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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE RUXANDA IONESCU c. ROUMANIE

(Requête no 2608/02)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Ruxanda Ionescu c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 2608/02) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Ruxanda Ionescu (« la requérante »), a saisi la Cour le 23 novembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me E. Cinteza, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Beatrice Rămăşcanu.

3. Le 24 mai 2005, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. La requérante est née en 1937 et réside à Bucarest.

6. En 1950, en vertu du décret de nationalisation nº 92/1950, l'Etat prit possession d'un bien immobilier, sis au no 9 de la rue Edgar Quinet, à Bucarest, et composé d'un immeuble comprenant plusieurs appartements qui appartenait au père de la requérante.

7. Le 11 octobre 1996, l'entreprise H, gérante des biens immobiliers de l'Etat, vendit aux époux P.C. l'appartement no 3 de l'immeuble litigieux, qu'ils habitaient en tant que locataires.

1. Action en revendication

8. Le 20 février 1998, la requérante saisit le tribunal de première instance de Bucarest d'une action contre le conseil local de Bucarest en revendication de l'immeuble en cause.

9. Par un jugement définitif du 3 avril 1998, le tribunal fit droit à sa demande, au motif que l'Etat avait pris possession de l'immeuble sans titre valable et ordonna à la partie défenderesse de le lui restituer. Ce jugement fut revêtu de la formule exécutoire le 2 juin 1998.

10. Par une décision du 15 septembre 1998, le maire de Bucarest ordonna la restitution du bien à la requérante. Par un procès-verbal du 24 mars 1999, la requérante fut mise en possession de l'immeuble à l'exception de l'appartement no 3 vendu antérieurement aux époux P.C.

11. Par un jugement définitif du 3 décembre 1998, le tribunal départemental de Bucarest constata que P.E. était créancier des époux P.C. pour la somme de 31 269 dollars américains (USD). P.E. saisit le tribunal de première instance de Bucarest afin d'entamer l'exécution forcée immobilière contre les époux P.C. et demanda la vente aux enchères de leur appartement.

12. Par un jugement définitif du 15 septembre 1999, à la suite d'une vente aux enchères, le tribunal attribua l'appartement litigieux à P.E.

13. Le 4 novembre 1999, P.E. fit inscrire son droit de propriété sur le registre des transcriptions immobilières.

2. Action tendant à obtenir la restitution de l'appartement no 3

14. Le 15 octobre 1999, la requérante, par une action introduite contre la mairie de Bucarest, l'entreprise H. et les époux P.C., demanda au tribunal de première instance de Bucarest de constater la nullité du contrat de vente conclu le 11 octobre 1996.

15. Lors de l'audience du 6 janvier 2000, P.E. fit une demande d'intervention dans la procédure afin de voir constater son droit de propriété sur l'appartement en cause, en faisant valoir qu'à la suite du jugement définitif du 15 septembre 1999 il en était le propriétaire et qu'il était un sous-acquéreur de bonne foi.

16. Lors de l'audience du 10 février 2000, la requérante précisa son action en modifiant son objet en revendication contre P.E. Dès lors, à l'audience du 30 mars 2000, P.E. fit une demande reconventionnelle, en réitérant quant au fond les mêmes arguments que ceux formulés afin de justifier la demande d'intervention.

17. Par un jugement du 11 mai 2000, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta l'action de la requérante, fit droit à la demande reconventionnelle de P.E., au motif que ce dernier avait fait transcrire son droit de propriété sur le registre des transcriptions et constata la validité du contrat de vente du 11 octobre 1996, en se fondant sur la bonne foi des époux P.C. lors de sa conclusion.

18. Par un arrêt du 17 novembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest fit droit à l'appel de la requérante et rejeta la demande reconventionnelle de P.E. Il jugea que le titre de propriété de la requérante était incontestable, qu'il datait d'avant 1950 et que sa légalité avait été constatée par le jugement définitif du 3 avril 1998 du tribunal de première instance de Bucarest, revêtu de l'autorité de la chose jugée. Il constata, en revanche, que le titre de propriété de P.E. découlait d'un contrat de vente conclu entre un non propriétaire, à savoir l'Etat, et les époux P.C. Dans ces circonstances, après avoir comparé les titres de propriété de la requérante et de P.E., le tribunal jugea que le titre de la requérante était préférable.

19. Sur recours de P.E., par un arrêt définitif du 6 juillet 2001, la cour d'appel de Bucarest cassa l'arrêt rendu en appel et confirma le jugement rendu en premier ressort. La cour d'appel retint que l'appartement avait été vendu aux locataires en vertu et dans le respect des dispositions de la loi no 112/1995 le 11 octobre 1996, que la requérante avait obtenu une décision favorable de restitution de l'immeuble le 3 avril 1998 et qu'en dehors de ces aspects, l'immeuble litigieux était entré dans le circuit de l'exécution forcée immobilière, fait non imputable à P.E. Par ailleurs, la cour d'appel retint que la requérante pouvait se voir octroyer une indemnisation en vertu des dispositions de la loi no 10/2001.

3. Démarches pour obtenir la restitution de l'appartement litigieux conformément aux dispositions de la loi no 10/2001

20. Le 19 juillet 2001, la requérante adressa une notification à la mairie de Bucarest afin d'obtenir la restitution de l'appartement no 3 de l'immeuble sis au no 9 de la rue Edgar Quinet, à Bucarest, en vertu des dispositions de la loi no 10/2001.

21. Il ressort du dossier qu'à ce jour, la requérante n'a reçu aucune réponse à sa demande.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31 - 44), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 1926, 21 juillet 2005), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 3853, 1er décembre 2005) et Porteanu c. Roumanie (no 4596/03, §§ 23-25, 16 février 2006).

23. La loi no 247/2005 modifiant la loi no 10/2001 prévoit que l'indemnisation à laquelle auront droit les personnes qui n'obtiennent pas la restitution de l'immeuble nationalisé, et dont le montant sera fixé à l'issue d'une procédure administrative par une commission centrale, est constituée d'une participation à un organisme de placement de valeurs mobilières, organisé sous la forme de la société par actions Proprietatea (Proprietatea). En principe, les bénéficiaires d'une telle indemnité reçoivent des titres de valeur qui seront transformés en actions, lorsque Proprietatea sera cotée en bourse. Par ailleurs, l'article 3 de la loi susmentionnée précise que les titres de valeur ne peuvent pas être vendus avant leur conversion en actions.

24. Le 29 décembre 2005, Proprietatea a été inscrite au Registre du commerce de Bucarest. Afin que les titres de valeurs puissent être convertis en actions émises par Proprietatea et que ces actions puissent par la suite faire l'objet de transactions sur le marché financier, il faut tout d'abord suivre la procédure d'agrément par le Conseil national des valeurs mobilières (« CNVM »). Selon le calendrier prévisionnel de Proprietatea, qui a été modifié à plusieurs reprises, l'entrée effective en bourse est prévue pour la fin de l'année 2006.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE NO 1

25. La requérante se plaint d'une atteinte à son droit au respect de ses biens, incompatible avec l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

26. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

27. Citant les affaires Brezny et Brezny c. Slovaquie ((déc.), no 23131/93, 4 mars 1996), Kopecky c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, § 35, 28 septembre 2004) et Constandache c. Roumanie ((déc.), no 46312/99, 11 juin 2002), le Gouvernement considère que la Cour n'est pas compétente ratione temporis pour examiner les circonstances de la nationalisation de l'immeuble litigieux, qui a eu lieu avant l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de la Roumanie. En outre, il estime que la requérante ne disposait pas d'un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1 précité, car son droit de propriété n'a pas été reconnu par une décision judiciaire définitive avant la vente du bien à des tiers.

28. Bien que le jugement définitif du 3 avril 1998 ait condamné l'Etat à restituer l'immeuble à la requérante, celle-ci n'avait pas eu la possession dudit appartement et n'avait pas payé d'impôt sur celui-ci, et elle ne pouvait donc pas, dès lors, prétendre avoir un intérêt patrimonial substantiel garantit par l'article 1 du Protocole no 1. De surcroît, l'Etat lui-même n'était plus propriétaire de l'appartement au moment de l'action en revendication de la requérante, puisqu'il l'avait vendu le 11 octobre 1996 aux époux P.C. En outre, le jugement définitif du 3 avril 1998 constatant le droit de propriété de la requérante n'était pas opposable aux acheteurs P.C.

29. Même à supposer que l'arrêt du 6 juillet 2001 de la cour d'appel de Bucarest constitue une ingérence dans le droit de propriété de la requérante, le Gouvernement considère qu'elle était prévue par la loi, plus particulièrement par le droit commun, et poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d'autrui. En outre, il observe que l'immeuble est entré dans le « circuit civil » et que la requérante n'a pas agi avec diligence pour demander l'annulation du contrat de vente du 11 octobre 1996, puisqu'elle a introduit cette action plus d'un an après avoir été informée de la vente de l'appartement à des locataires. Le Gouvernement estime que la requérante ne pouvait plus obtenir la restitution de l'appartement, mais une indemnité en vertu de la loi no 10/2001, ce qui répond aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1.

30. Enfin, le Gouvernement demande à la Cour de prendre en compte la réforme instituée par la loi no 247/2005, qui a pour objectif d'accélérer la procédure de restitution et, dans les cas où une telle restitution s'avère impossible, d'octroyer une indemnisation sous la forme d'une participation à un organisme de placement collectif de valeurs mobilières (« OPCVM »).

31. La requérante conteste cette thèse. Selon elle, les tribunaux internes ont reconnu son droit de propriété et considéré que la vente de l'appartement selon les dispositions de la loi no 112/1995 n'était pas légale, dans la mesure où la nationalisation était « sans titre ». Pour ce qui estde la possibilité d'obtenir une indemnité, la requérante considère que la loi no 10/2001 ne prend pas en compte le cas des propriétaires dont l'immeuble, restitué en vertu d'un jugement définitif, a été vendu par l'Etat à des tiers. La requérante souligne que l'impossibilité de jouir de son bien représente une atteinte à son droit au respect de ses biens.

32. La Cour rappelle que, dans l'affaire Străin précitée, elle a considéré que la vente par l'Etat d'un bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation en justice d'une manière définitive du droit de propriété d'autrui, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, constituait une privation de propriété contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin précité, §§ 39 et 59).

33. De surcroît, dans l'affaire Păduraru précitée (§ 112) la Cour a constaté que l'Etat avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d'intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. La Cour a également considéré que l'incertitude générale ainsi créée s'était répercutée sur le requérant, qui s'était vu dans l'impossibilité de recouvrer l'ensemble de son bien, alors qu'il disposait d'un arrêt définitif condamnant l'Etat à le lui restituer.

34. En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de raison de s'écarter de la jurisprudence précitée, la situation de fait étant sensiblement la même. A l'instar des affaires Păduraru et Porteanu (§ 33), dans la présente affaire, des tiers sont devenus propriétaires de l'appartement litigieux avant que le droit de propriété de la requérante sur ce bien soit confirmé définitivement avec effet rétroactif. Et, comme dans ces affaires ainsi que dans l'affaire Străin, la requérante a, en l'espèce, été reconnue propriétaire légitime, les tribunaux ayant jugé incontestable son titre de propriété, eu égard au caractère abusif de la nationalisation (voir les paragraphes 9 et 10 ci-dessus).

35. La Cour rappelle également que dans l'affaire Brumărescu précitée, le droit de propriété du requérant, confirmé par une décision de justice définitive datant de 1993, se trouvait mis en cause par le tiers intervenant, qui prétendait avoir un droit de propriété sur une partie du même bien en vertu d'un acte d'achat datant de 1973. A ce sujet, la Cour avait dit que la procédure engagée devant elle par M. Brumărescu à l'encontre de l'Etat roumain ne pouvait produire d'effets que sur les droits et obligations de ces seules parties (Brumărescu précité, § 69). Elle a confirmé cette approche dans son arrêt sur la satisfaction équitable, en mettant à la charge de l'Etat roumain l'obligation de rétablir le droit de propriété de M. Brumărescu, « sans préjudice de toute prétention » que le tiers intervenant pourrait avoir à une partie de la propriété du requérant (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 22 in fine, CEDH 2001-I).

36. La Cour note que la vente par l'Etat du bien de la requérante, en vertu de la loi no 112/1995 qui ne permettait de vendre que les biens nationalisés de manière légale, empêche celle-ci de jouir de son droit. La Cour observe que lors de l'action en revendication contre P.E., la cour d'appel de Bucarest a jugé dans son arrêt du 6 juillet 2001 que le contrat de vente du 11 octobre 1996 avait respecté les dispositions de la loi no112/1995. Par ailleurs, dans la présente affaire, l'appartement litigieux est entré dans le « circuit civil », à savoir dans le patrimoine de P.E. à la suite d'une vente aux enchères.

37. En outre, la Cour note que, bien que la cour d'appel ait constaté que la requérante avait le droit d'obtenir une indemnisation, aucune indemnisation ne lui a été octroyée pour cette privation. En effet, la requérante a déposé le 19 juillet 2001 une demande de restitution du bien en vertu de la loi no 10/2001, entre-temps complétée par la loi no 247/2005, mais elle n'a reçu à ce jour aucune réponse, ni sur la restitution sollicitée, ni à l'égard de l'indemnisation à laquelle le Gouvernement soutient qu'elle aurait droit.

38. La Cour observe que bien que le 22 juillet 2005 ait été adoptée la loi no 247/2005 modifiant la loi no 10/2001, les opérations préalables à l'octroi d'une indemnisation effective, n'ont pas abouti jusqu'à présent et que, selon le calendrier prévisionnel de Proprietatea, son entrée effective en bourse est prévue pour la fin de l'année 2006 (paragraphes 23 et 24 cidessus).

39. A supposer que la demande de restitution formée par la requérante en vertu de la loi no 10/2001 soit recevable et puisse faire l'objet d'une indemnisation, la Cour observe que Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d'une manière susceptible d'aboutir à l'octroi effectif d'une indemnisation à la requérante et que sa demande fondée sur la loi susmentionnée n'a fait l'objet d'aucun examen depuis plus de cinq ans. De surcroît, ni la loi no 10/2001 ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d'une absence prolongée d'indemnisation par les personnes qui, comme la requérante, se sont vu priver de leurs biens restitués en vertu d'un jugement définitif (Porteanu précité, § 34).

40. Dès lors, la Cour considère que la mise en échec du droit de propriété de la requérante sur l'appartement no 3, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.

41. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

43. La requérante demande au titre du préjudice matériel, soit la restitution de l'appartement no 3, soit l'octroi de 100 000 euros (EUR) représentant la valeur marchande de celui-ci. Elle demande 10 000 EUR au titre du dommage moral pour les désagréments qui lui ont été causés par la frustration due à l'impossibilité de jouir de son bien.

44. Le Gouvernement réitère ses observations quant à la possibilité pour la requérante de se voir octroyer une indemnisation. Après avoir fait une brève description du fonctionnement de Proprietatea, le Gouvernement considère qu'on doit, comme cela a été le cas dans l'affaire Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 149, CEDH 2004V), prendre en considération le large pouvoir discrétionnaire de l'Etat pour choisir les mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux et pour prendre le temps nécessaire à leur mise en œuvre. Il considère que l'adoption de la loi no 247/2005 constitue une réforme radicale dans le domaine de la réglementation du droit de propriété et que ce mécanisme sera effectif dans un délai raisonnable. Ainsi, selon le Gouvernement, le retard dans l'octroi d'une indemnisation représente une circonstance exceptionnelle.

45. Enfin, pour le cas où la Cour considérerait que les questions relevant de l'article 41 de la Convention sont en état, le Gouvernement estime que la valeur marchande du bien est de 85 258 EUR. Il soumet un rapport d'expertise en ce sens. Quant à l'éventuel préjudice moral subi par la requérante, le Gouvernement considère qu'aucun lien de causalité ne peut être retenu entre la prétendue violation de la Convention et le dommage moral allégué et qu'en tout état de cause, le préjudice allégué serait suffisamment compensé par un éventuel constat de violation.

46. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Metaxas, précité, § 35, et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

47. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la restitution de l'appartement no 3, sis au no 9 de la rue Edgar Quinet à Bucarest, telle qu'ordonnée par le jugement définitif rendu le 3 avril 1998 par le tribunal de première instance de Bucarest, placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. En tout état de cause, à défaut pour l'Etat défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser à l'intéressée, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle de l'appartement.

48. A ce sujet, la Cour note avec intérêt que la loi no 247/2005 portant modification de la loi no 10/2001 qualifie d'abusives les nationalisations opérées par le régime communiste et prévoit l'obligation de restitution d'un bien sorti du patrimoine d'une personne par suite d'une telle privation. En cas d'impossibilité de restitution pour cause, par exemple, de vente du bien à un tiers de bonne foi, la loi accorde une indemnité à hauteur de la valeur vénale du bien au moment de l'octroi (titre I, section I, articles 1, 16, et 43 de la loi).

49. En l'espèce, quant à la détermination du montant de l'indemnité pouvant être versée à la requérante, la Cour note que celle-ci n'a pas produit d'expertise permettant de déterminer la valeur de l'appartement, mais qu'elle a estimé la valeur du bien en question à 100 000 EUR. Quant au Gouvernement, il a présenté un rapport fourni par un expert, selon lequel la valeur de l'appartement serait de 85 258 EUR.

50. Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime la valeur marchande actuelle du bien à 87 000 EUR.

51. De surcroît, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné des atteintes graves au droit de la requérante au respect de son bien, pour lequel la somme de 3 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi.

B. Frais et dépens

52. La requérante ne demande pas de remboursement des frais et dépens.

53. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l'a demandé. Dès lors, en l'espèce, la Cour n'octroie à la requérante aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

54. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit

a) que l'Etat défendeur doit restituer à la requérante l'appartement no 3 situé au premier étage de l'immeuble en question, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ; qu'à défaut, l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 87 000 EUR (quatre-vingt-sept mille euros) pour dommage matériel ; qu'en tout état de cause, l'Etat défendeur doit verser à la requérante 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en lei au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président