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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.10.2006
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 24432/03
présentée par Lioubov Nikolaïevna RYZIAPOVA
contre la Russie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 24 octobre 2006 en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mmes F. Tulkens,
N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
M. K. Hajiyev, juges,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 juin 2003,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Lioubov Nikolaïevna Ryziapova est une ressortissante russe née en 1953 et résidant dans la région d’Orenbourg. Elle est représentée devant la Cour par Me Evpolov, avocat à Bouzoulouk (région d’Orenbourg).

A. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.

1. La procédure administrative

Le 19 juin 2002, la police se rendit pour une perquisition au domicile d’une connaissance de la requérante. Celle-ci, à la suite d’une altercation avec les policiers, fut arrêtée et conduite au commissariat de police. Après y avoir passé la nuit, le lendemain, le 20 juin, elle fut traduite devant le juge du district d’Abdulino (région d’Orenbourg). Se fondant sur le rapport du policier M. qui alléguait avoir été insulté par la requérante, le juge reconnut celle-ci coupable de l’infraction administrative prévue par l’article 158 du code des infractions administratives, à savoir « atteinte mineure à l’ordre public », et la condamna à cinq jours d’emprisonnement à compter du 20 juin 2002. Sur appel de la requérante, le 21 août 2002, la cour régionale d’Orenbourg annula la décision au motif qu’elle n’était pas suffisamment motivée et que les participants à l’audience n’avaient pas été informés de leurs droits et obligations. La cour renvoya l’affaire pour un nouvel examen devant le même tribunal. Le 24 septembre 2002, le juge du tribunal du district d’Abdulino clôtura l’affaire pour prescription (истечение сроков давности привлечения к административной ответственности). La requérante forma un recours contre cette décision. Le 23 octobre 2002, la cour régionale d’Orenbourg annula la décision de clôture et renvoya l’affaire pour un nouvel examen sur le fond. Elle se prononça ainsi :

« (...) L’assertion du juge selon laquelle la prescription empêche l’examen sur le fond de l’infraction administrative est erronée. Mme Ryzhiapova plaide son innocence. Dans ce cas, le tribunal aurait dû examiner l’affaire (...), vérifier les arguments de l’intéressée et statuer sur le fond ».

Le 20 décembre 2002, le tribunal de renvoi clôtura la procédure derechef au motif que la requérante avait déjà été condamnée au pénal pour les faits incriminés. Il déclara :

« (...) l’action administrative ne peut être engagée et, si elle a déjà été engagée, elle doit être clôturée lorsque la personne contre laquelle l’action administrative est dirigée est poursuivie ou condamnée au pénal pour le même fait.

En effet, le tribunal a établi qu’une action pénale avait été engagée contre Mme Ryziapova pour l’insulte proférée à l’endroit de l’officier de police M., infraction pour laquelle elle a été verbalisée par un jugement du 20 juin 2002 (...). Par un jugement du 3 décembre 2002, le juge de paix d’Abdulino a condamné Mme Ryziapova à une amende pénale d’un montant correspondant à 50 salaires minimums. Par conséquent, il existe une circonstance d’extinction de l’action administrative. La procédure administrative dirigée contre Mme Ryziapova doit être clôturée ».

Le 28 janvier 2003, la cour régionale confirma cette décision.

2. La procédure pénale

Le 27 juin 2002, la police du district d’Abdulino ouvrit une enquête pénale contre la requérante pour insulte à un officier de police dans l’exercice de ses fonctions. Cette infraction était prévue par l’article 319 du code pénal.

Le 3 décembre 2002, le juge de paix de la circonscription judiciaire no1 d’Abdulino tint une audience. La requérante rappela à cette occasion qu’elle avait déjà subi une peine d’emprisonnement pour la même infraction. Le juge la condamna à une amende pénale, après avoir rejeté l’argument précité dans les termes suivants :

« Le juge de paix [rejette] l’argument de Mme Ryziapova et de son avocat selon lequel Mme Ryziapova est poursuivie au pénal pour les faits qui ont eu lieu le 19 juin 2002 et pour lesquels elle a déjà purgé une peine administrative [pour les raisons suivantes]. En effet, d’après la décision rendue le 20 juin 2002 par le tribunal d’Abdulino, Mme R. a été condamnée, en vertu de l’article 158 du code des infractions administratives de RSFSR, à une peine de détention administrative de cinq jours.

Selon l’arrêt de cassation rendu par la chambre criminelle de la cour régionale d’Orenbourg le 23 octobre 2002, les décisions du tribunal d’Abdulino du 20 juin 2002 et du 24 septembre 2002 sont annulées.

En l’état, le juge de paix ne peut considérer que Mme Ryziapova a été condamnée dans le cadre d’une procédure administrative pour une atteinte mineure à l’ordre public commise le 19 juin 2002.

Les actes de l’accusée sont correctement qualifiés comme infraction prévue par l’article 319 du code pénal russe, dans la mesure où l’intéressée a proféré en public une insulte à l’endroit d’un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions. »

Le 7 février 2003, le tribunal d’Abdulino confirma le jugement en appel. Le 20 mars 2003, la cour régionale d’Orenbourg annula les deux décisions et renvoya l’affaire pour un nouvel examen en première instance. Le 5 mai 2003, le juge de paix de la circonscription judiciaire no 1 tint l’audience préparatoire et fixa la date de l’audience sur le fond. La requérante contesta cette décision. Le 3 juin 2003, le tribunal d’Abdulino confirma cette décision en appel. Le 10 juillet 2003, la cour régionale d’Orenbourg annula les deux décisions et renvoya l’affaire pour un nouvel examen devant le juge de première instance pour violation des règles de compétence territoriale.

Le 28 août 2003, le juge du district d’Abdulino renvoya le dossier au procureur pour un complément d’enquête. Le 12 septembre 2003, le procureur dressa un acte d’accusation. Le 7 octobre 2003, le tribunal ordonna derechef un complément d’enquête. Le 25 octobre 2003, le procureur dressa un nouvel acte d’accusation. Le 5 mai 2004, le tribunal du district d’Abdulino tint l’audience préparatoire et fixa la date de l’examen sur le fond.

Le 26 décembre 2005, le tribunal du district d’Abdulino tint une audience et clôtura l’affaire pour prescription (истечение сроков давности уголовного преследованиия). La requérante contesta cette décision. L’instance est toujours pendante.

3. La contestation de la perquisition

La requérante introduisit un recours judiciaire pour contester la légalité de la perquisition du domicile d’une connaissance, J., qui avait été effectuée le 19 juin 2002. Elle demanda également au procureur de poursuivre au pénal les policiers qui avaient procédé à la perquisition.

Le 20 décembre 2002, le tribunal d’Abdulino rejeta le recours pour défaut de fondement, le mandat de perquisition ayant été émis par le procureur d’Abdulino. Le 28 janvier 2003, la cour régionale d’Orenbourg confirma la décision en appel.

4. Le recours devant le procureur

La requérante demanda au procureur d’ouvrir une enquête pénale contre les policiers qui avaient effectué la perquisition. Le 8 juillet 2002, le procureur d’Abdulino rejeta la demande, en l’absence d’éléments constitutifs de l’infraction. Le 14 novembre 2002, le tribunal du district d’Abdulino entérina cette décision. Le 17 décembre 2002, la cour régionale d’Orenbourg confirma en appel la décision du tribunal de première instance.

5. Entrave à l’exercice du droit de recours individuel devant la Cour

Le 21 mai 2004, la requérante fut arrêtée pour trafic de drogue. D’après elle, cette arrestation avait pour but de la dissuader de maintenir sa requête devant la Cour.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le code pénal de la Fédération de Russie

Article 319 – Insulte à un agent de l’Etat

Quiconque insulte en public un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou en raison de celles-ci – est puni soit d’une amende de 40 000 roubles maximum ou d’une amende d’un montant correspondant à trois mois de salaire, soit d’une peine de travaux d’intérêt général de 120 à 180 heures, ou de travaux correctionnels (consistant en une retenue de 20 % du salaire – исправительные работы ) de six mois à un an.

2. Le code des infractions administratives de la RSFSR du 20 juin 1984 (en vigueur au moment de l’acte incriminé)

Article 158 – Atteinte mineure à l’ordre public

Une atteinte mineure à l’ordre public, à savoir des insultes obscènes prononcées en public, une agression et d’autres actes de même nature susceptibles de troubler l’ordre ou la paix publics, est punie soit d’une amende d’un montant de 10 à 50 salaires minimums, soit d’une peine de travaux correctionnels (consistant en une retenue de 20 % du salaire – исправительные работы) d’un à deux mois, soit si, au vu des circonstances de la cause et de la personnalité de l’auteur, l’application des mesures susmentionnées est jugée insuffisante, d’une détention administrative de quinze jours maximum.

GRIEFS

1. Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, la requérante allègue avoir été poursuivie devant les juridictions pénales et devant les tribunaux administratifs pour le même fait, à savoir insulte à un policier.

2. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, elle dénonce la durée de la procédure pénale dirigée contre elle.

3. Invoquant l’article 5 § 1 c) de la Convention, elle allègue que sa détention du 19 au 20 juin 2002 n’a pas respecté les voies légales.

4. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la requérante estime que la perquisition, qui n’était pas conforme au droit national, constitue une violation du droit au respect du domicile de son amie.

5. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, la requérante se plaint de l’inaction du procureur qui a refusé de poursuivre les fonctionnaires responsables des violations alléguées.

6. Invoquant l’article 34 de la Convention, la requérante prétend que son arrestation du 21 mai 2004 poursuivait le but de la dissuader d’exercer son droit de recours devant la Cour.

7. La requérante invoque les articles 6 §§ 2, 3 a) et d) et 17 de la Convention, mais n’explique pas en quoi ces dispositions ont été violées à son égard.

EN DROIT

1. La requérante allègue avoir été poursuivie deux fois, devant les tribunaux administratifs et devant les juridictions pénales, pour les mêmes faits, en violation de l’article 4 du Protocole no 7.

L’article 4 § 1 du Protocole no 7, pertinent en l’espèce, se lit comme suit :

« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. ».

En l’état actuel du dossier, la Cour estime qu’elle n’est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief, et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2. La requérante dénonce la durée excessive de la procédure pénale dirigée contre elle.

Le passage pertinent de l’article 6 § 1 se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

En l’état actuel du dossier, la Cour estime qu’elle n’est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief, et juge nécessaire de le communiquer au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

3. S’agissant de sa détention au commissariat de police du 19 au 20 juin 2002, la requérante estime qu’elle n’était pas conforme au droit national et qu’elle a donc été effectuée en violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention. La Cour constate toutefois que l’intéressée n’a pas formulé ce grief devant les instances nationales compétentes.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Concernant le grief tiré de l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint de la perquisition effectuée par la police au domicile de son amie.

La Cour rappelle que pour qu’une personne se voie reconnaître la qualité de « victime » l’acte ou l’omission litigieux doit l’affecter de manière directe (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996III, § 36). En l’occurrence, n’étant pas directement concernée par la mesure contestée, la requérante n’a pas la qualité de victime.

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

5. Quant aux autres griefs soulevés, compte tenu des éléments du dossier et dans la mesure où les matières indiquées relèvent de sa compétence, la Cour estime que ces griefs ne révèlent pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen du grief selon lequel la requérante a été poursuivie devant les tribunaux administratifs et devant les juridictions pénales pour le même fait (article 4 du Protocole no 7) ;

Ajourne l’examen du grief relatif à la durée excessive de la procédure pénale (article 6 § 1 de la Convention) ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Santiago Quesada Christos Rozakis
Greffier adjoint Président