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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 32141/04
présentée par Athanasios KOSMIDIS et autres
contre la Grèce

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 24 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mmes F. Tulkens,
E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 2 septembre 2004,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Athanasios Kosmidis, Mmes Chryssoula Kosmidou et Magdalini Kosmidou, sont des ressortissants grecs, nés respectivement en 1947, 1974 et 1978 et résidant à Thessalonique. Le premier requérant est le frère et les deux autres requérantes sont les nièces de Sofia Papastamatiou, décédée en 2001. Ils sont représentés devant la Cour par Mes I. Horomidis et K. Horomidis, avocats au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. Y. Halkias, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Feue Sofia Papastamatiou était propriétaire d’un terrain de 184 m² situé à Thessalonique. Par un décret du 27 janvier 1925, modifié par la suite par les décrets en date des 28 décembre 1927, 16 avril 1934, 30 décembre 1936, 24 juin 1972, 25 août 1973, 4 janvier 1982 et 17 décembre 1983, son terrain fut exproprié en vertu du nouveau plan d’alignement de la région.

En 1985, le bureau d’urbanisme de Thessalonique adopta un acte de désignation des terrains expropriés et de répartition proportionnelle des indemnisations dues aux propriétaires (πράξη τακτοποίησης και αναλογισμού αποζημιώσεως). Cet acte fut approuvé par décision no 42097/1985 du préfet de Thessalonique.

En 1986, le tribunal de première instance et la cour d’appel de Thessalonique fixèrent respectivement l’indemnisation provisoire et définitive. Par décision no 1218 du 24 février 1987, le tribunal de première instance reconnut Sofia Papastamatiou comme étant la titulaire de l’indemnisation fixée, d’un montant total de 8 832 000 drachmes (25 919 euros). Toutefois, cette somme ne fut pas versée à l’intéressée, ce qui, selon le droit interne, entraîne la révocation de l’expropriation.

Le 8 février 2001, Sofia Papastamatiou demanda au préfet de Thessalonique de procéder à la révocation formelle de l’expropriation pesant sur son terrain en vertu du plan d’alignement litigieux. L’administration ne répondit pas à cette demande, ce qui équivaut à un refus tacite.

Le 21 mai 2001, Sofia Papastamatiou saisit la cour administrative d’appel de Thessalonique d’un recours en annulation contre le refus tacite de l’administration de lever l’expropriation pesant sur son terrain.

Le 2 juillet 2001, Sofia Papastamatiou décéda. Les requérants sont ses seuls héritiers. Les deux premiers requérants déclarèrent par la suite devant la cour administrative d’appel qu’ils souhaitaient poursuivre la procédure engagée par Sofia Papastamatiou.

Le 28 juin 2002, la cour administrative d’appel fit droit au recours, annula le refus tacite de l’administration de révoquer l’expropriation litigieuse et lui renvoya l’affaire pour prendre les mesures nécessaires à cet égard. En outre, la cour fixa les frais judiciaires des deux premiers requérants à un montant de 100 euros et ordonna leur remboursement par l’Etat (arrêt no 1465/2002).

Le 29 juillet 2003, dans un courrier adressé à la municipalité de Thessalonique avec copie au conseil des requérants, la direction de l’Urbanisme de la région de Thessalonique notifia l’arrêt no 1465/2002 à la municipalité en l’informant que si l’administration est en principe tenue de se conformer aux arrêts de justice, il est toutefois possible de procéder à une nouvelle expropriation du terrain litigieux si les conditions prévues par la loi sont réunies. Elle invita donc la municipalité à examiner la question de savoir s’il était nécessaire d’exproprier à nouveau la propriété en question et, dans l’affirmative, à réunir les fonds requis pour l’indemnisation des propriétaires visés par cette mesure. Elle invita aussi les deux premiers requérants à déposer les documents nécessaires, tels que les titres de propriété et les plans topographiques, afin qu’il soit procédé, le cas échéant, à la modification du plan d’alignement qui affectait leur propriété.

Le 20 janvier 2004, le conseil des requérants adressa à la direction de l’Urbanisme de la région de Thessalonique une lettre en réponse à son courrier du 29 juillet 2003, dans laquelle il soulignait, d’une part, l’obligation qu’a l’administration de se conformer aux arrêts de justice en ajoutant que son refus de lever l’expropriation litigieuse justifiait un nouveau recours en annulation et engageait la responsabilité civile et pénale des agents concernés. D’autre part, le conseil des requérants s’opposait à ce que ceux-ci soient dans l’obligation de déposer des documents pour le déblocage de leur propriété.

Par un document du 11 août 2005, le ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire attesta que les intéressés n’avaient pas encore déposé les documents requis.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Selon l’article 95 § 5 de la Constitution hellénique, telle que modifiée en avril 2001, « l’administration est obligée de se conformer aux arrêts de justice ».

2. Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 sur l’exécution des arrêts de justice par l’administration entra en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Cette loi prévoit entre autres que l’administration a l’obligation de se conformer sans retard aux arrêts de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdits arrêts (article 1). La loi prévoit la création de conseils de trois membres constitués au sein des hautes juridictions helléniques (Cour Suprême Spéciale, Cour de Cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes), qui sont chargés de contrôler la bonne exécution des arrêts de leurs juridictions respectives par l’administration dans un délai qui ne peut pas dépasser trois mois (à titre exceptionnel, ce délai peut être prorogé une seule fois). Les conseils peuvent notamment désigner un magistrat pour assister l’administration en lui proposant entre autres les mesures appropriées pour se conformer à un arrêt. Si l’administration n’exécute pas un arrêt dans le délai fixé par le conseil, des pénalités lui sont imposées, pénalités qui peuvent être renouvelées tant qu’elle ne s’y conforme pas (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l’administration à l’origine du défaut d’exécution (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s’appliquent aux arrêts rendus après son entrée en vigueur (article 6).

3. Entrent également en ligne de compte les dispositions suivantes de la loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil :

Article 104

« L’Etat est responsable conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. »

Article 105

« L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres. »

Article 106

« Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi en matière de responsabilité de communes ou des autres personnes de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »

L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux ayant causé un préjudice matériel ou moral à l’administré. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217).

Aux termes de l’article 19 de la loi no 1868/1989, l’action en dommages-intérêts devant les juridictions administratives est un recours indépendant par rapport au recours en annulation ou tout autre recours contre l’acte ou l’omission administratifs dont découle l’obligation éventuelle d’indemnisation ; elle peut donc être exercée de façon autonome au choix de l’intéressé. Puisque la nature illégale de l’acte ou de l’omission est l’une des conditions de recevabilité de l’action en réparation, le tribunal administratif saisi d’une telle action examine aussi la légalité de l’acte ou de l’omission administratifs incriminés, à condition que celle-ci ne soit pas déjà examinée avec force de chose jugée dans le cadre d’une autre procédure.

Il existe une abondante jurisprudence des tribunaux internes au sujet de l’action en dommages-intérêts. Selon cette jurisprudence, si un terrain affecté à la construction d’un ouvrage d’utilité publique demeure bloqué pendant une longue période sans que l’administration ne procède à son expropriation formelle moyennant une indemnité, le propriétaire concerné peut demander le déblocage de son bien, ainsi qu’une indemnisation pour le dommage subi (voir, par exemple, tribunal administratif de Thessalonique, décision no 2839/1991). De même, si l’administration bloque un terrain audelà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi en raison du blocage illégal de son bien et de la privation de son usage (voir, par exemple, tribunal administratif de Kalamata, décision no 104/2003). Enfin, si l’administration occupe illégalement un terrain, le propriétaire peut demander, outre la restitution de son bien, une indemnité pour la privation de l’usage de son terrain (voir, par exemple, tribunal de grande instance de Rhodes, décision no 35/2004).

GRIEFS

Invoquant les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent que le refus des autorités nationales de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique méconnaît leur droit à une protection judiciaire effective et porte atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Se référant à l’historique de l’affaire depuis 1925, date du premier décret affectant le terrain litigieux, ils invitent la Cour à sanctionner le blocage sans indemnisation de leur propriété qui perdure à ce jour. Dans ce contexte, ils invoquent plusieurs arguments relatifs aux ingérences infligées à leur propriété pendant de longues années et se plaignent aussi de la manière dont les juridictions saisies ont statué en matière de frais de justice et d’honoraires d’avocat.

EN DROIT

A. Pour autant qu’il s’agit de la troisième requérante

La Cour relève que la troisième requérante n’a pas participé à la procédure devant la cour administrative d’appel. Dans ces conditions, elle ne peut pas prétendre avoir été personnellement touchée par les violations alléguées (voir, en ce sens, Kakamoukas et autres c. Grèce (déc.), no 38311/02, 25 mars 2004).

Il s’ensuit que pour autant qu’elle a été introduite par la troisième requérante, la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Pour autant qu’il s’agit des deux premiers requérants

1. Sur les griefs tirés du prétendu refus de l’administration de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique

Les deux premiers requérants se plaignent, sous l’angle des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, que le refus des autorités nationales de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique porte atteinte à leur droit à une protection judiciaire effective de leurs droits de caractère civil, ainsi qu’à leur droit au respect de leurs biens, par ailleurs déjà atteint par le blocage sans indemnisation de leur propriété depuis 1925.

Les parties pertinentes de l’article 6 § 1 de la Convention sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

L’article 1 du Protocole no 1 se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement affirme à titre principal que ces griefs sont tardifs. Il souligne à cet égard que, par son courrier du 29 juillet 2003, l’administration invita les deux premiers requérants à déposer les documents nécessaires pour la modification du plan d’alignement. De l’avis du Gouvernement, l’administration a ainsi manifesté sans équivoque sa volonté de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique, tout en sollicitant la collaboration des requérants pour la collecte des documents requis à cet effet. Si toutefois les deux premiers requérants ont interprété le contenu de ce courrier comme un refus de l’administration de se conformer à l’arrêt précité, ils auraient alors dû saisir la Cour dans un délai de six mois à partir de cette date. Or, au lieu de ceci, ils se sont à nouveau adressés à l’administration en affirmant que son refus de lever la charge pesant sur leur terrain était illégal.

Le Gouvernement ajoute que les deux premiers requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Selon lui, ils auraient dû saisir le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre le prétendu refus de l’administration de se conformer à l’arrêt précité. Ils auraient également dû saisir les juridictions administratives d’une action en dommages-intérêts, fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, action visant à obtenir une indemnisation pour le blocage de leur propriété pendant une longue période.

A titre subsidiaire, le Gouvernement affirme que les griefs sont dénués de fondement. Il affirme en particulier que les autorités administratives n’ont à aucun moment refusé de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique. Tout au contraire, l’administration a manifesté immédiatement son intérêt pour s’y conformer, comme en témoigne son courrier du 29 juillet 2003. Le Gouvernement conclut que l’affaire aurait déjà été réglée si les intéressés avaient déposé en temps utile les documents requis par l’administration dans ce courrier.

Les deux premiers requérants contestent les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement. Ils soulignent entre autres que leur propriété demeure bloquée depuis 1925 et qu’ils ne se plaignent pas du courrier de l’administration en date du 29 juillet 2003, mais « de la violation de leurs droits fondamentaux causée par le comportement du Gouvernement durant des décennies, ainsi que de ses actes et omissions après l’arrêt de la cour administrative d’appel de Thessalonique ». Ils estiment qu’après cet arrêt, le Gouvernement aurait dû leur restituer leur propriété libre de toute charge et les indemniser pour le blocage de celle-ci pendant une longue période, blocage qui s’analyse à une expropriation de facto. Or, le Gouvernement refuse à ce jour de se conformer à l’arrêt précité. Son argument, selon lequel le courrier du 29 juillet 2003 traduit l’intention de l’administration de s’y conformer est, selon les dires des deux premiers requérants, « faux et trompeur ». Selon eux, il ressort de ce courrier que « l’administration cherche à prolonger le blocage de leur propriété, afin que toute la procédure reprenne depuis le début ».

Les deux premiers requérants estiment par ailleurs que les recours proposés par le Gouvernement ne sont ni efficaces ni suffisants pour porter remède à la situation litigieuse. S’agissant notamment de l’action en dommages-intérêts, ils se réfèrent entre autres à la durée que risque de connaître une telle procédure, ainsi qu’au fait qu’une partie de leurs prétentions vis-à-vis de l’Etat risque de tomber sous le coup de la prescription quinquennale. Ils ajoutent que l’absence de tout précédent jurisprudentiel, combiné avec le manque de volonté des tribunaux grecs d’indemniser les propriétaires affectés rendent une telle action complètement inefficace. Ils estiment que le seul recours adéquat dont ils disposent est leur requête devant la Cour.

a. Sur le droit à une protection judiciaire effective

La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie que « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Cette règle constitue un facteur de sécurité juridique (voir De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 28 mai 1970, série A no 12, pp. 29-30, § 50) tout en répondant également au besoin de laisser à l’intéressé un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité de présenter une requête à la Cour et pour en définir le contenu (Iordache c. Roumanie (déc.), no 55092/00, 23 mars 2004). Ainsi, elle marque la limite temporelle du contrôle exercé par la Cour et signale, à la fois aux individus et aux autorités de l’Etat, la période audelà de laquelle ce contrôle n’est plus possible (voir Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I ; Kadiķis c. Lettonie (no 2) (déc.), no 62393/00, 25 septembre 2003).

La Cour constate que par courrier du 29 juillet 2003, la direction de l’Urbanisme de la région de Thessalonique, tout en rappelant que l’administration est en principe tenue de se conformer aux arrêts de justice, a invoqué la possibilité, sous certaines conditions, de procéder à une nouvelle expropriation du terrain litigieux. Par le même courrier, elle invita les deux premiers requérants à déposer certains documents nécessaires. En réponse, le conseil des requérants, par une lettre du 20 janvier 2004, soulignait d’une part, l’obligation qu’a l’administration de se conformer aux arrêts de justice en ajoutant que le refus de lever l’expropriation litigieuse justifiait un nouveau recours en annulation et engageait la responsabilité civile et pénale des agents concernés. D’autre part, il s’opposait à ce que ses clients soient dans l’obligation de déposer des documents pour le déblocage de leur propriété.

La Cour note que le courrier du 29 juillet 2003 est interprété par le Gouvernement comme une preuve que l’administration a manifesté son intérêt pour se conformer à l’arrêt no 1465/2002 tout en sollicitant la collaboration des requérants pour la collecte de documents. Indépendamment de la question de savoir, laquelle au demeurant relève du fond de l’affaire, si le courrier du 29 juillet 2003 doit être interprété comme preuve d’une prolongation du blocage de la propriété, comme l’affirment les deux premiers requérants, ou au contraire comme preuve d’une exécution de l’arrêt no1465/2002, comme l’affirme le Gouvernement, la Cour ne saurait attribuer à ce courrier l’effet de déclencher le point de départ du délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

En effet, ce courrier, qui rappelle qu’en principe l’administration est tenue à se conformer aux arrêts de justice, ne saurait être interprété comme cristallisant un éventuel refus définitif de la part des autorités publiques de se conformer à l’arrêt no 1465/2002, même s’il contient une interrogation quant aux suites à réserver au dossier et laisse ouverte la question d’une nouvelle expropriation.

Il en est de même de la lettre du 20 janvier 2004 émanant du conseil des requérants en réponse au courrier de l’administration : de par sa nature même, cette lettre ne peut en aucune manière matérialiser ou valider l’intention de la part de l’administration de ne pas se conformer à l’arrêt no 1465/2002 (voir, en distinguant sur ce point les données factuelles, Kallitsis c. Grèce (déc.) , no 38682/02, 2 décembre 2004 ; Galatalis c. Grèce (déc.), no 36251/03, 12 mai 2005).

Par conséquent, l’exception d’irrecevabilité doit être rejetée.

La Cour estime, par ailleurs, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

b. Sur le droit au respect des biens

La Cour note que le grief des requérants sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 peut s’analyser en deux volets : le premier concerne les ingérences infligées à leur propriété depuis 1925 et jusqu’à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique qui ordonna son déblocage ; le second résulte du fait que l’administration n’a pas à ce jour levé l’expropriation litigieuse.

Pour ce qui est du premier volet du grief, la Cour rappelle que la Grèce a ratifié le droit de recours individuel le 20 novembre 1985. Par conséquent, les faits antérieurs à cette date se trouvent en dehors de sa compétence ratione temporis. Toutefois, la Cour pourrait les prendre en considération dans l’appréciation de la situation des requérants postérieure à cette date (voir Satka et autres c. Grèce, no 55828/00, § 46, 27 mars 2003).

La Cour note ensuite que les mesures dont se plaignent les deux premiers requérants ont donné lieu à des procédures qui ont pris fin plus de six mois avant l’introduction de la présente requête. En effet, la seule procédure qui tombe sous la compétence de la Cour est celle engagée en 2001 par Sofia Papastamatiou, tendant à l’annulation du refus de l’administration de lever la charge pesant sur le terrain litigieux, procédure dont l’issue fut par ailleurs favorable aux deux premiers requérants.

Il n’en reste pas moins que, durant la période incriminée, les intéressés se sont trouvés dans l’impossibilité d’exploiter leur bien, ayant donc à supporter une charge substantielle. Toutefois, la Cour estime que ceux-ci auraient dû d’abord saisir les tribunaux administratifs d’une action en réparation fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. En effet, la jurisprudence interne accepte explicitement que si l’administration bloque un terrain au-delà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi. Lors de l’examen de cette demande, les tribunaux saisis procèdent à leur initiative au contrôle de la légalité de l’acte administratif visé.

Or, en l’occurrence, les intéressés se sont contentés d’une demande tendant seulement à l’annulation du refus de l’administration de lever la charge pesant sur leur propriété. Autrement dit, de par sa nature même, le recours en annulation exercé ne comportait pas de demande d’indemnisation et ne pouvait qu’aboutir à l’annulation de l’acte administratif visé, comme ce fut d’ailleurs le cas en l’espèce. Ainsi, même si l’arrêt no 1465/2002 avait été exécuté dans les plus brefs délais, l’Etat n’aurait pas pour autant réparé le préjudice que le blocage de leur propriété pendant une longue période a pu causer aux requérants, tout simplement parce qu’il ne fut jamais saisi d’une telle demande.

Les deux premiers requérants ne sauraient donc reprocher aux autorités nationales de ne pas les avoir indemnisés pour la privation d’usage et d’exploitation de leur propriété pendant une longue période, parce qu’eux-mêmes ne leur ont pas donné l’occasion de redresser la situation dont ils se plaignent actuellement devant la Cour (voir parmi beaucoup d’autres, Roussakis et autres c. Grèce (déc.), no 15945/02, 8 janvier 2004 ; Amalia S.A. et Koulouvatos S.A. c. Grèce (déc.), no 20363/02, 28 octobre 2004 ; Galatalis c. Grèce (déc.), précitée).

Pareille conclusion vaut également pour le second volet du grief, visant la période qui a suivi l’arrêt no 1465/2002. Indépendamment de la question de savoir si l’omission des deux premiers requérants de déposer les documents demandés par l’administration est à l’origine de l’impossibilité pour celle-ci d’engager la procédure de modification du plan d’alignement affectant leur propriété, question disputée entre les parties, il est évident qu’en tardant à lever l’expropriation litigieuse, l’administration prive actuellement les intéressés de la jouissance de leurs biens.

Or, la Cour estime que pour redresser le dommage subi par cette inertie de l’administration, les deux premiers requérants auraient dû demander réparation, en se fondant toujours sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. A cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’action en dommages-intérêts prévue par les dispositions susmentionnées constitue un recours disponible et adéquat, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, pour se plaindre des répercussions financières que peut avoir le refus de l’administration de se conformer à un arrêt de justice (voir, parmi beaucoup d’autres, Manolis c. Grèce, no 2216/03, §§ 30-32, 19 août 2005 ; Beka-Koulocheri c. Grèce, no 38878/03, §§ 27-29, 6 juillet 2006 ; Kakamoukas et autres c. Grèce (déc.), no 38311/02, 24 mars 2005).

La Cour réitère à cet égard qu’à l’issue de la procédure litigieuse, les deux premiers requérants n’ont obtenu aucune créance financière contre l’Etat et qu’il ne s’agit donc pas en l’occurrence de les obliger à engager une nouvelle procédure pour obtenir satisfaction, ce qui serait certes inopportun (voir, a contrario, Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004 ; Karahalios c. Grèce (déc.), no 62503/00, 26 septembre 2002). Autrement dit, il ne s’agit pas d’obliger les deux premiers requérants à entamer un nouveau cycle de procès pour reconfirmer l’obligation de l’administration à lever la charge pesant sur leur terrain ou pour obtenir le remboursement d’une somme d’argent ou d’une autre valeur patrimoniale dont ils seraient déjà reconnus titulaires, mais d’exercer une action indemnitaire pour tenter de faire naître, le cas échéant, un droit de réparation pour le retard accusé dans l’exécution d’un arrêt qui, la Cour le souligne, se limitait à l’annulation d’un acte administratif.

La Cour estime enfin que les arguments qu’avancent les intéressés pour justifier le fait qu’ils se sont adressés directement à la Cour ne suffisent pas pour les dispenser de leur obligation de soumettre d’abord leur grief devant les juridictions internes compétentes.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Sur le grief tiré de la manière dont les juridictions nationales ont statué en matière de frais de justice et d’honoraires d’avocat

Les deux premiers requérants se plaignent en outre que la manière dont les juridictions nationales ont statué dans les procédures litigieuses en matière de frais de justice et d’honoraires d’avocat porte atteinte à leurs droits garantis par les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

La Cour note que les frais de justice et les honoraires d’avocats ont été fixés par des procédures qui ont pris fin plus de six mois avant l’introduction de la présente requête.

Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

En conséquence, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête partiellement recevable et partiellement irrecevable.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Décide de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention ;

Déclare recevable, tous moyens de fond réservés, le grief des deux premiers requérants tiré du refus de l’administration de se conformer à l’arrêt no 1465/2002 de la cour administrative d’appel de Thessalonique (article 6 § 1 de la Convention) ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Santiago Quesada Loukis Loucaides
Greffier adjoint Président