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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 42055/02
présentée par Igina RUBECA
contre l’Italie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 24 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
M. E. Myjer,
Mmes I. Ziemele,
I. Berro-Lefèvre, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 mars 2001,

Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Igina Rubeca, est une ressortissante italienne, née en 1922 et résidant à Rome. Elle est représentée devant la Cour par Me B. Beni, avocat à Rome. Le gouvernement défendeur a été représenté successivement par ses agents, MM. U. Leanza et I. M. Braguglia, et leurs coagents successifs, MM. V. Esposito et F. Crisafulli.

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 5 avril 1991, après le décès de son père, la requérante fut assignée par son frère devant le tribunal de Rome afin d’obtenir le partage d’un immeuble qu’elle occupait. Le 21 mai 1991, elle se constitua dans la procédure et demanda la division de l’immeuble et le remboursement du prix des travaux qu’elle y avait fait réaliser.

Des dix audiences fixées entre le 21 mai 1991 et le 2 décembre 1997, une seule fut renvoyée en raison d’une grève des avocats.

A l’audience du 21 avril 1998, la requérante, invoquant la gravité de son invalidité, introduisit un recours d’urgence tendant à obtenir l’élimination des entraves de nature architecturale (barriere architettoniche) dans l’immeuble objet de l’affaire et demanda aussi l’autorisation de construire un ascenseur. A l’audience du 26 mai 1998, le frère de la requérante déposa un dossier et un mémoire (« comparsa »). A la même date, le juge réserva sa décision. Par une ordonnance du 14 juillet 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 24 juillet 1998, le juge de la mise en état rejeta le recours d’urgence de la requérante, au motif qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur cette demande. Toutefois, la requérante ne réitéra pas sa demande devant le juge compétent.

Le juge mit l’affaire en délibéré le 30 mars 2000.

Par un jugement préparatoire du 15 juin 2000, dont le texte fut déposé au greffe le 14 septembre 2000, le tribunal ordonna qu’on procède à la division des biens communs. Par une ordonnance du 15 juin 2000, le tribunal renvoya les parties devant le juge d’instance afin d’établir les modalités de la division.

Des neuf audiences fixées entre le 9 janvier 2001 et le 6 février 2003, une seule fut renvoyée d’office.

Le juge mit l’affaire en délibéré le 10 avril 2003. Par un jugement du 10 juillet 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 22 septembre 2003, le tribunal fit droit à la demande de la requérante.

La requérante ne saisit pas la cour d’appel compétente d’un recours « Pinto ».

B. Le droit et la pratique internes pertinents

Les dispositions de la loi Pinto, entrées en vigueur le 18 avril 2001, et la pratique interne pertinente sont décrites dans la décision Di Sante c. Italie (no 56079/00, 24 juin 2004).

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure civile. De plus, en raison de la situation de paralysie des procédures civiles, il y aurait eu violation de son droit à un tribunal.

2. Invoquant l’article 13 de la Convention, elle se plaint de ce qu’il n’existe aucun recours effectif au niveau interne qui « garantisse les droits et les libertés de la Convention ». Le système juridique interne ne garantirait pas l’existence d’un recours permettant une réparation adéquate en cas de durée déraisonnable d’une procédure.

3. La requérante allègue également que la durée de la procédure a entraîné une violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans la mesure où elle ne pouvait pas disposer des biens dont elle avait hérité.

4. Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante, se plaint de ne pas avoir eu la possibilité de faire construire un ascenseur dans sa propriété. Pour cette raison, elle allègue de ne pouvoir développer de relations avec le monde extérieur, car elle ne peut sortir sans l’aide de quelqu’un.

EN DROIT

1. La requérante se plaint de la durée de la procédure civile et de son droit à un tribunal. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

a) Le Gouvernement excipe tout d’abord du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n’a pas fait usage du remède prévu par la loi du 24 mars 2001 no 89 (dite « loi Pinto »). Il observe que la violation alléguée du droit de propriété de la requérante dépend uniquement de la durée de la procédure civile entamée par son frère, qui s’est terminée par un jugement du 10 juillet 2003. A ce propos, il rappelle les décisions Provvedi c. Italie ((déc.), no 66644/01, 2 décembre 2004) et Pesenti c. Italie ((déc.), no 42056/02, 28 avril 2005).

Quant au grief tiré de l’article 6, la requérante affirme que ce remède est prévu seulement pour une allégation qui concerne la durée de la procédure et qui n’est pas applicable en cas de violation de l’article 1 du Protocole no 1. Elle affirme qu’en matière d’expulsion de locataires, la Cour a reconnu qu’il y a eu la violation de l’article 1 du Protocole no 1 par l’Etat italien et que le remède Pinto était inefficace.

La Cour note que selon la loi Pinto les personnes ayant subi un dommage patrimonial ou non patrimonial peuvent saisir la cour d’appel compétente afin de faire constater la violation de la Convention quant au respect du délai raisonnable de l’article 6 § 1, et demander l’octroi d’une somme à titre de satisfaction équitable.

La Cour rappelle avoir déjà constaté dans plusieurs décisions sur la recevabilité (voir, parmi d’autres, requêtes no 69789/01, Brusco c. Italie , 6 septembre 2001, CEDH 2001-IX, et no 34969/97, Giacometti c. Italie, 8 novembre 2001, CEDH 2001-XII) que le remède introduit par la loi Pinto est un recours que le requérant doit tenter avant que la Cour ne se prononce sur la recevabilité de la requête et ce quelle que soit la date d’introduction de la requête devant la Cour.

Ne décelant aucune circonstance de nature à décider différemment dans le cas d’espèce, la Cour considère que l’exception du Gouvernement doit être retenue et que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

b) La requérante se plaint qu’en raison de la situation de paralysie des procédures civiles, il y a eu violation de son droit à un tribunal.

La Cour estime qu’on ne saurait parler d’entrave à l’accès à un tribunal lorsqu’un justiciable, représenté par un avocat, saisit librement le tribunal et présente devant lui ses arguments. Or, la requérante a fait usage d’un recours disponible en droit italien et la circonstance que la procédure se prolonge ne concerne pas l’accès à un tribunal : les difficultés rencontrées sont donc de déroulement et non d’accès. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief relatif à l’accès (Matos e Silva, Lda., et autres c. Portugal, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996 IV). Ce grief est absorbé par celui tiré de la durée de la procédure.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Invoquant l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint qu’en droit interne il n’existe pas un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention et qui permette d’obtenir une réparation adéquate en cas de durée déraisonnable d’une procédure.

Cet article est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour estime que ce grief est étroitement lié à celui relatif à la durée de la procédure civile interne et doit par conséquent suivre le même sort.

Eu égard à la conclusion figurant précédemment, la Cour estime que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. La requérante allègue également que la durée de la procédure a entraîné une violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans la mesure où elle ne pouvait pas disposer des biens dont elle avait hérité. L’article 1 du Protocole no 1 est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement excipe encore une fois du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n’a pas fait usage du remède prévu par la loi Pinto. Il observe que la violation alléguée du droit de propriété de la requérante dépend uniquement de la durée de la procédure civile entamée par son frère, qui s’est terminée par le jugement du 10 juillet 2003. Or, il n’y aurait pas de raison de ne pas appliquer mutatis mutandis le principe affirmé par la Cour de cassation en matière d’expulsion de locataires. L’éventuelle lésion indirecte du droit de propriété constitue un élément du dommage matériel que l’intéressé peut faire valoir devant la cour d’appel lors de l’évaluation de la satisfaction équitable qui peut être octroyée conformément à la loi. La violation de l’article 1 du Protocole no 1 serait donc absorbée par celle de l’article 6.

En outre, selon le Gouvernement, la requérante n’a subi aucune atteinte au respect de ses biens étant donné qu’elle a continué à utiliser l’immeuble tout au long de la procédure civile.

La Cour rappelle tout d’abord que les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s’analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu’au titre de la satisfaction équitable que le requérant pourrait obtenir à la suite du constat de cette violation (voir Capestrani c. Italie (déc.), no 46617/99, 27 janvier 2005, et, mutatis mutandis, Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999).

En outre, la Cour a estimé que, dans la mesure où la violation du droit de propriété est étroitement liée à la durée de la procédure en constituant une conséquence indirecte de celle-ci, la « loi Pinto » permet de solliciter une décision qui peut s’inscrire dans la logique de la jurisprudence de la Cour quant à l’article 1 du Protocole nº 1 (voir Capestrani, décision précitée, et, mutatis mutandis, Provvedi et Pesenti, décisions précitées, et Recupero c. Italie (déc.) no 77713/01, 17 mars 2005).

Or, la requérante n’a pas utilisé le remède « Pinto ».

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir l’exception du Gouvernement et que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

4. La requérante allègue enfin que l’impossibilité de construire un ascenseur l’a empêchée de sortir toute seule et y voit une violation de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

La Cour note que pendant le déroulement de la procédure civile la requérante a introduit un recours d’urgence au sens de l’article 700 du code de procédure civile afin d’obtenir l’élimination des entraves de nature architecturale et l’autorisation de construire un ascenseur et qu’en réponse la partie défenderesse a déposé son dossier et un mémoire.

Or, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 34 de la Convention elle peut être saisie d’une requête par toute personne qui se prétend victime d’une violation à son détriment, par l’Etat défendeur, d’un droit garanti par la Convention et ne peut pas être saisie de requêtes dirigées contre un particulier. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Au demeurant, la Cour relève qu’après la déclaration d’incompétence du juge de la mise en état, la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes, en omettant de saisir le juge compétent d’un recours d’urgence.

En conséquence, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président