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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KONNERTH c. ROUMANIE

(Requête no 21118/02)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Konnerth c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J. Hedigan, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Berro-Lefevre, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 21118/02) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Sofia Konnerth (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 mai 2002, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me Dorina Popiuc, avocate à Făgăraş. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Beatrice Ramaşcanu, directrice au ministère des Affaires étrangères.

3. Le 1er septembre 2005, la Cour (troisième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4. La requérante est née en 1927 et réside à Făgăraş (Roumanie).

A. Genèse de l'affaire

5. La requérante et son époux quittèrent la Roumanie en 1978 et s'établirent en Allemagne. Suite à leur départ, par une décision du 4 février 1978 du conseil municipal de Braşov (Consiliul popular), leur immeuble (maison avec trois chambres) fut confisqué par l'État, en application du décret no 223/1974. Par cette décision, ils se virent octroyer 36 736 lei roumains en tant que dédommagement, somme qu'ils touchèrent la même année.

6. L'État ne fit inscrire son droit de propriété sur l'immeuble dans le livre foncier que le 5 décembre 1996, en dépit de l'abrogation le 31 décembre 1989 du décret no 223/1974 en vertu duquel l'immeuble avait été confisqué.

7. Le 15 octobre 1997, l'État vendit l'immeuble à C.I.

B. Action de la requérante en rectification du livre foncier dirigée contre l'État représentée par le maire de Făgăraş

8. Le 12 juillet 2000, la requérante introduisit une action tendant à la radiation de l'inscription du livre foncier du droit de propriété de l'État sur l'immeuble et au rétablissement de la situation antérieure dans le sens de la réinscription de son droit de propriété et de celui de son époux décédé. Elle dirigea son action contre l'État représenté par le maire de Făgăraş. Devant le tribunal de première instance de Făgăraş, elle fit valoir que la décision administrative du 5 décembre 1996 portant inscription du droit de propriété de l'État, était dépourvue de base légale, eu égard au fait que le décret no 223/1974 avait été abrogé. Dès lors, l'inscription n'était pas valide.

9. Par un jugement du 23 octobre 2000, le tribunal fit droit aux prétentions de la requérante. Il ordonna la radiation de l'inscription du 5 décembre 1996 et l'inscription du droit de propriété de la requérante et de son défunt époux dans le livre foncier.

10. La partie défenderesse interjeta appel devant le tribunal départemental de Braşov.

11. Par un arrêt du 25 janvier 2001, le tribunal accueillit l'appel, jugeant que l'abrogation du décret no 223/1974 n'affectait pas la validité de l'inscription du 5 décembre 1996 du droit de propriété de l'État. En outre, il constata que la requérante et son époux avaient touché des dédommagements lors de la nationalisation, ce qui rendait inéquitable la réinscription de leur droit de propriété dans le livre foncier. Il fit valoir également que la maison avait été vendue par le conseil municipal à C.I. le 15 octobre 1997, ce dernier étant un acheteur de bonne foi conformément au droit civil roumain.

12. La requérante forma un recours contre l'arrêt du tribunal départemental.

13. Par un arrêt du 20 avril 2001, la cour d'appel de Braşov constata que l'inscription dans le livre foncier était constitutive de droit et jugea que, compte tenu de l'abrogation du décret no 223/1974, la décision du 4 février 1978 ne pouvait plus servir de base pour l'inscription du droit de propriété de l'État. En outre, elle statua que le versement des dédommagements en 1978 n'était pas pertinent en l'espèce, eu égard au fait que l'article 2 de la loi no 112/1995 précisant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d'habitation (« loi no 112/1995 »), stipulait que les intéressés doivent restituer les sommes encaissées s'ils se voient restituer les immeubles nationalisés. La cour d'appel constata également que la vente de l'appartement par le conseil municipal n'était pas pertinente pour la cause. Dès lors, la cour d'appel accueillit le recours, annula l'arrêt rendu en appel et confirma le jugement du tribunal de première instance du 23 octobre 2000.

14. Le 2 mai 2001, la requérante fit réinscrire son droit de propriété dans le livre foncier et commença à payer la taxe foncière pour l'immeuble.

15. Le 8 octobre 2001, le procureur général de la Roumanie forma, conformément à l'article 330 § 2 du code de procédure civile, un recours en annulation contre l'arrêt du 20 avril 2001.

16. Dans son mémoire devant la Cour suprême de justice, il fit valoir que la cour d'appel n'avait pas fait application de la loi no 10/2001 du 8 février 2001 relative à la situation des biens nationalisés pendant la période communiste (« loi no 10/2001 »), adoptée durant la procédure. Or, cette loi, qui constitue une lex specialis par rapport au droit commun, prévoit que les anciens propriétaires recevront des dommages pour les immeubles vendus par l'État aux locataires en conformité avec les dispositions de la loi no 112/1995 précitée. Selon l'article 46 § 2 de cette loi, les intéressés peuvent demander l'annulation des contrats de vente, à l'exception de la situation où les locataires ont achetés les immeubles en toute bonne foi. Par conséquent, il demanda à la Cour d'annuler l'arrêt de la cour d'appel de Braşov et de rejeter l'action de la requérante.

17. Dans ses conclusions écrites déposées lors de la dernière séance, la représentante de la requérante rappela l'arrêt Brumărescu c. Roumanie de la Cour du 28 octobre 1999 et fit valoir que l'annulation de l'arrêt définitif de la cour d'appel, suite au recours en annulation, aurait méconnu le principe de la sécurité des rapports juridiques.

18. Par un arrêt du 8 février 2002, la Cour suprême de Justice accueillit le recours en annulation. Sur le fond, elle rejeta l'action en rectification du livre foncier de la requérante. Elle constata que l'action en rectification devait être dirigée contre la personne inscrite dans la livre foncier ou l'éventuel acquéreur ultérieur de l'immeuble. Dès lors, la requérante aurait dû diriger son action contre l'État, représenté par le ministère des Finances, ou contre C.I.

C. Action du tiers acquéreur de l'immeuble tendant à la rectification du livre foncier

19. Le 26 juin 2001, C.I. introduisit une action en justice dirigée contre la requérante, l'État, représenté par le maire de Făgăraş et la société P.A. Services Communales de Făgăraş. Elle demanda que le tribunal la reconnaisse comme propriétaire de l'immeuble litigieux, en vertu du contrat de vente du 15 octobre 1997 et de sa qualité d'acheteur de bonne foi. C.I. demanda également la rectification du livre foncier, dans le sens de la radiation de l'inscription du titre de propriété de la requérante et de son défunt époux et de l'inscription de son droit de propriété.

20. La requérante déposa une demande reconventionnelle tendant à la revendication de l'immeuble et à l'expulsion de C.I.

21. Par un jugement du 25 septembre 2001, le tribunal de première instance de Făgăraş rejeta l'action de C.I. et fit droit à la demande reconventionnelle de la requérante. Il constata le droit de propriété de la requérante sur l'immeuble et ordonna l'expulsion de C.I dudit immeuble. Le tribunal fonda sa décision sur l'arrêt définitif du 20 avril 2001 de la cour d'appel de Braşov qui ordonnait l'inscription du droit de propriété de la requérante et de son défunt époux sur l'immeuble dans le livre foncier.

22. C.I. interjeta appel du jugement du tribunal de première instance.

23. Par un arrêt du 12 septembre 2002, le tribunal départemental de Braşov annula le jugement du tribunal de première instance. Il constata que la Cour suprême de justice avait annulé l'arrêt du 20 avril 2001 de la cour d'appel de Braşov suite au recours en annulation introduit par le procureur général. Dès lors, c'était à juste raison que C.I. s'était fondée sur l'inscription du droit de propriété de l'État du livre foncier, lors de l'achat de l'immeuble. En conséquence, C.I. était un acquéreur de bonne foi ce qui, selon une jurisprudence constante des tribunaux, faisait que la validité de son titre de propriété n'était pas conditionnée par la validité du titre de propriété du vendeur, en l'espèce, l'État.

24. Ainsi, le tribunal admit l'action introduite par C.I., décida la rectification du livre foncier dans le sens de la radiation du titre de propriété de la requérante et de son défunt époux et l'inscription du droit de propriété de C.I. Il rejeta la demande reconventionnelle de la requérante.

25. La requérante forma un recours contre l'arrêt du tribunal départemental.

26. Par un arrêt du 6 décembre 2002, la cour d'appel de Braşov rejeta le recours introduit par la requérante.

D. Action de la requérante en rectification du livre foncier dirigée contre l'État, représenté par le ministère des Finances

27. En 2002, suite à l'accueil du recours en annulation par l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002, la requérante réitéra son action en rectification du livre foncier (voir point « C » ci-dessus) assignant cette fois-ci devant le tribunal de première instance de Făgăraş l'État, représenté par le ministère des Finances.

28. Le 5 juin 2002, C.I. demanda à intervenir dans la procédure. Elle demanda que le tribunal la reconnaisse comme propriétaire de l'immeuble litigieux, en vertu du contrat de vente du 15 octobre 1997 et de sa qualité d'acheteur de bonne foi. Elle demanda également la rectification du livre foncier, dans le sens de la radiation de l'inscription du titre de propriété de la requérante et de son défunt époux et de l'inscription de son droit de propriété.

29. Le tribunal cita également le maire de Făgăraş dans la procédure afin que le jugement lui soit opposable.

30. Par un jugement du 11 septembre 2002, le tribunal de première instance de Făgăraş fit droit aux prétentions de la requérante. Il statua que l'inscription du 5 décembre 1996 n'était pas valide car dépourvue de base légale, eu égard au fait que le décret no 223/1974 avait été abrogé entre-temps. Le tribunal rejeta la demande d'intervention de C.I., après avoir constaté sa mauvaise foi au moment de l'achat de l'appartement.

31. Les parties défenderesses et C.I. interjetèrent appel du jugement du tribunal de première instance.

32. Par un arrêt du 5 mars 2003, le tribunal départemental de Braşov accueillit l'appel et annula le jugement du 11 septembre 2002. Il constata que la décision du conseil municipal du 4 février 1978 qui constituait le fondement de l'inscription du droit de propriété de l'État dans le livre foncier n'avait pas été annulée et, dès lors, l'inscription en faveur de l'État était valide. De surcroît, la légitimité du droit de propriété de l'État avait été définitivement établie par son arrêt du 25 janvier 2001, confirmé par l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002.

33. Pour ce qui était de l'intervention de C.I., le tribunal constata que ces demandes avaient déjà fait l'objet de l'examen des tribunaux. En effet, par un arrêt du 6 décembre 2002, passé en force de chose jugée, la cour d'appel de Braşov avait fait droit à ses prétentions. En conséquence, il rejeta la demande d'intervention.

34. La requérante forma un recours contre l'arrêt du tribunal départemental.

35. Par un arrêt du 9 septembre 2003, la cour d'appel de Braşov rejeta le recours.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

36. A l'époque des faits, les articles pertinents du code de procédure civile disposaient :

Article 330

« Le procureur général peut, soit d'office soit à la demande du ministre de la justice, former, devant la Cour suprême de justice, un recours en annulation contre une décision définitive et irrévocable pour les motifs suivants :

1. lorsque les tribunaux ont dépassé leurs compétences,

2. lorsque la décision, objet du recours en annulation, a méconnu essentiellement la loi, ce qui a entraîné une solution erronée sur le fond de l'affaire, ou lorsque cette décision est manifestement mal fondée. »

Art. 3301

« Dans les cas prévus aux §§ 1 et 2 de l'article 330, le recours en annulation peut être formé dans un délai d'un an à partir de la date où la décision visée est devenue définitive et irrévocable. »

37. Les articles 330 et 3301 ont été abrogés par l'article I § 17 de l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 58 du 25 juin 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

38. La requérante soutient que la remise en cause de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001 par l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002, a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle allègue de ce fait une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

39. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

40. Le Gouvernement renvoie à l'affaire Brumărescu, où la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la remise en cause d'un jugement définitif à la suite de l'introduction d'un recours en annulation par le procureur général qui disposait à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire (Brumărescu c. Roumanie, [GC], no 28342/95, § 62, CEDH 1999-VII).

Toutefois, le Gouvernement souligne qu'en l'espèce, à la différence de l'affaire précitée, le recours en annulation a été introduit dans le délai légal d'un an à partir de la date de l'arrêt attaqué et qu'il n'était pas l'expression d'un pouvoir discrétionnaire du procureur général d'agir sans limite dans le temps.

En outre, le Gouvernement invoque l'affaire Ryabykh et fait valoir que les motifs sur lesquels avait été fondé le recours en annulation font partie des motifs exceptionnels qui peuvent justifier, selon la jurisprudence de la Cour, l'annulation d'une décision passée en force de chose jugée (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003IX). Ainsi, l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001 se fondait sur une erreur de droit des tribunaux inférieurs qui avaient établi un cadre processuel incorrect.

Enfin, le Gouvernement estime que la requérante a pu faire valoir ses allégations concernant le droit de propriété devant les tribunaux dans la deuxième procédure, par le biais d'une demande reconventionnelle. Ceci lui a permis d'avoir accès à un tribunal pour faire valoir ses droits.

41. La requérante conteste les arguments du Gouvernement et maintient que l'annulation de l'arrêt définitif du 20 avril 2001 a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle allègue également une violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce que la Cour suprême de justice a accueilli le recours en annulation se fondant sur l'exception de l'absence de qualité pour ester en justice du maire de Făgăraş, sans que cette exception soit soumise à un débat contradictoire.

42. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable devant un tribunal, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, doit s'interpréter à la lumière du préambule de la Convention, qui énonce la prééminence du droit comme élément du patrimoine commun des États contractants. Un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit est le principe de la sécurité des rapports juridiques, qui veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause (Brumărescu, précité, § 61). En vertu de ce principe, aucune partie n'est habilitée à solliciter la supervision d'un jugement définitif et exécutoire à la seule fin d'obtenir un réexamen de l'affaire et une nouvelle décision à son sujet. Les juridictions supérieures ne doivent utiliser leur pouvoir de supervision que pour corriger les erreurs de fait ou de droit et les erreurs judiciaires et non pour procéder à un nouvel examen. La supervision ne doit pas devenir un appel déguisé. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l'exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003IX).

43. En l'espèce, pour autant que le Gouvernement soutient que les arrêts du 23 octobre 2000 et des 25 janvier et 20 avril 2001 étaient le résultat d'une erreur de droit, la Cour rappelle que le simple fait qu'il puisse exister deux points de vue sur le sujet n'est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire (Riabykh, précité, § 52).

44. La Cour note que le procureur général a fondé le recours en annulation sur l'apparition d'une nouvelle loi qui régissait la situation juridique des biens nationalisés pendant la période communiste, à savoir la loi no 10/2001. Il estimait que cette loi constituait une lex specialis par rapport au droit commun et que les tribunaux auraient donc dû l'appliquer en l'espèce. La Cour suprême de justice, en revanche, a accueilli le recours en annulation sur la base du droit commun, constatant que l'État devait être représenté en la cause par le ministère des Finances et non par le maire de Făgăraş. Dès lors, le fait que le recours en annulation a été fondé sur certains motifs, alors qu'il a été accueilli sur la base d'autres motifs, permet à la Cour de constater qu'il n'y avaient pas de motifs substantiels et impérieux exigeant un recours en annulation contre un arrêt définitif et déjà mis en exécution.

45. De surcroît, la Cour observe que l'action en rectification du livre foncier introduite par C.I. et accueillie par les tribunaux avait été dirigée contre l'État représenté par le maire de Făgăraş. Qui plus est, dans la deuxième procédure engagée par la requérante et dirigée, selon les considérants de l'arrêt rendu en recours annulation, contre l'État, représenté par le ministère des Finances, le tribunal de première instance a décidé de citer également le maire de Făgăraş afin que le jugement lui soit opposable.

46. En tout état de cause, l'État a pu invoquer le fait qu'il avait été représenté de manière irrégulière devant les tribunaux dans les deux voies de recours ordinaires, l'appel et le recours. En outre, ce motif aurait pu être soulevé d'office par les tribunaux.

47. Quant au délai d'introduction du recours en annulation, bien qu'en l'espèce, à la différence de l'affaire Brumărescu, où le procureur général n'était tenu par aucun délai, l'exercice de cette voie de recours extraordinaire soit intervenu dans le délai légal d'un an prévu par l'article 3301 du code de procédure civile, la Cour estime que cette différence n'est pas de nature à déterminer une approche différente de l'affaire Brumărescu (SC Maşinexportimport Industrial Group SA c. Roumanie, no 22687/03, § 36, 1er décembre 2005).

48. A cet égard, on retrouve dans la présente affaire les deux autres éléments qui ont conduit la Cour, dans l'affaire Brumărescu, au constat de la méconnaissance du principe de la sécurité des rapports juridiques et, par conséquent, de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, à savoir l'intervention dans un litige civil du procureur général qui n'était pas partie à la procédure et la remise en cause d'un jugement définitif ayant acquis l'autorité de la chose jugée et ayant, de surcroît, été exécuté.

49. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l'annulation de l'arrêt définitif du 20 avril 2001 a porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable.

50. Par conséquent, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

51. Au vu des conclusions qui précèdent, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief de la requérante relatif à la méconnaissance du principe du contradictoire devant la Cour suprême de justice, ce grief ne constituant que l'un des aspects particuliers du droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1, qui a été déjà examiné par la Cour.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

52. La requérante se plaint de ce que l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002 a eu pour effet de porter atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

53. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève également que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

54. Le Gouvernement considère que la requérante ne disposait pas d'un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Tout en reconnaissant qu'un arrêt définitif peut constituer le fondement d'un droit de propriété sur le bien qui a fait l'objet du litige, il fait valoir d'abord que la requérante ne s'était pas vu reconnaître un droit de propriété sur la maison par l'arrêt du 20 avril 2001 de la cour d'appel de Braşov. En réalité, cet arrêt ne constatait que l'illégalité de l'inscription dans le livre foncier du droit de propriété de l'État. Il est ainsi reproché à la requérante de n'avoir pas introduit une action en revendication au lieu d'une action en rectification du livre foncier.

55. En deuxième lieu, le Gouvernement met en exergue que la requérante avait obtenu des dédommagements lors de l'expropriation en 1978, ce qui a permis à l'État de s'approprier légalement la maison. De surcroît, invoquant les affaires Malhous c. République tchèque ((déc.), no 33071/96, CEDH 2000XII) et Costandache c. Roumanie ((déc.), no 46312/99, 11 juin 2002), il fait valoir que la procédure qui a pris fin par l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002, n'était pas dirigée contre C.I., la personne à laquelle l'État avait vendu la maison en 1997. Le Gouvernement allègue, de ce fait, que la voie choisie par la requérante, à savoir une action en rectification du livre foncier dirigée contre l'État, ne pouvait être opposable à C.I., le véritable propriétaire de la maison, tel que constaté par l'arrêt du 12 septembre 2002 du tribunal départemental de Braşov.

56. Dès lors, le Gouvernement estime que la requérante ne disposait pas d'un bien ou d'une espérance légitime en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001, au sens de l'article 1 du Protocole no 1.

57. A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que l'ingérence était justifiée au regard de l'article 1 du Protocole no 1, dès lors qu'elle était légale, poursuivait un but légitime et était proportionnée.

58. S'agissant du respect du principe de légalité, le Gouvernement fait valoir que l'ingérence se fonde sur les dispositions des articles 330 et 3301 du code de procédure civile, tels qu'ils étaient rédigés à l'époque des faits.

59. Quant au but légitime visé, le Gouvernement allègue que l'ingérence était nécessaire pour rétablir l'ordre juridique à la suite d'une erreur de droit commise par les tribunaux.

60. Enfin, en ce qui concerne la proportionnalité de l'ingérence, le Gouvernement soutient qu'en l'espèce, à la différence de l'affaire Brumarescu précitée, la requérante n'a pas eu la possession de l'immeuble avant l'accueil du recours en annulation et qu'elle n'a payé la taxe foncière que du 1er mai 2001 au 6 décembre 2002, date à laquelle la cour d'appel de Braşov avait constaté que le propriétaire de l'immeuble était C.I. (voir point « C » de la partie « En fait »).

En outre, le Gouvernement, invoquant les affaires Jahn et autres c. Allemagne (nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 91, CEDH 2004...) et Wittek c. Allemagne (no 37290/97, § 59, CEDH 2002X), fait valoir que l'État avait dédommagé la requérante pour la perte de l'immeuble, en lui versant 36 736 lei roumains, représentant la valeur de l'immeuble en 1978.

b) La requérante

61. La requérante argue qu'elle avait un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1 en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001. Par cet arrêt, la cour d'appel a non seulement ordonné la radiation du droit de propriété de l'État du livre foncier, mais a également constaté, avec effet rétroactif, le droit de propriété de la requérante sur l'immeuble et a ordonné la rectification du livre foncier en ce sens.

62. Pour autant que le Gouvernement estime que l'État s'était légalement approprié la maison en 1978 en raison du paiement des dédommagements en vertu du décret no 223/1974, la requérante fait valoir que la somme de 36 736 lei roumains qu'elle et son époux avaient touchée était dérisoire et établie unilatéralement par l'État. Elle ne pourrait justifier l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001.

63. En ce qui concerne l'allégation du Gouvernement selon laquelle la requérante n'avait pas dirigée son action tendant à la restitution de l'immeuble contre le propriétaire actuel du bien, à savoir C.I., la requérante fait valoir qu'elle a assigné devant les tribunaux la personne figurant dans le livre foncier en tant que propriétaire de l'immeuble au moment de l'introduction de l'action, à savoir l'État. D'ailleurs, la Cour suprême de justice même, lorsqu'elle accueille le recours en annulation, ne nie pas le fait que la requérante avait le choix entre assigner l'État, représenté par le ministère des Finances, et le tiers acquéreur.

64. Ensuite, citant l'affaire Brumărescu, la requérante considère que l'arrêt de la Cour suprême de justice du 8 février 2002 a engendré une privation de propriété qui équivaut à une expropriation. Ainsi, la Cour suprême de justice a annulé un arrêt qui avait été mis en exécution et a eu pour conséquence l'impossibilité absolue de faire valoir son droit de propriété.

65. En outre, la requérante soutient que la privation de propriété n'était pas intervenue pour cause d'utilité publique et qu'elle n'a pas été dédommagée pour le préjudice subi en raison de l'annulation de l'arrêt définitif du 20 avril 2001. Elle affirme que les dédommagements reçus en 1978 ne représentent pas la valeur réelle de l'immeuble.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l'existence d'un bien

66. La Cour note que les parties ont des vues divergentes sur la question de savoir si la requérante avait ou non un bien susceptible d'être protégé par l'article 1 du Protocole no 1. En conséquence, la Cour est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle s'est trouvée l'intéressée est de nature à relever du champ d'application de l'article 1.

67. La Cour rappelle qu'un requérant ne peut alléguer une violation de l'article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu'il incrimine se rapportaient à ses « biens », au sens de cette disposition. Elle relève aussi que, d'après la jurisprudence constante des organes de la Convention, la notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété. En revanche, l'espoir de voir reconnaître la survivance d'un ancien droit de propriété qu'il est depuis bien longtemps impossible d'exercer effectivement ne peut être considéré comme un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (Prince Hans-Adam II de Lichtenstein c. Allemagne [GC], no42527/98, § 83, ECHR, 27 juin 2001).

68. En l'espèce, la requérante ne tend pas à voir reconnaître la survivance d'un ancien droit de propriété, mais à la jouissance du droit de propriété reconnu en dernier recours par l'arrêt de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001. Le 2 mai 2001, suite à cet arrêt, la requérante a fait réinscrire son droit de propriété sur l'immeuble dans le livre foncier et a commencé à payer la taxe foncière.

69. Pour autant que le Gouvernement allègue la similitude de la situation de la requérante dans la présente affaire avec celle décrite dans l'affaire Costandache précitée, la Cour souligne que, dans la présente affaire, la requérante bénéficie d'un arrêt définitif constatant son droit de propriété sur l'immeuble alors que, dans l'affaire Costandache, les tribunaux nationaux n'avaient jamais reconnu le droit de propriété de l'intéressée sur l'immeuble en cause.

70. Partant, la Cour estime que la requérante s'était vu reconnaître le droit de propriété sur l'immeuble par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Braşov du 20 avril 2001 et que, dès lors, la requérante avait un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1.

b) Sur l'existence d'une ingérence

71. La Cour estime qu'il y a eu ingérence dans le droit de propriété de la requérante en ce que l'arrêt susmentionné de la Cour suprême de justice a cassé l'arrêt définitif du 20 avril 2001 alors que cet arrêt avait été exécuté. L'intéressée n'avait plus la faculté d'entrer en possession du bien, de le vendre et de le léguer, d'en consentir la donation, ou d'en disposer d'une autre manière. Dans ces conditions, l'arrêt de la Cour suprême a eu donc pour effet de priver la requérante de son bien, au sens de la seconde phrase du premier paragraphe de l'article 1 du Protocole no 1.

c) Sur la justification de l'ingérence

72. Une privation de propriété relevant de la deuxième norme peut seulement se justifier si l'on démontre notamment qu'elle est intervenue pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi. De surcroît, toute ingérence dans la jouissance de la propriété doit répondre au critère de proportionnalité. La Cour ne cesse de le rappeler : un juste équilibre doit être maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Le souci d'assurer un tel équilibre est inhérent à l'ensemble de la Convention. L'équilibre à préserver sera détruit si l'individu concerné supporte une charge spéciale et exorbitante (Sporrong et Lönnrot du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 26-28, §§ 69-74 et Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 44, 21 juillet 2005).

73. En l'espèce, la Cour note d'emblée qu'il n'est pas contesté que l'ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens est intervenue dans les conditions prévues par la loi, à savoir les dispositions du code de procédure civile régissant le recours en annulation.

74. La Cour observe que le Gouvernement invoque une erreur de droit des tribunaux ordinaires pour justifier l'ingérence dans le droit au respect des biens de la requérante. Or, compte tenu du fait que l'État avait pu bénéficier de deux voies de recours pour y remédier, la Cour estime que, malgré la marge d'appréciation dont dispose l'État en la matière, cette prétendue erreur ne saurait suffire pour légitimer la privation d'un bien acquis en toute légalité à la suite d'un litige civil définitivement tranché.

75. En outre, à supposer même que l'on puisse démontrer que la privation de propriété ait servi une cause d'intérêt public, la Cour considère que le juste équilibre a été rompu et que la requérante a supporté une charge spéciale et exorbitante dès lors qu'elle a été privée d'un bien sans recevoir aucune une indemnité reflétant sa valeur réelle et pour lequel elle a payé la taxe foncière pendant plus d'un an et demi.

76. En ce qui concerne l'indemnité reçue par la requérante lorsque l'État s'était approprié l'immeuble, la Cour note que la cour d'appel de Braşov a analysé cet argument avant de rendre son arrêt du 20 avril 2001. Ainsi, elle a statué que le versement des dédommagements n'était pas pertinent en l'espèce, eu égard au fait que l'article 2 de la loi no 112/1995 stipulait que les intéressés doivent restituer les sommes encaissées s'ils se voient restituer les immeubles nationalisés.

En outre, la Cour note que l'indemnité a été versée en 1978, soit avant l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de la Roumanie. Elle s'élevait à 36 736 lei roumains, ce qui correspond à 14 450 nouveaux lei (RON) [environ 4 000 EUR], selon les critères d'actualisation de l'Institut national de statistique. Or, le rapport d'expertise fourni par la requérante établit la valeur marchande de l'immeuble à 61 310 EUR, c'est-à-dire 215 000 RON et celui soumis par le Gouvernement à 43 522 EUR, c'est-à-dire 159 119 RON. Dès lors, il ne peut être allégué que la requérante a perçu une indemnité reflétant la valeur réelle du bien.

77. La Cour note enfin que les efforts que la requérante a déployés pour recouvrer son immeuble sont demeurés vains et qu'à ce jour, elle n'a toujours pas la jouissance de son bien.

78. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

79. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

80. Dans son formulaire de requête, la requérante demandait la restitution de l'immeuble ou bien l'octroi de 50 000 dollars américains (USD) représentant la valeur de celui-ci, somme de laquelle sera déduite l'indemnité versée par l'État roumain en 1978. Dans sa lettre du 22 septembre 2005, elle estime la valeur marchande de son bien à 61 310 EUR, déposant un rapport d'expertise en ce sens. Par la même lettre, elle demande 15 000 EUR au titre du dommage moral pour les désagréments qui lui ont été causés par la frustration due à l'impossibilité de jouir de son bien.

81. Le Gouvernement estime que la valeur marchande du bien est de 43 522 EUR. Il soumet l'opinion d'un expert immobilier, établie à partir de critères légaux d'évaluation différents de ceux utilisés dans le rapport d'expertise soumis par la requérante. Quant à l'éventuel préjudice moral subi par la requérante, le Gouvernement considère que l'arrêt de la Cour pourrait constituer par lui-même une réparation suffisante du préjudice moral souffert.

82. Par une lettre du 29 décembre 2005, la requérante a déposé une réplique de l'expert ayant réalisé le premier rapport d'expertise, par lequel il conteste les allégations de l'expert mandaté par le Gouvernement. Il fait valoir que les critères légaux cités par ce dernier ne sont pas applicables en l'espèce.

83. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'État défendeur l'obligation juridique, au regard de la Convention, de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences. Si le droit interne ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, l'article 41 de la Convention confère à la Cour le pouvoir d'accorder une réparation à la partie lésée par l'acte ou l'omission à propos desquels une violation de la Convention a été constatée. Dans l'exercice de ce pouvoir, elle dispose d'une certaine latitude ; l'adjectif « équitable » et le membre de phrase « s'il y a lieu » en témoignent.

84. Parmi les éléments pris en considération par la Cour, lorsqu'elle statue en la matière, figurent le dommage matériel, c'est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée, et le dommage moral, c'est-à-dire la réparation de l'état d'angoisse, des désagréments et des incertitudes résultant de cette violation, ainsi que d'autres dommages non matériels (voir, parmi d'autres, Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 25, 10 novembre 2004).

85. En outre, là où les divers éléments constituant le préjudice ne se prêtent pas à un calcul exact ou là où la distinction entre dommage matériel et dommage moral se révèle difficile, la Cour peut être amenée à les examiner globalement (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV).

86. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que la restitution de l'immeuble sis au no 17, rue Narciselor, à Făgăraş, telle qu'ordonnée par l'arrêt définitif du 20 avril 2001 de la cour d'appel de Braşov, placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu'il devra verser à l'intéressée, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle de l'appartement.

87. A ce sujet, la Cour note que la requérante a soumis une expertise qui aboutit à une valeur marchande de 61 310 EUR. Le Gouvernement fournit l'opinion d'un expert immobilier sur l'expertise déposée par la requérante. Selon ce point de vue, la valeur marchande du bien serait de 43 522 EUR.

88. Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime la valeur marchande actuelle du bien à 50 000 EUR. Néanmoins, la requérante entend déduire de la valeur marchande du bien la somme qu'elle a reçue en 1978 en tant que dédommagement, c'est-à-dire 36 736 lei roumains, ce qui correspond à 14 450 nouveaux lei (RON) [environ 4 000 EUR]. Partant, le Gouvernement devra verser à la requérante 46 000 EUR.

89. De surcroît, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné des atteintes graves au droit de la requérante au respect de son bien, pour lequel la somme de 3 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi.

B. Frais et dépens

90. La requérante demande également le remboursement de 200 EUR au titre de frais pour l'expertise soumise à la Cour et pour les traductions des observations écrites présentées lors de la procédure devant la Cour. Elle a présenté des copies de factures à cette fin.

91. Le Gouvernement ne s'oppose pas au remboursement des frais et dépens nécessaires et prouvés, liés aux procédures internes et celle devant la Cour.

92. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 200 EUR et l'accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

93. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

4. Dit

a) que l'État défendeur doit restituer à la requérante l'immeuble sis au no 17, rue Narciselor, à Făgăraş, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;

b) qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les mêmes trois mois, 46 000 EUR (quarante-six mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

c) 3 000 EUR (trois mille euros) pour préjudice moral ;

d) 200 EUR (deux cents euros) pour frais et dépens ;

5. Dit que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

6. Dit qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent Berger John Hedigan
Greffier Président