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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE MLADENOV c. BULGARIE

(Requête no 58775/00)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Mladenov c. Bulgarie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

M. P. Lorenzen, président,
Mme S. Botoucharova,
MM. K. Jungwiert,
R. Maruste,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger,
M. M. Villiger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 58775/00) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vercho Vasilev Mladenov (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 août 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes V. Vandova et Y. Vandova, avocates à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Kotzeva, du ministère de la Justice.

3. Le 26 novembre 2004, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé.

4. Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1969 et réside à Sofia.

6. Le requérant fut arrêté le 12 juin 1991 et placé en garde à vue. Le 13 juin 1991, il fut mis en examen pour des faits d'attouchements sexuels sur un mineur âgé de dix ans et placé en détention provisoire.

7. Le 5 août 1991, l'enquêteur clôtura l'enquête et signifia le dossier d'instruction au requérant. Ce dernier fut renvoyé devant le tribunal. Par une ordonnance du 20 septembre 1991, le tribunal de district de Sofia décida de renvoyer le dossier à l'instruction pour un complément d'information. Il ordonna de nouvelles auditions des témoins avec possibilité pour la défense d'y assister, ainsi qu'une expertise dactyloscopique.

8. Le 3 octobre 1991, le requérant fut libéré sous caution.

9. Par ailleurs, le requérant fut placé sous curatelle par une décision du tribunal de district de Sofia du 16 décembre 1992, en raison de troubles psychiques.

10. Le 17 juin 1993, l'enquêteur proposa que la procédure pénale soit suspendue en raison de l'impossibilité de convoquer le requérant, celui-ci n'ayant pas été trouvé à son adresse connue. Le procureur refusa de suspendre l'enquête et lança un avis de recherche.

11. Le 23 septembre 1993, le requérant fut arrêté et placé en détention dans le cadre d'une autre procédure pénale. L'instruction dans l'affaire de l'espèce se poursuivit et une expertise psychiatrique et psychologique fut réalisée. Le requérant fut renvoyé en jugement en mars 1994.

12. La première audience qui se tint le 16 mai 1994 devant le tribunal de district de Sofia fut reportée en raison de la non-comparution du requérant, le tribunal n'ayant pas été informé que l'intéressé était en prison. L'avocat du requérant déposa une demande de renvoi en vue de l'audience prévue pour le 29 juin 1994 au motif qu'il était en déplacement. A l'audience, le requérant déclara ne pas avoir reçu copie de l'acte d'accusation, celui-ci ayant probablement été signifié à son avocat ; le tribunal considéra que le prévenu ne pouvait assurer sa défense dans ces circonstances, lui notifia l'acte d'accusation et reporta l'audience. A l'audience du 5 octobre 1994, l'affaire fut ajournée en raison de l'absence de l'avocat du requérant. Les témoins et les experts cités étaient également absents.

13. A l'audience du 23 novembre 1994, le tribunal procéda à l'audition de deux témoins et d'un expert.

14. Le requérant déposa une demande de renvoi en vue de l'audience du 25 janvier 1995 au motif de l'absence pour maladie de sa nouvelle avocate. Le tribunal ordonna le report de l'audience pour ce motif et également en raison de la non-comparution des témoins cités, auxquels il imposa des amendes civiles.

15. A l'audience du 20 mars 1995, la défense souleva l'irrégularité des interrogatoires de la victime et d'un autre témoin mineur effectués pendant l'instruction préliminaire au motif que ceux-ci n'avaient pas été réalisés en présence d'un psychologue, comme le voulait le Code de procédure pénale, et demanda que le dossier soit retourné à l'instruction. Le tribunal fit droit à cette demande et renvoya le dossier.

16. Le 15 mai 1995, l'enquêteur clôtura l'instruction et proposa le renvoi en jugement, considérant que la personne ayant effectué les auditions répondait aux qualifications requises par la loi. Toutefois, le 12 juin 1996, le tribunal de district lui retourna de nouveau le dossier.

17. L'enquêteur en charge de l'affaire ne put joindre les deux témoins dans un premier temps, ceux-ci s'étant absentés de la ville. Il fut par la suite remplacé en mai 1995. Par la suite, les deux témoins ne répondirent pas aux convocations du nouvel enquêteur et le père de la victime déclara que son fils ne désirait pas être de nouveau interrogé. A plusieurs reprises, l'enquêteur clôtura l'enquête et proposa le renvoi en jugement, considérant que la culpabilité du requérant était suffisamment établie par les autres éléments au dossier et qu'il n'était pas opportun d'avoir recours à la force publique pour amener la victime.

18. Le procureur rejeta ces propositions dans un premier temps, considérant que les auditions demandées par le tribunal devaient être effectuées, puis ordonna finalement le renvoi en jugement le 7 mars 1997.

19. Le 21 mars 1997, le tribunal retourna de nouveau l'affaire au procureur car le dossier d'instruction n'avait pas été signifié au requérant, ce qui fut fait le 18 juin 1997.

20. Une première audience devant le tribunal fut reportée en raison de la non-comparution du requérant qui n'avait pas été régulièrement cité. L'audience du 15 décembre 1997 fut reportée à la demande de l'avocat de la défense.

21. Lors des audiences qui eurent lieu le 4 février, le 18 mars, le 27 avril et le 3 juin 1998, le tribunal procéda à l'audition des témoins et experts qui étaient présents. Il reporta l'audience afin de pouvoir interroger ceux qui n'avaient pas comparu, ainsi que la victime.

22. A l'audience du 23 septembre 1998, le tribunal auditionna les experts présents. Il imposa des amendes civiles aux témoins qui n'avaient pas comparu et ordonna qu'ils soient amenés avec le recours de la force publique à l'audience suivante. Le 9 novembre 1998, les témoins n'ayant pas été amenés, le tribunal imposa une amende au chef du service de district de la police pour ne pas avoir exécuté son ordonnance.

23. A l'audience du 8 décembre 1998, le tribunal entendit la mère de la victime, qui refusa de témoigner ; en conséquence, le tribunal procéda à la lecture de sa déposition effectuée pendant l'instruction préliminaire.

24. A l'audience du 19 février 1999, la victime comparut et fut entendue. Le tribunal mit l'affaire en délibéré et prononça son jugement. Il reconnut le requérant coupable et le condamna à une peine de deux ans et six mois d'emprisonnement.

25. Le tribunal motiva le quantum de la peine infligée dans les termes suivants :

« Le tribunal a tenu compte de l'équilibre existant entre les circonstances atténuantes et aggravantes, justifiant l'imposition d'une peine de deux ans et six mois, c'est-à-dire dans la moyenne. Comme circonstances aggravantes ont été relevées la précédente condamnation [du requérant] et l'usage de violences et de menaces. Comme circonstances atténuantes – l'importante durée qui s'est écoulée entre la commission des faits et le moment où il est statué sur la responsabilité pénale, ainsi que les problèmes d'ordre psychique [du requérant]. »

26. Le requérant interjeta appel. Le 4 mars 1999, le tribunal de la ville de Sofia confirma le jugement. Le recours en cassation du requérant fut rejeté par un arrêt de la Cour suprême de cassation du 14 décembre 1999.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

27. En vertu de l'article 157 alinéa 2 du Code pénal, dans sa version au moment des faits, le fait d'avoir des relations homosexuelles avec une personnes âgée de moins de quatorze ans était puni d'une peine pouvant aller d'un à cinq ans d'emprisonnement.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

28. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le « délai raisonnable » voulu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

29. Selon le Gouvernement, le requérant ne peut se prétendre victime, au sens de l'article 34 de la Convention, d'une violation de l'article 6 § 1, dans la mesure où le tribunal de district a tenu compte de l'importante durée qui s'était écoulée depuis l'engagement des poursuites pour atténuer la peine infligée. Les autorités internes auraient ainsi reconnu et apporté un redressement adéquat au grief de l'intéressé relatif à la durée de la procédure.

30. Le requérant conteste que la motivation adoptée par le tribunal puisse être considérée comme une reconnaissance, même en substance, du caractère excessif de la durée de la procédure. Il soutient qu'en tout état de cause la diminution de la peine du fait de cette durée n'était pas significative, ni mesurable, et ne pouvait dès lors constituer un redressement de la violation alléguée de la Convention.

31. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l'atténuation d'une peine ne saurait en principe enlever la qualité de victime d'un requérant se plaignant de la durée excessive d'une procédure, sauf si les autorités nationales ont, explicitement ou en substance, reconnu, puis réparé la violation alléguée (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, p. 30, § 66 ; Beck c. Norvège, no 26390/95, § 27, 26 juin 2001 ; Morby c. Luxembourg (déc.), no 27156/02, CEDH 2003-XI).

32. En l'espèce, les juridictions internes ont fait référence dans leurs décisions au délai important qui s'est écoulé entre la commission des faits et le jugement de première instance et ont déclaré le prendre en compte comme circonstance atténuante dans la détermination de la peine. Toutefois, elles n'ont pas fait référence à l'article 6 de la Convention, ni reconnu que la durée de la procédure serait due à des retards imputables aux autorités (voir Huart c. France, no 55829/00, § 41, 25 novembre 2003). Dans ces circonstances, la Cour n'estime pas être en présence d'une reconnaissance, explicite ou en substance, d'une violation de l'article 6 du fait de la durée de la procédure de la part des juridictions internes (voir, a contrario, Hadjiiski et Iliev c. Bulgarie (déc.), no 68454/01, 2 juin 2005, et Morby, décision précitée). La Cour n'est pas d'avantage convaincue que les autorités ont offert au requérant une réparation adéquate en réduisant la peine infligée d'une manière expresse et mesurable (voir Eckle, §§ 69-70 et 87, et Beck, § 27, précités).

33. Dans ces circonstances, le requérant n'a pas perdu sa qualité de victime au regard de l'article 34 de la Convention et l'exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

34. La Cour constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et ne relève aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient dès lors de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé du grief

1. Arguments des parties

35. Le requérant fait valoir que la procédure litigieuse a débuté le 12 juin 1991 et que sa durée, qui s'élève à huit ans et demi, ne saurait être qualifiée de raisonnable. Il dénonce les retards intervenus en raison du manque de diligence des autorités et les nombreux reports d'audience dus au défaut de comparution des témoins et experts devant le tribunal. Il expose que pendant toute la procédure, seuls neuf témoins ont été interrogés et quatre expertises judiciaires réalisées.

36. Le Gouvernement combat la thèse du requérant. Concernant la période à prendre en considération, il soutient que seule la période postérieure au 7 septembre 1992, date de l'entrée en vigueur de la Convention pour la Bulgarie, est pertinente pour l'appréciation de la Cour. Il considère par ailleurs que l'affaire a été examinée dans un délai raisonnable compte tenu du fait que trois instances judiciaires se sont prononcées et qu'un complément d'instruction avait été demandé par le tribunal. Le retard intervenu entre avril 1995 et avril 1997 s'expliquerait par les difficultés objectives de procéder à l'audition des deux témoins mineurs qui refusaient de coopérer avec la justice. Le Gouvernement expose en outre que plusieurs reports d'audience devant le tribunal de district ont été accordés à la demande du requérant et souligne que l'affaire a été examinée dans des délais très brefs par les instances d'appel et de cassation.

37. En réponse, le requérant fait valoir que même si ses avocats ont demandé à quelques reprises des reports d'audiences, celles-ci auraient de toute manière être reportées en raison de la non-comparution des témoins et experts.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la durée à prendre en considération

38. La Cour constate que la procédure a débuté le 12 juin 1991 avec l'arrestation du requérant et a pris fin par l'arrêt de la Cour suprême de cassation en date du 14 décembre 1999. Sa durée globale s'élève donc à huit ans et six mois. Toutefois, la Convention étant entrée en vigueur pour la Bulgarie le 7 septembre 1992, seule la partie de la procédure qui a eu lieu après cette date entre dans le champ d'application ratione temporis et peut être examinée par la Cour, soit environ sept ans et trois mois. Conformément à la jurisprudence, il devra néanmoins être tenu compte de l'état de la procédure à cette date.

b) Sur le caractère raisonnable de cette durée

39. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

40. Concernant la présente espèce, elle considère que l'affaire, qui portait sur des attouchements sexuels sur un mineur, présentait une certaine complexité factuelle et juridique ; son examen a notamment nécessité la réalisation de plusieurs expertises médicolégales.

41. En ce qui concerne le comportement des autorités judiciaires, la Cour constate que la majeure partie de la durée pertinente couvre l'instruction préliminaire et l'examen de l'affaire en première instance par le tribunal de district. Elle note que le tribunal a plusieurs fois retourné le dossier à l'instruction pour des compléments d'information ou en raison d'irrégularités de procédure, ce qui a été source de retards imputables aux autorités. En particulier, deux années se sont écoulées après que le tribunal ait ordonné un complément d'instruction le 20 mars 1995 et l'instance a finalement repris sans que l'interrogatoire demandé par le tribunal ne soit effectué, la victime refusant de s'y soumettre (paragraphes 15-18 ci-dessus). A cet égard, la Cour admet que le comportement de la victime a pu créer des difficultés objectives pour les autorités, qui ne sauraient toutefois expliquer leur inertie pendant un délai aussi long.

42. La Cour relève par ailleurs qu'au cours de l'examen de l'affaire par le tribunal de district, malgré la diligence dont celui-ci a fait preuve pour assurer la présence des témoins et fixer des audiences à des intervalles relativement brefs, la procédure a subi des retards injustifiés. Ainsi, de nombreuses audiences ont été reportées en raison de citations irrégulières ou de l'absence des experts ou témoins. De même, lorsque l'affaire a été abordée sur le fond, souvent seuls un ou deux témoins ou experts étaient présents à l'audience et ont pu être interrogés.

43. La Cour observe en revanche que les recours en appel et en cassation du requérant ont été examinés avec une célérité particulière, dans un délai de dix mois pour ces deux instances.

44. Quant au comportement du requérant, la Cour note qu'à quatre reprises les audiences ont été reportées à sa demande en raison de l'absence de son avocat et considère que les délais intervenus de ce fait peuvent lui être imputés, même si d'autres raisons ont également motivé les reports en question.

45. En conclusion, la Cour considère que la procédure litigieuse a subi pendant l'instruction préliminaire et la première instance judiciaire des retards imputables aux autorités qui ne peuvent s'expliquer par la seule complexité de l'affaire et qui n'ont pas été totalement compensés par la célérité dont ont fait preuve les juridictions en appel et en cassation. Au vu de tous les éléments en sa possession, la Cour estime que la durée de la procédure de l'espèce a dépassé le « délai raisonnable » voulu par l'article 6 § 1. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

46. Le requérant maintient par ailleurs qu'à l'audience devant le tribunal de district le tribunal aurait procédé à la lecture des dépositions de témoins effectuées de manière non contradictoire au cours de l'instruction préliminaire, étant donné que les témoins avaient déclaré ne plus se souvenir des faits. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 d), qui dispose notamment :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à : (...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; »

47. La Cour observe d'emblée que le requérant n'a pas précisé de quels témoignages il s'agissait et n'a donc pas étayé son grief par des précisions suffisantes. En tout état de cause, la Cour rappelle que l'article 6 §§ 1 et 3 d) commandent effectivement d'assurer à l'accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard (voir, parmi d'autres, Kostovski c. Pays-Bas, arrêt du 20 novembre 1989, série A no 166, p. 20, § 41). Toutefois, en l'espèce, le requérant n'allègue pas que les témoins en question n'auraient pas comparu ou n'auraient pas été interrogés par le tribunal, mais qu'ils ont déclaré devant celui-ci ne pas se souvenir des faits. Dès lors, rien n'indique que le requérant n'a pas eu la possibilité de les questionner et de contester, s'il le souhaitait, la teneur de leurs dépositions effectuées pendant l'instruction préliminaire, comme l'exige l'article 6 §§ 1 et 3 d). Dans ces circonstances, le fait que le tribunal aurait, conformément aux règles de procédure applicables, procédé à la lecture à l'audience de leurs dépositions antérieures ne saurait être considéré comme incompatible avec les dispositions susmentionnées.

48. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi, d'autant plus grave qu'il était dans un état psychique fragile.

51. Le Gouvernement considère ces prétentions excessives et conteste tout lien de causalité entre l'état psychique du requérant et la durée de la procédure.

52. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de la durée excessive de la procédure pénale. Elle relève toutefois que dans la détermination de la peine infligée au requérant, les juridictions internes ont tenu compte de la durée importante de la procédure comme une circonstance atténuante. Même si cet élément ne suffit pas à faire perdre à l'intéressé sa qualité de « victime » de la violation constatée (paragraphes 31-33 ci-dessus), la Cour doit en tenir compte pour évaluer l'ampleur du dommage prétendument subi (voir, mutatis mutandis, Eckle c. Allemagne (article 50), arrêt du 21 juin 1983, série A no 65, p. 10, § 24, et Čevizovic c. Allemagne, no 49746/99, § 67, 29 juillet 2004). Dans la présente espèce, compte tenu de tous les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour estime que le constat d'une violation de l'article 6 § 1 constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

53. Le requérant demande également 5 035 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour, dont 5 000 EUR d'honoraires d'avocat et 35 EUR de frais de courrier et de photocopie. Il produit deux conventions d'honoraires par lesquelles il s'engage à verser les montants susmentionnés à ses avocates, ainsi que des factures correspondant à certains frais.

54. Le Gouvernement conteste ces prétentions et observe que le requérant n'a pas ventilé ses demandes concernant les honoraires d'avocat, ni fourni de justificatif à cet égard.

55. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 800 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

56. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que le constat d'une violation constitue une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le requérant ;

4. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 800 EUR (huit cent euros) pour frais et dépens, à convertir en levs bulgares selon les taux applicables au moment du versement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président