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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE SZYMOŃSKI c. POLOGNE
(Requête no 6925/02)
ARRÊT
STRASBOURG
10 octobre 2006
DÉFINITIF
10/01/2007
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Szymoński c. Pologne,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,
MM. J. Casadevall,
G. Bonello,
K. Traja,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. T.L. Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6925/02) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, Włodzimierz Szymoński (« le requérant ») a saisi la Cour le 21 novembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 24 janvier 2006, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure débutée le 7 janvier 1992 au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1925 et réside à Warszawa.
5. Le 7 janvier 1992, le requérant engagea une action devant la caisse de retraite et des allocations sociales tendant à redéfinir la base de calcul de sa pension de retraite et à augmenter son montant.
6. Le 25 mars 1992, la caisse de retraite de Siedlce accueillit en partie sa demande.
7. Le 29 septembre 1992, le requérant interjeta appel de la décision précédente devant le tribunal régional de Lublin.
8. Le 10 février 1993, le tribunal régional rendit une décision par laquelle il infirma en partie la décision datant du 25 mars 1992.
9. Le 21 juin 1994, la caisse de retraite rendit une décision sur le calcul de la pension du requérant, défavorable pour ce dernier.
10. Le 7 juillet 1994, l’intéressé interjeta appel.
11. Le 22 décembre 1994, le tribunal régional de Lublin annula la décision précédente et renvoya l’affaire pour réexamen.
12. Le 25 décembre 1994, la caisse de retraite rendit deux décisions sur le calcul de la pension. Le 16 juin 1995, le requérant interjeta appel.
13. Le 20 février 1996, le tribunal régional de Lublin annula de nouveau la décision précédente et renvoya l’affaire pour réexamen devant la caisse de retraite de Siedlce.
14. Le 15 juin 1996 et le 15 octobre 1997, la caisse de retraite rendit deux décisions sur le calcul de la pension.
15. Le 18 novembre 1997, le requérant interjeta appel.
16. A une date inconnue, la caisse de retraite de Siedlce rejeta l’appel de l’intéressé. Cette décision fut notifiée à ce dernier le 19 février 2001.
17. Le 31 mars 1995, selon le Gouvernement, la caisse de retraite de Siedlce rendit deux nouvelles décisions sur le calcul de la pension. Le Gouvernement base ses informations sur le dossier de l’affaire dont il avait accès au tribunal régional de Lublin et de Siedlce. Le requérant quant à lui affirme que ces décisions concernaient la même demande de calcul de la pension introduite le 7 janvier 1992.
18. Le 30 mai 1995, le requérant interjeta appel des décisions précédentes. Toutefois, du fait de la disparition du dossier de l’affaire au tribunal, l’appel de l’intéressé fut examiné seulement en 1999.
19. Entre le 26 janvier 1999 et le 6 juin 2000, trois audiences eurent lieu devant le tribunal régional.
20. Le 6 juin 2000, le tribunal régional de Siedlce accueillit la demande de l’intéressé et infirma les décisions datant du 31 mars 1995 de la caisse de retraite.
21. Le 10 juillet 2000, la caisse de retraite interjeta appel qui fut accueilli en partie le 26 octobre 2000 par la cour d’appel de Lublin.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
22. L’article 417 al. 1 du code civil
« Le Trésor public est responsable pour les dommages résultant des actes d’un fonctionnaire de l’État ».
23. L’article 16 de la loi de 17 juin 2004, entrée en vigueur le 17 septembre 2004, (ci-dessous : la loi de 2004), introduisant dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive d’une procédure judiciaire (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki), stipule :
« Une partie qui n’a pas déposé plainte pour retard excessif de procédure conformément à l’article 5 § 1 peut demander - au titre de l’article 417 du Code civil - une réparation pour les dommages ayant résulté du retard excessif, une fois terminée la procédure sur le fond.»
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
25. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
26. La Cour note que dans la mesure où les deux procédures portent sur le même objet et la durée de la procédure qui a débutée le 7 janvier 1992 et s’est achevée le 26 octobre 2000, s’inscrit dans celle terminée le 19 février 2001, elle prendra en considération la période qui s’étend du 7 janvier 1992 au 19 février 2001, soit environ 9 années et 1 mois. Toutefois, eu égard à sa compétence ratione temporis, la Cour ne peut prendre en considération que la période de 7 années et 9 mois qui s’est écoulée depuis le 1er mai 1993, même si elle aura égard au stade qu’avait atteint la procédure à cette date (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 123, CEDH 2002-I).
A. Sur la recevabilité
27. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire alléguant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il estime en premier lieu que le requérant aurait du faire l’usage de l’article 417 du code civil, disposition permettant d’obtenir une satisfaction pour les préjudices résultant d’un comportement fautif des organes de l’Etat. Il prétend que cette voie de recours était effective pour contester la durée excessive d’une procédure depuis le 18 décembre 2001, date de l’arrêt de la Cour constitutionnelle précisant l’interprétation de cette disposition.
28. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’efficacité de cette voie de recours à plusieurs reprises en constatant qu’elle ne pouvait être considérée comme telle (voir Skawińska c. Pologne (déc), no 42096/98, 4 mars 2004 ; Małasiewicz c. Pologne, no 22072/02, § 32, 14 Octobre 2003 et récemment Barszcz c. Pologne, no 71152/01, § 42, 30 mai 2006). Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau propre à modifier la jurisprudence existante, il convient en conséquence de rejeter cet argument.
29. Le Gouvernement soutient en deuxième lieu que le requérant aurait dû faire usage de l’article 16 de la loi de 2004 (voir ci-dessus paragraphe 23) qui permet de contester devant les juridictions internes la durée excessive de la procédure et qui renvoie dans sa teneur à l’article 417 du code civil.
30. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée également sur la question de savoir si l’article 16 de la loi de 2004 en relation avec l’article 417 du code civil constituait une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.
31. Cette voie de recours a été jugé effective dans les cas où la procédure dont la durée faisait l’objet de contestation s’était terminée moins de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004, le délai de prescription de l’action de l’article 417 (Krasuski c. Pologne no 61444/00, § 72, 14 juin 2005).
32. La Cour a jugé en revanche que cette disposition ne pouvait être considérée en tant que voie de recours effective si la procédure dont la durée faisait l’objet de la contestation avait pris fin plus que trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004 (Ratajczyk c. Pologne (déc.), no 11215/02, 31 mai 2005).
33. En l’occurrence, la procédure s’est terminée le 19 février 2001, donc plus de trois ans avant l’entrée en vigueur de la loi de 2004. En conséquence, le requérant ne disposait pas d’une voie de recours effective pour contester la durée excessive de la procédure devant les instances internes. Partant, l’argument du Gouvernement ne peut être pris en considération.
34. Le Gouvernement considère en dernier lieu que le délai de prescription de l’action de l’article 417 du code civil ne devrait pas être calculé à partir de la date de la fin de la procédure dont la durée est contestée mais à partir du moment où le dommage survient en tant que tel. Selon le Gouvernement, les deux événements ne se produisent pas à la même date.
35. La Cour rappelle que cette thèse a également fait l’objet de son appréciation dans son arrêt Barszcz (précité, § 43) et a été rejetée. Le Gouvernement ne présentant aucun élément nouveau, il convient en conséquence de rejeter son exception préliminaire.
36. La Cour constate enfin que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer la requête recevable.
B. Sur le fond
37. La Cour constate que le Gouvernement, s’est borné à mettre seulement l’accent sur le fait que le 1er juillet 1996, la loi du 1er mars 1996 sur l’amendement du code de procédure civile est entrée en vigueur en amendant certaines dispositions concernant les procédures de droit de travail et des assurances sociales. Selon le nouveau code ainsi amendé, le tribunal examinant l’appel de la décision de la caisse de retraite n’a plus de compétence de renvoyer l’affaire pour réexamen devant la caisse. Ceci était la cause principale de l’allongement de la procédure en l’espèce.
38. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
39. Sur ce dernier point, la Cour constate que la nature même du contentieux, concernant une pension, justifiait une diligence particulière de la part des autorités (voir, notamment, l’arrêt Mocie c. France, no 46096/99, 8 avril 2003).
40. La Cour prend note des amendements qui sont intervenus dans la législation polonaise.
41. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
42. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
43. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
44. Le requérant réclame 22 000 PLN (3 615 euros) au titre du préjudice matériel et 18 000 PLN (4 648 euros) pour le préjudice moral qu’il aurait subi.
45. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à décider qu’en cas de violation, le constat de celle-ci représenterait une satisfaction équitable. A titre subsidiaire, il demande d’accorder au requérant une satisfaction équitable dont le montant ne dépasserait pas 10 000 PLN, (2 600 euros environ), la somme maximale prévue par la loi de 2004.
46. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 500 euros au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
47. Le requérant demande également 14 200 PLN (3 667 euros) pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes. Il ne présente toutefois pas de documents attestant les dépens prétendument encourus.
48. Le Gouvernement conteste ces prétentions mettant l’accent sur le fait que le requérant n’étaye pas sa demande par des documents.
49. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime que le requérant n’a pas prouvé que les frais dont il réclame le remboursement avaient été exposés. Il convient de lors de rejeter sa demande.
C. Intérêts moratoires
50. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le restant de la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
T.L Early Nicolas Bratza
Greffier Président