommagé pour un préjudice matériel qu’ils évaluent à 348 000 dollars américains (USD), soit 277 490 euros (EUR) au total. Ils réclament 1 000 USD au titre de leur préjudice moral.

23. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

24. Considérant le mode de calcul adopté dans l’arrêt Akkuş (précité, p. 1311, §§ 35-36 et 39) et à la lumière des données économiques pertinentes, la Cour accorde 21 483 EUR conjointement aux requérants au titre du dommage matériel.

25. Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

26. Les requérants demandent 1 000 USD pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.

27. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

28. Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour juge raisonnable d’accorder conjointement aux requérants, la somme de 600 EUR tous frais confondus.

C. Intérêts moratoires

29. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable pour le préjudice moral ;

4. Dit

a) que lÉtat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du versement :

i. 21 483 EUR (vingt et un mille quatre cent quatre-vingt trois euros) pour dommage matériel ;

ii. 600 EUR (six cents euros) pour frais et dépens ;

iii. plus tout montant pouvant être dû au titre d’impôts ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé J.-P. Costa
Greffière Président