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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TASTANIDIS c. GRÈCE

(Requête no 18059/04)

ARRÊT

STRASBOURG

12 octobre 2006

DÉFINITIF

12/01/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Tastanidis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 septembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 18059/04) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vassilios Tastanidis (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 mai 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me I. Stamoulis, avocat au barreau d'Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et Mme M. Papida, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3. Le 3 juin 2005, la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

4. Le 21 mai 2001, le tribunal correctionnel du Pirée condamna le requérant à une peine de réclusion de trois ans assortie d'une amende de 3 000 000 drachmes (environ 8 804 euros) pour fraude fiscale (jugement no 3533/2001).

5. A une date non précisée, le requérant interjeta appel.

6. Le 17 avril 2002, la cour d'appel du Pirée confirma le jugement attaqué et réduisit l'amende infligée à 2 934,7 euros. Le requérant n'était pas présent à l'audience (jugement no 686/2002).

7. Le 21 mai 2002, le requérant se pourvut en cassation.

8. Le 20 janvier 2004, la Cour de cassation rejeta son pourvoi comme irrecevable. Se fondant sur l'article 508 § 1 du code de procédure pénale, elle constata que le requérant n'avait pas déposé, au plus tard à la date de l'examen de son pourvoi, une attestation du directeur de la prison certifiant qu'il était détenu au moment de son pourvoi en cassation. De plus, la haute juridiction considéra qu'aucune des circonstances prévues par l'article 508 § 1 du code de procédure pénale qui dispenseraient le requérant de son obligation de déposer l'attestation du directeur de la prison n'était réunie. En particulier, le requérant n'avait pas demandé que son pourvoi ait un effet suspensif, conformément aux termes de l'article 471 § 2 du code de procédure pénale (arrêt no 125/2004).

9. Le 24 mai 2004, le requérant sollicita auprès de la cour d'appel du Pirée la conversion en amende de la peine imposée par son arrêt no 686/2002. Le 24 mai 2004, la cour d'appel du Pirée rejeta sa demande (arrêt no 806/2004). Le 25 mai 2004, le requérant déposa une demande de sursis en exécution de l'arrêt no 806/2004 de la cour d'appel du Pirée. Le même jour, la cour d'appel du Pirée rejeta sa demande. Elle considéra que l'arrêt no 806/2004 n'était pas exécutoire car il n'avait pas imposé de peine au requérant mais, au contraire, avait uniquement rejeté sa demande de conversion de sa peine en amende. Selon la cour d'appel, l'arrêt no 686/2002 avait imposé la peine de réclusion au requérant et par conséquent, aucune question de suspension dudit arrêt ne se posait, le requérant ne s'étant pas valablement pourvu en cassation contre celui-ci (arrêt no 830/2004).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

10. A l'époque des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisaient ainsi :

Article 508

« 1. Le pourvoi en cassation de celui qui a été condamné à une peine privative de liberté est recevable seulement si celui-ci prouve, par une attestation du directeur de la prison, au moment de l'introduction du pourvoi ou plus tard, mais en tout cas avant les débats, qu'il était détenu lorsqu'il a introduit le pourvoi. Cette attestation n'est pas requise s'il ressort du dossier que l'intéressé est détenu ou si l'exécution de la peine a été suspendue ou reportée ou si la peine a été convertie en sanction pécuniaire qui a été versée (...).

2. La disposition du paragraphe 1 n'est pas appliquée si (...) le pourvoi en cassation a été assorti dès le début ou plus tard d'un effet suspensif, conformément à l'article 471 § 2. »

Article 471 § 2

« (...) Le délai pour l'exercice du pourvoi en cassation et le pourvoi en cassation ne suspendent pas l'exécution de la décision attaquée. Toutefois, si le procureur ou l'accusé le demandent, le tribunal qui a rendu la décision frappée de pourvoi peut, en tout cas, décider de suspendre l'exécution de la décision attaquée (...) »

Selon la doctrine, il est toujours possible d'accorder la suspension, à savoir même si l'accusé est déjà détenu provisoirement.

Selon la jurisprudence, le tribunal ne peut pas décider d'office de suspendre l'exécution de la décision frappée d'un pourvoi en cassation. Il faut toujours que le procureur ou l'accusé en aient demandé la suspension (cour d'appel du Pirée, no 20/1978, Poinika Chronika 1978,824). Dans une autre affaire, la Cour de cassation déclara recevable un pourvoi en cassation introduit par un individu condamné à une peine privative de liberté, qui ne s'était pas constitué prisonnier, n'avait pas racheté sa peine et n'en avait pas obtenu la suspension, au motif que, par décision ultérieure, le tribunal qui avait statué en appel accorda au recours un effet suspensif (Cour de cassation (en chambre du conseil), no 957/1997, Poinika Chronika 1998,342).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

11. Le requérant se plaint que son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable, en vertu de l'article 508 § 1 du code de procédure pénale, faute pour lui de s'être constitué prisonnier. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

12. Le Gouvernement affirme à titre principal que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, car il a omis de demander la suspension de sa peine, conformément à l'article 471 § 2 du code de procédure pénale. S'il avait déposé une telle demande, il aurait disjoint la recevabilité de son pourvoi en cassation de l'obligation de se constituer prisonnier.

13. Le requérant ne répond pas à cette objection.

14. La Cour observe qu'ainsi formulée, l'exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention. Partant, la Cour estime opportun de joindre cette exception au fond.

15. Ceci étant, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

16. Le requérant affirme que l'irrecevabilité de son pourvoi en cassation a violé son droit d'accès à un tribunal.

17. Le Gouvernement affirme que la peine privative de liberté imposée au requérant n'était pas particulièrement sévère par rapport à la gravité du délit pour lequel celui-ci avait été condamné. Dans ces conditions, le Gouvernement soutient que l'irrecevabilité du pourvoi en cassation du requérant n'a pas enfreint l'article 6 § 1 de la Convention. Le Gouvernement souligne en outre qu'avant de prononcer l'irrecevabilité du pourvoi en cassation, la Cour de cassation a pris le soin de vérifier si cette décision était proportionnelle au but légitime poursuivi.

2. Appréciation de la Cour

18. La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect, n'est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment pour les conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat qui jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation (Ashingdane c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 93, pp. 24-25, § 57). Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que son droit d'accès à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir notamment Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49-50, § 65, et Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 septembre 1996 Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1543, § 40).

19. La Cour rappelle en outre que l'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 13-15, §§ 25-26). Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l'article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu'il assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi d'autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 37). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d'accès à un tribunal reconnu par l'article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l'ensemble du procès mené dans l'ordre juridique interne et le rôle qu'y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d'un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, § 37, CEDH 1999-IX).

20. Dans ses arrêts Omar et Guérin, la Cour a estimé que « l'irrecevabilité d'un pourvoi en cassation, fondée uniquement (...) sur le fait que le demandeur ne s'est pas constitué prisonnier en exécution de la décision de justice faisant l'objet du pourvoi, contraint l'intéressé à s'infliger d'ores et déjà à lui-même la privation de liberté résultant de la décision attaquée, alors que cette décision ne peut être considérée comme définitive aussi longtemps qu'il n'a pas été statué sur le pourvoi ou que le délai de recours ne s'est pas écoulé ». La Cour a considéré qu'on portait ainsi « atteinte à la substance même du droit de recours, en imposant au demandeur une charge disproportionnée, rompant le juste équilibre qui doit exister entre, d'une part, le souci légitime d'assurer l'exécution des décisions de justice et, d'autre part, le droit d'accès au juge de cassation et l'exercice des droits de la défense » (Omar et Guérin c. France, arrêts du 29 juillet 1998, Recueil 1998–V, p. 1841, §§ 40 et 41, et p. 1868, § 43, respectivement).

21. La Cour ne voit en l'occurrence aucune raison de s'écarter de la jurisprudence précitée. Cela est d'autant plus vrai qu'elle a déjà jugé que la demande de suspension de la peine n'est pas de nature à retirer à la sanction de la déchéance du pourvoi son caractère disproportionné (Khalfaoui c. France, précité, § 53). De plus, la Cour ne perd pas de vue que dans une autre affaire contre la Grèce, l'affaire Skondrianos c. Grèce (nos 63000/00, 74291/01 et 74292/01, 18 décembre 2003), bien que l'accusé eût bénéficié d'une suspension de peine lors de la saisine de la Cour de cassation, cette dernière déclara son pourvoi irrecevable au motif que lors de son examen, celui-ci n'avait plus d'effet suspensif. Cette situation amena la Cour à affirmer que l'intéressé « pouvait légitimement croire que l'article 508 ne saurait servir de base à une décision d'irrecevabilité » et à conclure à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en tenant aussi compte du fait que la Cour de cassation avait retenu d'office ce motif d'irrecevabilité, en ne donnant à aucun stade à l'accusé la possibilité de le réfuter (Skondrianos c. Grèce, précité, §§ 30-31). Dans ces conditions, la Cour considère que la possibilité d'assortir le pourvoi en cassation d'un effet suspensif, possibilité prévue au paragraphe 2 de l'article 508 du code de procédure pénale, relève non seulement du pouvoir discrétionnaire du tribunal, mais aussi, même si elle est accordée, n'offre aucune certitude à l'intéressé de ne pas se voir opposer la déchéance de son pourvoi. Le Gouvernement ne saurait donc soutenir que la demande tendant à la suspension de la peine constitue un recours adéquat et efficace que le requérant aurait dû exercer avant de saisir la Cour ; partant, l'exception soulevée à cet égard par le Gouvernement ne saurait être retenue.

22. En conclusion, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, la Cour estime que le requérant a subi une entrave excessive à son droit d'accès à un tribunal et, donc, à son droit à un procès équitable.

Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

Dommage et frais et dépens

24. Le requérant ne présente pas de demande ni au titre du dommage matériel et moral ni au titre des frais et dépens.

25. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ces titres.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l'exception du Gouvernement et déclare la requête recevable ;

2. Rejette l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ;

3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 octobre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président