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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ORHA c. ROUMANIE

(Requête no 1486/02)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Orha c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Berro-Lefevre, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1486/02) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. IoanAlexandru Orha et Mme Ligia-Mariana Orha (« les requérants »), ont saisi la Cour le 24 juillet 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme B. Ramaşcanu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 6 septembre 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. Les requérants (mari et femme) sont nés respectivement en 1955 et 1966 et résident à Toronto, Canada.

5. Le 14 août 1996, les autorités municipales de Satu Mare décidèrent l'expropriation pour cause d'utilité publique de plusieurs biens immobiliers appartenant aux requérants. Ces derniers y consentirent.

6. Par un jugement du 10 juillet 1998, confirmé par un arrêt définitif du 28 octobre 1999 de la Cour suprême de justice, le tribunal départemental d'Argeş constata l'expropriation à la suite de l'accord intervenu entre les autorités municipales de Satu Mare et les requérants. Se fondant sur une expertise technique ordonnée en l'espèce, il fixa les indemnités d'expropriation à 11 791 982 000 lei roumains (ROL), et le manque à gagner à 733 085 892 ROL.

7. Le 3 février 2000, les requérants demandèrent, par l'intermédiaire d'un huissier de justice, le paiement des sommes dues. Le maire de Satu Mare refusa d'obtempérer, au motif que les biens expropriés n'étaient plus nécessaires à la municipalité.

8. Une contestation à l'exécution du jugement du 10 juillet 1998, formée par les autorités de Satu Mare le 18 mai 2000, fut rejetée le 12 septembre 2000, par le tribunal départemental d'Argeş, par un jugement confirmé, sur recours du débiteur, par un arrêt définitif du 30 novembre 2001 de la Cour suprême de justice.

9. Entre-temps, par une ordonnance du 18 février 2000, le tribunal de première instance de Satu Mare ordonna la saisie des comptes des autorités locales et le versement aux requérants des sommes dues en vertu du jugement du 10 juillet 1998. La saisie fut ensuite validée par un jugement du 24 mars 2000 du même tribunal.

Le 19 janvier 2001, les requérants reçurent la somme de 199 804 000 ROL.

10. Cependant, sur recours du débiteur, par un arrêt définitif du 23 mai 2001, la cour d'appel d'Oradea annula l'ordonnance du 18 février 2000, au motif que la créance n'était pas exigible, dans la mesure où les parties n'étaient pas encore convenues des modalités de paiement, comme exigé par l'article 30 de la loi no 33/1994 sur l'expropriation.

11. Par conséquent, le 18 janvier 2002, sur demande du maire de Satu Mare, le tribunal départemental de Satu Mare condamna les requérants à rembourser les sommes perçues. Les 15 avril, 27 juin et 4 septembre 2002, l'huissier de justice mit les requérants en demeure d'obtempérer à l'arrêt du 23 mai 2001, en vertu duquel il exigea le paiement de 187 456 440 ROL, représentant la différence entre, d'une part le montant alloué par les juridictions plus les frais de l'exécution (soit 202 556 440 ROL) et, d'autre part, le montant de 15 100 000 ROL que la mairie de Satu Mare devait payer aux requérants. Les requérants payèrent la somme requise les 18 et 27 septembre 2002.

12. Parallèlement, le 18 mai 2000, le maire de Satu Mare saisit le tribunal départemental de Satu Mare d'une action contre les requérants tendant à l'annulation de l'expropriation, au motif que l'accord des parties constaté par le jugement du 10 juillet 1998 ne remplissait pas les conditions prévues par la loi. Après plusieurs degrés de juridictions, l'action fut rejetée comme non étayée, par un arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et justice du 30 avril 2004.

13. Le 14 mars 2005, les requérants demandèrent aux autorités locales d'exprimer leur position concernant le maintien de la déclaration d'utilité publique de leurs terrains et l'interdiction de construire.

A une date non précisée, le maire de Satu Mare confirma que la situation des terrains restait inchangée, tout en rappelant qu'il restait ouvert à toute proposition de la part des requérants sur ce sujet.

14. Il ressort des informations du dossier que les requérants n'ont toujours pas reçu les sommes allouées par le jugement du 10 juillet 1998.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

15. La réglementation interne pertinente, à savoir des extraits des codes civil et de procédure civile et de la loi no 188/2000 sur les huissiers de justice est décrite dans la décision Roman et Hogea c. Roumanie (no 62959/00, 31 août 2004).

16. Les articles pertinents de la loi no 33/1994 se lisent ainsi :

Article 28

« (1) Le transfert du droit de propriété sur les biens soumis à l'expropriation dans le patrimoine de l'autorité expropriante a lieu au moment où elle exécute ses obligations établies par décision de justice. »

Article 30

« L'indemnité est payée selon les modalités convenues par les parties ; faute d'accord des parties, le tribunal décide, en fixant également le délai de paiement qui ne peut dépasser les trente jours à compter de la date à laquelle la décision devient définitive. »

Article 31

« (1) La délivrance du titre exécutoire et la mise en possession de l'autorité expropriante ne sont faits qu'en vertu d'une décision avant dire droit qui constate l'accomplissement des obligations de paiement de l'indemnité, dans un délai qui ne peut dépasser les trente jours qui suivent ledit paiement. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

17. Les requérants allèguent que l'inexécution de l'arrêt définitif du 28 octobre 1999 a entravé leur droit d'accès à un tribunal qui juge leur cause dans un délai raisonnable, comme le prévoit l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

18. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

19. Le Gouvernement estime que, ainsi qu'il ressort de l'arrêt du 23 mai 2001 de la cour d'appel d'Oradea, l'arrêt du 28 octobre 1999 n'était pas susceptible d'être exécuté, les parties ayant l'obligation de former une action en vue d'établir les modalités et les délais de paiement. Il estime que les autorités n'ont pas été de mauvaise foi puisqu'elles ont payé le montant exigé le 19 janvier 2001. Le fait que les requérants ont dû le rembourser ultérieurement n'a été que la conséquence de l'arrêt du 23 mai 2001.

20. Les requérants s'opposent à cette thèse et font valoir que l'arrêt du 18 octobre 1999 n'a toujours pas été exécuté par les autorités.

21. La Cour rappelle que l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V).

22. Cependant, le droit d'accès à un tribunal ne peut obliger un Etat à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu'il soit et quelles que soient les circonstances (Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Lorsque les autorités sont tenues d'agir en exécution d'une décision judiciaire et omettent de le faire, cette inertie engage la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention (Scollo c. Italie, arrêt du 28 septembre 1995, série A no 315-C, p. 55, § 44).

23. Dans la présente affaire, bien que les requérants aient obtenu le 28 octobre 1999 une décision interne définitive qui établissait les sommes que les autorités devaient leur payer à la suite de l'expropriation de leurs biens, et qu'ils aient même fait par la suite des démarches en vue de l'exécution, cette décision n'a été ni exécutée intégralement, ni annulée ou modifiée à la suite de l'exercice d'une voie de recours prévue par loi.

24. A supposer qu'il n'ait pas été possible pour les autorités d'exécuter tel quel l'arrêt du 28 octobre 1999, la Cour note que les requérants ont fait des demandes de paiement tant par l'intermédiaire de l'huissier de justice que devant les tribunaux (voir paragraphes 7 et 9 ci-dessus).

25. D'ailleurs, la loi no 33/1994 ne prévoit pas la procédure par laquelle les juridictions internes devraient être saisies afin de fixer les modalités et délais de paiement.

Or, il appartient à chaque état contractant de se doter d'un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent (Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003).

En tout état de cause, une fois qu'une décision interne définitive est rendue par les juridictions nationales, elle doit être mise en œuvre avec une clarté et une cohérence raisonnables par les autorités publiques, afin d'éviter autant que possible l'insécurité juridique et l'incertitude pour les sujets de droit concernés par son application (voir, mutatis mutandis, Păduraru c. Roumanie, no 63252/00, § 92, CEDH 2005...).

26. De plus, à supposer même que les parties eussent dû saisir les juridictions d'une nouvelle action pour faire fixer les modalités et délais de paiement, la Cour estime, à la lumière de sa jurisprudence constante en la matière, que c'est aux autorités qu'il appartenait de faire de telles démarches. Ainsi, elle rappelle qu'il n'est pas opportun de demander à un individu, qui a obtenu une créance contre l'Etat à l'issue d'une procédure judiciaire, de devoir par la suite engager une nouvelle procédure afin d'obtenir satisfaction (voir, mutatis mutandis, Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004).

Par conséquent, aucune démarche supplémentaire n'était requise de la part des requérants.

27. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans la présente affaire, en refusant d'exécuter l'arrêt du 28 octobre 1999, les autorités nationales ont privé les requérants d'un accès effectif à un tribunal.

28. La Cour estime enfin qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir si la durée de la procédure a été raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où ce grief est absorbé par celui concernant le droit d'accès à un tribunal (Immobiliare Saffi, précité, § 75).

29. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

30. Les requérants dénoncent une atteinte à leur droit de propriété en raison de l'inexécution de l'arrêt du 28 octobre 1999. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

31. Le Gouvernement estime en premier lieu que les requérants n'ont pas une créance, au sens de la jurisprudence de la Cour, dès lors que celle reconnue par les juridictions internes par l'arrêt du 28 octobre 1999 ne remplissait pas les conditions requises en droit interne, c'est-à-dire qu'elle n'était pas certaine, liquide et exigible (Mario de Napoles Pacheco c. Belgique, no 7775/77, décision de la Commission du 5 octobre 1978, Décisions et rapports (DR) 15, p. 143).

En tout état de cause, il considère que les biens visés par l'action d'expropriation ne sont jamais sortis du patrimoine des requérants, dans la mesure où les autorités n'ont pas demandé la délivrance du titre exécutoire par les tribunaux, tel que prévu par l'article 31 de la loi no 33/1994.

32. Les requérants contestent la position du Gouvernement. Ils rappellent que selon les autorités locales, les terrains sont toujours frappés d'une impossibilité permanente de construction.

33. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

34. Sur le fond, la Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-exécution de l'arrêt du 28 octobre 1999 qui avait fixé le montant de l'indemnité que les requérants avaient le droit de percevoir. Il y avait donc en l'espèce une valeur patrimoniale en vertu de laquelle les requérants pouvaient prétendre avoir l'espérance légitime de se voir effectivement payer ladite somme. Dès lors, les requérants ont « un bien » au sens de l'article 1 précité (Tacea c. Roumanie, no 746/02, § 37, 29 septembre 2005, Croitoriu c. Roumanie, no 54400/00, § 34, 9 novembre 2004, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004..., et Jasiūnienė c. Lituanie, no 41510/98, § 44, 6 mars 2003).

35. La Cour note, avec les requérants, que d'une part, ils n'ont pas reçu l'indemnité d'expropriation prévue par les juridictions internes, et d'autre part, ils ne peuvent utiliser leurs terrains qui sont frappés d'une interdiction de construction.

En outre, s'il est vrai que les biens sont formellement toujours dans le patrimoine des requérants, comme l'indique le Gouvernement, la Cour estime que le fait que les autorités locales n'en ont pas pris possession n'est pas imputable aux requérants, dans la mesure où selon les articles 28 et 31 de la loi no 33/1944, la mise en possession de l'Etat est conditionnée par le paiement de l'indemnité. Or, les autorités ellesmêmes n'ont pas encore payé ladite somme. En outre, en raison de l'interdiction de construction, les requérants ne peuvent en aucune manière utiliser les biens en cause.

36. La Cour estime que, dans ces conditions, il y a eu en l'espèce une ingérence dans le droit de propriété des requérants. Elle rappelle qu'en refusant d'exécuter l'arrêt du 28 octobre 1999, les autorités nationales ont privé les requérants de la jouissance de leur droit de propriété, sans leur fournir d'explication pour cette ingérence (voir, mutatis mutandis, Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, § 81, 2 mars 2004).

37. Le Gouvernement n'a offert aucune justification valable pour l'ingérence causée par la non-exécution de l'arrêt en cause ; elle était donc arbitraire et emportait violation du principe de légalité. Une telle conclusion dispense la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels des requérants (Metaxas, précité, § 31).

38. Dès lors, à la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu'il y a eu en l'espèce violation de l'article 1 du Protocole no 1.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

39. Les requérants estiment enfin que la non-exécution de l'arrêt du 28 octobre 1999 a enfreint les droits garantis par les articles 8 et 17 de la Convention. Dans la mesure où ces griefs visent en substance les mêmes aspects que ceux déjà examiné ci-dessus sous l'angle des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, la Cour n'estime pas nécessaire de se placer de surcroît sur le terrain des articles 8 et 17.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

41. A titre de préjudice matériel, outre le manque à gagner alloué par l'arrêt du 28 octobre 1999 estimé à 85 932 dollars américains (USD), les requérants réclament 214 830 USD représentant le manque à gagner pour la période allant de 2000 à 2005 ou, alternativement, les intérêts sur la somme de 85 932 USD. Ils réclament aussi 500 000 USD au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi.

42. Le Gouvernement conteste les demandes relatives à l'octroi d'une somme pour défaut de jouissance, eu égard à la jurisprudence de la Cour en la matière (Anghelescu c. Roumanie, no 29411/95, §§ 75-77, 9 avril 2002, Surpaceanu c. Roumanie, no 32260/96, §§ 54-56, 21 mai 2002, et Oprescu c. Roumanie, no 36039/97, §§ 56-57, 14 janvier 2003). S'agissant du montant de 85 932 USD, le Gouvernement rappelle qu'à son avis l'arrêt du 28 octobre 1999 n'est pas exécutoire. Quant au montant de 214 830 USD, il fait valoir qu'aucune juridiction interne n'a reconnu aux requérants le droit d'obtenir réparation du manque à gagner pour la période allant de 2000 à 2005.

Il rappelle que les requérants jouissent toujours de leur droit de propriété des biens litigieux.

43. Le Gouvernement estime enfin que les demandes des requérants au titre du préjudice moral sont excessives, qu'aucun lien de causalité entre lesdites prétentions et les prétendues violations ne peut être établi et considère qu'en tout état de cause un constat de violation sera suffisant pour réparer un tel préjudice. Il rappelle la jurisprudence de la Cour en la matière, notamment l'affaire Sacaleanu c. Roumanie (no 73970/01, 6 septembre 2005).

44. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 sur ce point ne se trouve pas en état, de sorte qu'il convient de la réserver en tenant également compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et les intéressés (article 75 §§ 1 et 4 du règlement de la Cour).

B. Frais et dépens

45. Les requérants demandent également 6 500 USD pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes, 10 141,63 dollars canadiens (CAD) et 930 000 forints hongrois (HUF) pour ceux encourus dans la procédure de demande d'asile politique au Canada et dans la procédure devant la Cour. Ils ont envoyé de nombreuses factures délivrées par les avocats qui s'étaient chargé de leur dossier d'immigration, deux billets d'avion Budapest – Londres - Détroit et retour pour eux d'un montant de 248 200 HUF chacun et deux pour leurs enfants, ainsi que des factures émises par la poste canadienne pour des colis envoyés à la Cour, d'un montant de 158,68 CAD.

46. Le Gouvernement estime que les demandes ne sont pas étayées.

47. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette comme non étayée la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, estime raisonnable la somme de 110 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde aux requérants.

C. Intérêts moratoires

48. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés des articles 8 et 17 de la Convention ;

5. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état en ce qui concerne la fixation de la réparation pour les violations constatées en l'espèce ;

en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin ;

6. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 110 EUR (cent dix euros) pour frais et dépens encourus devant les juridictions internes, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président