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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIEME SECTION

AFFAIRE BARCANESCU c. ROUMANIE

(Requête no 75261/01)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Barcanescu c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 75261/01) dirigée contre la Roumanie et dont, un ressortissant de cet Etat, M. Serban Vlad Bărcănescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 avril 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Roxana Rizoiu, puis par Mme Beatrice Rămăşcanu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que les ventes de deux appartements de son immeuble à des tiers, validées par des arrêts définitifs des tribunaux, qui n'ont donné lieu à aucune indemnisation, avaient méconnu l'article 1 du Protocole no 1.

4. Le 31 août 2004, le président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

6. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1949 et réside à Bucarest.

8. En 1950, en vertu du décret de nationalisation no 92/1995, l'Etat prit possession d'un immeuble sis à Bucarest 83 rue Tunari, composé de trois appartements, qui appartenait à B.N. Celui-ci décéda en 1962 et le requérant, son fils, fut déclaré son héritier, ayant droit aux trois quarts de la succession, le reste revenant à Mme M. B. en tant qu'épouse survivante de B.N.

1. Action en revendication

9. Par jugement du 13 mai 1998, le tribunal de première instance de Bucarest accueillit l'action en revendication immobilière introduite par le requérant et Mme M. B., en tant qu'héritiers de B.N., contre le conseil local de Bucarest. Le tribunal ordonna à la partie défenderesse de restituer au requérant et à Mme M. B. l'immeuble sis 83 rue Tunari et le terrain afférent.

10. Par une décision du 7 octobre 1998, le maire de Bucarest ordonna la restitution du bien immobilier. L'entreprise gérante des biens immobiliers de l'Etat s'opposa à la restitution, en faisant valoir qu'une partie de l'immeuble avait été vendue auparavant aux époux B. et à P.M., qui l'habitaient en tant que locataires.

2. Action en annulation du contrat de vente d'une partie de l'immeuble aux époux B.

11. Par un contrat conclu le 25 octobre 1996, en vertu de la loi no 112/1995, la mairie de Bucarest, représentée par l'entreprise gérante des biens immobiliers de l'Etat, vendit aux locataires, les époux B., un appartement de deux pièces situé dans l'immeuble litigieux et le terrain afférent.

12. En 1999, le requérant introduisit contre le conseil local et les époux B. une action en revendication et en annulation du contrat de vente du 25 octobre 1996, au motif qu'il aurait été conclu en fraude à la loi no 112/1995, alors que l'immeuble faisait l'objet d'un litige. Par un jugement du 4 octobre 1999, le tribunal fit partiellement droit à l'action. Il rejeta le chef concernant la revendication, au motif qu'elle aurait dû être introduite conjointement par le requérant et Mme M. B. Toutefois, le tribunal annula le contrat de vente, car il jugea que, la nationalisation étant illégale, la vente de l'immeuble l'était elle aussi. Sur appel des époux B., le tribunal départemental d'Argeş, par un arrêt du 11 janvier 2001, cassa le jugement et valida le contrat de vente, au motif que les acquéreurs avaient été de bonne foi.

13. Par un arrêt du 28 juin 2001, la cour d'appel de Piteşti fit droit au recours du requérant et annula le contrat pour non respect des dispositions de la loi no 112/1995. La cour observa que les démarches en vue de la conclusion du contrat avaient été faites avant l'expiration du délai de six mois prévu par la loi mentionnée, au cours duquel les anciens propriétaires ou leurs héritiers pouvaient demander la restitution des immeubles nationalisés.

14. Les époux B. formèrent une demande en révision de l'arrêt de la cour d'appel de Piteşti. Estimant que l'action aurait dû être rejetée par le tribunal de première instance et, qu'en tout Etat de cause, la prétendue nullité des démarches en vue de la conclusion du contrat n'entraînait pas la nullité du contrat lui-même, la cour d'appel de Piteşti, par un arrêt du 12 novembre 2001, accueillit la demande en révision et, en conséquence, confirma la vente.

3. Action en annulation du contrat de vente d'une partie de l'immeuble au locataire P.M.

15. Par un contrat conclu le 11 novembre 1996, en vertu de la loi no 112/1995, la mairie de Bucarest, représentée par l'entreprise gérante des biens immobiliers de l'Etat, vendit au locataire P.M. un appartement d'une pièce et le terrain afférent.

16. En 1999, le requérant introduisit contre P.M. et le conseil local une action en revendication et en annulation du contrat de vente du 11 novembre 1996. Par un jugement du 4 octobre 1999, le tribunal fit droit partiellement à l'action. Il rejeta l'action concernant la revendication, mais toutefois, annula le contrat de vente.

17. Sur appel de P.M., le tribunal départemental de Bucarest, par un arrêt du 18 avril 2000, cassa le jugement de première instance et valida le contrat de vente, au motif que l'acquéreur avait été de bonne foi. Le recours formé par le requérant fut rejeté par un arrêt du 9 novembre 2000 de la cour d'appel de Bucarest.

4. Demande en restitution en application de la loi no 10/2001

18. Le 13 août 2001, le requérant déposa une demande de restitution du bien litigieux. Sa demande est restée sans suite.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-44), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 1926, 21 juillet 2005), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 3853, 1er décembre 2005) et Porteanu c. Roumanie (no 4596/03, §§ 23-25, 16 février 2006).

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

20. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité et la déclare donc recevable.

II. SUR LE FOND

A. Sur le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1

21. Le requérant allègue que la vente de deux appartements aux locataires, validée par les arrêts de la cour d'appel de Bucarest du 9 novembre 2000 et de la cour d'appel de Piteşti de 12 novembre 2001, a méconnu l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

22. Le Gouvernement considère que l'action en annulation des contrats de vente n'a aucune incidence sur le droit de propriété du requérant, car ni son titre de propriété ni ses chances d'obtenir la possession des biens n'ont été affectés. D'après le Gouvernement, le constat de la bonne foi des acheteurs n'équivaut ni à une négation du titre de propriété du requérant ni à une confirmation du titre des acquéreurs. Ainsi, la procédure litigieuse n'a pas porté atteinte au droit de propriété du requérant. La bonne foi des acheteurs ainsi que la validité de leur titre de propriété ont été définitivement reconnues par les tribunaux internes. Même si la décision litigieuse constitue une ingérence dans le droit de propriété du requérant, celle-ci était prévue par la loi, et poursuivait un but légitime. De plus, les tribunaux internes auraient respecté les dispositions du droit interne, notamment la loi no 10/2001. Le Gouvernement estime qu'en tout Etat de cause, le requérant pouvait obtenir une indemnisation en vertu de la loi no 10/2001, mais que sa demande de restitution n'était pas en Etat, plusieurs documents attestant son droit de propriété n'ayant pas été versés au dossier.

23. Enfin, le Gouvernement demande à la Cour de prendre en compte la réforme instituée par la loi no 247/2005, qui a pour objectif d'accélérer la procédure de restitution et, dans les cas où une telle restitution s'avère impossible, d'octroyer une indemnisation consistant en une participation, en tant qu'actionnaire à un organisme de placement de valeurs mobilières « Proprietatea », organisé sous la forme d'une société par actions.

24. Le requérant conteste cette thèse. Selon lui, les tribunaux internes ont reconnu son droit de propriété, et également celui du tiers acquéreur sur le même bien, situation qui rend impossible l'exercice de ses droits en tant que propriétaire de son bien. Le requérant souligne que l'impossibilité de jouir de son bien représente une atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques.

25. La Cour rappelle que, dans l'affaire Străin précitée (§§ 39 et 59), elle a considéré que la vente par l'Etat d'un bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle était antérieure à la confirmation en justice d'une manière définitive du droit de propriété d'autrui, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, constituait une privation contraire à l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

26. De surcroît, dans l'affaire Păduraru précitée (§ 112) la Cour a constaté que l'Etat avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d'intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. Elle a également considéré que l'incertitude générale ainsi créée s'était répercutée sur le requérant, qui s'était vu dans l'impossibilité de recouvrer l'ensemble de son bien alors qu'il disposait d'un arrêt définitif condamnant l'Etat à le lui restituer.

27. En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de motif pour s'écarter de la jurisprudence précitée, la situation de fait étant sensiblement la même. A l'instar de l'affaire Păduraru précitée, dans la présente affaire, des tiers sont devenus propriétaires avant que le droit de propriété du requérant sur le bien fasse l'objet d'une confirmation définitive. Et, comme dans l'affaire Străin précitée, le requérant en l'espèce a été reconnu propriétaire légitime, les tribunaux ayant jugé incontestable son titre de propriété, eu égard au caractère abusif de la nationalisation (paragraphes 9 et 10 ci­dessus).

28. La Cour observe que la vente du bien du requérant, en vertu de la loi no 112/1995, l'empêche de jouir de son droit de propriété en dépit de l'existence d'un jugement définitif qui avait obligé l'Etat à lui restituer l'immeuble. En outre, aucun dédommagement ne lui a été octroyé pour cette privation. En effet, bien qu'il ait déposé une demande d'indemnisation en vertu de la loi no 10/2001 pour la partie vendue à des tiers, le requérant n'a pas reçu à ce jour de réponse.

29. La Cour note que, le 22 juillet 2005, la loi no 247/2005 a été adoptée, modifiant la loi no 10/2001. Cette nouvelle loi accorde un droit à indemnisation, à hauteur de la valeur marchande du bien qui ne peut être restitué aux personnes se trouvant dans la même situation que le requérant. La Cour observe que la loi précitée propose, pour les personnes n'ayant pas la possibilité d'obtenir la restitution de leur bien en nature, de leur octroyer une indemnisation consistant en une participation, en tant qu'actionnaires à un organisme de placement de valeurs mobilières « Proprietatea », organisé sous la forme d'une société par actions. En principe, les personnes ayant vocation à recevoir une indemnisation par cette voie recevront des titres de valeur qui seront transformés en actions, une fois la société cotée en bourse.

30. La Cour note que, le 29 décembre 2005, la société anonyme « Proprietatea » a été inscrite au Registre du commerce de Bucarest. Afin que les actions émises par cette société anonyme puissent faire l'objet d'une transaction sur le marché financier, il faut suivre la procédure d'agrément par le Conseil national des valeurs mobilières (« CNVM »). Selon le calendrier prévisionnel de « Proprietatea », l'opération de conversion des titres en actions devait intervenir en mars 2006 et l'entrée effective en bourse en décembre 2006.

31. En l'espèce, à supposer que la demande de restitution formée par le requérant en vertu de la loi no 10/2001 soit recevable et puisse faire l'objet d'une indemnisation, la Cour observe que « Proprietatea » ne fonctionne actuellement pas d'une manière susceptible d'aboutir à l'octroi effectif d'une indemnité. Dès lors, la Cour considère que la mise en échec du droit de propriété du requérant sur les deux appartements vendus aux locataires, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de son bien garanti par l'article 1 du Protocole no 1.

32. En l'espèce, le fait qu'il a été fait droit à la demande en révision, voie de recours extraordinaire, constitue un argument supplémentaire dans le sens de la violation de l'article 1 du Protocole no 1.

33. La Cour rappelle que, nonobstant le silence de l'article 1 du Protocole no 1 en matière d'exigences procédurales, les procédures applicables en l'espèce doivent offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV). Pour ce qui est de l'introduction de voies de recours extraordinaires, la Cour a considéré que les juridictions supérieures ne doivent utiliser leur pouvoir de supervision que pour corriger les erreurs de fait ou de droit et les erreurs judiciaires et non pour procéder à un nouvel examen. La supervision ne doit pas devenir un appel déguisé et le simple fait qu'il puisse exister deux points de vue sur le sujet n'est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l'exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003IX).

34. Or, en l'espèce, la révision introduite par les époux B. fut admise par la cour d'appel de Piteşti (§ 14), au motif que l'action aurait dû être intégralement rejetée par le tribunal de première instance et, qu'en tout Etat de cause, la prétendue nullité des démarches en vue de la conclusion du contrat n'entraînait pas la nullité du contrat lui-même. La cour d'appel a donc annulé donc un arrêt définitif et irrévocable, passé en force de chose jugée, au seul motif qu'elle avait un point de vue différent sur l'application du droit interne de celui des précédents tribunaux.

35. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

B. Sur le grief tiré de l'article 6 de la Convention

36. Le requérant allègue que la vente de deux appartements aux locataires B. et P.M. a conduit à l'impossibilité de faire exécuter le jugement définitif du 13 mai 1998 du tribunal de première instance de Bucarest qui avait ordonné à l'Etat de lui restituer l'immeuble, ce qui a méconnu l'article 6 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

37. La Cour considère, compte tenu de ses conclusions figurant aux paragraphes 23-35 ci-dessus, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond de ce grief (voir, mutatis mutandis et entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Zanghì c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A no 194-C, p. 47, § 23, et Église catholique de la Canée c. Grèce, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 50).

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

39. Le requérant demande la restitution des appartements vendus aux locataires ou bien l'octroi de 243 800 euros (EUR) représentant leur valeur. Il fournit un rapport d'expertise en ce sens. Le requérant demande aussi la valeur des loyers non perçus, qu'il chiffre à 133 079 EUR. Enfin il réclame 200 000 EUR au titre du dommage moral pour les « traumatismes psychiques » subis pendant plus de huit ans.

40. Le Gouvernement considère que le requérant n'a droit qu'à la valeur de sa part successorale représentant les trois quarts de la valeur marchande des appartements vendus aux locataires. Il estime que cette valeur marchande est de 171 077 EUR et fournit l'avis d'un expert immobilier en ce sens. Quant au montant représentant les loyers non perçus, le Gouvernement considère qu'en principe, il n'y a pas lieu d'octroyer une telle indemnisation et invoque l'affaire Sofletea c. Roumanie (no 48179/99, § 42, 25 novembre 2003). Quant à l'éventuel préjudice moral subi par le requérant, le Gouvernement considère qu'aucun lien de causalité ne peut être retenu entre la prétendue violation de la Convention et le dommage moral allégué.

41. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique, au regard de la Convention, de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences. Si le droit interne ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, l'article 41 de la Convention confère à la Cour le pouvoir d'accorder une réparation à la partie lésée par l'acte ou l'omission à propos desquels une violation de la Convention a été constatée.

42. Parmi les éléments pris en considération par la Cour, lorsqu'elle statue en la matière, figurent le dommage matériel, c'est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée, et le dommage moral, c'est-à-dire la réparation de l'Etat d'angoisse, des désagréments et des incertitudes résultant de cette violation, ainsi que d'autres dommages non matériels (voir, parmi d'autres, Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 25, 10 novembre 2004).

43. En outre, là où les divers éléments constituant le préjudice ne se prêtent pas à un calcul exact ou là où la distinction entre dommage matériel et dommage moral se révèle difficile, la Cour peut être amenée à les examiner globalement (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV).

44. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la restitution des appartements vendus aux locataires de l'immeuble sis à Bucarest 83 rue Tunari, telle qu'ordonnée par le jugement définitif rendu le 13 mai 1998 par le tribunal de première instance de Bucarest, placerait le requérant autant que possible dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. A défaut pour l'Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser à l'intéressé, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle des appartements.

45. En l'espèce, s'agissant de déterminer le montant de cette somme, la Cour note que le requérant et le Gouvernement ont soumis des rapports d'expertise permettant de déterminer la valeur des appartements. Compte tenu également des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime la valeur marchande actuelle des appartements vendus aux locataires B. et P.M. à 200 000 EUR.

46. De surcroît, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné des atteintes graves au droit du requérant au respect de ses biens, pour lesquelles la somme de 5 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi.

47. Concernant les sommes demandées au titre des loyers non perçus, la Cour ne saurait spéculer sur la possibilité et le rendement d'une location de l'appartement en question (Buzatu c. Roumanie, no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005). Il y a donc lieu de rejeter ce chef de la demande.

B. Frais et dépens

48. Le requérant ne demande pas de remboursement des frais et dépens.

49. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie au requérant aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

50. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 de la Convention ;

4. Dit

a) que l'Etat défendeur doit restituer au requérant les appartements vendus aux locataires B. et P.M. de l'immeuble sis à Bucarest 83 rue Tunari, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;

b) qu'à défaut d'une telle restitution, l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les mêmes trois mois, 200 000 EUR (deux cent mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

5. Dit que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les mêmes trois mois, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour préjudice moral ;

6. Dit que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

7. Dit qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président