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Rozsudek
QUATRIEME SECTION
AFFAIRE ZIELONKA c. POLOGNE
(Requête no 7313/02)
ARRÊT
STRASBOURG
17 octobre 2006
DÉFINITIF
17/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zielonka c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7313/02) dirigée contre la République de Pologne et dont le ressortissant de cet Etat, Roman Zielonka (« le requérant ») a saisi la Cour le 15 août 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz du ministère des Affaires Etrangères.
3. Le 21 octobre 2005, le Président de la quatrième Section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Conformément à l’article 29 § 3 de la Convention, il a été décidé que la Cour se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1944 et réside à Zagórze.
5. Le 17 février 1996, le requérant intenta à l’encontre de son assureur, une action en paiement.
6. Le 9 mars 1998, le requérant fut partiellement dispensé des frais de justice.
7. Une première audience se tint le 24 juin 1998. Lors de cette audience, la partie adverse engagea à son tour une action reconventionnelle en paiement à l’encontre du requérant.
8. Le 21 juillet 1998, le requérant demanda l’audition d’un témoin.
9. Les audiences prévues pour le 24 juillet, le 9 octobre, le 11 décembre 1998 et le 30 mars, 20 avril 1999, furent ajournées, au motif que les témoins qui devaient être auditionnés ne s’étaient pas présentés.
10. L’audience fixée au 18 octobre 1999 fut reportée au 24 mai 2000, en raison de la nécessité d’examiner l’opinion d’un expert.
11. Les audiences prévues pour les 24 mai, 20 juillet et 20 septembre 2000 furent reportées, cette dernière pour permettre la jonction au dossier d’une expertise supplémentaire.
12. Par décision du 9 novembre 2000, le tribunal de district de Chrzanόw rejeta la demande du requérant.
13. Le 12 décembre 2000, le requérant interjeta appel. L’audience se tint le 21 mars 2001.
14. Le 29 mars 2001, le tribunal régional de Katowice rejeta l’appel du requérant, en l’estimant mal fondé.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15. L’article 417 al. 1 du code civil
« Le Trésor public est responsable pour les dommages résultant des actes d’un fonctionnaire de l’État ».
16. L’article 16 de la loi de 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004 (ci-dessous : loi de 2004), introduisant dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive d’une procédure judiciaire, (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki) stipule :
« Une partie qui n’a pas déposé plainte pour retard excessif de procédure conformément à l’article 5 § 1 peut demander - au titre de l’article 417 du Code civil - une réparation pour les dommages ayant résulté du retard excessif, une fois terminée la procédure sur le fond.»
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
17. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
18. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
19. Il convient d’observer que le Gouvernement considère que la procédure en question a débuté le 17 février 1998. Toutefois, il ressort de la motivation de la décision du tribunal régional de Katowice datant du 29 mars 2001 que le requérant a introduit son action le 17 février 1996.
20. La période à considérer a donc débuté le 17 février 1996 et s’est terminée le 29 mars 2001. Elle a donc duré plus de 5 années et 1 mois pour deux instances.
A. Sur la recevabilité
21. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire alléguant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes.
22. Le Gouvernement estime en premier lieu que le requérant aurait du faire usage de l’article 417 du code civil, disposition permettant d’obtenir une satisfaction pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.
23. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considérée comme telle (voir Skawińska c. Pologne (déc), no 42096/98, 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, § 32, 14 octobre 2003 et récemment : Barszcz c. Pologne, no 71152/01, § 42, 30 mai 2006).Le Gouvernement ne présente aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante, il convient en conséquence de rejeter cet argument.
24. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que le requérant aurait du faire usage de l’article 16 de la loi de 2004, qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.
25. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée également sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004 en relation avec l’article 417 du code civil constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.
26. Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, délai de prescription de l’action de l’article 417 (voir Krasuski c. Pologne, no 61444/00, § 72, 14 juin 2005).
27. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (voir Ratajczyk c. Pologne, (déc.), no 11215/02, 31 mai 2005).
28. En l’occurrence, la procédure s’est terminée le 29 mars 2001, donc plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, le requérant ne disposait pas de voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.
29. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement les deux événements ne se produisent pas à la même date.
30. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz c. Pologne précité. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.
31. La Cour constate enfin que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Dès lors, il convient de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
32. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.
33. Le Gouvernement met tout d’abord l’accent sur le fait qu’aucune période d’inaction ne peut être reprochée aux instances nationales, les audiences ayant eu lieu à des intervalles réguliers. Il considère également que le requérant a lui-même largement contribué au prolongement de la procédure demandant l’audition de témoins et la désignation d’experts.
34. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Tout en soulignant que l′affaire n′était pas complexe, il estime qu′il ne saurait être tenue pour responsable de l′allongement résultant du fait qu′il a demandé la désignation d’un expert. Selon lui, il s′agissait d’un acte de procédure qu′il avait droit d′accomplir. Le requérant estime également que les tribunaux n’ont pas apporté à l’affaire la diligence nécessaire.
35. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC]n no 30979/96, § 43 , CEDH 2000-VII ; Czech c. Pologne, no 49034/99, § 44, 15 novembre 2005, Wojda c. Pologne, no 55233/00, § 9, du 8 novembre 2005).
36. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Czech, Wojda précités).
37. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En particulier, le gouvernement polonais n’a apporté aucune explication quant à la période qui s’est écoulée entre le 17 février 1996, date de l’introduction de la demande du requérant et le 24 juin 1998, date de la première audience (paragraphe 7 ci-dessus). Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
38. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
39. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
40. Le requérant réclame 2 900 PLN (720 EUR) au titre du préjudice matériel et 30 000 PLN (7 500 EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
41. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable. A titre subsidiaire, il demande d’accorder au requérant une satisfaction équitable dont le montant ne dépasserait pas 10 000 PLN, (2 600 EUR environ), la somme maximale prévue par la loi de 2004.
42. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, au vu des circonstances et statuant en équité, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 400 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
43. Le requérant demande également 9 000 PLN (2 200 EUR) pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour. Le requérant présente des documents se rapportant à la procédure devant les juridictions internes. Il ne présente toutefois pas de document se rapportant à la procédure ayant fait l’objet de sa requête devant la Cour.
44. Le Gouvernement conteste ces prétentions mettant l’accent sur le fait que le requérant n’étaye pas sa demande par des documents se rapportant à la procédure devant la Cour.
45. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’allouer au requérant, qui n’était pas représenté par un avocat, la somme de 100 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
46. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) pour dommage moral et 100 EUR (cent euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L. Early Nicolas Bratza
Greffier Président