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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIEME SECTION

AFFAIRE DANULESCU c. ROUMANIE

(Requête no 70890/01)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Danulescu c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 70890/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gheorghe­Horia Dănulescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 octobre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Roxana Rizoiu, puis par Mme Beatrice Rămăşcanu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que la vente de son appartement à des tiers, qui a été validée par l'arrêt de la cour d'appel de Bucarest du 30 mai 2000 et n'a donné lieu à aucune indemnisation, avait méconnu l'article 1 du Protocole no 1, et soutenait qu'il avait été privé de son bien.

4. Le 9 juin 2004, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1939 et réside à Saint-Cloud (France).

A. Les circonstances de l'espèce

8. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

9. En 1950, en vertu du décret de nationalisation no 92/1950, l'Etat prit possession de l'appartement no 1 de l'immeuble sis à Bucarest nos 15­17 rue Jules Michelet, qui appartenait à ses parents.

1. Action en revendication

10. En 1995, le requérant, faisant valoir que la nationalisation avait été illégale, saisit le tribunal de première instance de Bucarest d'une action en revendication immobilière contre le conseil local de la ville de Bucarest.

11. Par un jugement du 24 mai 1996, le tribunal accueillit l'action, au motif que l'Etat avait pris possession de l'appartement sans titre valable et, par conséquent, ordonna à la partie défenderesse de lui restituer l'appartement litigieux, composé de quatre pièces.

12. Par une décision du 27 novembre 1996, le maire de Bucarest ordonna la restitution de l'appartement.

2. Action en annulation du contrat de vente de l'appartement

13. Par un contrat conclu le 22 novembre 1996, en vertu de la loi no 112/1995, l'entreprise gérante des biens immobiliers de l'Etat vendit au locataire l'appartement en question.

14. Par une action introduite le 12 mai 1997 contre le tiers acquéreur, le conseil général de Bucarest et l'entreprise gérante, le requérant demanda au tribunal de première instance de Bucarest de constater la nullité du contrat de vente, car il avait été conclu après le jugement du tribunal de première instance de Bucarest lui restituant l'appartement.

15. Par un jugement du 28 mai 1999, confirmé sur appel interjeté par les parties défenderesses, le tribunal accueillit l'action et annula le contrat, au motif qu'au moment de la vente, le bien faisait l'objet d'un litige.

16. Le tiers acquéreur introduisit un recours contre ce jugement, en faisant valoir que la vente avait respecté les dispositions de la loi no 112/1995 et qu'il avait conclu le contrat de bonne foi.

17. Par un arrêt du 31 mai 2000, la cour d'appel de Bucarest accueillit le recours, estimant qu'il avait acheté l'appartement de bonne foi, car il n'avait pas été informé de l'existence de l'action en revendication et, qu'au moment de la vente, le jugement du 24 mai 1996 n'était pas encore devenu définitif.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-44), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 1926, 21 juillet 2005), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 3853, 1er décembre 2005) et Porteanu c. Roumanie (no 4596/03, §§ 23-25, 16 février 2006).

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

A. Sur le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention

19. Le requérant se plaint du défaut d'impartialité des tribunaux internes, car ceux-ci auraient favorisé les locataires occupant le bien litigieux, pendant tout le déroulement de la procédure en interprétant d'une manière erronée les dispositions de la loi no 112/95.

20. La Cour rappelle que les juges ne doivent pas manifester de parti pris ou de préjugé personnel et qu'en même temps, le tribunal doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (Pullar c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 30).

21. A supposer que le requérant ait épuisé les voies de recours internes pour faire redresser ce grief au niveau national, et bien qu'elle ait de doutes quant au jugement des tribunaux nationaux en matière de bonne foi des parties, la Cour ne décèle, dans les circonstances de la présente espèce, aucun élément subjectif ou objectif de nature à jeter un doute sur l'impartialité des juges.

22. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur le restant de la requête

23. Pour ce qui est du restant de la requête, la Cour constate que celui-ci n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité et le déclare donc recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

24. Le requérant allègue que la vente de l'appartement au locataire, validée par l'arrêt de la cour d'appel de Bucarest du 31 mai 2000, a méconnu l'article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

25. Le Gouvernement considère que l'action en annulation du contrat de vente n'a aucune incidence sur le droit de propriété du requérant, car ni son titre de propriété ni ses chances d'obtenir la possession du bien n'ont été affectés. D'après le Gouvernement, le constat de la bonne foi de l'acheteur n'équivaut ni à une négation du titre de propriété du requérant ni à une confirmation du titre de l'acquéreur. Ainsi, la procédure litigieuse n'a pas porté atteinte au droit de propriété du requérant. La bonne foi de l'acheteur ainsi que la validité de son titre de propriété ont été définitivement reconnues par les tribunaux internes. Même si la décision litigieuse constitue une ingérence dans le droit de propriété du requérant, celle-ci était prévue par la loi, et poursuivait un but légitime. De plus, les tribunaux internes auraient respecté les dispositions du droit interne, notamment la loi no 10/2001.

26. Enfin, le Gouvernement estime que le requérant aurait pu obtenir une indemnisation en vertu de la loi no 10/2001, mais qu'il n'a pas suivi la procédure prescrite par ladite loi. Il demande à la Cour de prendre en compte la réforme instituée par la loi no 247/2005, qui vise à accélérer la procédure de restitution et, dans les cas où une telle restitution s'avère impossible, à octroyer une indemnisation consistant en une participation, en tant qu'actionnaires, à un organisme de placement de valeurs mobilières « Proprietatea », organisé sous la forme d'une société par actions.

27. Le requérant conteste cette thèse. Selon lui, les tribunaux internes ont reconnu son droit de propriété et également celui du tiers acquéreur sur le même bien, situation qui rend impossible l'exercice de ses droits en tant que propriétaire de son bien. Le requérant souligne que l'impossibilité de jouir de son bien constitue une atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques.

28. La Cour rappelle que, dans l'affaire Păduraru c. Roumanie, il s'agissait aussi de la vente d'un appartement nationalisé par l'Etat en dépit de l'existence d'un arrêt devenu définitif qui l'obligeait à restituer ledit appartement au requérant. Dans cette affaire, la Cour a constaté que le requérant avait un bien, au sens de la Convention (§§ 64 et 65), que la vente de cet appartement par l'Etat constituait une ingérence dans le droit de l'intéressé au respect de ses biens (§§ 66-71) et que cette vente n'était pas prévue par la loi (§§ 72-80).

29. La Cour a examiné les circonstances de l'espèce et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de raison de s'écarter de la jurisprudence précitée, la situation de fait étant identique (paragraphes 11 - 12 ci-dessus).

30. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

32. Le requérant demande la restitution de l'appartement vendu au locataire ainsi que la valeur des loyers non perçus, qu'il chiffre à 55 580 euros (EUR). Il demande 50 000 dollars américains (USD) au titre du dommage moral pour les « traumatismes psychiques » subis pendant plus de huit ans.

33. Le Gouvernement ne fournit aucune observation sur la valeur marchande de l'appartement. Quant au montant représentant les loyers non perçus, le Gouvernement considère qu'il n'y a pas lieu d'octroyer une telle indemnisation et invoque l'affaire Sofletea c. Roumanie (no 48179/99, § 42, 25 novembre 2003). S'agissant de l'éventuel préjudice moral subi par le requérant, le Gouvernement considère qu'aucun lien de causalité ne peut être retenu entre la prétendue violation de la Convention et le dommage moral allégué.

34. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique, au regard de la Convention, de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences. Si le droit interne ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, l'article 41 de la Convention confère à la Cour le pouvoir d'accorder une réparation à la partie lésée par l'acte ou l'omission à propos desquels une violation de la Convention a été constatée.

35. Parmi les éléments pris en considération par la Cour, lorsqu'elle statue en la matière, figurent le dommage matériel, c'est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée, et le dommage moral, c'est-à-dire la réparation de l'état d'angoisse, des désagréments et des incertitudes résultant de cette violation, ainsi que d'autres dommages non matériels (voir, parmi d'autres, Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 25, 10 novembre 2004).

36. En outre, là où les divers éléments constituant le préjudice ne se prêtent pas à un calcul exact ou là où la distinction entre dommage matériel et dommage moral se révèle difficile, la Cour peut être amenée à les examiner globalement (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV).

37. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la restitution de l'appartement situé au no 1 de l'immeuble sis à Bucarest nos 15­17 rue Jules Michelet, telle qu'ordonnée par le jugement définitif rendu le 24 mai 1996 par le tribunal de première instance de Bucarest, placerait le requérant autant que possible dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. A défaut pour l'Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser à l'intéressé, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle de l'appartement.

38. En l'espèce, s'agissant de déterminer le montant de cette somme, la Cour note que ni le requérant ni le Gouvernement n'ont soumis de rapports d'expertise permettant de déterminer la valeur de l'appartement.

39. Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime la valeur marchande actuelle du bien à 125 000 EUR.

40. Concernant les sommes demandées au titre des loyers non perçus, la Cour ne saurait spéculer sur la possibilité et le rendement d'une location de l'appartement en question (Buzatu c. Roumanie, no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005).

41. De surcroît, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné des atteintes graves au droit du requérant au respect de son bien, pour lequel la somme de 4 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi.

B. Frais et dépens

42. Le requérant ne demande pas de remboursement des frais et dépens.

43. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie au requérant aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

44. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit restituer au requérant l'appartement no 1 de l'immeuble sis à Bucarest nos 15-17 rue Jules Michelet, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;

b) qu'à défaut d'une telle restitution, l'Etat défendeur doit verser conjointement au requérant, dans les mêmes trois mois, 125 000 EUR (cent vingt-cinq mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

4. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les mêmes trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour préjudice moral ;

5. Dit que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

6. Dit qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président